Le séminaire «apports heuristiques de la cartographie» a été fondé à l'automne 1997 dans le but de mettre en évidence la dynamique de recherche induite par la cartographie dans l'ensemble des sciences sociales. Il a réuni des chercheurs en sciences sociales et des cartographes issus de multiples institutions: CNRS, EHESS, ENS, INRA etc. Il est en outre le pendant théorique de l'atelier cartographie ENS-EHESS.
Il est apparu, tout au long de ce séminaire, que la cartographie ne se résume par à une simple technique, mais s'inscrit dans l'ensemble des outils intellectuels du chercheur contemporain.
Les historiens de la Révolution Française, comme Dominique Julia (séance du 17 mars 1998, Cartographier l'enseignement en France: 1750-1820) et Philippe Boutry (séance du 16 juin 1998, Historiographie et cartographie des sociétés politiques révolutionnaires) ont longuement insisté sur ce point, en rappelant qu'il est difficile d'associer étude microscopique et étude globale du territoire, surtout quand les archives ne s'y prêtent pas. Ils ont aisément prouvé tout l'intérêt de la production cartographique en tant que représentation synthétique d'une recherche précise, mais aussi en termes de moteur de la recherche: quel type de travail la volonté de présenter l'inscription spatiale de pratiques sociales du passé implique-t-elle aujourd'hui pour l'historien?
En exposant les usages de la carte dans l'Antiquité, Christian Jacob (séance du 3 février 1998, Formes, fonctions et environnement conceptuel des cartes géographiques en Grèce ancienne) a rappelé qu'alors, la carte résultait d'un travail abstrait de compilation, de synthèse d'informations, de représentation du monde qui avait plus à voir avec la constitution d'une bibliothèque (cartographie des savoirs) qu'avec la navigation ou la stratégie militaire. Daniel Nordman (séance du 20 janvier 1998, La carte de France du XVIe au XVIIIe siècle. Histoire et usages) et Jean Boutier (séance du 7 avril 1998, La constitution d'un corpus cartographique et ses utilisations: les plans de Paris de la fin XVe siècle à 1800) ont rappelé que nombre d'itinéraires, de cadastres, de guides ont longtemps été réalisés sans aucun document figuratif; en outre, la production de cartes modernes a autant été conduite par des considérations symboliques et politiques que par des considérations utilitaires ou scientifiques: réaliser une image de la ville pour servir d'image de la ville. En cela, la carte, longtemps coûteuse, a eu ses commanditaires, ses clients, ses auteurs, ses lecteurs. Bref, la production et la diffusion des cartes obéit à des logiques culturelles et sociales, occultées par l'objet cartographique, dont l'étude est pourtant précieuse. Ce n'est qu'avec la dynamique scientifique et les découvertes territoriales du XIXe siècle, que les «ingénieurs à la conquête du monde» ont modernisé et socialisé les techniques cartographiques. C'est ce qu'a montré Nacima Yellès (séance du 2 décembre 1997, Histoire et usages de la cartographie chez les ingénieurs de l'École des Mines de1810 à1980).
L'importance de ces systèmes de représentations nous a incité à aborder, avec Augustin Berque (séance du 2 juin 1998, Paysage et identité au Japon) d'autres logiques, comme celles que l'on rencontre dans le Japon contemporain: celles-ci obéissent à des demandes de paradigmes identitaires et façonnent la ville d'aujourd'hui. Nous comptons approfondir ce thème dans les années à venir, en étudiant les représentations spatiales de diverses cultures non-occidentales.
Si l'on se restreint, dans le cadre de ce séminaire, à considérer les interactions constitutives de la cartographie et de l'informatique, on constate tout d'abord une forme de déplacement d'objet: une simple photographie prise par satellite, travaillée par une succession d'algorithmes simples, devient carte. François-Michel Le Tourneau (séance du 16 décembre 1997, Cartographie et télédétection au service des problématiques archéologiques dans la vallée de Samarcande) a montré comment une telle méthode permettait d'exhiber des traces de routes, de canaux, de murailles, et donc, d'aboutir à une carte de vestiges bien utile aux archéologues. D'autre part, il apparaît que la carte peut aussi perdre son statut d'image du spatial pour représenter des textes, des concepts, un état des connaissances. Éric Guichard (séance du 18 novembre 1997, Conférence introductive) a présenté des résultats produits par Cow9, outil de raffinement des requêtes de l'indexeur Alta Vista, qui sont autant d'exemples d'une nouvelle cartographie des savoirs qui n'est pas sans rappeler l'organisation de la bibliothèque d'Alexandrie.
Enfin, avec les réseaux électroniques, un nouveau territoire apparaît. Tout en prolongeant les travaux théoriques engagés lors de la première année de ce séminaire, nous continuons aussi à nous investir dans la production concrète de cartes, en élaborant un atlas de l'Internet.