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départements «littéraires» de l'ENS:
un premier bilan
Rupert Hasterok
Atelier Internet
novembre 1996
Au cours des dernières années, Internet a connu un formidable essor, dont témoignent notamment un véritable engouement de la presse pour cette technologie et la prolifération de publications, destinées à le faire connaître au grand public. Au delà des polémiques que suscite Internet au même titre que d'autres nouvelles technologies comme la «génétique», la progression d'Internet, grâce à la diffusion de protocoles de communication et de logiciels, dans d'autres domaines que celui de la recherche spécialisée, auquel Internet a longtemps été confiné, a soulevé de multiples questions d'ordre aussi bien économique que politique, juridique et technique. En cela, Internet constitue un véritable «fait social total», au sens que Marcel Mauss a conféré à ce terme.
En nous limitant au seul secteur de la recherche, nous pouvons inférer, à partir d'utilisations d'Internet qui existent d'ores et déjà, que le monde de la recherche est susceptible de subir des transformations radicales dans un grand nombre de domaines. Pour ne citer que quelques exemples, la consultation à distance de documents, qu'il s'agisse de textes, de bases de données, de sons ou d'images, est en train d'être considérablement facilitée et accélérée par les possiblités de les consulter en ligne ou de les transférer d'un site à l'autre. L'édition savante a donné lieu à de nouvelles formes et supports, tels les revues électroniques et les pre-prints. L'on peut également supposer que la prolifération de listes ou groupes de discussion sur Internet (les listservs, newsgroups, etc.) et les facilités offertes par le courrier électronique pour les échanges entre chercheurs vont jusqu'à changer profondément les conditions mêmes de la production scientifique.
Dans le but de prendre la mesure de cette évolution, un atelier interdisciplinaire s'est déroulée à l'ENS pendant l'année universitaire 1995-1996 sous l'impulsion d'Éric Guichard, membre de la Cellule Informatique pour l'École littéraire. En parallèle, quelques-uns des participants ont depuis, chacun dans leur domaine, mené des recherches, portant sur l'un ou l'autre aspect de cette nouvelle technologie. A partir d'une première enquête, effectuée sur l'usage du courrier électronique au sein des départements «littéraires» de l'ENS, la présente contribution est une première tentative d'apporter quelques éléments pour une meilleure compréhension de l'impact d'Internet sur les pratiques des chercheurs1. L'enquête a été menée conjointement par Éric Guichard et moi-même.
Internet à l'ENS a d'abord été une affaire d'informaticiens2. La première tentative d'installer un réseau informatique remonte aux débuts des années 80, lorsque le Laboratoire d'Informatique Expérimentale, fondé en 1980, a mis en place un cable co-axial, qui reliait (et relie toujours) les différents bâtiments de l'École. L'objectif était de créer un réseau Ethernet, permettant le partage d'imprimante et de disque. Mais à défaut d'acquériir des ordinateurs capables de remplir ces fonctions, c'est une autre solution qui l'emporte. C'est ainsi qu'en 1984, l'École se trouve connectée, à travers des terminaux, au réseau bitnet ou EARN, promu par IBM, et qui reliait des centres de recherche dans le monde entier. C'est le début du courrier électronique à l'École normale. Ce réseau n'était pas administré par le Laboratoire d'informatique, mais par le Centre de calcul, mis en place en 1974, pour permettre à différents départements de l'Ecole d'effectuer des calculs sur les ordinateurs, installés au CIRCE.
En 1986, la plupart des membres du Laboratoire d'Informatique Expérimentale quitte l'École pour les États-Unis. En même temps, une réforme, qui ouvre l'Ecole normale aux filles, mène à la création de l'actuel département de mathématiques et informatique, le D.M.I. Grâce à une intervention politique, l'École peut alors, en dépit de l'interdiction d'acheter du matériel informatique américain, acquérir un ordinateur Digital Vax, relié avec l'INRIA, et qui permet également de faire du courrier électronique, dont le D.M.I. se sert d'ailleurs dès cette époque pour la communication interne. Peu de temps après, les premières stations de travail Unix font leur apparition à l'École et annoncent la fin de l'époque IBM. Ces stations de travail rendent possible le partage de fichiers en réseau local, l'utilisation de ce réseau pour effectuer des calculs importants et le transfert de fichiers (file transfer protocol ou ftp). En 1989, le Centre de calcul est fermé et remplacé par le Service de Prestations Informatiques (S.P.I.), rattaché au D.M.I. Sous la responsabilité de Jacques Beigbeder, ce service administre le réseau commun, les «machines» du D.M.I. et celles des élèves, toutes reliées au réseau Ethernet local. Au début des années 90, il devient également possible d'accéder au réseau local par un ordinateur personnel en simulation de terminal. En 1991, l'École rejoint le réseau universitaire français RENATER, une liaison rapide avec un débit de deux mégabytes, qui agrandit, de façon décisive, le capacité d'utilisation. Dans le même temps, une série de nouveaux protocoles (gopher, wais, mosaic) et le développement de logiciels de navigation (comme Netscape) et de courrier électronique (comme Eudora) viennent faciliter l'accès au réseau Internet. Jusqu'à ce jour (c'est-à-dire en mars 1996), environs 2800 comptes ont été établis à l'École, attribués au personnel de l'Ecole, aux élèves ainsi qu'à des personnes associées aux activités des différents départements3. Seize lignes téléphoniques permettent, par le biais d'autant de modems, de se connecter au réseau à partir d'une ligne téléphonique extérieure.
L'introduction et la progression d'Internet à l'ENS se trouvent étroitement liées à celles de l'informatique en général, qui a pris, à de degrés toutefois très variables, une importance de plus en plus grande dans de nombreuses disciplines, représentées au sein de l'École. Cette évolution a eu deux conséquences: la plupart des départements ont modernisé leur parc informatique (câblage, achat de stations de travail, etc.); les besoins de maintenance et de mise à jour de ce matériel, la nécessité d'un encadrement technique pour son utilisation ont entraîné de multiples tâches, qui ont mené soit à la création de nouveaux postes, soit à une spécialisation d'un ou plusieurs chercheurs, travaillant au sein de ces départements. Que ce soient des informaticiens professionnels ou encore, cas plus fréquent, des chercheurs émanant de ces disciplines, et qui ont, parfois en autodidactes, acquis des compétences en informatique, c'est grâce à eux que des nouveaux usages de l'informatique - dont Internet - font le plus souvent leur entrée dans les laboratoires4. Au cours des dernières années, plusieurs réseaux et serveurs départementaux ont ainsi vu le jour: en philosophie, en géographie, en sciences sociales et au sein de l'équipe Judaïca-Gallica de Montrouge. Cette décentralisation n'est pourtant pas dépourvue de certaines ambiguïtés. De par la responsabilité du Service de Prestations Informatiques pour les salles informatiques des élèves, une partie des comptes-élèves et, de manière plus générale, un certain nombre de comptes appartenant à des enseignants-chercheurs, travaillant au sein des départements «littéraires», sont administrés directement par le S.P.I. Par ailleurs, les réseaux départementaux restent sous la tutelle du S.P.I. qui, responsable du réseau commun de l'École, en supervise et coordonne le fonctionnement. Enfin, tout comme le serveur des élèves, qui relève, du moins pour l'instant, de la seule responsabilité des élèves, les serveurs départementaux doivent leur existence en premier lieu à l'initiative prise par des chercheurs individuels et les pages d'information offertes révèlent -à l'exception de celui du D.M.I.- un caractère «officieux» plutôt qu'«officiel». Si plusieurs départements envisagent aujourd'hui d'utiliser leur serveur pour une présentation officielle, ou encore pour offrir des services sur le WWW, ces projets n'ont pas abouti jusqu'à présent.
C'est dans la conjoncture générale évoquée ci-dessus qu'a été créée la Cellule Informatique pour l'École littéraire en octobre 1991, suite à un projet d'informatisation du département des sciences sociales. La Cellule informatique est composée actuellement de deux chercheurs (l'un provenant des sciences sociales, l'autre des études anciennes), d'une technicienne et d'une documentaliste à mi-temps. Elle est responsable du serveur du département des sciences sociales et c'est auprès d'elle qu'ont été établis environ une centaine de comptes électroniques, attribués à des enseignants-chercheurs, des membres du personnel administratif et des élèves, affiliés aux départements littéraires, ainsi que, sur demande motivée, à un certain nombre d'anciens élèves de ces départements et de personnes invitées. Cette dernière catégorie est fort hétérogène; elle englobe en particulier d'anciens enseignants-chercheurs, des enseignants-chercheurs invités, des étudiants suivant une formation offerte par l'un des départements littéraires ou encore des participants de l'atelier Internet. C'est sur l'ensemble de ces comptes que notre enquête a porté. La répartition des comptes pour la période étudiée est la suivante:
Personnel administratif: 2 personnes
Cellule informatique: 4
Elèves: 44
Enseignants-chercheurs: 19
Anciens élèves: 14
Invités: 22
Une adresse électronique renvoie tout d'abord à un compte, établi auprès d'un fournisseur de service. Or un tel compte peut, lors de l'émission ou de la réception d'un message, donner lieu à des adresses électroniques (souvent légèrement) différentes (par exemple, dupont arobase-anti__spam ens.fr peut également apparaître sous la forme dupont arobase-anti__spam barthes.ens.fr). Si, au niveau d'un réseau local, des adresses divergentes peuvent être facilement ramenées à un seul et même compte, il n'en est pas toujours de même pour un compte externe7. Par ailleurs, le détenteur d'un compte électronique n'est pas forcément une personne physique; plusieurs personnes (ou en l'occurrence une institution, tel un laboratoire de recherche) peuvent se partager un même compte. Inversement, il arrive qu'une personne utilise, de façon permanente ou temporaire (notamment lors d'un séjour prolongé à l'étranger), plus d'un compte. Le plus souvent, le traitement automatique d'un fichier syslog ne permet pas de tenir compte de ces facteurs. Si les exemples rencontrés nous donnent des raisons de croire que dans certains cas (plusieurs adresses pour un même compte, partage d'un compte), les données obtenues ne changent pas les résultats de façon significative, la non-utilisation d'un compte pendant toute ou une partie de la période étudiée, ou encore l'utilisation de plusieurs comptes en même temps, reste difficile à évaluer8. La prise en compte de données sur la date d'émission ou de réception est toutefois susceptible d'apporter une réponse partielle à ces problèmes. Retenons donc que si la règle générale veut qu'un compte équivaut à une personne physique, les échanges de messages relevés pour un compte, voire une adresse électronique, se réfèrent, au sens strict, uniquement à ce compte et non pas nécessairement à son ou ses utilisateurs.
Dans un deuxième temps, nous avons essayé de différencier davantage les adresses électroniques. Il est en effet facile d'identifier les correspondants du réseau «littéraire», ceux du réseau ENS et les correspondants externes. Nous avons en outre jugé intéressant de distinguer du courrier proprement dit les messages envoyés à une liste ou provenant d'une liste. A cette fin, nous avons identifié des listes à partir d'un certain nombre de mots-clé, contenus dans les adresses électroniques, tels «list», «owner» et «request»9. Le recours à des mots-clé ne permet cependant pas de repérer l'ensemble des listes, qu'il s'agisse d'adresses émettrices ou réceptrices de ce type de message10. Il en résulte notamment une sous-estimation de cette catégorie de messages. De façon analogue, les tentatives pour classer les adresses électroniques appartenant à des correspondants externes en fonction d'informations, contenues dans ces adresses, se heurtent à un obstacle majeur: seule une partie des adresses externes permettent d'obtenir des données supplémentaires sur le fournisseur de service, dont se sert un utilisateur externe, tel en particulier le pays d'origine ou le nom d'une institution. En raison du grand nombre de paramètres, dont il faudrait tenir compte lors du traitement automatique du fichier syslog, nous avons, du moins pour l'instant, renoncé à exploiter davantage ces données.
Enfin, nous avons anonymisé les adresses électroniques de notre fichier-échantillon grâce à un chiffrage qui distingue entre les adresses externes (listes ou non), celles de l'ENS (listes ou non) et celles du réseau local, à savoir du réseau «littéraire». De plus, les comptes locaux ont été identifiés par une étiquette, renvoyant à a) l'appartenance de leurs utilisateurs à une catégorie administrative (Personnel administratif, Enseignants-chercheurs, Cellule informatique, Elèves, Anciens élèves et Invités) et b) un classement par rang à partir du nombre d'échanges, liés à un compte particulier.
En gardant à l'esprit les réserves évoquées, passons maintenant aux premiers résultats de notre enquête.
Etant donné le nombre limité de variables dont nous disposons, notre analyse éclaircira pour l'essentiel deux aspects de l'usage du courrier électronique: l'usage général, en fonction du nombre de correspondants et du nombre de messages émis et reçus, et l'usage spécifique qui est fait d'un type de courrier particulier (courrier externe, courrier interne, abonnement à de listes).
C'est en effet la répartition très inégale entre les utilisateurs du courrier électronique, qui frappe d'abord. D'ores et déjà, environ la moitié des comptes existants ne révèlent qu'une activité insignifiante (moins de deux messages émis pendant une période de cinquante jours). Pour les comptes actifs, qui constitue l'échantillon de notre analyse (n = 53; > 1 message émis pendant la période étudiée), ce premier constat reste valable: les trois premiers utilisateurs (> 1000 messages émis et reçus) sont responsables de 54%, les douze premiers (> 200 messages émis et reçus) de 80% des messages12. L'on peut également observer une répartition très inégale selon la catégorie à laquelle appartiennent les utilisateurs et selon le type de courrier échangé13. Les quatorze élèves de notre échantillon (26% des comptes actifs) utilisent peu le courrier électronique: ils sont à l'origine de 3% du courrier interne et de 6% du courrier externe et seul un élève est abonné à une liste externe. Les enseignants-chercheurs et les anciens élèves occupent une position intermédiaire: constituant respectivement 19% et 17% des utilisateurs, ils sont responsables de 9% et 12% du courrier interne et de 14% et de 17% du courrier externe; par ailleurs, trois des dix enseignants-chercheurs et un des neuf anciens élèves sont à l'origine de 7% et de 4% du courrier provenant de listes. Ce sont donc les invités et -ce qui devrait moins étonner- les membres de la Cellule informatique qui utilisent davantage le courrier électronique. Les quinze invités (ou 28% des utilisateurs) sont notamment à l'origine de 58% du courrier externe et quatre parmi eux de 61% des courriers, émanant de listes externes. Les quatre membres de la Cellule informatique (ou 8% des utilisateurs) cumulent à eux seuls 58% du courrier interne et 97% du courrier émanant de listes internes14. Ils font un usage modéré du courrier externe (6%), mais trois utilisent beaucoup les listes externes (28%)15.
Or, il convient de noter, d'une part, qu'il y a des différences significatives entre les utilisateurs relevant d'une même catégorie, et, d'autre part, que seule environ la moitié des utilisateurs (26 ou 49% de notre échantillon) font un usage régulier ou intensif du courrier électronique, qu'il s'agisse du courrier externe ou interne ou d'un abonnement à des listes. Nous avons donc porté notre regard sur ce dernier groupe d'utilisateurs.
Le courrier externe apparaît comme la fonction la plus importante du courrier électronique avec environ la moitié des échanges récensés. 18 utilisateurs (ou 34% des comptes actifs) l'utilisent de façon intensive ou régulière (> 100 courriers émis et reçus pendant la période étudiée)16. Nous avons déjà évoqué son utilisation selon les différentes catégories d'utilisateurs, une répartition qui change à peine, en raison du nombre peu élevé de courriers émis et reçus par les autres utilisateurs. La mise en relation du nombre de correspondants externes avec celui des courriers échangés permet alors de dégager une image plus différenciée de l'usage du courrier externe. Si le profil général de ces échanges varie peu-un échange intensif avec un petit nombre de correspondants (en général, entre un et cinq) et peu d'échanges avec un nombre plus important de correspondants, l'on peut toutefois remarquer que les différentes utilisateurs, voire catégories d'utilisateurs, se rapprochent plus ou moins de l'un des deux pôles. Ainsi, l'usage de quatre des cinq anciens élèves se caractérise par des échanges intensifs avec un petit nombre de correspondants. Au pôle opposé se situent un membre de la Cellule informatique, le seul élève ainsi que trois enseignants-chercheurs, deux autres ayant un profil proche des anciens élèves. Les invités paraissent occuper une place plutôt intermédiaire, si l'on tient compte du biais, introduit par la présence d'un utilisateur qui, à lui seul, cumule 26% du courrier externe17.
Il est plus difficile de se prononcer sur les utilisateurs des listes externes. Notons toutefois que le groupe des treize utilisateurs abonnés à des listes (24,5% de notre échantillon) ne recouvre pas le groupe précédent18. Quatre abonnés ne font pas un usage intensif ou régulier du courrier externe; inversement, onze utilisateurs réguliers du courrier externe ne sont abonnés à aucune liste.
A l'exception des membres de la Cellule informatique, seuls quatre utilisateurs font un usage régulier du courrier interne (> 50 messages émis et reçus pendant la période étudiée), caractérisé par un échange intensif avec un petit nombre de correspondants. En faisant abstraction du seul utilisateur, membre de la Cellule informatique, qui cumule à lui seul 46% du courrier interne, l'on peut supposer qu'au sein de ce réseau, le courrier électronique ne sert pas de façon significative à la communication interne19.
Comme nous avons vu à plusieurs reprises, les résultats obtenus pour les différentes catégories d'utilisateurs se sont avérés fortement biaisés par la présence, au sein de l'échantillon, de trois utilisateurs, qui à eux seuls sont à l'origine de 54% des messages échangés. A regarder de plus près leur usage du courrier électronique, nous sommes tenté de les qualifier d'innovateurs20. En effet, chacun d'eux a développé un usage intensif d'un certain type de courrier: dans le premier cas, il s'agit d'un usage intensif de listes externes (accompagné d'ailleurs d'un usage régulier du courrier externe), une caractéristique partagée dans une moindre mesure avec trois autres utiisateurs. Dans le deuxième cas, nous pouvons observer un usage intensif du courrier externe (1886 messages pour une cinquantaine de correspondants). Enfin, le troisième cas se caractérise par un usage intensif et extensif du courrier interne. Il nous semble que ces cas extrêmes peuvent, sans pour autant devenir des futures normes, préfigurer des profils d'usage à l'avenir. Pour nous tenir d'abord au dernier cas, rien n'exclut qu'un jour prochain la communication interne, à l'instar du département de mathématiques et informatique, ne se fasse pas par le courrier interne, sous forme d'une liste interne ou encore d'un même courrier, adressé à plusieurs personnes21. S'il est loin d'être sûr que le courrier électronique, tout en facilitant les échanges entre chercheurs n'appartenant pas à la même institution, augmentera les contacts entre eux, l'on peut s'attendre à ce que ceux parmi les chercheurs qui collaborent beaucoup avec des collègues géographiquement éloignés, ou encore qui s'absentent pendant une période déterminée de leur institution de rattachement, lors d'un séjour à l'étranger, par exemple, aient davantage recours au courrier électronique; on sait combien les frais de communication pèsent dans les budgets des laboratoires de recherche. Des propos analogues peuvent s'appliquer aux listes externes22.
Résultats certes modestes donc, mais qui nous semblent néanmoins avoir l'avantage de faire apparaître un certain nombre de profils d'usage, susceptibles d'avoir une valeur plus générale au delà de notre échantillon. De plus, ce premier inventaire a donné un premier aperçu des usages à un moment donné, une sorte de photographie instantanée. A condition de répéter l'expérience, à des intervalles réguliers ou à propos d'autres réseaux, il ouvrira la voie à une étude longitudinale, traçant l'évolution de ces usages dans le temps, et à la comparaison. Nous pensons ici notamment à un département comme le D.M.I. qui -à en croire les premières impressions- a «quelques longueurs d'avance» dans l'utilisation de cette technologie.
De façon plus générale, il y a plusieurs autres thèmes qui nous semblent mériter une étude plus approfondie. Toute une série de questions s'attachent tout d'abord au contenu et à la fonction du courrier électronique. Chacun d'entre nous ayant entre-temps une expérience personnelle, élargie éventuellement d'échanges de propos circonstanciels, nous mesurons encore mal la portée sociale de cette nouvelle technologie. Pour ne citer que quelques-uns des enjeux, nous ignorons dans quelle mesure les échanges de courrier relèvent de la vie professionnelle, de la vie privée ou d'une activité militante. Nous percevons encore mal les façons, dont se constituent et fonctionnent les groupes de discussion, et les manières, dont ils interviennent en particulier dans le travail quotidien. Nous connaissons à peine les changements intervenus dans les modes de communication entre chercheurs, qu'il s'agisse de nouvelles formes de sociabilité ou de l'intensité des contacts23. Autant de pistes que nous espérons suivre, notamment à travers des entretiens menés avec les utilisateurs.
A la fin de la première partie, nous avons insisté beaucoup sur le rôle-clé des responsables informatiques, travaillant au sein des différents départements. D'un point de vue sociologique, ils nous paraissent intéressants à plusieurs titres. Détenteurs d'une tradition souvent orale sur l'histoire de la mise en place des réseaux, des serveurs et des nouvelles utilisations de l'informatique, ils occupent également une place privilégiée dans l'articulation entre les disciplines scientifiques et l'informatique. Au sein de leur département de rattachement, ils font souvent partie de ceux que nous avons appelés «innovateurs». Il nous apparaît donc nécessaire de nous intéresser de plus près à leur trajectoire professionnelle, à la façon dont ils ont acquis leurs compétences informatiques et aux relations qu'ils entretiennent avec leurs départements et leurs collègues.
De plus loin, un troisième groupe de personnes contribue, de manière encore plus fondamentale, à façonner l'univers d'Internet. Ce sont ceux qui innovent la technologie d'Internet et son utilisation ou en fixent les règles.
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