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Les religions sont entrées en force sur Internet

Pour les grandes institutions religieuses comme pour les groupes sectaires ou leurs opposants, l'ouverture d'un site sur le Web est devenu une nouvelle forme imposée du prosélytisme.
Mis à jour le samedi 8 juillet 2000

TAPEZ « DIEU », puis cliquez sur « OK ». « Il y a 135 sites pour Dieu », précise l'annuaire francophone Nomade.fr ; 108 chez Yahoo ! France. Très peu comparé aux 3 721 liens avec des sites religieux proposés par l'Annuaire de la francophonie religieuse et spirituelle. Les moteurs de recherche Voila et Altavista renvoient respectivement à 32 016 et 170 500 pages Web contenant le mot « Dieu ».

« Cliquez et l'on vous ouvrira », proclame un site personnel consacré au « dernier nom de Dieu ». La religion sur Internet est un forum sans limites, où les expressions les plus orthodoxes de la croyance côtoient les plus délirantes. Quoi de commun, en effet, entre le site très officiel du Vatican et « l'Eglise de fientologie », un pastiche de la Scientologie qui propose des témoignages sur « les bienfaits de la diarrhétique  » ?

Une seule chose est sûre : il faut y être. Les grandes institutions religieuses ont donc ouvert sites, portails et liens pour se faire connaître. Le site de la Conférence des évêques de France a été lancé en septembre 1996. Peu à peu, il s'est transformé en un portail catho, qui permet par exemple de se connecter aux sites des diocèses ; lesquels diocèses renvoient à leur tour aux sites des paroisses. Les évêques ont de quoi être satisfaits : le nombre de pages consultées par mois a triplé entre août 1999 et mars 2000, passant à plus de 900 000.

Le Père Stanislas Lalanne, porte-parole de l'épiscopat, avoue qu'il s'efforce de « faire le tri » parmi les liens, pour éviter que l'internaute catholique ne se retrouve, en un clic de souris, sur des sites affichant des pages ou des publicités peu conformes à la morale chrétienne… Les moines du monastère Saint-André de Clerlande (Belgique) ont choisi, eux, de faire signer aux sites adhérents à leur portail une charte dans laquelle ils affirment être « reconnus » ou « recommandés  » comme catholiques. Déjà 360 sites francophones ont été ainsi référencés.

 Car le surfeur curieux de Dieu ne sait pas toujours à quelle chapelle il a affaire. Les grandes religions n'étant pas des marques déposées, difficile de savoir qui se cache derrière l'écran. La Conférence des évêques de France a mis du temps avant d'apprendre qui était le webmaster du site référencé dans les annuaires comme « site catholique français » : il s'agissait en fait d'un catholique zélé, promoteur de l'opération des « vierges pèlerines », ces statues de Marie qui sillonnent la France.

 La culture du Web exclut tout principe de hiérarchie. Les grandes institutions religieuses doivent donc accepter de cohabiter sur un pied d'égalité avec des groupes plus ou moins hétérodoxes ou contestataires. Les apparitions non reconnues par l'Eglise catholique (San Damiano en Italie, Medjugorje en Bosnie-Herzégovine, Dozulé en France, etc.) s'affichent sur des pages personnelles. Les partisans de Msgr Gaillot, l'ancien évêque d'Evreux démis par Rome, animent son « diocèse virtuel » de Partenia ; mais il existe aussi un site « Evreux sans frontières », qui rassemble d'autres sympathisants de Jacques Gaillot. Deux sites au moins se réclament de Mgr Lefebvre et de la Fraternité Saint-Pie X, excommuniée par le Vatican. Dieu reconnaîtra les siens…

Les sectes ont, elles aussi, pignon sur rue au royaume du Net. Mais la guerre fait rage avec les chasseurs de sectes, qui animent des sites aux noms éloquents : « Non aux sectes », « Vigi-Sectes », « Le secticide ». Ils mettent en ligne des informations sur les groupes sectaires, des revues de presse, des témoignages d'anciens adeptes. Ils croisent le fer avec des associations telles que le Cesnur (Centre d'études sur les nouvelles religions), prenant la défense de groupes qu'elles préfèrent qualifier de « nouveaux mouvements religieux ». Beaux joueurs, certains sites acceptent de renvoyer par des liens aux pages de leurs adversaires.

 A tous les « aventuriers de la foi », le Web offre un terrain privilégié d'évangélisation : militants bénévoles, prédicateurs intéressés ou convertis animés de l'ardeur du néophyte. Leur succès est d'autant plus important dans les religions qui ne sont pas structurées par un clergé, comme le bouddhisme et l'islam. Emmanuel Dubuc, vingt-deux ans, devenu « Yamin » depuis sa conversion à l'islam, a lancé son site en décembre 1999, en partenariat avec la revue Islam de France. Une centaine de visiteurs s'y connectent tous les jours. Le site propose des articles sur l'islam, les horaires des cinq prières quotidiennes dans tous les départements français, le Coran en ligne, des forums de discussion et même une agence matrimoniale !

Côté bouddhiste, le maître spirituel du Dojo zen de Nice, Roland Rech, anime un site sur le zen. Un autre bouddhiste français, Jean-Laurent Turbet, a bâti un portail consacré à sa spiritualité ; tandis que le magazine Samsara propose dans sa boutique virtuelle des livres, des disques et des bâtons d'encens (bouddha.com).

 Le Web constitue un instrument privilégié de communication pour des minorités religieuses disséminées dans l'Hexagone et dans le vaste monde francophone, qui peuvent ainsi maintenir entre elle un lien virtuel, autant communautaire que religieux. La grande famille protestante se retrouve sur www.protestants.org, un site géré par la Fédération protestante de France. Les juifs de France peuvent se connecter sur « Communauté on line », un portail surtout institutionnel, qui permet de se mettre en contact avec des institutions comme le Fonds social juif unifié (FSJU), le Consistoire ou l'Agence juive. Les objectifs de « Planet-shalom » sont plus ambitieux. Ce site propose une revue de presse, des articles originaux, des informations pratiques. Surtout, il comporte toute une partie commerciale qui vend en ligne, avec paiement sécurisé, des produits certifiés casher.

L'objectif de ses promoteurs est ambitieux : « Les sites communautaires spécialisés marchent très bien aux Etats-Unis. Le Net est un outil très adapté à la diaspora. Notre site devrait révolutionner à terme le marché des produits casher en France, de même que l'information sur le judaïsme  », confie l'un deux.

 Déjà, « Planet-shalom » offre à ses internautes les réponses en ligne d'un « cyber-rabbin ». Ces consultations se développent. Le site musulman « Allahouakbar » envisage de faire appel à un « cyber-imam » à partir de septembre. Plusieurs diocèses catholiques, comme celui d'Amiens, proposent aux fidèles d'écrire à leur évêque, qui leur répondra. Le Web religieux devient ainsi un vaste forum accessible à tous, où des communautés coexistent, se croisent et parviennent à dialoguer entre elles. Un site affiche comme un slogan une phrase de Jean Mouttapa, auteur de Dieu et la révolution en dialogue (Albin Michel) : « Il ne sera bientôt plus possible de croire en son dieu comme si celui des autres n'existait pas. »

 Xavier Ternisien


 
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