Équipe Réseaux, Savoirs & Territoires

ENS

logo AI

Actus | Articles et revues | Outils | Cours | Art et expériences | Miroirs | Archives | Débats | L'équipe

L'esprit de la technique
Journée Philosophie de la technique
Enssib, Université Jean Moulin - Lyon-III et CIPh

Samedi 26 novembre 2011

À l'Enssib (Lyon-Villeurbanne)
Coordinateurs : Éric Guichard et Frédéric Vengeon

Introduction

La technique est rarement étudiée par les philosophes. Nous voulons profiter des interrogations posées par l'internet pour conjuguer ensemble trois problématiques : l'objectivité de la technique, sa part dans la construction des épistémologies, la façon dont elle nourrit des formations discursives qui conjuguent rationalité et imaginaires.

La notion de technique intellectuelle nous semble une entrée idéale car elle permet d'emblée d'interroger la pertinence du couple sujet/objet, sinon son histoire : le fait d'appréhender l'écriture comme une technique permet autant d'aborder la dimension matérielle de la pensée que la dimension spiritualiste de nos instruments et méthodes. Apparaît alors que la technique a, depuis au moins cinq millénaires, créé un lien continu entre ce qui relève de la psyché et ce qui relève de la matière.

Cette approche donne aussi à penser que l'hypothèse (fréquente aujourd'hui) d'un statut de la technique transformé par les découvertes contemporaines (miniaturisation des outils, immatérialisation des supports de la communication) ne va pas à son terme dans la mesure où elle ne remet pas en cause les anciennes analyses qui supposent la technique comme moyen, ou comme pratique associée à des objets matériels.

Propositions

Aussi cette journée pourrait commencer par aborder les analyses qui explicitent la technique en tant que savoir-faire, méthodes et instruments qui facilitent la pensée : outils internes, pourrions-nous dire, qui contraignent ou formatent la conceptualisation (tension entre routine et inventivité), mais aussi sociaux (écoles de pensée, de transmission des méthodes) : l'écriture, avec ses besoins d'enseignements qui témoignent de la forte proximité entre concepts, savoirs et savoir-faire, les temporalités qu'instituent leurs transmissions, offre une ouverture vers la philosophie de la connaissance et la philosophie politique. Le poids des enjeux des techniques en rapport avec l'éducation dévoile alors d'emblée le lien fort entre technique et culture.

La culture en tant que comportement appris permet d'appréhender nombre de nos pratiques, au nombre desquelles les techniques du corps. L'attention portée aux méthodes, aux exercices, aux gestes voire aux instruments des danseurs et pianistes donne à penser que là aussi la technique occupe un champ continu entre le domaine supposé de l'art et de la psyché et celui du tangible (cf. le dialogue étroit et millénaire entre mathématiciens et musiciens). Ces exemples posent par ailleurs directement la question de la distinction entre techniques du corps et de l'intellect.

Un tel gradient, qui pourrait être abordé par le biais de l'anthropologie, des sciences de l'érudition ou des mathématiques, serait une entrée féconde pour aborder les machines à penser actuelles, dont la matérialité est peut-être bien plus manifeste que celle de leurs équivalentes des siècles passés et pour interroger la position de la philosophie classique quant à la technique (Kant, Heidegger). Cette dernière apparaît souvent comme a posteriori, en aval de l'entendement, du sensible et de leurs conceptualisations alors même qu'elle est condition de la perception et donc de la théorie (Galilée, qui voit les satellites de Jupiter et imagine un axe du temps qui transforme leurs trajectoires en sinusoïdes), quand elle ne se confond pas avec la conceptualisation (l'algèbre de Descartes, le calcul infinitésimal de Leibniz).

Nous savons depuis Bachelard comment compléter cette liste de savants pour préciser ce qui rend la philosophie et la science indistinguables. Le fait d'arriver à expliciter comment deux théories en complète opposition, chacune avec ses expériences et ses dépendances aux façons d'appréhender la réalité (l'onde, la particule) ne sont que des catégories mathématiques duales l'une de l'autre, donc identiques dans un espace physique autant que mental, ou encore que la quête de la nature (du monde extérieur) passe par une conceptualisation qui n'a rien d'a priori (Von Neumann et les espaces de Hibert) soulève aussi la question du statut de la technique.

En effet, l'idée que la science soit le fruit d'une circulation entre expérience et théorie apparaît comme une opération de réduction-conceptualisation qui n'explicite pas l'épaisseur des pratiques, des connaissances et de leurs interprétations, toutes nécessaires pour passer d'un pôle à l'autre : on ne naît pas physicien, on le devient, et après de longs apprentissages de savoir-faire et de méthodes, qui renvoient à autant de gymnastiques combinatoires qui relèvent de la technique. Il s'ensuivrait que la relation de cette dernière avec la science ne relève pas de l'application ou du moyen pour arriver à une fin : théorie, expérience et technique constitueraient trois catégories difficilement dissociables (sinon à repenser).

Pour le dire autrement, les choses de l'intellect que nous manipulons et concevons aujourd'hui renouvelent nos épistémologies (ex. : climatologie). Il est probable qu'un tel phénomène ne soit pas lié à l'internet, mais qu'il date d'au moins un siècle et demi. Un tel constat semble fort profitable pour comprendre le monde actuel : pour réaliser une philosophie du contemporain. La philosophie de la technique ne serait pas alors une philosophie d'un sous-objet, mais le détour indispensable pour penser la philosophie.

Reste une dernière question, paradoxale. Comment se fait-il que la technique, point d'entrée essentiel pour penser la pensée soit autant le support de croyances, comme nous le constatons au sujet de l'internet? Cette antinomie vaut aussi pour les utilitaristes et nous voyons là un point d'entrée pour préciser l'entrelacs des formations discursives qui nous structurent, y compris dans le domaine de la philosophie, et pour les mettre en correspondance avec nos imaginaires.

Public

Cette journée est ouverte à tous. L'acuité du thème et sa relative exposition invitent à le traiter autant de façon théorique que par le biais d'exemples précis. Nous garantissons que les intervenants auront à coeur d'exprimer leur pensée en termes clairs, sans faillir à la rigueur philosophique.

Ce texte vaut appel à contribution.


Page créée le 2 juin 2011, modifiée le 2 juin 2011