Les historiens, leurs revues et Internet

Les sites des archives départementales françaises état des lieux

Philippe Rygiel, Université Paris I et Équipe Réseaux Savoirs Territoires (Ens)

Nous voudrions ici explorer, non pas tant les promesses que le réseau offre aux historiens, que le produit, à une date, donnée, de l'activité d'institutions liées à l'activité historienne. Il ne s'agit pas là de condamner implicitement les textes programmatiques ou théoriques qui tentent de discerner les futurs possibles, nous nous sommes nous-même déjà livrés à cet exercice[2], mais d'observer les produits de l'activité concrète de professionnels et d'institutions confrontés à internet. L'usage de l'informatique et la pratique des réseaux sont aujourd'hui assez fréquents pour que nous puissions examiner des usages institutionnels et professionnels du réseau, normaux ou routiniers, et non seulement quelques entreprises pilotes et quelques sites expérimentaux. Ce type d'enquête, à la fois étude des formes de l'appropriation d'un dispositif technique et pour les historiens que nous sommes, confrontés à de rapides transformations des dispositifs de production et de diffusion du savoir historique, production de matériau nourrissant une réflexion sur les changements en cours, est rarement conduit de façon systématique, ce qui suffit à justifier son utilité.
Les sites des archives départementales offrent dans cette perspective un bon point d'observation. Ils sont en effet nombreux, ce qui permet de repérer des tendances, et de ne pas surestimer peut-être la rapidité des bouleversements que promettent quelques sites exceptionnels. D'autre part, les institutions les produisant et les nourrissant ont mêmes missions, même organisation et même statut, et sont animées par des personnels ayant bénéficié de formations similaires, même si bien sûr elles ne disposent pas toutes des mêmes moyens humains et financiers, ceux-ci dépendant tant de la taille du service que de la générosité ou de l'indifférence des conseils généraux. La comparaison en devient à la fois plus facile et plus pertinente et la diversité constatée dans la mise en œuvre des outils réseaux nous prémunira des explications paresseuses qui rapportent aux seules caractéristiques de l'outil les processus d'appropriation.
Le dispositif d'observation que nous avons adopté est simple. Nous avons repéré
les sites à l'aide de moteurs de recherches (google et alta vista), et de plusieurs portails. Lorsque cela ne permettait pas de trouver le site, cette recherche était complétée par la visualisation du site du conseil général, qui, la plupart du temps, héberge les sites des AD, ou à tout le moins pointe vers ceux-ci. Nous avons pu ainsi visiter le site de toutes les Archives départementales, ou trouver mention de l'inexistence de celui-ci. Chaque site a été décrit à l'aide d'une fiche qui regroupait des informations concernant le contenu du site[3], et quelques éléments techniques (langages utilisés, utilisation ou non de balises méta, dispositifs interactifs, hébergeur). Cette description est bien sûr incomplète puisqu'elle ne prend pas en compte les aspects formels de ces sites (nombre de pages, disposition de l'information sur la page par exemple), mais nous ne nous intéressions ici qu'aux fonctions assignées à ces dispositifs.
Il s'ensuit que notre propos est essentiellement descriptif, nous n'avons pas mené d'entretiens auprès du personnel des archives départementales, ni observé en situation le fonctionnement des services chargés de la mise en place des sites, non plus que nous n'avons étudié les textes émanant de la direction des archives de France définissant les usages souhaitables des réseaux. Nous pouvons donc présenter un corpus de productions électroniques, suggérer peut-être quelques hypothèses rendant compte de certaines des formes qu'elles prennent, mais nous n'avons pas ici les moyens de tester solidement celles-ci à partir de la reconstitution de la genèse de celles-ci, non plus que d'une connaissance fine des contextes institutionnels et locaux. Ajoutons que ce texte ne saurait viser à établir un palmarès, d'une part parce que tel n'est pas notre propos, d'autre part parce que l'appréciation des produits proposés ne peut avoir de sens sans la connaissance des conditions concrètes de réalisation de ceux-ci.

I Modestie et redondances


Le premier constat est celui d'une très grande diversité. Nous rencontrons, de l'inexistence du site au projet ambitieux et déjà abouti, en passant par la simple page html mentionnant informations institutionnelles et pratiques, toutes les situations, même si les sites modestes, en termes de contenu, à l'architecture simple et similaires sont la norme. D'après notre enquête, 12 des 99 archives départementales n'avaient pas, courant juillet 2004, de site internet accessible. Nous comptons parmi ceux-ci les trois disposant d'une page[4] annonçant qu'une page d'information est en construction.
La plupart des 87 autres sites sont des plaquettes électroniques de présentation de l'institution, offrant, avec plus ou moins de détail, une présentation de ses missions et de ses locaux, et permettant parfois un contact électronique par le biais d'une adresse mèl. Dans quelques cas, ces données de base sont complétées par une page évoquant l'actualité de l'institution, l'organisation d'expositions par exemple. Si nous distinguons ceux-ci de sites de service ou de travail, que nous définissons par le fait qu'ils offrent des ressources permettant à un visiteur potentiel de réaliser à distance une partie des tâches habituellement accomplies in situ (consultation des inventaires, consultation de documents, consultation d'un guide de recherche), alors nous disposons de 48 plaquettes de présentation et de 39 sites de service. C'est là surestimer le poids de ces derniers, puisque certains ne figurent-ils dans cette catégorie que parce qu'ils proposent l'accès à quelques documents choisis pour leur valeur illustrative, ou décrivent de façon précise les sous-séries du cadre général de l'inventaire. Seuls sept sites proposent un accès à la fois à des documents numérisés, à des inventaires et à un ou plusieurs guides de recherche, une vingtaine offrent deux de ces trois types de données.
Les dispositifs d'écriture mis en œuvre sont de même souvent simples et de conception ancienne. L'utilisation du langage de description de document XML[5], qui tend pourtant à devenir la norme en matière d'informatique documentaire professionnelle, est très rare. Le recours à des scripts complexes est peu fréquent,, une dizaine de concepteurs utilisant php, autant asp, qui sont à l'heure actuelle les deux langages les plus fréquemment utilisés par les créateurs de sites dynamiques. Dans la majorité des cas, les sites associent html, feuilles de style et parfois javascript, même s'il existe bien sûr des exceptions. Le site des A.D. des Alpes maritimes[6] propose ainsi un accès en ligne à ses bases documentaires au moyen de dispositifs logiciels efficaces, faisant partie des neuf sites qui permettent un accès à distance à une ou des bases de données. Plus surprenant peut-être, certaines des fonctions de base de l'html sont très rarement utilisées. L'interactivité, même sous sa forme minimale d'envoi de formulaire html ou d'offre de choix de navigation, est très rare. Nous l'avons rencontré une dizaine de fois, quelques A.D. offrant la possibilité de commander en ligne certaines de leurs publications ou de remplir à distance un formulaire d'inscription. Deux exceptions à cela, que nous signalons parce qu'elles témoignent de la présence chez certains d'une séduisante volonté exploratoire, nous sont offertes par les sites du Lot et Garonne[7] et de la Mayenne. Dans le premier cas les internautes sont appelés à participer à l'identification de lieux et de personnes figurant sur des clichés détenus par les archives départementales, dans le second ils sont conviés à participer à l'élaboration d'une base de données recensant les remarques portés en marge des registres paroissiaux ou d'état civil par les curés et officiers d'état civil. Ces remarques sur la vie des paroisses et communes sont indexées par lieu et par date.
Peu attirés par l'interactivité, les concepteurs de site sont de même réticents à utiliser les ressources de l'hypertexte[8]. Les liens externes sont extrêmement rares, même ceux renvoyant à d'autres sites d'archives.
Nous sommes tentés d'expliquer la modestie de beaucoup de réalisations par la faiblesse des moyens disponibles, les archives départementales sont, notoirement, des institutions pauvres, par le fait aussi que leur personnel, et en premier lieu les archivistes-paléographes en poste ont pour la plupart été formés avant que l'irruption de l'informatique documentaire et des réseaux ouverts ne transforment les conditions de conservation et de structuration des systèmes d'information. L'impression demeure cependant qu'elle s'explique aussi par la difficulté des acteurs à s'approprier certains des concepts qu'internet met en œuvre. L'absence de liens externes, conjuguée à la redondance des informations fournies par de nombreux sites en est pour nous un indice. Beaucoup, ainsi, précisent en une page les missions, telles qu'elles sont établies par les textes, des archives départementales, près de 25 proposent l'accès au cadre de classement des séries des archives départementales, tel qu'il est fixé au niveau national, et les guides de recherche, parfois très bien faits, offrent cependant souvent les mêmes informations d'un site à l'autre. Ainsi, 21 sites proposent-ils un ou plusieurs guides, pour un total de 33 de ceux-ci, ce qui nous permet de disposer de 16 guides de recherches généalogiques et de quatre guides permettant de faire l'histoire de sa maison. Il ne s'agit pas ici de contester la place donnée aux généalogistes et à la généalogie, ou à l'érudition locale, mais de remarquer que l'informatique documentaire est censée éviter la reproduction des mêmes tâches et le réseau favoriser la mutualisation des ressources, logiques qui sont loin ici d'être mises en œuvre.

II] Une nouvelle génération de sites


Le constat cependant ne vaut pas pour tous, il pourrait de plus prochainement ne plus être d'actualité, quelques sites, tant par les services qu'ils offrent déjà, que par les réalisations en cours qu'ils annoncent, témoignent de ce que la carte des sites archivistique est en plein bouleversement, que permettent des investissements lourds, à l'échelle des ressources des centres d'archives[9], et le recours à des professionnels de l'informatique dont les productions ont peu à voir avec les bricolages pionniers des passionnés dont témoignent encore certains sites[10]. Il semble qu'il nous faille examiner ceux-ci si nous voulons savoir de quoi demain sera fait, ou du moins quelles tendances sont à l'œuvre.
Trois sont aisément repérables dont nous retrouvons l'écho au travers de la plupart des sites complexes : la mise à disposition des inventaires – sous forme de fichier téléchargeable ou plus rarement d'accès à une base de données -, la mise en place de programme de numérisation des archives elles-mêmes, la possibilité d'interroger une ou plusieurs bases de données. Le premier de ces choix est aussi le plus fréquent, 26 services départementaux offrent la possibilité de consulter en ligne tout ou partie de leurs inventaires. C'est assez peu surprenant dans la mesure où, pour les inventaires récents dont existe une version informatique, la mise à disposition par le biais d'Internet est une opération aisée et peu coûteuse. Elle offre de plus l'avantage de permettre à une partie des visiteurs de réduire le temps de leur présence nécessaire sur site, ce qui, pour beaucoup de services confrontés à un afflux de visiteurs dépassant leurs capacités constitue un avantage indéniable. De fait, lorsque peu d'inventaires sont en ligne, le choix se porte sur les inventaires des séries de l'état civil, ou des archives notariées, qui sont de loin les plus consultés de tous.
La numérisation de documents d'archives et l'offre d'un accès à ceux-ci par le biais d'un site web et plus rare. Elle est cependant le fait de 22 services d'archives qui nous offrent 40 collections de documents. Les choix opérés sont assez remarquablement similaires d'un site à l'autre. Les documents images sont extrêmement nombreux, nous pouvons consulter 7 collections de documents photographiques, deux collections de cartes et de plans, une de gravures du dix-neuvième siècle, 10 dossiers présentant les pièces exceptionnelles détenues par les archives, qui font une large place à ce type de document et, mais le cas est assez particulier, quelques exemples de la collection de films amateurs détenus par les A.D. de Loire-atlantique[11]. Ces dossiers constituent donc un peu plus de la moitié de ceux proposés par les archives départementales françaises, alors qu'ils ne représentent qu'une part infime des fonds détenus. Nous pouvons lire dans ce choix à la fois la confirmation de l'intérêt accru des centres d'archives pour les documents iconographiques et photographiques, la volonté de proposer des pages attrayantes, ce qui si l'on en juge par exemple par l'évolution des manuels du secondaire est généralement associé à la multiplication des images. Nous faisons enfin l'hypothèse que la présence parmi les concepteurs de site d'individus ayant eu une formation de maquettiste ou de graphiste contribue à cette valorisation de l'image.
Il est également fréquent que soient proposées des archives de type sériel, en particulier le cadastre ancien (4 fois), et tout ou partie de l'état civil ancien (4 fois et l'on peut associer à ces quatre sites celui qui propose une numérisation de partie de ses fonds notariés). Le choix là encore surprend assez peu. Ces documents sont parmi les plus consultés, le souci d'éviter leur détérioration autant que celui d'éviter la surcharge des salles de lecture incite à en proposer la consultation à distance, d'autant que ces données comportent leur propre indexation (a minima par lieu et par date), ce qui facilite la construction de bases de données en autorisant la consultation à distance. Il ne faut de fait pas sous-estimer l'importance de ce facteur. La mise au point de systèmes de description et d'indexation de documents archivistiques est une opération difficile et complexe[12].
De façon générale, les sites observés sont conçus en fonction des besoins ou des attentes du public de l'institution, et les généalogistes sont particulièrement nombreux au sein de celui-ci, ainsi que les curieux d'histoire locale. Précisons que nous n'entendons pas ici proposer un schéma qui postulerait la transparence de besoins auxquels l'institution répondrait par la mise en place d'une solution technique neutre en termes sociaux et savants[13]. Nous remarquons simplement que les dispositifs mis en place ont pour premiers destinataires des membres clairement définis du public des Archives départementales. Nous en retrouvons les effets, nous l'avons vu plus haut, dans le choix des guides, des inventaires et du type de documents d'archives proposés au public. L'examen des périodes et des thématiques associées aux collections de documents proposés ne fait que renforcer cette conclusion. La période contemporaine, le vingtième siècle en particulier, avec les deux moments que sont la belle époque et la seconde guerre mondiale, qui, il suffit pour s'en convaincre de parcourir les rayons d'une librairie, suscitent énormément d'intérêt dans le public, se taillent la part du lion. Certains signes laissent supposer que ces choix ne sont pas seulement le produit des représentations que se font les personnels des centres d'archives des besoins de leur public, mais sont guidés par le produit de la consultation de celui-ci, voire infléchis par la participation de certains de ses éléments. Les archives départementales de la Haute Vienne ont ainsi, dès 1999, mené une enquête auprès de leurs lecteurs, demandant à ceux-ci de préciser le type de services auxquels ils désiraient accéder à distance. Ceux-ci, nombreux à répondre, ont massivement écrit qu'ils souhaitaient un site de services, rêvant de fonds numérisés et impatients d'accéder de chez eux à des instruments de recherche[14]. De fait, les évolutions constatées sont proches d'innovations explicitement souhaitées par de nombreux utilisateurs réguliers.
Il nous semble cependant que la prise en compte des lecteurs que sont les généalogistes et dans une moindre mesure les curieux d'histoire locale, n'est pas seulement liée à leur nombre, mais au fait que, collectivement, par le biais de leurs associations, ou individuellement, ils ont parfois su se montrer prêts à s'associer aux efforts entrepris. Plusieurs sites en témoignent. Celui des A.D. des Côtes d'Armor[15] propose ainsi l'accès à une base de données rassemblant des relevés d'actes d'état civil collectés par des associations de généalogistes. Si les sites des archives semblent souvent leur être destinés, plus qu'aux professionnels de l'histoire, nous faisons volontiers l'hypothèse que cela ne reflète pas seulement l'avantage du nombre dont jouissent ces derniers, mais aussi le fait qu'à notre connaissance, que ce soit à titre collectif ou à titre individuel, les historiens n'ont guère cherché à être partie prenante de la création de ces objets.
La troisième tendance repérable au travers de l'examen de ces sites fournis est l'apparition de modules d'interrogation de bases de données. Le cas est encore rare, puisqu'il ne concerne que neuf sites. La relative nouveauté de la chose – les sites dynamiques ne se multiplient que depuis deux ou trois ans – autant que le coût de ces outils, dont la mise au point exige plus de temps et plus de compétences informatiques que ceux de la génération précédente, l'explique en partie. Les bases de données mises en ligne sont de trois types. Certaines décrivent des inventaires, évolution qui d'un point de vue technique est logique. Les services d'archives disposent aujourd'hui de logiciels, en particulier d'Arkhéïa, destinés à la constitution des inventaires qui produisent des documents électroniques structurés dont le portage sur le web est assez aisé.
D'autres bases décrivent les collections de documents mis à disposition, en particulier lorsque ceux-ci sont des documents de type sériel, (cadastre, état-civil), données qui là encore, de par leur structure, se prêtent à la construction de bases de données. Quelques'uns enfin se sont lancés dans la construction de base de données documentaires. C'est le cas en particulier des Archives départementales de la Martinique[16] qui nous proposent une base consacrée à l'histoire de Saint-Pierre, ou des Archives des Alpes Maritimes qui proposent un choix impressionnant, dont une très étonnante base de données permettant de retrouver la trace d'un immigré italien ayant séjourné dans le département entre 1840 et 1935, données d'état civil et cote des dossiers dans lesquels il est mentionné à l‘appui[17]. Là encore le coût et la complexité de telles opérations explique leur rareté, même s'il faut faire la part des stratégies et des représentations des archivistes, dont certains mettent en cause, et pour des raisons qui ne sont pas triviales, la pertinence de tels investissements. Alain Paul, directeur des archives départementales des Hautes-Alpes doute ainsi de l'intérêt de la mise à disposition du public de modules d'interrogation de bases de données documentaires, dont écrit-il :“ il ne sera jamais certain qu'elle sera bien pertinente quant au résultat, la réponse valable étant conditionnée par le bon paramétrage sémantique de la question et son étroite adéquation avec le vocabulaire documentaire utilisé.[18]

Si les tendances repérées ici sont les plus lourdes, et préfigurent sans doute les réalisations des années à venir, elles n'épuisent pas le champ des possibles, ni même ne suffisent à présager de ce que sera le web archivistique d'ici quatre ou cinq ans. D'une part en effet tant l'évolution des outils que les transformations, plus lentes, des représentations et de la formation des personnels sont susceptibles de nous valoir quelques surprises, d'autre part certains sites témoignent d'une volonté exploratoire et expérimentent des dispositifs, parfois techniquement simples, signe d'une réflexion en cours, qui est dans le monde des archivistes, comme dans celui des documentalistes, collective, ce dont témoigne par exemple la tenue de réunions annuelles consacrées à l'informatique documentaire et à ses applications[19] Nous avons évoqué, dans les lignes qui précèdent, quelques exemples d'interacivité ou des choix de documents atypiques, appartiennent aussi à cette catégorie les essais de quelques services éducatifs –chaque centre d'archives départementales est doté d'un tel service animé par un enseignant du secondaire détaché- qui proposent, outre des informations sur leurs activités, des modules d'exercices pour la classe, ou, pour les plus audacieux, des exercices de paléographie[20]. Quelques services enfin proposent une ou plusieurs expositions virtuelles, à la suite souvent d'expositions tenues aux Archives départementales. C'est le cas par exemple de la Haute-Vienne qui propose une exposition consacrée au tour de France – nous sommes au pays de Raymond Poulidor et de Pascal Hervé – ou des Archives du Vaucluse qui mettent en ligne plusieurs expositions.


L'écho de la “révolution Internet » apparaît singulièrement assourdi lorsque l'on visite les sites des Archives départementales françaises. La règle demeure la modestie des ressources proposées et la simplicité des dispositifs mis en œuvre, voire l'ignorance de certains des principes de base du média qu'est le WWW. La règle cependant connaît de nombreuses exceptions, et pour certains le site n'est déjà plus un outil dont on explore les possibilités mais un instrument de travail bénéficiant d'une attention et d'investissement soutenus. Toutes les situations intermédiaires étant représentées, le visiteur peut avoir l'impression de se voir offrir une coupe géologique, saisissant d'un coup plusieurs étapes du développement du web archivistique français, du désintérêt au bricolage pionnier en passant par le site institutionnel. L'intérêt de cette diversité n'est pas seulement historique. Nous pouvons aussi considérer cette diversité comme le produit de logiques locales extrêmement diverses, dont les déterminants sont les ressources (tant des archives que des conseils généraux), et l'intérêt des uns (les conseils généraux), pour les archives et le monde numérique, ou des autres (les archivistes) pour les outils numériques, voire tiennent aux rapports qu'entretiennent localement services d'archives et conseil général. De ce fait, et la conclusion dépasse le cas étudié, il apparaît que les formes d'appropriation du même outil peuvent être extraordinairement diverses, alors mêmes que les populations et les contextes institutionnels sont ici très similaires, ce qui nous permet de souligner ce que celles-ci doivent au contexte social de leur emploi.

Même si l'exploration des possibilités du médium est loin d'être achevée, quelques tendances se dégagent de l'examen des sites les plus ambitieux. La mise en ligne des inventaires est en cours, tout laisse à penser qu'elle sera d'ici quelques années la règle. Il semble probable que la mise en ligne d'une partie des fonds eux-mêmes, couplée à l'usage de bases de données, est appelée à se développer, mais elle servira sans doute plus les attentes des généalogistes que celles des historiens, hormis ceux d'entre eux qui utilisent avec assiduité état civil et cadastre. Nous ne voyons pas là une raison de s'indigner, mais l'illustration du vieil adage qui veut que les absents aient toujours tort. Les historiens, en tant que groupe professionnel, sont remarquablement absents des débats et des chantiers que suscitent les développements de l'informatique documentaire et d'Internet. Les évolutions qui se font sans eux ne sauraient se faire pour eux.

[1] Philippe Rygiel est maître de conférences à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, membre du Centre d'Histoire Sociale du vingtième siècle et de l'Équipe Réseaux-Savoirs-Territoires
[2] Rygiel P. "L'offre faite aux historiens. Essai de description des services web offerts aux professionnels de l'Histoire contemporaine", Guichard E., Internet et les chercheurs, rapport final au ministère de l'enseignement et de la recherche, 1998., Rygiel P., Les sources de l'historien à l'heure d'Internet, Hypothèses, 2003, pages 341-354.
[3] Nous avons retenu comme variable descriptive pertinente la présence des rubriques suivantes : pages du service éducatif, guide des publications, informations pratiques, présence de documents numérisés, inventaires, informations institutionnelles, guides de recherches. Une dernière rubrique rassemblait un ensemble de remarques et de commentaires inspirés par le dépouillement du site.
[4] Nous appelons page, dans la suite de ce texte, suivant l'usage proposé par Jacques Anis, « (...) un ensemble de données non verbales et iconiques susceptibles d'être visualisé sans rupture. » cf. Jacques ANIS, Texte et ordinateur. L'écriture réinventée ?, Paris/Bruxelles, De Boeck Université, 1998, page 195.
[5] XML est l'acronyme d'eXtensible Markup Language. Le consortium W3C maintient une page d'information consacrée au projet XML à http://www.w3.org/XML/Activity.html.
[6] http://www.cg06.fr/culture/culture-archives.html
[7] http://www.cg47.fr/archives/
[8] Nous prenons le terme en son sens le plus courant, tel que défini par l'inventeur de la notion. Il s'agit alors d'une «(...) écriture non séquentielle, texte qui se ramifie (...). On se le représente généralement comme une série d'unités textuelles connectées par des liens. » in Theodor NELSON, Literary Machines 93-1, Mindful Press, Sausalito CA.
[9] D'après Alain Paul, directeur des A.D. des Hautes-Alpes, la conception du site des Yvelines, (http://www.cg78.fr/archives/), qui est l'un des sites les plus riches, confié à une société informatique, aurait coûté 100 000 francs (nous n'avons pas d'indications concernant les coûts de maintenance). Paul (Alain), Bases de données contre liens documentaires, http://www.culture.gouv.fr:80/adha/bdcontrelh.html, pas de date de mise en ligne, fin des années quatre-vingt-dix.
[10] Le site des A.D. Mayenne est ainsi hébergé par Wanadoo, vraisemblablement à l'initiative d'un membre du personnel des A.D. de la Mayenne http://perso.wanadoo.fr/archives.53/.
[11] http://culture.cg44.fr/Archives/
[12] Le lecteur pourra se reporter à Rolando Minuti, Internet et le métier d'historien, Paris, PUF, 2002, particulièrement les pages 54 et suivantes.
[13] Sur ce point on verra Lucien SFEZ, Technique et idéologie, un enjeu de pouvoir, Paris, Seuil,2002, particulièrement les pages 75 et suivantes.
[14] Nous remercions le personnel des A.D. de Haute Vienne d'avoir bien voulu nous transmettre ce document.
[15] http://archives.cg22.fr/
[16] http://www.cg972.fr/ArchivesMartinique/index.htm
[17] http://www.cg06.fr/os-html/immi/home.html
[18] PAUL Alain, article cité.
[19] Il existe ainsi un club des utilisateurs du logiciel d'archive Arkheia, qui tient des réunions annuelles au cours desquelles sont évoquées les problèmes posés par l'informatique et l'archivistique documentaire http://www.cc-parthenay.fr/clubarkheia/archives/.
[20] C'est en ce domaine encore le site des A.D. des Alpes maritimes qui apparaît pionner, proposant de nombreux modules d'exploration de documents d'archives destinés à des classes de niveau différent et des exercices de paléographie corrigés.

[ Retour à l'index de la rubrique ]