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La bulle Internet a éclaté

Le ralentissement de la croissance américaine et l'imbroglio électoral aux Etats-Unis affectent les marchés d'actions. Pour la première fois depuis le début des années 1990, ils affichent tous une baisse depuis le 1er janvier.
 
Mis à jour le vendredi 1er décembre 2000

SAUF SURPRISE lors des derniers jours de décembre, les marchés boursiers ne parviendront pas à réitérer leurs performances des années passées et la plupart d'entre eux finiront le siècle sur douze mois de baisse. Le ralentissement de la croissance américaine et dans une moindre mesure européenne, l'éclatement de la bulle spéculative autour des valeurs Internet, l'imbroglio électoral américain, les errements de l'euro, le retour des craintes inflationnistes après l'envolée des prix du pétrole ont profondément modifié l'environnement économique et financier. L'euphorie spéculative du début de l'année a disparu.
Aux Etats-Unis, le marché des valeurs de haute technologie, le Nasdaq, affiche en onze mois un recul de 36 %. Il a encore cédé 4 % jeudi 30 novembre. Le Dow Jones, qui a perdu 2 %, jeudi, enregistre depuis le 1er janvier un repli de 9 %. Dans le même temps, Tokyo a perdu 21 %, HongKong 16 %, Sao Paulo 22 %, Londres 11 % et Francfort 7 %. Même l'indice CAC 40 de la Bourse de Paris, qui a fait preuve d'une grande résistance, perd maintenant 0,5 % depuis le 1er janvier.
Les places boursières sont parties pour finir l'année en baisse, ce qui ne leur était plus arrivé depuis le début de la décennie 1990 aux Etats-Unis et depuis 1994 en Europe. Il ne s'agit pas en soi d'un événement susceptible de remettre en cause la croissance économique l'année prochaine et au-delà. Ce serait même une simple péripétie, si elle ne venait marquer la fin d'une période hors norme d'exubérance et d'envolée boursière. En dix ans, l'indice Dow Jones et le CAC 40 ont gagné plus de 300 %, le Nasdaq près de 1 000 %.

MODÈLE ANGLO-SAXON

Dans le prolongement de la chute du mur de Berlin et de la disparition du monde communiste, un seul modèle économique s'est imposé à l'ensemble de la planète, celui du capitalisme anglo-saxon centré sur les marchés financiers. Ils ont fort logiquement été les premiers à en bénéficier. La mondialisation a d'abord été financière. Souvent sans en être conscient, l'Américain qui investit dans un fonds de pension ou le Français qui met ses économies sur un contrat d'assurance-vie placent leur épargne sur les grands marchés boursiers de la planète et… en ont beaucoup profité. Les investisseurs les plus astucieux ou les plus téméraires se sont enrichis parfois très rapidement. A l'image des précédents historiques de bulle spéculative, celle-ci s'est terminée en une course effrénée à l'argent facile autour des valeurs Internet. Entre le mois d'août 1998 et mars 2000, le Nasdaq a gagné plus de 350 % ! Des fortunes et des empires virtuels se sont bâtis et effondrés en quelques mois. Née aux Etats-Unis, la bulle s'est propagée en Europe et en Asie. Elle vient d'éclater depuis six mois, jusqu'ici sans trop de dommages collatéraux. Les économies des deux côtés de l'Atlantique restent robustes. La nouvelle économie n'est pas une chimère. Elle révolutionne les relations entre les acteurs économiques : producteurs, fournisseurs, distributeurs et consommateurs. Mais le Nasdaq et ses équivalents européens, nouveau marché français et Neuer Markt allemand ont tout de même abandonné en six mois la moitié de leur valeur. Les cours atteints n'avaient plus aucun rapport avec la réalité des perspectives de développement et de rentabilité.
L'éclatement de cette bulle n'est pourtant que la partie émergée du changement qui s'opère. L'euphorie boursière de la fin de siècle est le fruit d'un environnement exceptionnellement favorable aux marchés d'actions, marqué à la fois par des taux d'intérêt à long terme faibles, la quasi-disparition de l'inflation, une progression ininterrompue de la rentabilité des entreprises, une vague sans précédent de concentrations dans tous les secteurs de l'économie, l'appétit croissant des épargnants pour la Bourse et une forte croissance alimentée notamment aux Etats-Unis par les gains boursiers des ménages.
Ce meilleur des mondes boursier appartient aujourd'hui au passé. La multiplication par trois des cours du pétrole depuis le printemps de 1999 est venue rappeler que la hausse des prix n'a pas disparu. Les tensions sur le marché de travail, surtout aux Etats-Unis, en situation de plein emploi, mais aussi dans certains secteurs en Europe et en France, alimentent cette crainte inflationniste. Le rythme de la croissance, qui n'avait cessé d'augmenter au cours des dernières années, jusqu'à dépasser les 5 % aux Etats-Unis et largement les 3 % en Europe, ralentit plus vite qu'attendu. Mercredi, le département américain du commerce a révisé en baisse ses estimations de la croissance au troisième trimestre de 2,7 % en rythme annuel à 2,4 %, le plus faible niveau depuis 1996.

CORRECTION BRUTALE

Conséquence, les déceptions se multiplient sur les prévisions de résultats des entreprises, même si dans l'absolu elles restent bonnes. Mais les niveaux de cours atteints ne se justifient que par des performances sans précédents des entreprises. Chaque déception aussi minime soit-elle se traduit immédiatement par une correction brutale. Les investisseurs institutionnels se montrent depuis plusieurs semaines de plus en plus prudents. Ils ont préféré retirer une partie de leurs capitaux des marchés d'actions pour les mettre à l'abri. Les grands gestionnaires comme Morgan Stanley Dean Witter ou encore Franklin Templeton viennent encore d'augmenter la part de liquidités de leurs fonds. Cette aversion soudaine pour le risque se traduit aussi depuis plusieurs semaines par un retrait rapide des marchés émergents et la chute de Bourses comme celles de Buenos Aires, de Séoul ou de Bangkok.
« Il existe aujourd'hui des motifs légitimes d'inquiétude : l'excès d'endettement aux Etats-Unis, le maintien d'une surévaluation des cours des valeurs technologiques, la crise à venir en Argentine », écrit Patrick Artus, directeur des études de la Caisse des dépôts, dans son bulletin du 30 novembre. Les marchés d'actions en Europe et aux Etats-Unis sont-ils durablement orientés à la baisse ? Ce n'est pas l'avis de tous les économistes, même s'il existe un certain consensus sur le fait que les performances à venir ne seront plus comparables avec celles des dernières années. Abby Joseph Cohen, gourou de Goldman Sachs, apôtre convaincue des bienfaits de la nouvelle économie, prévoit toujours une progression des marchés d'actions dans les prochains mois (Le Monde du 21 novembre). « Il va pourtant falloir s'habituer à l'idée que les résultats ou les cours vont augmenter en moyenne de 10 % par an, pas de 20 % ou 30 % », affirme Patrick Artus.
Jusqu'à présent, les épargnants particuliers ont fait preuve de plus de sang-froid que les gestionnaires de fonds professionnels. Mais, s'ils venaient à perdre leur foi dans la Bourse…

Eric Leser

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