Usages du courrier électronique chez les élèves de l'ENS


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Usages du courrier électronique
chez les élèves de l'ENS


Éric Guichard
Informatique Littéraire
ENS
mai 1998

Résumé
Nous présentons les premiers résultats d'une étude exhaustive des descripteurs des messages transitant par le serveur des élèves de l'ENS. L'enquête, réalisée à la fin de l'année 1996, a duré deux semaines consécutives et a concerné environ 900 personnes, pour un total d'environ 40000 messages. Ce travail statistique permet de dresser une première typologie des usages du courrier dans une population socialement homogène (des étudiants) mais dont le rapport à l'informatique est en revanche fortement variable (des disciplines académiques très différentes sont représentées).
Les résultats mettent en évidence un usage modéré du courrier électronique, une première différenciation des usages par discipline, et une légère sur-représentation féminine chez les utilisateurs réguliers du courrier électronique. Après avoir mis en évidence les biais induits par ces statistiques (les utilisateurs intensifs masquent les autres) nous montrons que les «dynamiseurs» des pratiques se recrutent finalement dans toutes les disciplines.
Nous espérons que ces statistiques pourront servir de repère pour des études ultérieures au sein d'autres «hôtes» électroniques. C'est pourquoi nous avons présenté de façon détaillée la majorité des résultats disponibles en insistant sur notre méthodologie, avant de proposer une cartographie synthétique des flux de courrier inter-groupes.


Sommaire

I. Données disponibles et premier recensement
I. A. Description des sources
I. B. Les disciplines
I. C. Sexe et année de promotion
I. D. Méthode
II. Données générales pour une description globale des usagers et mise en évidence de questions de méthode
II. A. Fréquences des messages émis et reçus
II. B. Première description des pratiques par catégorie
II. C. Des distributions bien peu uniformes
II. C. 1. Distribution du courrier émis
II. C. 2. Distribution du courrier reçu
II. C. 3. Distribution des listes externes
II. D. L'émission de courrier, un indicateur à la fois fiable et biaisé
II. E. Les non-utilisateurs: une catégorie ambigüe
II. F. Flux inter-groupes
II. G. Précautions
III. Typologie des usages
III. A. Classification en quatre types par la fréquence du courrier émis
III. B. Classification opératoire des émetteurs de courrier
III. C. Le courrier reçu
III. C. 1. Les listes internes
III. C. 2. Les listes externes
IV. Synthèse cartographique des échanges entre les groupes d'utilisateurs
IV. 1. Légende
IV. 2. Le graphe des données brutes
IV. 3. Échanges pondérés
V. Conclusion

I. Données disponibles et premier recensement


I. A. Description des sources


Les échanges de courrier électronique chez les élèves de l'ENS ont été reconstitués à partir des informations laissées sur le fichier syslog de leur serveur, dénommé clipper; ces données, collectées durant 14 jours consécutifs d'une période universitaire standard (du 30 novembre au 13 décembre 1996), sont à la fois massives (16 Mo, 84000 lignes), rudimentaires et fragmentées. Leur traitement a nécessité un travail de programmation conséquent, dû notamment à la multiplicité des machines constituant le réseau des élèves (messages relayés) et au grand nombre d'utilisateurs (références de messages enchevêtrées). Pour décrire chaque message transitant par la machine clipper, nous avons bien sûr conservé les adresses de l'émetteur et du destinataire; la taille des messages n'a pas été retenue car un texte de deux pages peut avoir le même poids apparent qu'un message d'une ligne qui a été relayé par trois machines différentes. Les 599 messages qui ne faisaient que passer par le serveur ont été éliminés (exemple: courrier provenant de l'extérieur, destiné à un ancien élève, et redirigé vers une université). De même, les messages provenant de “démons” (mailer-daemon…) ont été supprimés.
Les origines et destinations des messages nous ont permis de repérer les listes de discussion, et de distinguer les messages internes à l'ENS des autres.
Un autre fichier (passwd) stocke la liste des comptes ouverts sur le serveur en référençant le nom exact du possesseur, son login et des informations catégorielles remplies lors de la création du compte (discipline, année d'entrée à l'École…). A partir des prénoms, nous avons souvent retrouvé le sexe des possesseurs de comptes. Le fichier passwd a aussi permis d'apparier les diverses adresses électroniques d'une même personne.
Ce travail ne tient bien sûr pas compte du contenu des messages, qui relève de la vie privée des utilisateurs et qui n'est pas enregistré par le fichier syslog. Nous ne pouvons donc ni évaluer la pertinence des messages, ni leur type (message bref, image attachée, etc.) et nous limitons donc à décrire une configuration des échanges électroniques. Nous précisons qu'une telle enquête ne peut en aucun cas servir à évaluer une dynamique intellectuelle quelconque chez tel ou tel groupe d'utilisateurs.

I. B. Les disciplines


Chaque année, l'École accueille pour quatre ans une centaine d'élèves “littéraires” et autant de “scientifiques”. On peut donc escompter une moyenne de 800 comptes électroniques auxquels il faut ajouter les élèves qui passent une année à l'étranger, sous les drapeaux… (et qui conservent souvent leur compte), et les invités (200 pensionnaires étrangers par an environ). Soit 1200 en théorie.
Sur ces 1200 comptes potentiels, nous en dénombrons 904 sur le serveur des élèves. Nous remarquons donc que tous les élèves n'ont pas nécessairement un compte sur clipper: certains n'en ressentent pas le besoin, d'autres disposent d'un compte dans un département spécifique. Des “non-élèves” disposent en revanche d'un accès à clipper: ce sont quelques enseignants et ingénieurs.
Le fichier passwd met en évidence les catégories de comptes suivantes: robots, comptes des gestionnaires du réseau (staffs) , comptes des chercheurs, comptes des élèves, pour lesquels une discipline d'appartenance est précisée (bio, chimie, geologie, litt, maths et phy) et comptes des invités (guests).
Les descriptions concernant les disciplines des élèves peuvent apparaître assez vagues. Elles ne sont pas le fait d'une classification brutale de la part des gestionnaires du réseau, mais témoignent d'une réelle ambiguïté quant au cursus des élèves, dont l'orientation définitive est laissée à leur discrétion, quasi indépendamment de leur concours d'entrée.
Nous préférerons souvent les intitulés de ce fichier passwd à leurs traductions (“invités” etc.), au vu de la difficulté à déterminer les champs d'études réels des étudiants, même si , pour éviter des redondances, nous emploierons aussi les mots “littéraires”, “mathématiciens”, voire “matheux”.
Un premier dénombrement
• Les élèves de biologie, chimie et géologie ne sont pas tous présents ici car ils sont incités à utiliser des comptes sur d'autres serveurs; aussi, nous avons regroupé les 82 d'entre eux qui disposent d'un compte sur la machine clipper sous l'intitulé “bio_ch_geol”. Ils nous serviront, à titre indicatif, pour comparer les pratiques, mais nous ne pouvons garantir qu'ils soient représentatifs de leurs disciplines.
• Les élèves littéraires sont légèrement sous-représentés ici, car une cinquantaine d'entre eux disposent de comptes aux départements de sciences sociales, de philosophie et de géographie. Une étude spécifique du serveur des sciences sociales a déjà été effectuée et publiée dans le rapport intermédiaire. Nous y renvoyons le lecteur. Notons que les 248 “litt” qui disposent d'un compte sur clipper forment un groupe très hétérogène, qui va des antiquisants aux géographes. Les uns et les autres n'ont pas les mêmes pratiques informatiques.
• Les 279 “maths” sont bien sûr composés d'élèves mathématiciens, mais certains choisiront une orientation informatique, et seront sûrement de grands utilisateurs du courrier électronique; à ce groupe s'ajoutent des étudiants, inscrits au magistère de mathématique, qui ne sont pas des élèves de l'École.
• Parmi les 116 “phy”, nous retrouvons aussi majoritairement les élèves physiciens de l'École, avec les mêmes nuances quant aux magistériens.
• Les 151 “guests” sont surtout des étudiants étrangers invités à l'ENS pour un an, en vertu d'accords d'échanges entre l'École et les universités de divers pays. Ils comprennent aussi quelques étudiants d'universités parisiennes, souvent inscrits dans les magistères précités, qui n'avaient pas précisé leur discipline le jour de l'ouverture de leur compte.
• Les 11 “chercheurs” sont des enseignants de l'ENS, mathématiciens, informaticiens ou physiciens, dont le compte principal est sur un autre réseau. Quelques élèves des premières promotions répertoriées ici sont passés du côté des formateurs sans que ce changement de statut soit enregistré dans le fichier passwd. D'où une source supplémentaire d'ambiguïté.
• Les 5 comptes collectifs d'élèves (“adm_eleves”) comprennent d'une part quatre comptes qui participent à la gestion du réseau, autour desquels collaborent des élèves informaticiens très compétents; ce sont en fait des robots. D'autre part, quatre comptes regroupés en un seul, liés aux activités culturelles et sportives et assez peu utilisés.
• Les 12 “staffs” appartiennent majoritairement aux ingénieurs, techniciens… qui ont en charge le réseau des élèves, ou qui sont amenés à épauler les élèves en informatique. Mais deux de ces comptes sont des robots et et deux appartiennent à des enseignants.
• Ces possesseurs de comptes (robots inclus) peuvent correspondre entre eux, avec l'extérieur de l'École (adresses ne se terminant pas par “.ens.fr”), ou avec des personnes de l'École disposant d'un compte en dehors du réseau local des élèves (comptes regroupés sous l'intitulé “autresENS”).

I. C. Sexe et année de promotion


Le genre féminin apparaît minoritaire: à partir des prénoms, nous avons dénombré 197 personnes de sexe féminin, 537 de sexe masculin et 46 inconnus, notés “X”. Parmi ces derniers, il y a 6 robots; sinon, l'impossibilité de déduire le sexe d'un utilisateur à partir de son prénom est liée à des ambiguïtés intrinsèques (cas des “Dominique”) ou à des noms peu communs (cas d'étrangers asiatiques…).
Les statistiques de genre par discipline montrent qu'en fait, le taux de féminité reproduit exactement celui des admissions à l'ENS.

Tableau 1: répartition des usagers par genre

FHXTot_ligneF/(F+H)
guests53801815140%
litt118123724849%
maths2025272797%
phy1495711613%
bio_ch_geol285318235%
Total_col2336034087628%

Tableau 2: admission suivant le genre pour les principaux concours de l'ENS Ulm.
année9091929394959697F/(F+H) de 90 à 96
C/S F212065537%
C/S H4040414436363840
D/S F2114175213%
D/S H2122222022161821
litt F595046414348494350%
litt H3947515655484553
C/S: math/physique; D/S: physique/chimie.

Il faudra donc tenir compte de ces statistiques étonnantes (très faible présence féminine chez les scientifiques) pour éviter des spéculations hâtives quant à l'incidence du genre sur des usages du courrier électronique.

Nous n'insisterons pas dans cette étude sur l'année d'entrée à l'École, car cette variable ne s'est pas avérée discriminante. Nous avons remarqué, d'une part, une légère baisse des usages chez les élèves de troisième année, qui souvent passent l'agrégation, concours qui les incite certainement à retourner à des études plus livresques; d'autre part une différence de pratiques entre les élèves de première année (1996) et les autres. Mais les élèves de première année sont les seuls dont nous puissions garantir la présence à l'École: dès la seconde année, les cursus personnalisés sont fortement encouragés (séjours à l'étranger…). Il semble que les élèves de première année qui n'émettent pas de message soient des réels non-utilisateurs alors que nous verrons que nous ne pourrons rien dire des usagers de même profil, entrés à l'École auparavant. L'étude du serveur de sciences sociales (cf. rapport intermédiaire) semble montrer que, plus que l'année d'entrée, c'est le séjour à l'étranger qui a une incidence sur l'usage du courrier électronique.

I. D. Méthode


Non-exhaustivité des groupes répertoriés, définitions floues de ces groupes, possibilités d'intersections entre les uns et les autres. Tout cela, ajouté à la possibilité pour une personne de disposer de plusieurs comptes, va nous rendre la tâche difficile et relativiser nos résultats. Mais cette situation vaut à notre avis pour toute enquête de ce genre, quel qu'en soit le lieu et l'organisation du réseau. Après une description sommaire des pratiques des groupes répertoriés, nous centrerons notre étude sur les catégories les plus significatives: “guests”, “litt”, “maths” et “phy”. Pour ce faire, nous serons amenés à éliminer de notre étude certains groupes ou classes d'âges minoritaires, tout en nous rappelant que de telles suppressions obligent à reconstruire la totalité des fichiers résultats: si une personne est exclue de l'étude, c'est aussi tous les messages qu'elle émet et qu'elle reçoit qu'il faut aussi exclure. Ainsi, le nombre de messages émis et reçus de la communauté restante est modifié. Cette remarque est d'autant plus importante que notre intérêt principal réside dans la description des échanges inter-groupes.

II. Données générales pour une description globale des usagers et mise en évidence de questions de méthode


II. A. Fréquences des messages émis et reçus


Durant les deux semaines consécutives de l'enquête, 39130 messages ont transité par ces 904 comptes: 16039 messages émis, soit une moyenne de 9 par semaine et par compte. 29302 messages leur ont été adressés soit 16 par semaine et par compte. Le fait que le total dépasse 40000 n'est pas inquiétant: les messages ne sortant pas du réseau local comptent double. Plus de la moitié des messages émis (8949) l'étaient à destination de comptes ENS (réseau des élèves et autres réseaux ENS) et 41% des messages reçus provenaient de l'École (12051). Parmi ces messages reçus en interne, ceux qui proviennent de listes de discussion ne dépassent guère 9% (1083), alors que leur proportion dans les messages provenant de l'extérieur est bien plus importante (46%, soit 7912 sur 17251 messages externes). Nous constatons donc un fort échange de courrier à usage interne et un faible développement des listes “internes”.

II. B. Première description des pratiques par catégorie


Le tableau 3 donne, pour chaque catégorie, le nombre de messages émis et reçus, en distinguant leur provenance (interne ou externe) et le type des émetteurs (individus ou listes). Le tableau 4 reprend les mêmes données, pondérées par les effectifs de chaque catégorie, avec la semaine comme unité de temps.

Tableau 3: récapitulatif des messages retenus pour l'enquête, par type et pour chaque groupe.
int: interne à l'ENS. ext: provenant de comptes hors-ENS.
effectifsnb émisémis en intnb reçusdont intreçus de listesdont listes int
adm_eleves5422383816900
bio_ch_geol8279038511925352396
chercheurs1193634391282741
guests1512661399584410292186185
litt24818258453331103911410
maths279675045561400369693538130
phy1162007920427321491617761
staffs121491139813913300
… dont un robot12101118504400
total904160398949293021205189951083

Tableau 4: nombre moyen de messages par semaine et par personne, pour chaque groupe.
effectifsémisémis en intreçusdont intreçus de listesdont listes int
adm_eleves542,238,38,16,900
bio_ch_geol824,822,357,273,261,460,04
chercheurs114,232,8619,955,8212,450,05
guests1518,811,3219,353,417,240,61
litt2483,681,76,722,092,30
maths27912,18,1625,0912,496,340,23
phy1168,653,9718,429,266,973,28
staffs1262,1358,255,795,5400
moyenne gale8,874,9516,216,674,980,60
Le quatrième tableau, pondéré, se prête aisément à un rapide commentaire:
- nous constatons tout d'abord un effet “entretien”: les premiers émetteurs de courrier sont d'abord les machines elles-mêmes; ce sont en fait les robots créés par des informaticiens pour garantir le bon fonctionnement du réseau. Ces messages sont évidemment majoritairement à destination interne. Le groupe “staffs” est tiré vers le haut par le compte “administrateurs élèves”, qui est un tel robot et non pas une personne. Remarquons qu'à l'ENS, les responsabilités informatiques sont partagées entre les “staffs” et certains élèves informaticiens (les “gourous”);
- les seconds émetteurs de courrier sont les “maths”, suivis par les “guests” et les “phy”. Les “litt” envoient trois fois moins de courrier que les “maths” et les “guests” envoient très peu de courrier en interne;
- les premiers destinataires du courrier sont aussi les “maths” et nous remarquons que la moitié de leurs messages provient de l'École; puis viennent les “chercheurs” et les “guests”, dont le courrier provient surtout de l'extérieur; les physiciens les suivent de près, avec des caractéristiques identiques à celles des matheux. Les “litt” et les “bio_ch_geol” ont une correspondance bien inférieure à la moyenne;
- les chercheurs reçoivent beaucoup de messages en provenance de listes (externes), ainsi que les invités et les matheux; les “phy” sont les seuls à être significativement abonnés aux listes internes. L'explication est simple: il y a deux types de listes internes. Celles gérées par les élèves et celles émises par le département de physique: à la date de l'enquête, celles des élèves sont au nombre d'une dizaine, dont 5 seulement conservées car significatives (ayant émis plus de 10 messages chacune, 398 messages émis pour l'ensemble de ces listes dont 313 en interne). Les autres listes (six dont deux doubles, 935 messages dont 770 en interne) appartiennent à l'encadrement du département de physique. Ce sont les seuls enseignants (sur clipper) à utiliser ce mode de diffusion de l'information à destination de leurs étudiants.

Tableau 5: taux de courrier interne (émis et reçu) et ratio listes externes sur courrier externe.
effectifs% émis en interne% reçu en interneListes ext/courrier ext reçu
adm_eleves591%85%0%
bio_ch_geol8249%45%35%
chercheurs1168%29%88%
guests15115%18%42%
litt24846%31%50%
maths27967%50%48%
phy11646%50%40%
staffs1294%96%0%
moyenne gale56%41%46%
Le tableau 5 récapitule certaines de ces informations et met en évidence la situation particulière des invités: 85% de leur courrier émis l'est à destination externe (personnes qui ont un compte “hors-ENS”), quand ce seuil ne dépasse jamais 54% pour les autres groupes (en l'occurrence les “litt” et les “phy”, qui manifestent ainsi une certaine “curiosité” pour l'extérieur). Si le fort taux de courrier interne des robots et des gestionnaires est compréhensible (91 à 94%), il convient de souligner une forte prédilection pour les messages internes chez les “maths”: 67%. Le taux analogue chez les chercheurs peut s'expliquer par leur volonté de conserver un compte sur clipper afin d'optimiser la communication avec les élèves. Nous remarquons aussi l'importance de l'abonnement aux listes dans la réception du courrier externe: dans tous les cas, au moins un tiers du courrier reçu provient de listes. Nous prolongerons ultérieurement l'étude de ce type de messages. Remarquons simplement qu'ils ont une forte incidence sur le courrier reçu, et déforment donc les statistiques: l'abonnement à une liste suffit souvent à recevoir plusieurs messages par jour, sans aucune nécessité d'échange avec un collègue.
De ces statistiques générales, il apparaît donc que les invités sont plus orientés vers l'extérieur quand les mathématiciens et informaticiens privilégient fortement les échanges internes. Les littéraires utilisent le courrier de façon modérée.

II. C. Des distributions bien peu uniformes


Si les résultats précédents permettent une première description des pratiques, nous avons conscience de manipuler des catégories universitaires qui ne reflètent pas nécessairement des groupes spécifiques d'usagers. Par exemple, le “matheux moyen”, qui enverrait 12 messages par semaine dont 8 internes et qui recevrait 6 messages en provenance de listes externes, est-il représentatif de sa discipline? Les distributions des variables étudiées nous permettent d'en douter. Nous insistons sur ce phénomène, assez typique des usages informatiques (valable pour les pratiques de courrier électronique comme pour la consommation d'espace disque), afin d'aider les auteurs d'enquêtes analogues à prendre leurs distances avec les indicateurs statistiques standards (moyenne, médiane) ou plus sophistiqués (courbes de Dini), pour rechercher les seuils qui définissent de réels changements dans les pratiques sociales, même si cela est difficile avec de telles données. Ce qui incite à compléter de tels travaux, qui aident néanmoins à obtenir un premier profil des usages, par des enquêtes qualitatives, comme les entretiens.
II. C. 1. Distribution du courrier émis

Tableau 6: distribution du courrier émis (904 comptes).
nb de messages émiseffectif du groupepourcentage cumulépoids du groupe
aucun2350%26%
de 1 à 21451%16%
de 3 à 61415%16%
de 7 à 119510%10%
de 12 à 2010620%12%
de 21 à 6413350%14%
de 65 à 2005175%5%
de 201 à 12188100%1%
Ainsi, la moitié de la population a émis moins de 3% du total des messages et 6% des comptes sont à l'origine de 50% des messages émis. Nous constatons donc que la grande majorité des comptes “consomme” beaucoup moins de ressources électroniques qu'une petite minorité.

II. C. 2. Distribution du courrier reçu

La distribution est aussi dissymétrique que pour le courrier émis: le tableau suivant en donne un aperçu pour les 851 comptes que nous serons amenés à retenir dans le paragraphe III.

Tableau 7: distribution du courrier reçu (851 comptes).

II. C. 3. Distribution des listes externes

nb de messages reçuseffectif du groupepourcentage cumulépoids du groupe
aucun170%2%
de 1 à 21350,6%16%
de 3 à 6982%12%
de 7 à 111588%19%
de 12 à 2016318%19%
de 21 à 6420947%24%
de 65 à 2005067%6%
de 201 à 82121100%2%
Nous avons recensé 236 listes externes; elles sont à l'origine de 7206 messages destinés aux 851 élèves que nous retiendrons. En fait, 88% des élèves ne reçoivent pas de courrier en provenance de telles listes. 11% d'entre eux reçoivent 39% de ce courrier et… 1% reçoit les 61% restants. Nous constatons donc qu'ici encore, une poignée d'utilisateurs transforme complètement la lecture des usages. De plus, l'abonnement aux listes biaise les statistiques sur la réception du courrier.
Ainsi, nous ne pouvons nous satisfaire d'un discours qui se contenterait de dire que les moyens électroniques ne sont pas socialisés, parce que la majorité des usagers n'utilisent que 10% des ressources, ou qu'ils ne profitent qu'à une minorité, parce que 6% des utilisateurs monopolisent 50% des pratiques. Nous avons à faire ici à des distributions inhérentes à l'outil informatique, dont la relation avec les pratiques sociales ou les statuts professionnels n'est pas encore mise en évidence. Mais c'est aussi l'avantage d'une telle étude.

II. D. L'émission de courrier, un indicateur à la fois fiable et biaisé


De tous les indicateurs, l'émission de courrier nous semble le plus pertinent: il témoigne d'une pratique active. A l'opposé, comme pour notre boîte à lettres traditionnelle, une absence, même prolongée, n'empêche pas l'arrivée de messages et nous pouvons être débordés par des plis que nous ne désirons pas (prospectus…).
Nous rappelons que le témoin des pratiques électroniques qu'est l'envoi de courrier n'est pas nécessairement un indicateur fiable d'échanges sociaux ou même d'une posture intellectuelle spécifique. L'ENS est un lieu assez clos, et l'échange traditionnel (écrit ou oral) reste privilégié; ensuite, une personne qui n'envoie que deux à trois messages par semaine peut avoir intégré le mail dans ses pratiques de recherche plus qu'une autre, qui dispose d'un outil d'envoi automatique des messages (un militant syndical ou le responsable d'un club, par exemple) ou qu'une troisième, qui confirme systématiquement ses rendez-vous par de brefs “oui” ou “j'arrive dans 5 minutes”. Cela dit, les auteurs d'envois massifs disposent d'une expertise technique qui les met souvent en position d'initiateur, de vulgarisateur des pratiques; attitude qu'ils adoptent souvent avec beaucoup de bonne volonté, quand ce n'est pas avec un activisme certain.

II. E. Les non-utilisateurs: une catégorie ambigüe


Par ailleurs, même une mesure précise des usages peut conduire à des conclusions erronées: il apparaît que les non-émetteurs de courrier peuvent être des grands praticiens du courrier électronique partis temporairement (voire définitivement) à l'étranger ou possesseurs d'un compte sur un autre sous-réseau de l'École.
Exactement 222 personnes n'ont émis aucun message durant les deux semaines. Ils sont 28 “bio_ch_geol”, 38 invités, 84 littéraires, 51 matheux et 21 physiciens. Nous constatons un minimum, dans chaque groupe, de 18% de non-utilisateurs. Ce minimum correspond-il à un seuil? Il est possible, par exemple, que 20% des chercheurs ne se servent quasiment jamais du téléphone ou du fax à leur disposition.
L'exemple des invités, souvent à l'École pour une année, nous prouve que la non-rédaction de courrier est souvent liée à un départ, avec maintien du compte afin que son propriétaire se connecte de temps en temps et lise son courrier: 3 des 9 invités inscrits en 1994 et 11 sur les 28 inscrits en 1995 n'ont pas émis de message. Cette proportion (33 à 39%) tombe à 19% pour 1996 (19 sur 99). Or, les invités sont à l'École pour un an. Chez les littéraires, les non-usagers constituent entre 37% et 53% des possesseurs de comptes des promotions 1991 à 1993, qui comportent une grande proportion d'absents; cette proportion descend à 29% en 1994, puis à 18% pour les années 1995 et 1996. Une rapide vérification a montré qu'au moins six littéraires n'émettant pas de courrier à partir de clipper ont des comptes sur d'autres machines qu'ils utilisent fréquemment (quatre en sciences sociales, deux en géographie).
Ainsi, le non-usage semble au moins autant lié à une absence temporaire qu'à un rejet du courrier électronique.
Cette remarque au sujet des “non-émetteurs” vaut aussi pour les personnes qui ne reçoivent pas de courrier. Elles ne sont que 17 (2 “bio_ch_geol”, 1 “guests”, 4 “litt”, 5 “maths” et 5 “phy”); et une étude attentive montre que la plupart d'entre elles renvoient leur courrier sur un autre compte. Et parmi ces 17 élèves, nous découvrons de grands émetteurs de messages sur clipper: si tous ont émis au moins un message à partir de cette machine, l'un d'entre eux en a envoyé jusqu'à 502! Ici aussi, quelques élèves rétifs au courrier électronique peuvent se confondre avec de grands usagers qui maîtrisent parfaitement les échanges électroniques.
Nous découvrons donc qu'il est peu pertinent de tirer des conclusions quant aux pratiques des personnes qui émettent ou qui reçoivent exactement aucun message.

II. F. Flux inter-groupes


Avant une future modification, nous présentons à titre d'information le tableau exhaustif des échanges entre les diverses catégories. En ligne sont les émetteurs, en colonne les récepteurs.

Tableau 8: échanges de messages entre catégories.
Légende: STA: staffs, ADM: admin_eleves, M: maths, P: phy, Lint: listes internes, BCG: bio_ch_geol, LI: litt, AENS: autres comptes ENS, G: guests, X: extérieurs, XL: listes externes, CH: chercheurs.
Le tableau se lit ainsi: les “phy” ont envoyé 371 messages aux “maths” quand les “maths” leur en ont adressé 379.
STAADMMPLintBCGLTAENSGXXLCH
STA9312506022463993059
ADM063151701125213906
M7622306637902024391581832186831
P626371275053963855108430
Lint00115761060018524900
BCG121165801543218440410
LT17628979046312633097373
AENS83133156405482318281353021
G908010052324246225842
X61236951268037911521928140038
XL003339856027811401200100273
CH71360026053006
Nous rappelons le rôle d'un robot dans les échanges de la catégorie “staffs”, et a fortiori l'impossibilité de mesurer ici les échanges élèves/staffs et élèves/chercheurs, puisque ingénieurs et chercheurs ont leurs comptes principaux sur d'autres réseaux.

II. G. Précautions


En prélude à une étude plus sélective, nous rappelons donc que:
- nous ne savons pas quelles pratiques effectives se glissent derrière l'usage du courrier électronique;
- la distribution très accusée est susceptible de générer des interprétations erronées;
- même une valeur précise d'un indicateur (par exemple la valeur nulle) peut créer un regroupement artificiel de personnes aux pratiques bien différentes.

III. Typologie des usages


Au vu des remarques précédentes, nous excluons désormais quelques comptes destinés à l'apprentissage, les comptes des chercheurs, ceux des robots, les comptes collectifs d'élèves et ceux des gestionnaires du réseau. Nous excluons aussi de l'étude les élèves des promotions 1988 (3 “maths”) et 1989 (7 “maths” et un “litt”), trop peu représentatifs de leur classe d'âge. Nous conservons, à titre indicatif, les comptes des “bio_ch_geo”, et rappelons que les résultats que nous obtiendrons pour ce groupe ne peuvent être généralisés à l'ensemble des élèves des disciplines concernées. De même, nous conservons temporairement les élèves qui n'ont émis ou reçu aucun message. Il reste alors 851 comptes, répartis ainsi par année et par “discipline”.

Tableau 9: répartition des 851 comptes élèves sélectionnés
promotionbio_ch_geolguestslittmathsphytotal
9001618429
91221924754
923235391392
93104534617130
9499494927143
952328395024164
963499443923239
total81145245265115851

Ces 851 utilisateurs ont émis 13407 messages et en ont reçu 25290. Il est à noter que les statistiques par genre reproduisent à l'identique celles du concours d'entrée et que la distribution du courrier émis diffère très peu de celle qui a été présentée auparavant. Nous allons maintenant procéder à une analyse qui met en relief les divers profils d'usagers.

III. A. Classification en quatre types par la fréquence du courrier émis


• Nous distinguons tout d'abord les 208 personnes qui ont émis entre un et quatre messages en deux semaines (soit au plus deux messages par semaine). Elles constituent 22% des 851 élèves étudiés et se répartissent ainsi: 22 “bio_ch_geol”, 19 invités, 66 littéraires, 67 matheux, 34 physiciens; 48 femmes, 150 hommes, 10 “inconnus”; 36 personnes sont de la promotion 1993, 34 de la suivante, 41 de 1995, 56 de 1996. Nous voyons ici que, contrairement aux a priori, les mathématiciens ne sont pas tous de grands utilisateurs des réseaux: plus exactement, ces utilisateurs très épisodiques apparaissent en proportions quasi égales chez les “litt” et les “maths” (resp. 27% et 25%). Rappelons que la catégorie “maths” confond les mathématiciens, dont certains sont aussi peu familiarisés avec Internet que des littéraires, par exemple, et les informaticiens au sens strict, petit groupe de 7 à 10 conscrits chaque année, qui dynamise énormément l'informatique chez les élèves (gestion du serveur des élèves, création automatique de pages Web, contributions à Linux…).
L'usage très limité du courrier électronique chez ces personnes permet de conclure qu'elles n'ont pas intégré cet outil dans leur quotidien. Si, comme nous le proposions, nous excluons de notre groupe les non-émetteurs, nous remarquons que le courrier électronique était encore peu socialisé à la fin de 1996, puisque au moins 41% des littéraires, 31% des mathématiciens et 36% des physiciens émettaient très peu de courrier. Cette proportion tombe à 18% chez les invités, ce qui met en évidence une opposition des pratiques entre normaliens et étrangers plus qu'entre littéraires et scientifiques.
• Ensuite, 192 personnes ont rédigé entre 5 et 14 messages, soit plus de deux messages par semaine et au plus un par jour. Ce groupe se décompose ainsi: 62 “maths”, autant de “litt”, 13 “bio_ch_geol”, 32 invités et 23 “phy”. Nous sommes ici encore surpris par les proportions identiques de “maths” et de “litt” dans ce groupe d'usagers.
• Un troisième groupe apparaît avec les 181 personnes qui ont rédigé entre 1 et 4 messages par jour (15 “bio_ch_geol”, 43 “guests”, 29 “litt”, 64 “maths” et 30 “phy”). Nous sommes tentés de penser que ces élèves consultent quotidiennement leur boîte à lettres électronique.
•Enfin, 48 personnes utilisent le courrier électronique de façon intensive (plus de 4 messages émis par jour). Ce sont 3 “bio_ch_geol”, 13 “guests”, 4 “litt”, 21 “maths” et 7 “phy”. Ces 48 usagers intensifs sont responsables de 45% du courrier émis, alors qu'elles ne constituent que 6% de notre population.
Une étude fine montre que les invités se profilent clairement comme de grands utilisateurs: sous-représentés parmi les émetteurs du second groupe, leur sur-représentation croît uniformément avec le nombre de messages émis. Les “litt” sont légèrement sur-représentés dans les second et troisième groupes alors qu'ils apparaissent faiblement dans le quatrième. Les “maths” ont un profil moyen dans les groupes intermédiaires et sont très présents parmi les utilisateurs intensifs. Les physiciens ont un profil très proche de la moyenne générale.
Ainsi les usages s'articulent autour de trois pôles constitués par les “litt” (émetteurs modérés), les “maths” (fort noyau d'émetteurs intensifs, autres utilisateurs aux pratiques “moyennes”) et les “guests” (uniformément plus rompus aux pratiques électroniques).

III. B. Classification opératoire des émetteurs de courrier


Au vu des catégorisations qui précèdent, il nous apparaît qu'un bon élément discriminant est obtenu en distinguant les élèves qui envoient plus d'un message par jour des autres, à condition de ne pas faire de commentaire sur les personnes qui n'ont rédigé aucun message.
Nous appelons dorénavant usagers occasionnels les personnes qui rédigent moins d'un message par jour et usagers réguliers les autres (plus d'un message émis par jour en moyenne).
Le tableau suivant donne les effectifs et proportions de chaque catégorie par discipline.

Tableau 10: usagers modérés et réguliers (non-émetteurs exclus).
messages émisbio_ch_geolguestslittmathsphytotal
1 à 14 (occasionnels)355112812957400
plus de 15 (réguliers)1856338537229
total5310716121494629
taux d'occasionnels66%48%80%60%61%64%
Si 48% des “guests” sont des usagers occasionnels, ce taux dépasse 60% dans chaque discipline étudiée, y compris chez les “maths”. Nous remarquons donc à nouveau un phénomène qui peut s'apparenter à un retard français et qui est particulièrement manifeste chez les “litt” (seulement 20% d'entre eux sont des usagers réguliers).
La distribution par genre chez les utilisateurs réguliers donne un résultat surprenant, que synthétise le tableau 11: nous découvrons une légère sur-représentation féminine chez les invités (55% au lieu de 47% dans le groupe), les “litt” (59% au lieu de 50% à l'entrée de l'École et 49% dans le groupe), mais aussi chez les “phy” (22% au lieu de 13% attendus). Chez les “maths”, l'effet dû au genre n'apparaît pas: nous retrouvons exactement les statistiques du concours d'entrée. Nous en déduisons que, chez les “guests” et les “litt”, les utilisateurs réguliers se recrutent surtout chez les personnes de sexe féminin.

Tableau 11: nombre d'usagers réguliers par discipline et par genre.

III. C. Le courrier reçu


bio_ch_geolguestslittmathsphytotal
Femmes528196765
Hommes1323137525149
X0514515
total1856338537229
% de femmes28%55%59%7%22%30%
Nous rappelons que 17 personnes n'ont émis aucun message; 451 personnes ont reçu moins d'un message par jour, 186 en ont reçu entre un et deux, 197 plus de deux. Les différences d'usage par discipline apparaissent encore ici: nous remarquons que 50% des “guests” et que 80% des “litt” ont reçu moins d'un message par jour. Pour ces deux groupes, nous retrouvons donc les proportions d'émetteurs occasionnels (bien sûr, les catégories “émetteurs occasionnels” et “récepteurs occasionnels”, si elles ont beaucoup d'utilisateurs en commun, n'ont aucune raison de coïncider). La dynamique féminine, remarquée à l'occasion du courrier émis n'apparaît plus ici, sans pour autant se transformer en sous-représentation.
Chez les “maths” comme chez les “phy”, la proportion de récepteurs occasionnels tombe à 34%. Cet abaissement s'explique par l'abonnement à des listes (surtout internes).
III. C. 1. Les listes internes

Les listes d'élèves, au nombre de cinq (313 courriers émis en interne), apparaissent minoritaires à l'époque de cette enquête et intéressent un petit groupe d'élèves seulement. Nous avons déjà noté le faible usage de listes internes gérées par les élèves. Deux facteurs peuvent en rendre compte: la faible socialisation des listes fin 1996 et la réticence des élèves gourous face à ce type d'outils: ces derniers, qui jouent un grand rôle dans la vulgarisation des outils électroniques, sensibilisent les utilisateurs aux problèmes d'espace disque et par suite, assurent la promotion des forums, tout en déconseillant l'envoi massif de messages.
Les autres listes internes (six dont deux doubles) ont émis 770 messages (en interne) et proviennent du département de physique. Elles ont concerné tous les physiciens (sauf 10, de promotion antérieure à 1993), 5 matheux et 37 invités; les élèves physiciens sont donc abonnés “d'office” à ces listes, qui sont par ailleurs très régulières: 143 élèves ont reçu exactement 5 messages chacun en provenance de listes du département de physique durant les deux semaines.
III. C. 2. Les listes externes

Nous rappelons que nous avons recensé 236 listes externes (7206 messages adressés à 106 élèves). Les abonnés sont majoritairement des matheux (40 dont une femme) et des invités (26 dont 8 femmes et un X). S'y ajoutent 18 “litt” (dont 7 femmes), 16 “phy” (dont 3 femmes et 4 X), plus 6 “bio_ch_geol” (6 hommes).
Même si les 12 abonnés les plus intensifs se recrutent parmi toutes les disciplines, l'abonnement aux listes est un fait des scientifiques. Et si seulement 39 de ces listes sont implantées en France, 15 proviennent de l'INRIA et au moins 7 d'autres centres exclusivement scientifiques (X, ENST, IBP…).
Ces faits, combinés à une autre analyse des usages au moment de la rédaction de ce chapitre, donnent à penser que si un tel type d'abonnement apparaît encore faiblement dans d'autres disciplines, pour lesquelles la langue se distingue peu de l'objet d'étude, c'est parce qu'il n'y a pas d'offre.
A contrario, nous remarquons qu'entre 85% des personnes (“maths”) et 93% d'entre elles (“litt”) ne sont pas abonnés à des listes (externes). Ce taux, élevé, devra être comparé à ceux obtenus lors d'études ultérieures.

IV. Synthèse cartographique des échanges entre les groupes d'utilisateurs


A partir de la classification proposée ci-dessus (personnes dont on ne peut connaître les usages, usagers occasionnels et usagers réguliers), nous produisons une synthèse graphique qui visualise les échanges de courrier entre les catégories d'usagers. Ces dernières sont les suivantes:
• “guests”, “litt”, “maths” et “phy”; chaque groupe est décomposé en usagers occasionnels (moins d'un courrier émis par jour) et usagers réguliers; à ces 8 sous-groupes, nous ajoutons leurs correspondants, à savoir:
• les “autresENS”: sous cette dénomination, nous incluons les personnes ayant un compte ENS, mais pas sur le réseau des élèves et les élèves de la catégorie “bio_ch_geol”;
• les listes internes;
• les extérieurs. Ce sont les personnes dont l'adresse ne se termine pas par “ens.fr”;
• les listes externes à l'ENS
L'exclusion des personnes qui n'ont émis ou reçu aucun courrier réduit à 612 le nombre de comptes qui vont nous permettre de réaliser les cartes de flux. La nouvelle matrice des échanges est alors donnée par le tableau 12. Notons que les effectifs totaux de chaque catégorie ont été aussi recalculés en fonction de cette nouvelle classification, et qu'ils ne correspondent pas nécessairement à ceux du paragraphe III. Les abréviations se traduisent ainsi:
AENS: autres comptes de l'ENS (en contact avec les élèves de clipper); Grég: “guests” usagers réguliers; G: invités usagers occasionnels; idem pour LT et LTrég (littéraires), M et Mrég (matheux), P et Prég (physiciens); Lint: listes internes; X: personnes hors ENS; XL: listes externes; eff donne le nombre de comptes de chaque groupe.

Tableau 12: échanges de courrier (571 comptes “guests”,“litt”, “maths”, “phy”, dont 210 réguliers)
AENSGrégLTrégMrégPrégGLTLintMPXXLeff.
AENS5833401218100380412251249
Grég13206144251370731980456
LTrég66201071864356306823520633
Mrég24365171132921659670869641626884
Prég671550236177253106556926337
G1162172200020265050
LT313272492710444511124
Lint535034399850081260249010
M472181211726084113580125
P182922230602116153052
X244150124259203245280991328003935
XL197045522094601142060839600211
eff249563384375012410125523935211
Il se lit ainsi: les “guests réguliers” ont envoyé 7 messages aux “litt occasionnels”, qui leur en ont envoyé 3; Les données pour lesquelles l'enquête ne permettait pas d'obtenir des informations précises (comme le courrier “ext” vers “ext”) ont bien sûr été mises à blanc.
Dès lors nous pouvons dresser diverses cartes des échanges entre les “guests”, les “litt”, les “maths” et les “phy”, entre ces groupes et le reste de l'École, ainsi qu'avec l'extérieur. Nous retiendrons deux telles cartes, dont nous donnons tout d'abord le descriptif.

IV. 1. Légende


Le grand cercle extérieur représente l'ensemble des correspondants extérieurs. Le second, au diamètre juste inférieur, représente les listes externes. Puis, les petits cercles colorés représentent les usagers occasionnels des groupes “math” –en cyan–, “phy” –en magenta–, “guests” –en noir– et “litt” –en jaune. Plus proches du centre, les autres cercles de même couleur définissent les utilisateurs réguliers des mêmes catégories. Enfin, les listes internes –en vert– sont positionnées au centre et les “autresENS” sont en gris en haut du graphique. La surface des cercles colorés est proportionnelle à l'effectif des (sous-)groupes qu'ils représentent.
Chaque sous-groupe a sa couleur propre. Les messages qu'il adresse sont de cette même couleur. Ainsi on peut distinguer aisément les messages “litt vers math” des messages “math vers litt” par la couleur des tracés. En outre, une flèche termine le tracé afin de renforcer la lisibilité du graphe. Les flux de messages en provenance de l'extérieur (listes ou personnes) et adressés à un groupe donné sont aussi de sa couleur.
L'épaisseur des tracés est proportionnelle au flux qu'ils représentent. Une échelle est donnée en bas de chaque graphique. Pour les pondérations, la méthode suivante a été choisie: pour un flux x vers y, si x est local, le nombre de messages de x vers y est divisé par l'effectif de x (ou un multiple de celui-ci). Si x est extérieur, le poids utilisé est alors celui de y (ou le même multiple).

IV. 2. Le graphe des données brutes


Nous avons tout d'abord choisi de représenter les échanges “bruts”, indépendamment de la taille des groupes. Afin d'éviter la multiplication des tracés, nous avons éliminé les flux de moins de 5 messages. Le graphe 1, intitulé “flux quotidiens: données brutes”, privilégie donc les masses de courrier échangé indépendamment de l'effectif du groupe, et par suite, les gros émetteurs.
L'épaisseur des flèches met en évidence l'importance des mathématiciens et des invités dans les échanges de courrier, et parmi ces deux catégories d'utilisateurs, le monopole des usagers réguliers.
Le sous-groupe des mathématiciens réguliers converse beaucoup avec l'extérieur et avec lui-même; mais aussi avec les autres mathématiciens, avec d'autres élèves (utilisateurs réguliers physiciens et littéraires) et avec le reste de l'École (comptes “autresENS”). Il reçoit beaucoup de courrier en provenance de listes externes.

Les invités réguliers communiquent surtout avec l'extérieur. Phénomène logique, puisque beaucoup d'entre eux sont étrangers. Ils reçoivent autant de courrier de correspondants extérieurs que les matheux réguliers et en envoient plus (1980 contre 1626) alors qu'ils ne sont que 56 quand les seconds sont 84.
Nous retrouvons des caractéristiques analogues, bien que moins prononcées chez les “Litt rég” et les “Phys rég”: ils dialoguent surtout avec l'extérieur.
Cette représentation, même si elle favorise les flux massifs, permet d'entrevoir les échanges entre élèves des différentes disciplines, dont les mathématiciens constituent le nœud: mais cela ne concerne que les utilisateurs réguliers. De façon analogue, les “autresENS”, s'ils dialoguent avec invités, physiciens et matheux, reçoivent surtout du courrier de la part des mathématiciens “réguliers”. Le graphe permet de se souvenir que les listes internes sont surtout destinées aux physiciens et que l'on rencontre des étudiants inscrits aux magistères de math et de physique parmi les invités. Les usagers occasionnels apparaissent ici en dehors des flux principaux et semblent dialoguer surtout avec l'extérieur.
Au final, ce graphe privilégie les relations des groupes avec l'extérieur et donne à penser que le courrier électronique est surtout utilisé par deux catégories de personnes: les matheux-informaticiens et les invités.

IV. 3. Échanges pondérés


Afin de limiter les biais consécutifs aux effectifs des groupes ou à la présence parmi ceux-ci d'utilisateurs intensifs, il nous a semblé utile de réaliser des graphes d'échanges pondérés par le nombre d'utilisateurs. Le graphe 2, intitulé “échanges hebdomaires pondérés”, traduit (en données arrondies) le nombre de messages émis ou reçu par chaque personne du groupe tous les trois jours et demi (il est donc obtenu en divisant chaque flux par l'effectif du groupe multiplié par quatre).
S'il renforce les caractéristiques du graphe précédent, notamment au sujet des utilisateurs occasionnels, qui sont les grands absents de ce graphe, et des invités, qui apparaissent clairement comme les premiers à converser avec l'extérieur, il permet de tempérer les remarques précédentes discipline par discipline.
Parmi les élèves, les premiers émetteurs de courrier vers l'extérieur sont les physiciens (12 messages par semaine et par personne), suivis de près par les matheux et les littéraires (resp. 10 et 8, mais 18 pour les invités). En termes d'émission de courrier vers l'extérieur, les pratiques apparaissent donc homogènes, indépendantes des disciplines. L'atténuation du “monopole” des mathématiciens est aussi perceptible pour le courrier externe reçu. Les échanges entre utilisateurs d'une même discipline sont plus lisibles sur ce graphe.
Les échanges entre littéraires et mathématiciens s'étendent aux utilisateurs occasionnels de cette dernière discipline et l'importance des listes des physiciens dans le courrier reçu est ici plus manifeste.
En atténuant le poids des utilisateurs intensifs, ce graphe s'il confirme l'opposition entre utilisateurs occasionnels et utilisateurs réguliers, met en valeur les relations internes à l'ENS et redresse les échanges de courrier des littéraires et des physiciens, qui étaient sous-estimés dans le précédent.


V. Conclusion


Cette étude a été réalisée sur une population conséquente et très homogène, tant au niveau de l'âge, du statut ou de la hiérarchie, et en même temps très variée quant à la culture universitaire. Le caractère légèrement désuet d'une telle enquête (les données datent de l'automne 1996) lui confère néanmoins une valeur exemplaire pour deux raisons: l'exemple des élèves de l'ENS, tant par leur ouverture d'esprit que par le confort de leurs études (accès aisé aux réseaux, par exemple), donne une idée de ce que pourront être les pratiques électroniques dans d'autres groupes (plus âgés) ou milieux (non-universitaires); par ailleurs, ces données, collectées à une époque où le courrier électronique n'était pas encore complètement rentré dans les mœurs, même à l'ENS, sont précieuses pour analyser l'éventail des pratiques à l'occasion de tout phénomène émergeant. Retenons déjà qu'il faut plusieurs années pour que le courrier électroniques soit socialisé au sein d'un groupe aussi conséquent d'utilisateurs. Rappelons aussi toute l'ambiguïté (évitée ici, nous l'espérons) des discours qui affirment que x% des utilisateurs ou y% des entreprises utilisent tel protocole ou tel logiciel: ces propos relèvent surtout de l'affirmation publicitaire car ils tiennent rarement compte des divers degrés de maîtrise (ou d'usage) dudit logiciel.
Nous avons tout d'abord voulu donner des chiffres précis. Ce faisant, nous avons été confrontés aux problèmes méthodologiques propres à toute enquête de ce type. En exposant pas à pas notre démarche, en affinant chaque fois notre population au fil de nos découvertes, nous espérons avoir mis en évidence le long chemin à parcourir entre des données informatiques brutes et leur interprétation sociologique. Ce n'est qu'après avoir éliminé un tiers des comptes que nous avons pu dégager quelques traits pertinents à partir de telles données.
Il nous est apparu que le seuil d'un message émis par jour permettait de faire une distinction entre utilisateurs occasionnels et utilisateurs réguliers. Ce seuil, assez bas, permet de rappeler que la proportion d'utilisateurs réguliers est assez faible et que sous cette appelation, se glissent nécessairement des profils divers.
A l'ENS, parmi les quatre groupes étudiés (invités, littéraires, mathématiciens et physiciens), les mathématiciens et les invités apparaissent sans conteste comme les “leaders” des pratiques. Les premiers privilégient les échanges internes à l'ENS quand les seconds correspondent presque exclusivement avec l'extérieur. Les littéraires apparaissent a priori comme des sous-utilisateurs.
Mais une étude plus fine montre que la distinction par discipline, qui sous-entend que les scientifiques maîtrisent plus spontanément les techniques que les autres élèves, est peu opérante: les utilisateurs occasionnels constituent plus de la moitié des effectifs et se recrutent dans toutes les disciplines, y compris les maths. Un groupe non négligeable de “littéraires” a des pratiques régulières ou intensives, ce qui lui donne un profil proche de celui des informaticiens chevronnés. De façon analogue, nous avons découvert que les femmes sont uniformément de plus grandes émettrices de courrier que les hommes, et sont aussi sur-représentées par rapport à leur discipline. Ainsi, l'usage du courrier électronique semble avant tout déterminé par l'histoire personnelle des utilisateurs (contacts avec l'étranger, avec des membres de la famille ou des amis) et par la qualité du contenu (cf. listes de discussion), plus que par l'accès à une culture technique.
Pour suivre l'évolution des pratiques, il nous semble souhaitable de compléter cette étude par d'autres, du même type, réalisées un ou deux ans plus tard, à la même période. Cela nous permettra de mesurer l'évolution de la socialisation des pratiques. Il serait bon que nous puissions la compléter par des entretiens. Par ailleurs, une étude analogue sur des groupes différents (élèves d'autres Écoles, chercheurs d'autres institutions, réseaux du monde industriel) nous permettrait de conforter nos analyses. Enfin, de telles enquêtes devraient aussi s'étendre à d'autres protocoles. Nous nous sommes laissé dire, que malgré les difficultés de traitement, cela sera bientôt possible avec les consultations de pages Web.


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