L'offre faite aux historiens


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L'offre faite aux historiens

Essai de description des services Web
offerts aux professionnels de l'histoire contemporaine




Philippe Rygiel
Historien, chercheur associé au Laboratoire de sciences sociales de l'ENS
juin 1998




La participation à la création d'un site internet dédié à l'histoire sociale (http://barthes.ens.fr/clio), la tenue d'une liste de ressources en ligne utiles aux historiens m'ont conduit au cours de l'année écoulée tant à réfléchir aux usages possibles du réseau qu'à l'examen des services dédiés aux historiens. J'ai pu alors de façon un peu empirique et intuitive construire une typologie des services Web s'adressant aux spécialistes de l'histoire contemporaine, qui prend en compte essentiellement les fonctions assignées aux sites par leurs concepteurs mais fait aussi référence à la position de ceux-ci dans le champs disciplinaire et aux outils dont ils usent. Cela me permet de proposer ici une contribution modeste à l'étude de l'appropriation de ce nouveau médium par la communauté scientifique à laquelle j'appartiens, contribution dont les limites sont cependant évidentes. Je propose ici un tableau de l'offre faite à leurs pairs par les professionnels de l'histoire, à un instant donné, la mi 98, alors que l'une des caractéristiques du réseau est l'évolutivité et la volatilité des ressources qu'il dispense. Ce tableau s'appuie de plus sur une expérience personelle, une connaissance pratique du réseau, dont la précision et l'exhaustivité ne saurait se mesurer à celle que permet d'acquérir une enquête systématique.

La première caractéristique de cette offre est la rapide évolution de ses formes. De nouveaux sites, de nouveaux usages du Web émergent en permanence. Les sites offrant un réel service et un réel contenu se font plus nombreux alors que les vitrines destinées à prouver la virtuosité technique de celui ou de ceux qui les gèrent, toujours nombreux, ne sont plus la norme. Le constat n'est pas propre au domaine. La relative nouveauté du médium, plus encore le fait qu'il n'est connu et utilisé que depuis très peu de temps par une proportion significative de la population visée, l'explique sans doute en partie. De même, le développement d'outils (éditeurs html wysiwyg, norme html 4.0) qui permettent à des non informaticiens de se l'approprier plus aisément qu'au temps de l'écriture html en mode texte sous Unix, y contribue sans doute. Il semble cependant possible malgré ces transformations rapides et ce foisonnement, de rapprocher un grand nombre des sites visités de quelques types que nous désignerons par le biais d'une métaphore.

I. Le serveur vitrine

Les revues à publication papier et les centres de recherches produisent souvent des serveurs qui offrent surtout le moyen de les contacter, la liste et le pedigree des membres de l'équipe ou du comité éditorial et quelques informations sur les publications et productions de l'institution. La logique est ici proche de celle de l'annonce publicitaire, ou du journal de conseil général, il convient de donner à voir et de faire connaître l'existence du groupe. Ces sites demeurent sans doute aujourd'hui encore les plus nombreux. Les exemples possibles sont nombreux. Le lecteur pourra se reporter à la page les revues (http://barthes.ens.fr/clio/pointeurs/revues.html), qui recense plusieurs sites de ce type.

II. Le mémorial

Souvent réalisé par des historiens amateurs, il propose un éclairage pointu sur une région, un domaine de l'histoire. Si les textes proposés sont parfois fragiles, l'intérêt provient souvent de l'iconographie dont la provenance n'est malheureusement pas toujours précisée, mais nous sommes ici dans une logique qui n'est pas celle de l'histoire érudite. On trouve par exemple en langue française le site Normandie 1900-1990 (http://www.teaser.fr/~jpsagaire/norman/norman00.html.

III. Le centre de ressources

Un spécialiste d'un domaine, d'une sous-discipline, ou une équipe de chercheurs mettent parfois en place un serveur qui a pour mission d'offrir à une petite communauté des ressources et des informations pratiques. On y trouve fréquemment des listes de conférences à venir, des bibliographies, l'annonce de publications, des comptes rendus, parfois des manuels en ligne, des logiciels. Dans l'esprit comme dans la forme nous sommes proches du bulletin dont la fonction est autant de mettre en évidence l'existence d'un sous-champ disciplinaire que de promouvoir ce dernier. Le support électronique n'a ici pour avantage que de permettre à des groupes ou des réseaux de taille modeste, qui n'auraient pas les moyens financiers ou humains de créer l'équivalent papier de parvenir à ce stade. Il est de même possible de fournir pour un faible coût de revient une masse d'information supérieure à ce que permet le bulletin, de format souvent réduit. Certains commencent cependant à tirer parti de l'originalité du support en proposant des services (traitement semi automatique de données par exemple) aux lecteurs. On pourra là encore consulter quelques exemples en se reportant à la page les centres de recherche (http://barthes.ens.fr/clio/pointeurs/centres-recherche.html).

IV. La revue électronique

Ces revues deviennent de plus en plus nombreuses dans le domaine des sciences sociales, quoique l'Histoire, et plus encore l'Histoire de langue française, soit assez peu représentée. Les formats sont extrêmement divers, allant de la mise en ligne des papiers au fur et à mesure des arrivées à l'édition à date fixe en passant par la production irrégulière de «numéros». Ceux-ci peuvent juxtaposer des papiers sans liens entre eux, ou être le fruit d'un regroupement thématique. Notons que, dans le monde anglo-saxon, la tendance est à rendre payante la consultation des articles qui ont longtemps été offerts gracieusement. Annual Review Sociology Online (http://www.annurev.org/soc/home.htm), a ainsi cessé depuis peu de permettre à tous l'accès aux textes.

La plupart de ces sites ne font que mettre en ligne une production dont les règles de présentation et la conception s'écartent peu ou pas de celles de la revue papier. C'est alors la recherche d'une diminution des coûts et de la rapidité qui justifie la démarche (1), quoiqu'il ne soit pas certain que les gains en ce domaine soient aussi spectaculaires que certains l'espèrent (2). Quelques-uns cependant commencent à s'éloigner de ce modèle en proposant des services ou des fonctionnalisés nouvelles. Parmi ces innovations on note:

IV. 1. La mise en place de forum

Un ou quelques papiers aux thématiques proches servent de base à une discussion dont tous les éléments sont versés au dossier. L'unité de base n'est plus alors l'article lui même mais l'ensemble formé par celui-ci et les lectures qu'il a suscitées. Les débats organisés par Australian Humanities Review (http://www.lib.latrobe.edu.au/AHR/) fournissent un bon exemple de ces pratiques. Dans la plupart des cas il semble cependant très probable que commentaires et réactions ont été suscités par l'équipe rédactionnelle elle-même et non produits par des lecteurs anonymes ayant soudain envie de saisir leur clavier après lecture. On peut alors se demander si l'interactivité inscrite dans les potentialités du médium ne s'actualise véritablement que lorsqu'elle est activement défendue et provoquée. La mise en ligne de prépublication est à certains égards voisine de la mise en place d'un forum. Le texte dont le caractère provisoire est affirmé peut être considéré comme un appel lancé à l'ensemble des spécialistes du domaine à qui il est demandé tant de valider le texte qu'à la limite de le coécrire (3) . La page Web peut ou non, témoigner de ce travail collectif. Dans le cas des textes proposés par l'University of Oxford Discussion Papers in Economic and Social History (http://www.nuff.ox.ac.uk/Economics/History/), si le caractère provisoire de certains textes est affirmé, au point qu'ils peuvent être retirés après la publication papier, nous ne trouvons pas trace des remarques ou suggestions que ces esquisses ont pu susciter. Une telle pratique n'est pas véritablement neuve puisque nous y avons tous recours, sans l'usage du net, mais elle élargit le cercle des collaborateurs potentiels à l'ensemble des spécialistes. Il serait cependant intéressant de vérifier si l'ensemble formé par les auteurs des réponses et remarques diffère ou non de celui composé des amis, relations et connaissances de l'auteur. Si, en d'autres termes, le passage par la toile favorise la consolidation et la fluidité du fonctionnement de réseaux existants ou si elle contribue à élargir ceux-ci et à en transformer la nature en conduisant les membres reliés à entrer directement en contact avec d'autres que les participants auxquels les lient déjà des relations interpersonnelles ou professionnelles.

IV. 2. L'accès au dossier documentaire

L'un des avantages du réseau est qu'il permet de dépasser les limitations physiques et économiques imposées par le support papier, certains en profitent pour adjoindre à un papier le dossier de recherche constitué à cette occasion, ou comme le groupe du Gresh a pu le faire pour proposer à l'ensemble de la communauté les documents réunis lors de la préparation d'un ouvrage collectif (http://barthes.ens.fr/clio).

IV. 3. Le document multimédia

Certains adjoignent à leur papier des éléments de démonstration ou d'illustration que l'article papier ne permet pas d'intégrer; cela peut aller de la bande son au petit extrait vidéo, en passant par l'utilisation d'une profusion d'images. Cette tendance, née en dehors du champs des sciences humaines peut déjà s'y repérer à quelques expérimentations. Elle semble amenée à s'amplifier, en particulier si le passage sur Internet 2 de la communauté scientifique se fait dans un futur proche. Il restera cependant à vérifier si une telle évolution conduira plus de spécialistes du domaine à prendre pour sources des documents non écrits (ce qui n'est pas une nouveauté) ou si cela servira essentiellement à produire des articles joliment illustrés. La mutation en cours, qui fait de l'article un document multimédia semble cependant moins radicale que celle qui fait de l'unité de base de la recherche le dossier, consultable par certains sans même qu'ils jettent un oeil à la table des matières ou au sommaire du reste de la revue, qui transforme radicalement tant la notion d'auteur que celle de revue. Certains sites poussent cette logique jusqu'à ses conséquences ultimes puisqu'ils sont structurés comme des base de données interrogeables qui renvoient simplement les textes correspondant aux requêtes (4) . Ce n'est cependant pas encore le cas en sciences sociales.

V. Le dépanneur

Les newsgroups et les listes de diffusion permettent depuis déjà longtemps à des chercheurs opérant dans le même champ de poser à l'ensemble de la communauté connectée des questions d'ordre divers, lorsqu'ils rencontrent un problème ou une difficulté dans le cours de leur recherche. On commence à voir sur le réseau des sites qui intègrent cette fonction en reprenant souvent une architecture proche de celle des newsgroups. C'est en particulier le cas des pages du réseau H-net (http://h-net2.msu.edu/), qui proposent en ligne un accès aux archives des listes de diffusion historiques. L'avantage est sans doute qu'en dehors des cercles depuis longtemps habitués à l'usage du réseau, seules les pages Web et le courriel sont véritablement utilisés. Là encore une évolution du procédé est probable ou possible. Certaines grandes entreprises utilisent sur leur intranet des systèmes de blasons, chacune des personnes susceptibles de répondre est définie par une liste de compétences et des indications concernant sa disponibilité. Il est alors possible, en fonction de la question posée de sélectionner les quelques personnes (il est facile de fixer un seuil) les plus à même de répondre et de leur envoyer un courrier (puisque la plupart des navigateurs en usage incorporent aujourd'hui la fonction courrier). Cela évite aux participants d'être encombrés de courriels qui ne les concernent pas (ce qui est l'un des effets secondaires courants de l'inscription à une liste de diffusion). L'efficacité du système dépend cependant du degré d'implication des connectés, de la variété des compétences qu'ils déploient et de leur nombre, ce qui explique sans doute pourquoi ce système (dont la mise en place ne pose pas de problèmes techniques) n'a pas encore débordé l'entreprise.

VI. L'édition érudite

Des acteurs institutionnels variés entreprennent la numérisation de vastes corpus imprimés ou documentaires. La mise à disposition de l'ensemble de la communauté de matériaux difficilement accessibles est au principe de la démarche. La tentative la plus connue en ce domaine est celle initiée par la BNF, avec le Projet Gallica, le dix-neuvième siècle francophone (http://gallica.bnf.fr), qui permet un accès direct à une très riche collection de textes francophones. De telles projets ne peuvent pour le moment prétendre à l'exhaustivité, du fait de l'ampleur de la tâche. Cela conduit ces acteurs à des choix et à proposer soit des dossiers thématiques, soit des échantillons dont la logique de constitution n'est pas toujours claire. Quelques initiatives privées, émanant de chercheurs ou de simples passionnés complètent ces tentatives. Une association de bénévoles s'est ainsi attelée à la numérisation des textes du domaine public francophone, et propose plus de 200 titres en ligne. Il est possible de les consulter sur le site de l'ABU (http://cedric.cnam.fr/ABU). L'échelle n'est cependant pas la même. Cependant, dans les deux cas deux options s'ouvrent: soit numériser le document de départ et proposer un fichier image; soit, lorsqu'il s'agit d'un texte, proposer un texte numérique, ce qui change radicalement la nature du document puisqu'il est alors totalement indexable et manipulable au moyens d'outils d'analyse textuelle ou statistique.

VII. Le méta site

L'extraordinaire croissance du réseau, sa taille, l'absence de hiérarchie de l'information, qui empèchent les moteurs de recherche classiques de référencer plus de la moitié des ressources du Web, conduisent à une multiplication de sites spécialisés dont la seule fonction est de favoriser la navigation sur le réseau (plus exactement pour la plupart d'entre-eux sur le Web). La forme la plus rudimentaire en est la liste de sites consacrés à tel ou tel thème. Elle peut être éventuellement complétée par des conseils, voire de véritables manuels destinés à favoriser les premiers pas de l'internaute débutant. Les sites les plus élaborés structurent l'information sous forme de base de données interrogeables. On pourra, pour quelques exemples, consulter la page Naviguer le Web (http://barthes.ens.fr/clio/pointeurs/navig.html).

VIII. Le Web interne

Les serveurs de nombreux départements universitaires mettent en ligne les informations pratiques et administratives à l'usage de leurs étudiants et professeurs. La définition de ce qu'il est utile d'y porter varie cependant beaucoup d'un lieu à l'autre. Il arrive qu'on y trouve outre la présentation d'un enseignement, la liste des documents qui seront étudiés dans l'année, la bibliographie d'un cours, voire le résumé de celui-ci. L'un des sites proposant la plus riche documentation concernant la révolution française, Course Materials, French (XVIIIe et période révolutionnaire) (http://tuna.uchicago.edu/homes/jack/course.materials.html), est de ce type.

Conclusion

Cette typologie a ses limites, un même site peut remplir plusieurs des fonctions ici définies. Nous pensons cependant que le canevas ici dessiné peut avoir son utilité et servir de support à une grille de description des pages offertes à l'un ou l'autre secteur des sciences humaines, dans le cadre d'une étude plus systématique. D'autant plus que l'on peut combiner à ce premier axe décrivant les fonctions assignées au site deux autres facteurs. Il paraît en effet également possible de classer les pages Web d'un domaine qui irait de l'usage du Web comme nouveau moyen de diffuser un matériau préexistant (dont ni la nature ni la présentation ne change) aux sites expérimentaux, dont les auteurs semblent parfois plus préoccupés par l'exploration des possibilités du médium (interactivité, instantanéité de la communication, possibilités d'indexation et de recherche, intégration d'élément venant de médias divers) que par la définition des informations et services mis en place. Un troisième axe permettrait de décrire la position institutionnelle des créateurs du site (origine géographique, nature de l'institution de rattachement). Combinant ces trois axes, voire quelques autres, il serait alors possible de déterminer avec plus de précisions qui dans ce champs produit quoi et à l'aide de quels outils.

Notes

(1) HARNARD Stevan, Electronic Scholarly Publications, Quo Vadis, Solaris, numéro 3, juin 1996. Retour au texte

(2) LE CROSNIER Hervé, Les journaux scientifiques ou la communication de la science à l'heure du réseau mondial, in CEM-GRESIC, La communication de l'IST dans l'enseignement supérieur et la recherche: l'effet Renater/Internet, Paris, ADBS Éditions, 1995 (Actes du colloque de Bordeaux des 16, 17 et 18 mars 1995) Retour au texte

(3) GINSPARG Paul, «First steps towards electronic research communication», Computer in physics, VIII/4, juillet-août 1994. Retour au texte

(4) CHARTRON Ghislaine: La presse périodique scientifique sur les réseaux, in ROUCHET Michèle (dir.), Les nouvelles technologies dans les bibliothèques, le cercle de la librairie, 1996. Retour au texte


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