|
|
Chaque site internet est tenu de renvoyer dans sa page d'accueil à sa politique en matière de vie privée et de protection des données privées. Or personne ne consulte ce lien. Ceci est représentatif de la dialectique de la vie privée sur internet: une protection est souhaitée or tout ce qui y touche se résume à une pétition de principe, et seuls les spécialistes savent échapper aux dangers que peut présenter internet pour la vie privée.
L'internet existe grâce à la rencontre des individus, êtres "privés" possédant une vie, des intérêts, des opinions, des désirs. Cette rencontre suppose une communication ayant pour fondement les valeurs que les individus veulent témoigner. On va montrer sur le net ce que l'on juge bon de montrer, ce qui a une qualité nécessitant l'utilisation de temps pour le communiquer. Les valeurs privées, émanations des vies privées, se retrouvent donc mises en scène dans les sites personnels, dans les courriers électroniques, dans les forums d'échange, mais aussi dans les actes d'achat, de consultation de sites. Les valeurs sont en jeu dès qu'il y a action, qu'il y ait exhibition ou voyeurisme. Or une vie privée reste-t-elle privée lorsqu'elle s'anime sur internet? L'échange de valeurs ne passe-t-il pas par le renoncement au caractère inaccessible de sa propre existence? D'autre part, quelle est la conséquence pour les vies et les valeurs privées des tentatives économiques et politiques de contrôler l'existence électronique des individus et de leur imposer des valeurs? I/ Internet est le lieu pour exister au-delà de sa vie privée: A/ On existe sur le net par ce que l'on y crée.
Internet représente un nouvel espace vierge, relativement bon marché de surcroît. Si une relation intime est envisageable entre un internaute et le réseau, c'est principalement parce que nombre de contraintes de la vie "réelle" s'effacent lorsque l'on pénètre sur le réseau. Avant tout, notre attitude à l'égard d'autrui n'est pas contrainte, la personne rencontrée sur le web n'a pas été rencontrée fortuitement au coin d'une rue, alors que nous n'avions pas le temps. Cette personne a été désirée, son contact était recherché.
B/ Cependant, aller sur le net est en réalité renoncer à sa vie privée pour exposer ses valeurs...
Il convient en effet à ce stade de se pencher sur ce que signifie réellement "vie privée" dans ce contexte: si l'on présente sur le réseau des caractères personnels de soi, il ne saurait plus s'agir d'une vie proprement "privée". On ne va pas sur le net pour se fermer aux autres mais justement pour échanger, pour renoncer au caractère inaliénable de sa personne. La personne créant un site personnel ne se soucie pas des impacts sur sa vie privée mais plutôt de l'impact que produira l'exposition de ses valeurs, la sanction étant par exemple le nombre de visiteurs.
C/ internet peut alors être un lieu de création de valeurs où l'on est tenté à l'extrême de se révéler.
Internet bénéficie avant tout d'une possibilité de communiquer de manière désintéressée, même s'il est le lieu également de la recherche d'intérêts comme nous le verrons en seconde partie. Cette opportunité de rencontre, d'échange est ainsi à la source d'une création, d'une production de valeurs. On retrouve cela dans les phénomènes de régulation spontanée comme les chartes de bonne utilisation, marquant la construction d'une éthique qui n' a aucun rapport avec aucune législation. Les internautes qui désirent communiquer souhaitent parallèlement construire le monde qui va avec cette communication, c'est à dire les règles, les ambitions, les motivations de la rencontre des idées. Cette constitution de valeurs propres à internet se produit ainsi par la rencontre entre l'individu et le groupe, et non par l'imposition d'une norme par une autorité supérieure et forcément inadaptée.
Tout cela concerne les démarches volontaires pour exister sur le net, et si la notion de vie privée est mise en danger, c'est pour mieux servir la communication de l'existence de l'internaute, de ses valeurs. Or la vie privée peut mourir d'une autre façon sur internet, par la volonté de certaines autorités, économiques ou politiques, de la contrôler ou du moins de la surveiller. Dans ce cas de figure, il ne saurait plus exister de "valeur" privée, c'est à dire construite et raisonnée par l'individu.
II/ Cependant l'internet est traversé par un mouvement inverse, caractérisé par la négation des valeurs de l'individu et par la tentative de codification des valeurs que le net doit véhiculer.
A/ Nous sommes tous des criminels en puissance.
Nous venons de prendre en compte une démarche volontariste de l'internaute consistant en l'utilisation d' internet pour développer ses relations à autrui et participer à une création de codes éthiques inspirés de ses valeurs personnelles et de leur confrontation à d'autres. Mais en opposition à cette dimension s'impose une volonté de ne faire de l'internaute qu'un utilisateur à contrôler et non un acteur créatif. Ce débat a été ranimé par le projet des services secrets britanniques visant à obtenir la permission de surveiller toutes les conversations téléphoniques, tous les courriers électroniques et toutes les connexions internet. Les données seraient alors conservées pendant sept ans. Le NCIS (service national de renseignement criminel) justifie ce désir par l'utilisation fréquente des techniques de communication par les criminels pour échapper aux services policiers. Cette mesure irait alors contre les directives de l'Union Européenne en matière de vie privée. Le postulat fondant cette démarche réside ainsi dans la conviction que les internautes sont des sauvages à pacifier, des individus qui ne savent pas gérer la liberté qui s'offre à eux et qui sont, en grande majorité, des gens aux intentions douteuses. C'est ainsi nier que les individus puissent utiliser internet pour témoigner de leur existence morale. La perspective est alors inversée: la vie privée n'a jamais autant existé sur internet car en passe d'être traquée, tandis que le réseau devient le cimetière des ambitions de communication, d'ouverture, liées au mythe originel d'internet.
B/ Des valeurs imposées à l'internaute.
Alors que le droit de produire par le jeu des rencontres une dimension morale d'internet semble nié par certaines autorités, on trouve un ensemble de méthodes économiques ou politiques censées orienter l'individu vers les valeurs qu'il faut adopter pour mener la bonne vie.
C/ Comment protéger les valeurs propres de l'internaute?
Autre réponse contradictoire, les filtres constituent le moyen de maintenir dans un faisceau de valeurs. Crées pour protéger les valeurs morales, ces filtres conduisent à des absurdités dans leur application quotidienne. Cybérie relate la mésaventure de cette utilisatrice invitée par son logiciel filtre à reformuler son message, qui "risquait d'offenser le lecteur moyen". Elle y citait Dick Cheney (en réalité Richard Cheney) et "dick" signifie "pénis" en argot anglais... Plus grave, 24,5 % des bibliothèques américaines utilisent des logiciels de filtrage sur les postes de travail internet offerts au public, contraint de ne lire que ce que l'on veut bien lui laisser lire. L'utilisation du principe de protection de la vie privée sert ainsi les volontés de censure, d'ordre moral et les valeurs mises en avant, loin d'être privées, sont inspirées du puritanisme et du politiquement correct.
L'existence sur internet semble donc devoir se passer du souci de sauvegarder sa vie privée, le choix de renoncer à cette dernière en étant même la condition première. Or cela ne veut pas dire que toute information privée doive perdre son aspect intime et parfois confidentiel, cependant la décision de renoncer à la dimension privée de son existence doit absolument être délibérée et voulue par le sujet concerné. Alors la vie privée s'efface pour laisser place à la morale de l'individu, à ses valeurs mises en mouvement par la confrontation, la discussion, des valeurs alors offertes à la réfutation. Toute autre tentative de création ou de régulation des valeurs est, sinon dangereuse, vaine, car condamnant internet à n'être qu'un media parmi d'autres, soumis à une surveillance externe, et à qui on aura nié la dimension morale et créatrice. |
|
|