L'Argentine et les technologies de la communication


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L'Argentine et les technologies de la communication



Roberto Di Cosmo
Département de mathématiques et d'informatique
ENS
décembre 1997

L'Argentine est un pays qui a traversé une longue dictature militaire de laquelle elle est sortie épuisée, endettée et fragilisée. L'infrastructure nécessaire aux technologies de l'information était encore en piètre état à la fin des années quatre-vingts; il fallait attendre de six mois à un an pour obtenir une ligne téléphonique et le coût d'installation était astronomique (5 000 FF était une somme assez courante). Ce n'est qu'après la privatisation de Entel (l'agence d'État pour les téléphones), au tout début des années quatre-vingt-dix, que la technologie moderne a pu être introduite en permettant le développement d'accès Internet à une vitesse suffisante. Mais la forme très particulière de la privatisation d'Entel a permis de transformer l'Argentine en véritable champ d'expérimentation pour les multinationales téléphoniques, dont France Télécom.

Dans cette courte enquête, je me suis intéressé à la vie des chercheurs (en informatique et dans d'autres disciplines), en relation avec les nouvelles technologies, et notamment l'utilisation d'Internet. Par ailleurs, j'ai étudié la façon dont les entreprises de téléphonie contrôlent et limitent l'accès Internet.

I. Les chercheurs et les nouvelles technologies

Pendant la dictature militaire, la structure universitaire argentine a été sérieusement affectée, et les traces de ce démantèlement persistent: dans une économie qui ne diffère plus tellement de celles des pays occidentaux, et où le coût de la vie est comparable à celui de la France, le salaire d'un enseignant universitaire est insuffisant (le minimum est de 150 dollars par mois et le maximum de 2500 dollars par mois). C'est pour cela que les chercheurs en informatique ont tous un deuxième emploi comme consultants, et vendent leurs compétences aux entreprises à bas prix; l'arrivée de l'Internet a donné une impulsion supplémentaire à ces pratiques. On trouve même des départements d'informatique qui sont forcés d'agir en vraies SSII pour se financer, créant par là une compétition nuisible avec le secteur privé.

Mais l'utilisation d'Internet a ici aussi son aspet positif, en réduisant fortement le coût d'accès à l'information: même si le monopole de Telintar (cf. III) sur les connexions internationales via l'Internet réduit fortement le débit du réseau, on retrouve dans les universités visitées une utilisation intensive de ce réseau pour accéder aux revues, aux articles et aux logiciels libres dont on a besoin tout département d'informatique pour fonctioner normalement. C'est d'autant plus important en Argentine que, pour les raisons énoncées ci-dessus, on rencontre un grave défaut d'encadrement des étudiants.

II. L'Internet et la langue natale

On pourrait penser retrouver en Argentine un effet «barrière linguistique» consécutif à l'utilisation prédominante de l'anglais sur le Web, mais les effets sont atténués par deux facteurs: tout d'abord, la langue nationale en Argentine est l'espagnol, qui est bien plus largement diffusé sur le Web que le français (n'oublions pas qu'il s'agit de la deuxième langue aux USA); ensuite, les classes moyennes ont depuis toujours considéré comme très importante la connaissance de l'anglais et du français (au détriment de l'italien qui est pourtant la langue d'origine de presque la moitié de la population).

III. La gestion des nouvelles technologies et des communications par les multinationales

La privatisation de Entel est un cas unique à ma connaissance dans l'histoire contemporaine: la compagnie téléphonique d'État a été coupée en deux (géographiquement), et vendue pour moitié à France-Télécom et pour moitié à Telefonica (l'opérateur télécom espagnol). Il y a donc là deux opérateurs «publics» qui agissent en Argentine comme opérateurs «privés», tout en maintenant un régime de monopole: il faut savoir qu'on ne peut en effet choisir de changer d'opérateur, sauf en déménageant (Buenos Aires, la capitale, où habitent 30% de la population, est aussi coupée en deux le long d'un grand boulevard).

Cela permet d'utiliser l'Argentine comme cobaye pour les politiques tarifaires: la «réduction» des tarifs établie récemment en France avait été testée l'année d'avant en Argentine, dans les mêmes conditions: on réduit les tarifs les plus élevés, sur lesquels les call-backs sont concurrentiels, tout en augmentant les communications locales et les communications à tarif réduit, ce qui permet de compenser la réduction, et, en sus, d'opérer un transfert de coût entre les entreprises utilisant les appels à longue distance et les utilisateurs moyens, au préjudice de ces derniers.

L'absence de vraie concurrence permet aussi d'étrangler les connexions Internet en sortie de l'Argentine: le consortium Telintar regroupe les deux opérateurs et gère cette tranche du marché, et il a été à plusieur reprises cité comme responsable de la lenteur des connexions (un expert qui souhaite rester anonyme m'a confirmé que le débit pour le backbone Internet est limité à 0,5 Mégabits/s). C'est un choix commercial tout à fait intéressant pour l'instant: la connexion locale étant très chère, on a tout intérêt à faire durer longtemps les communications vers les providers Internet. Mais cela limite la diffusion de l'outil.

On notera à ce propos qu'une loi argentine incompréhensible interdit à un opérateur de fournir à la fois de la téléphonie et de l'Internet: cela a limité au début le développement d'offres alternatives (comme celle du provider SatLink).

Un autre domaine d'expérimentation que l'on ne souhaite pas voir reproduit en France est le «saucissonage du marché»: certains providers Internet comme Los Pinos vendent un accès Internet qui se réduit en réalité au courriel et au Web. Tout autre service (telnet, ftp, téléphonie) est filtré, et telnet et ftp sont facturés à part, alors que technologiquement il n'y a aucune raison de procéder ainsi.


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