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Voici le canevas de l'intervention de Paul Caro, notre invité de ce jour à l'atelier Internet. Quelques éléments du débat sont présentés ensuite. Paul Caro est délégué aux Affaires Scientifiques à la Cité des Sciences et de l'Industrie & Directeur de recherche au CNRS.
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Un grand débat est engagé sur l'éducation. Le système actuel est vivement critiqué de toute part. Cependant, en s'appuyant sur les réalités technologiques contemporaines, il est peut-être possible d'imaginer que de nouvelles manières de faire classe peuvent émerger et qu'elles offrent la possibilité de réduire les tensions et les fractures observées aujourd'hui en injectant plus de vigueur dans la curiosité et le plaisir d'apprendre.
Un Rapport récent de la National Academy of Sciences des États Unis «Welcome to Reinventing Schools: The Technology is Now» propose de révolutionner le système scolaire en modifiant la relation entre les élèves, les contenus des enseignements, et les professeurs. L'idée est de favoriser l'acte d'apprendre par une meilleure focalisation de l'attention de l'élève. Il suffit de remarquer l'intense intérêt suscité dans certaines classes d'âge par les jeux vidéo pour comprendre que la maîtrise du savoir s'acquiert d'autant mieux que l'attention est retenue et que la passion est excitée.
Le mode actuel de faire la classe, ancien et adapté à la formation professionnelle et culturelle dans une société industrielle qui demandait une force de travail stable et spécialisée pour des opérations en grande partie routinières et encadrées par des structures hiérarchiques rigides, n'est plus adapté à une société où la majorité des emplois sont dans les services et la communication. Les nouveaux métiers exigent avant tout une grande souplesse d'adaptation (aux machines et aux personnes), la capacité d'inventer rapidement des solutions, et une connaissance des sources d'informations utiles. Cela est vrai pour le commerce comme pour la technologie, et même pour le consommateur. La question est de savoir comment adapter l'école à ces nouveaux besoins.
La division disciplinaire traditionnelle, survivance académique ancienne, a du mal à se plier à une situation où de nouvelles disciplines émergent à partir de fragments des anciennes et selon des lignes de force différentes (comme le montre par exemple le sujet de l'environnement). D'autre part l'explosion du savoir scientifique transforme l'encyclopédisme en utopie. L'école doit désormais plutôt se focaliser sur l'art d'apprendre à apprendre, et non plus sur des programmes fixes, rigides, et communs à toutes les classes partout sur le territoire.
Il faut plutôt s'orienter vers une pratique éducative expérimentale dont l'objectif est de savoir où et comment trouver rapidement des informations sûres et assimilables sur un sujet inconnu, suggéré par le maître après discussion avec les élèves ou proposé par ceux-ci. La connaissance ne se déploie plus comme le déchiffrement obligatoire des chapitres successifs d'un livre, mais au long d'un parcours en arborescences où chaque carrefour, chaque croisement, ouvre la possibilité d'explorer un domaine nouveau selon le hasard des rencontres et des besoins. Ce qu'il faut apprendre aux élèves c'est l'agilité mentale nécessaire pour savoir évoluer dans ces carrefours. Les supports éducatifs doivent leur permettre de s'entraîner à résoudre des questions en s'aidant les uns les autres et avec l'aide du maître. Il n'est pas mauvais qu'un maître découvre une question en même temps que ses élèves: il peut alors montrer d'une manière plus convaincante ce qu'il faut faire et la méthode à suivre. Les relations pyramidales actuelles au sein des classes peuvent en être changées et doivent permettre à chacun d'assumer des responsabilités et de travailler d'une façon active dans une atmosphère de complicité dans l'action de découverte et de plaisir partagé.
Le support des savoirs, la nature des contenus, doivent s'adapter à cette situation et se prêter à un exercice collectif et/ou individuel de recherche et de découverte, à un mode d'acquisition actif et non plus passif. Il faut tenter de faire des essais pédagogiques pour expérimenter des outils. Parmi ceux ci, le CD-Rom éducatif est sûrement une solution, mais on observe que pour le moment, il a du mal à se démarquer du livre, et d'autre part son contenu est nécessairement fini. Même s'il est vaste, il est aussi généralement sans surprise. Il est cependant très utile pour systématiser les composantes d'un sujet et permettre de l'aborder de manière non linéaire. Il peut être considéré comrne un outil pédagogique de synthèse. C'est aussi Ia forme la plus pratique des encyclopédies permettant d'avoir un exposé détaillé sur une question quelconque. Le CD-Rom est également un bon moyen d'archivage pour stocker sous un faible volume des informations de référence rendues ainsi aisément accessibles (la collection complète des numéros d'une revue par exemple).
Les réseaux, par contre, donnent accés à une infinité de ressources (y compris éventuellement les CD-Rom d'archives). La «chasse» à l'information sur un réseau est une sorte de jeu excitant parce que presque toujours elle conduit à des résultats inattendus qui élargissent la recherche ou réservent des surprises séduisantes, sinon des chemins de traverse. Il serait intéressant de nourrir l'offre éducative sur les réseaux en matière de sciences pour composer une matière pédagogique qui serait à la fois à la pointe du savoir, «instructive» et en même temps agréable à découvrir et à exploiter.
Pour cela on pourrait envisager l'installation sur un certain nombre de serveurs européens (musées des sciences, académies, universités, centres de recherche, etc.), qui tous peuvent être reliés entre eux par la technique des renvois html, de «fiches», ou «dossiers», à vocation pédagogique dans le domaine des sciences et des techniques, rédigés en plusieurs langues. La stratégie d'écriture de ces offres pourrait être la suivante.
A partir de sujets de recherche en cours, potentiellement attractifs, ou d'événements de l'actualité utilisés comme accroche, on construit une leçon, appuyée sur une combinaison de textes d'images et de sons expliquant les concepts élémentaires qui sont à la base du thème de |a recherche, ou de la question posée, pour revenir à la fin à une présentation de cette actualité (éventuellement «en temps réel» par rapport aux sources d'information médiatiques ordinaires grâce à des connections avec des centres de recherche et des chercheurs), susceptible de permettre une discussion collective dans la classe.
Par exemple, à partir de l'affaire de «la vache folle», il est possible d'expliquer sommairement ce qu'est un «prion» en tant que faute de conformation d'une protéine. Ce qui revient à expliquer ce qu'est une protéine, et ce qu'est une molécule, et sa(ses) conformation (pléthore d'images de chimie disponibles) ainsi que les mouvements dynamiques internes de ces molécules (animations). On revient ensuite aux questions médicales générales que pose cette entité moléculaire défectueuse (détection, transmission entre espèces, économie du marché des aliments pour bétail, etc.) A partir de l'intérêt pour l'actualité on peut espérer construire une leçon de chimie, I'une des sciences les plus difficiles à vulgariser, en familiarisant les élèves avec la personnalité des molécules. La leçon s'insère d'ailleurs dans un contexte pluridisciplinaire où interviennent la biologie, la médecine et l'économie.
Claude Allègre (La Recherche, décembre 1995) soutient très justement que l'on peut habituer Ies enfants à la chimie exprimée sous la forme des images moléculaires contemporaines dès la sixième (d'autant plus que le style de ces images s'inspire largement du graphisme des bandes dessinées...). S'ils sont intéressés par les protéines, on peut les renvoyer vers une autre histoire de chimie où les molécules ont aussi une personnalité spectaculaire. Par exemple, les rhodopsines qui forment à la fois l'enveloppe extérieure des bactéries les plus anciennes de la planète (elles y convertissent le rayonnement solaire en énergie chimique), et les matériaux du fond de la rétine des vertébrés. Ce sujet paraît complexe et peu adapté aux classes, mais il peut être facilement traité d'une manière séduisante et apporter beaucoup d'informations dans des domaines très divers. D'abord parce que les archéobactéries se rencontrent dans des lieux exotiques qui correspondent à des conditions extrêmes (lacs salés, sources chaudes des geysers, eaux glacées de l'Antarctique...) qui se prêtent à de spectaculaires rnises en images et font une belle leçon de géographie. Ensuite, les images des molécules concernées sont très surprenantes. La structure moléculaire de la bactériorhodopsine a fait l'objet d'un film grand public de la NHK japonaise. Ce thème conduit naturellement à l'explication de la vision des couleurs par l'oeil, et notamment du daltonisme, ce qui peut d'ailleurs être une porte d'entrée dans le sujet à partir d'une question d'élève. Un thème comme celui-là renvoie sur plusieurs leçons fondamentales potentielles: la cellule, les bactéries et leurs rôles, I'origine de la vie, I'énergie solaire, la physiologie de la vision, etc. Il est donc typique d'un départ possible d'arborescence. Il part d'un résultat récent et curieux de la recherche fondamentale et il peut conduire à d'autres (par exemple, I'identification de molécules dans les météorites pour le branchement vers le thème «origine de la vie»).
L'idée est, bien entendu, de composer un petit récit attractif au coeur duquel sont logées des informations de base susceptibles d'aider à comprendre les actes de la science contemporaine. Naturellement la rédaction de ces textes est délicate car il faut tenir compte du niveau des élèves, il faut faciliter les renvois vers des sources de type dictionnaire. Il faut aussi semer le parcours de distractions, de jeux, de questions aux élèves. Il peut même s'y glisser des formes de contrôle des connaissances acquises.
Les récits potentiels de ce genre, condensables en quelques pages web, ne manquent pas. Il faudrait essayer d'en mettre quelques uns en forme en réunissant une task-force adéquate de chercheurs et de pédagogues intéressés, et les tester en les proposant sur les réseaux européens existants pour critiques et commentaires (il y a des choses de ce genre aux États-Unis proposées notamment par la NASA).
Pour aider à la nécessaire évolution de la forme de l'éducation dans les prochaines années, il faut jeter les bases d'une véritable industrie des programmes éducatifs pour construire des savoirs utiles, en phases avec les rapides avancées de la recherche et de la technologie.
On peut penser qu'en matière de sciences, le système éducatif tiendra à conserver des programmes. Il est clair qu'alors les questions traitées à l'aide des CD-Rom ou des réseaux devront, au moins au départ, prendre racines dans ces prograrnmes.
L'utilisation des réseaux conduit très rapidement à la pluridisciplinarité. Il faut donc que les barrières disciplinaires tombent. Les professeurs doivent pouvoir accepter que leur «cours» s'oriente brusquement vers une question d'économie ou de géographie alors que l'on est parti d'une question de physique. Inversement, une interrogation portant sur l'économie peut déboucher sur l'explication d'une machine ou d'une technique. Encore une fois, il n'est pas mauvais que le maître apprenne en même temps que ses élèves. Cela est aussi enrichissant pour lui.
L'autre problème est celui du matériel. Il paraît irréaliste de mettre un micro-ordinateur à la disposition de chaque élève en permanence. Peut-être, mais on peut sûrement mettre une machine et une connexion dans chaque classe. D'autant plus que les terminaux sont en train d'évoluer vers une forme conviviale et de très bas prix. On ne peut plus accepter par ailleurs que les classes aient un niveau d'équipement électronique et de communication inférieur à celui des familles des élèves! Une telle situation contribue aujourd'hui au sentiment de décalage que l'école inspire aux enfants. La technologie existe (et les jeux vidéo en font partie), c'est une réalité que l'école doit accepter. Elle ne peut pas continuer d'être le refuge d'une certaine nostalgie du passé et de ses formes culturelles. Sa mission est quand même de préparer les élèves à la vie active, ce qui inclut de les préparer à la manipulation des machines qu'ils auront à utiliser et à la compréhension des principes de leur fonctionnement, de leurs richesses comme de leurs limites.
Les musées des sciences en général ont vocation à proposer du matériel éducatif. La plupart d'entre eux ont des serveurs et plusieurs sont déjà bien engagés dans l'offre aux classes et aux amateurs. Le travail de mise en forme des «dossiers» est indépendant de la nature des canaux de transmission utilisés. Ce contenu peut toujours être adapté au diamètre des «tuyaux» disponibles (ou si l'on préfère au débit de transmission de l'information). Un haut débit est préférable car il perrnet de diffuser de l'image animée (comme dans l'exemple du film de la NHK ci-dessus). Mais un équivalent image fixe peut toujours être trouvé dans un premier temps.
A partir du choix nécessairement arbitraire d'un certain nombre de points de départ (comme les deux exemples mentionnés ci-dessus), il faut explorer le matériel disponible (images, sons, etc.) et définir les connections vers les messages éducatifs de base (du genre «qu'est-ce qu'une molécule?») et les ponts vers les embranchements possibles. Ceux-ci peuvent aboutir sur d'autres serveurs qui ont des inforrnations pertinentes. Pour faire ce travail de création rédactionnelle, il faut rassembler une équipe composée si possible de chercheurs, de médiateurs, de pédagogues et, pourquoi pas, «d'accrocs» de la mise en page web. Il faut évidemment fournir à ces «développeurs» des stations de travail connectées performantes.
Paul Caro
En voici, brièvement, les thèmes.
La formation des maîtres, l'absence de valorisation professionnelle pour les chercheurs qui s'investissent dans la vulgarisation, la nécessité d'articuler recherche et enseignement élémentaire, tant pour accroître le plaisir d'apprendre grâce aux histoires que pour accrocher l'enseignement aux concepts que manipulent les scientifiques d'aujourd'hui.
L'implication des états: au Portugal, les 1600 écoles vont être câblées; en France, quelques dynamiques régionales apparaissent. Il ne faut pas sous-estimer la résistance «traditionnelle» des intellectuels à l'image en France.
Enfin, l'uniformité des journaux de vulgarisation scientifique a été évoquée (toujours le même moule pour décrire la recherche) ainsi que l'influence du postmodernisme sur l'organisation des expositions dans les musées contemporains.
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