Si la carte est une invitation au voyage, il est conseillé d'emporter quelques instruments de mesure dans ses bagages afin d'organiser son itinéraire, puis de se repérer dans l'univers exotique que l'on a décidé d'explorer. On distingue communément deux types de tels instruments: les boussoles, les bouliers, et autres ordinateurs ou GPS, que l'on oppose aux concepts opératoires en sémiologie ou en anthropologie. Or cette distinction, cette opposition des compétences du géomètre et du philosophe, semblent en fait participer au brouillage que nos sociétés génèrent, comme pour empêcher toute exploration, toute compréhension des mondes, fussent-ils actuels ou passés, proches ou lointains.
Il nous semble qu'une multitude d'outils développés par les ingénieurs depuis deux siècles sont tout à fait maîtrisables par qui veut s'en donner la peine pour produire des cartes, et des «correspondances» entre les territoires qu'elles créent: ces correspondances peuvent être mathématiques, comme les relations entre les diverses formes de projections ou historiques, maintenant que les cartes animées sont faciles à réaliser. En retour, le territoire produit graphiquement prend du sens, dans des contextes souvent conflictuels, et transporte une représentation du monde qu'il convient d'interroger, tant sur le plan de la description de l'espace (agrégations, frontières, etc.) que sur celui des indicateurs utilisés (problème classique de la légitimité des catégorisations statistiques). L'histoire du développement technique de ces outils, et de leur usage social donne de premiers éléments d'information. Mais les représentations sont parfois aussi mesurables: d'une part, on commence à savoir dessiner des réseaux sociaux, des univers sémantiques; d'autre part, un retour à la carte met parfois mieux en évidence la logique de ces représentations qu'un long discours critique: par exemple, une représentation, non pas du «territoire» Internet, mais de l'implantation d'Internet dans les territoires classiques explicite les formes de colonisation associées aux industries organisées derrière le «médium», tout comme fait ressortir les nouveaux pôles de la dérégulation économique que sont les paradis fiscaux.
Reste que la carte garde toujours un statut inconfortable entre l'écrit et l'image. Mais là encore, elle témoigne de la complexité des interactions entre technique et production d'un discours. La publication de cartes animées sur le Web est sur ce point «éloquente».
Aussi, nous espérons, dans les années à venir, conjuguer maîtrise technique et réflexions sur les objets que nous produisons et manipulons, en multipliant les approches historiques. Internet, à la fois vu comme vecteur de l'industrie contemporaine, espace de représentations et outil de production de l'écrit, sera un des axes majeurs de nos recherches.
Cette approche fut déjà la nôtre lors de l'année passée: Pierre Huguet (CNAM) a détaillé l'histoire des mesures géodésiques et Serge Aberdam (INRA) s'est interrogé sur la possibilité de comprendre la participation aux élections de la période révolutionnaire avec des cartes agro-météorologiques. Henri Maître (ENST) et Jean-Paul Gilg (EHESS) sont venus présenter les derniers développements de la télédetection et leurs diverses applications, notamment pour réaliser des modèles 3D de la ville. Pascale Perez (IHESI), Evelyne Mesclier (IRD-ENS) et Margarita-Rosa Serge (EHESS) ont insisté sur les enjeux scientifiques et politiques de la production de cartes dans les conflits contemporains. Éric Guichard a présenté les recherches actuelles sur la cartographie du Web. Par ailleurs, avec l'équipe «Réseaux, Savoirs & Territoires», il a organisé le colloque «comprendre les usages d'Internet» qui s'est tenu à l'ENS les 3 et 4 décembre 1999.
Diverses publications (atlas, logiciels, articles) sont disponibles à l'URL http://barthes.ens.fr
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page modifiée le 25 octobre 2000