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Afin d'examiner l'évolution technologique que peut apporter le numérique à la télévision, l'expérience du téléphone qui a subi une modification technologique comparable me semble très instructive. Tout d'abord le numérique implique un codage binaire, la restitution ne souffre plus des petits défauts de transmission si bien que la qualité du signal n'est quasiment pas altérée. Très appréciable pour le transport des sons, son intérêt est moins évident pour des images télévisées. Les algorithmes de compression sont les nouveaux facteurs limitants, qui déterminent la qualité et la vitesse de réception des fax par exemple. On peut de la même manière avoir des centaines de chaînes d'une qualité d'image comparable à la définition actuelle. L'oeil (et l'environnement neuronal reconstituant la vue) utilise à la fois les images et leur dynamique pour se forger une représentation, la course à la précision des images devrait donc se définir également dans le temps (une page Internet, fixe, demandant une plus grande précision mais une cadence moins élevée alors que les images télévisées peuvent sembler plus précises du fait de leur très grande redondance dans le temps). La qualité du signal vidéo ne semble donc pas un élément majeur du numérique, au contraire, la véritable révolution tient à la possibilité d'ajouter des bits (entité élémentaire du numérique) un peu comme ceux qui rendent «?intelligentes?» nos communications téléphoniques actuelles. Pour la partie la plus visible, on a accès à de nouveaux services facilitant l'interactivité: un appelant saura si je suis au téléphone et pourra me laisser un message, on peut passer d'un interlocuteur à un autre, converser à trois. Cela nécessite d'ajouter des bits organisateurs en plus de la voix, certains sont invisibles à l'utilisateur et servent au routage, à la gestion des communications. A l'extrême, le Minitel consacre l'ensemble de la ligne à un échange de données informatiques.On peut donc s'attendre à ce que la télévision numérique transforme la télévision de manière comparable, augmentant l'interactivité et entraînant une activité de services (Internet étant le média qui leur laisse la plus grande part).
Mais le parallèle avec le téléphone est imparfait. Un téléspectateur contribue très peu au contenu des émissions qu'il reçoit, alors qu'il en est tout autre pour une conversation téléphonique. Dans la culture des opérateurs de téléphone, la diffusion des informations ne joue pas de rôle central comme à la télévision.
De nombreuses études aux Etats Unis et en Europe recherchent la meilleure association entre télévision par câble et commutation téléphonique (menées par Bell Atlantic, l'alliance US West-Time Warner, France Télécom) avec de premiers résultats semble-t-il très prometteurs. Les gains espérés sont le moteur de ces études: de nombreux services pourront être proposés à moindre coût, et ceci sur un réseau mondial. La facilité d'utilisation des liens hypertextes, qui ont été conçus pour imiter les phénomènes d'association du cerveau humain et qui commencent à s'intégrer dans des images (navigateurs VMRL), est certainement vue comme un moyen de sélectionner les clients en vendant une programmation adaptée à chacun.
En effet, les premiers terminaux permettant de lancer un navigateur Internet se branchent sur le poste de télévision, le média qui évolue justement vers une plus grande interactivité. Il suffirait donc d'ajouter quelques bits aux images télévisées pour qu'une émission puisse piloter ces terminaux. Une page Web pourrait s'afficher sur simple choix du téléspectateur moyennant par exemple l'ajout d'une touche supplémentaire sur la télécommande. Imaginons-nous à la fin d'une émission classique, le présentateur proposant des pointeurs sur des publications scientifiques (éventuellement multi-médias) destinées à assouvir différents niveau d'approfondissement. Ce type de sélection sera transposable également aux émissions sportives (avoir accès à un résumé, un historique, etc.), aux publicités (adaptable individuellement, permettant l'achat en direct) et aux autres émissions. Les études des différentes alliances des géants américains (la plus récente entre Compaq et Thomson Consumer Electronic) sur le sujet fleurissent; à n'en point douter une forme de couplage entre Internet et l'écran télévisé fera un jour partie de notre quotidien. Il faut dire que la télévision touche un public de masse, et souffre de problèmes parfaitement symétriques des préoccupations liés au réseau Internet.
Alors que la compression d'images ouvre des quantités de canaux dont personne ne sait quoi faire, Internet est fréquemment saturé pour les quelques privilégiés qui y ont accès. Les mécanismes de tarification qui permettraient de rationner l'offre ne sont pas résolus: actuellement chaque distributeur paye un forfait pour un accès selon une certaine largeur de bande, et revend un accès individuel. On a ainsi une cascade d'abonnements, chaque distributeur empochant son bénéfice sans que l'on sache qui paye quoi, et ceci dans une absence totale de rationnement puisque l'on ne paye qu'une communication locale. Une tarification à la consommation semble irréaliste: les utilisateurs ne sont pas toujours prêts à payer des transferts de données coûteux en occupation du réseau s'ils en ont une utilité faible (vidéo, images), alors qu'au contraire cela se conçoit parfaitement pour d'autres transferts moins saturants et très utiles (e-mail, texte). La qualité supposée de l'information semble sur ce point le critère déterminant: pour le prix d'un journal papier (voire gratuitement) on peut se procurer la version électronique de la presse à grand tirage (de USA Today jusqu'au Monde). On voit également des publicités apparaître sur les pages Web les plus fréquentées, l'audimat ayant trouvé son équivalent sur le réseau: la tarification s'opère dans la logique télévisuelle qui partage les recettes entre l'abonnement, les publicités et le payement à l'acte.Il est particulièrement étonnant de remarquer que la convergence entre ces deux supports d'information se réalise sans planification centrale. Certes, il y a une volonté politique (en particulier aux Etats Unis) de réaliser des autoroutes de l'information. Néanmoins le rapprochement de la télévision avec Internet (et inversement) s'opère par l'équilibre entre l'offre technologique et les desiderata des utilisateurs potentiels: d'un coté le zapping a inspiré des chaînes multiples (comme multivision ou bien un «bouquet» Canal+ qui permettrait de choisir l'angle de la prise de vue pour un match de football) de l'autre certains serveurs Web essayent d'attirer des lecteurs pour se financer par la publicité.Pour la télévision, la répartition d'audience entre les chaînes généralistes et les chaînes spécialisées est également révélatrice de l'attente du public de masse: si la curiosité peut les amener sur certaines chaînes spécialisées, les plus grosses parts de marché qui font le succès des chaînes généralistes ne tiennent pas entièrement à la qualité des programmes. Ces dernières réalisent une fonction de «forum social» Ñdivertissant, informantÑ vulgarisateur de la culture et des connaissances. Dans une certaine mesure, en jouant ce rôle central de la vie sociale, la télévision généraliste supplée les personnes âgées dans cette fonction de transmission du savoir entre générations que l'accélération de l'évolution technologique a en partie entravée.
Une fonction similaire de redistribution du savoir apparaît également dans la structure du réseau Internet: des serveurs par thèmes ou bien des serveurs de recherche exercent une fonction de documentaliste vis-à-vis d'une information bien trop dispersée. Mais la complexité des tâches de recherche Ñque ce soit dans l'utilisation de l'informatique, des fonctions logiques ou dans la connaissance des sites intéressantsÑ ne permet pas une ouverture à un grand public. D'autre part les médias classiques ont déjà colonisé la planète Internet et fournissent d'ores et déjà des liens vers des adresses intéressantes, remplissant ainsi dans quelques domaines leur rôle de documentaliste. Les plus grands tirages de la presse écrite proposent un cahier multimédias, et les chaînes ont presque toutes leur serveur attitré.
On conçoit donc qu'un rapprochement physique avec la télévision s'intègre dans une logique qui a son équivalent dans la presse écrite: l'information diffuse des spécialistes vers les non-spécialistes selon une stratification des publications. Les liens bibliographiques forment une toile dont les extrémités trouvent leurs sources dans les publications de recherche et autres articles spécialisés, convergeant vers les médias: combien d'articles scientifiques d'hebdomadaires à grands tirages sont-ils inspirés d'articles dans Nature ou d'autres publications spécialisées? Cette stratification se retrouve dans le milieu de la recherche où les publications théoriques nourrissent des textes plus appliqués. Pour proposer différents degrés d'approfondissement, la forme la plus naturelle est le lien hypertexte car il a été créé précisément dans ce but. On peut par exemple imaginer une page de présentation d'un documentaire ayant des liens bibliographiques hypertextes et qui serait payant en fonction de la ramification désirée (par exemple en fonction du degré de spécialisation): le documentaire le plus général serait payé par la publicité, puis d'autres documentaires plus précis seraient payants à l'acte, ainsi que le stockage des publications importantes sur un support adapté (avant une éventuelle impression). Ce type d'utilisation a néanmoins un inconvénient majeur: il profite pleinement à l'utilisateur et c'est donc lui qui doit payer. Dans certain cas on peut s'attendre à ce que peu de consommateurs soient prêts à payer pour les informations les plus pointues. En matière culturelle, le CD-ROM semble un moyen plus adapté à la commercialisation: l'acheteur peut le réutiliser à sa guise et le support garantit une bonne protection des droits d'auteurs, on peut donc trouver un prix qui satisfait les deux parties.
Néanmoins l'idée d'une chaîne culturelle fournissant des liens sur des sites plus spécialisés me semble avoir une utilité sociale bien supérieure à celle que peut apporter tel ou tel marché commercial, une initiative en la matière me semble donc relever des pouvoirs publics. On pourrait imaginer que les lycées, les universités développent des produits multimédias (pourquoi les thèses ou séminaires de divers niveaux ne pourraient-ils pas se publier sur un support multimédias?) et que ces produits, moyennant diffusion du nom de leur auteur, soient utilisables pour un coût adapté par des émissions interactives à vocation culturelle.
On a donc quelques pistes d'utilisation d'une télévision numérique, mais l'on peut toujours se demander comment les grandes entreprises du marché vont utiliser ces liens. Entre les mains des grands industriels, la télévision interactive serait un formidable moyen de manipulation. Imaginons une publicité interactive pour une voiture. L'automobile évolue dans un paysage mais si vous le souhaitez vous pouvez modifier son parcours (un peu comme dans un jeu vidéo, procédé qui existe déjà avec un navigateur VRML). Vos choix seront révélateurs de certains goûts (vous pourrez avoir dirigé la voiture vers la campagne ou faire de la vitesse sur une autoroute) qui pourront conditionner les publicités qui suivent (des produits naturels dans le premier cas, une marque de sport dans le second). Au bout d'un certain nombre de choix, les publicités pourraient devenir très ciblées et rendre le zapping commercialement efficace. Le rêve des publicitaires serait certainement d'utiliser ces informations pour finalement vous proposer un produit que vous pourriez acheter en direct, en envoyant le code confidentiel de votre carte (par une transmission cryptée). A n'en pas douter, de nouveaux comportements pourraient apparaître: si le zapping classique devient une des composantes informationnelles, quels nouveaux détournements pourront inventer les utilisateurs?
Des traces profondes d'une symbiose entre le petit écran et le réseau mondial apparaissent maintenant clairement, mais quelle utilisation effective en feront les différents protagonistes ? S'il est clair que l'utilisateur cherchera à être mieux informé, instruit ou diverti, les grands groupes y verront pour leur part un moyen d'augmenter leurs profits. Le rôle de l'Etat sera alors fondamental pour permettre une diffusion des connaissances universitaires. De plus, la stratification de l'information peut avoir bien d'autres utilités sociales: interdire à l'utilisateur de choisir un site qui ne lui est pas proposé possède de nombreux avantages. Ce principe est à la base du processus de tarification qui regroupe deux logiques: d'une part on ne peut payer pour un produit que si l'on a une idée de sa qualité et d'autre part un annonceur ne diffusera que s'il peut toucher un public soit très large, soit très spécifique. La restriction du nombre de chaînes évite une dispersion, et permet l'établissement d'une réputation pour des émissions dont la sélection qu'elles opèrent et la hiérarchisation qui se crée justifient un payement. Mais ces mécanismes devraient également faciliter la désignation des responsabilités vis-à-vis de la loi, chaque lien ayant forcément été fourni par des acteurs identifiables.
Une utilisation du numérique et des liens hypertextes dans le domaine des médias pourrait donc ouvrir un marché informationnel entre les trois pôles qui consomment et révèlent de l'information: les utilisateurs, les entreprises et l'Etat.
Copyright © 1996 Frédéric ZANA. All rights reserved.
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