Les historiens, leurs revues et Internet
Les sites des archives départementales
françaises état des lieux
Philippe Rygiel, Université Paris I et Équipe
Réseaux Savoirs Territoires (Ens)
Nous voudrions ici explorer, non pas tant les promesses
que le réseau offre aux historiens, que le produit, à une date,
donnée, de l'activité d'institutions liées
à l'activité historienne. Il ne s'agit pas là
de condamner implicitement les textes programmatiques ou théoriques qui
tentent de discerner les futurs possibles, nous nous sommes nous-même
déjà livrés à cet
exercice
[2], mais d'observer les produits
de l'activité concrète de professionnels et
d'institutions confrontés à internet. L'usage de
l'informatique et la pratique des réseaux sont aujourd'hui
assez fréquents pour que nous puissions examiner des usages
institutionnels et professionnels du réseau, normaux ou routiniers, et
non seulement quelques entreprises pilotes et quelques sites
expérimentaux. Ce type d'enquête, à la fois
étude des formes de l'appropriation d'un dispositif technique
et pour les historiens que nous sommes, confrontés à de rapides
transformations des dispositifs de production et de diffusion du savoir
historique, production de matériau nourrissant une réflexion sur
les changements en cours, est rarement conduit de façon
systématique, ce qui suffit à justifier son utilité.
Les sites des archives départementales offrent dans
cette perspective un bon point d'observation. Ils sont en effet nombreux,
ce qui permet de repérer des tendances, et de ne pas surestimer
peut-être la rapidité des bouleversements que promettent quelques
sites exceptionnels. D'autre part, les institutions les produisant et les
nourrissant ont mêmes missions, même organisation et même
statut, et sont animées par des personnels ayant
bénéficié de formations similaires, même si bien
sûr elles ne disposent pas toutes des mêmes moyens humains et
financiers, ceux-ci dépendant tant de la taille du service que de la
générosité ou de l'indifférence des conseils
généraux. La comparaison en devient à la fois plus facile
et plus pertinente et la diversité constatée dans la mise en
œuvre des outils réseaux nous prémunira des explications
paresseuses qui rapportent aux seules caractéristiques de l'outil
les processus d'appropriation.
Le dispositif d'observation que nous avons adopté
est simple. Nous avons repéré
les sites à l'aide de moteurs de recherches
(google et alta vista), et de plusieurs portails. Lorsque cela ne permettait pas
de trouver le site, cette recherche était complétée par la
visualisation du site du conseil général, qui, la plupart du
temps, héberge les sites des AD, ou à tout le moins pointe vers
ceux-ci. Nous avons pu ainsi visiter le site de toutes les Archives
départementales, ou trouver mention de l'inexistence de celui-ci.
Chaque site a été décrit à l'aide d'une
fiche qui regroupait des informations concernant le contenu du
site
[3], et quelques éléments
techniques (langages utilisés, utilisation ou non de balises méta,
dispositifs interactifs, hébergeur). Cette description est bien sûr
incomplète puisqu'elle ne prend pas en compte les aspects formels
de ces sites (nombre de pages, disposition de l'information sur la page
par exemple), mais nous ne nous intéressions ici qu'aux fonctions
assignées à ces dispositifs.
Il s'ensuit que notre propos est essentiellement descriptif, nous n'avons
pas mené d'entretiens auprès du personnel des archives départementales,
ni observé en situation le fonctionnement des services chargés
de la mise en place des sites, non plus que nous n'avons étudié
les textes émanant de la direction des archives de France définissant
les usages souhaitables des réseaux. Nous pouvons donc présenter
un corpus de productions électroniques, suggérer peut-être
quelques hypothèses rendant compte de certaines des formes qu'elles
prennent, mais nous n'avons pas ici les moyens de tester solidement celles-ci
à partir de la reconstitution de la genèse de celles-ci, non
plus que d'une connaissance fine des contextes institutionnels et locaux.
Ajoutons que ce texte ne saurait viser à établir un palmarès,
d'une part parce que tel n'est pas notre propos, d'autre part parce que l'appréciation
des produits proposés ne peut avoir de sens sans la connaissance des
conditions concrètes de réalisation de ceux-ci.
I Modestie et redondances
Le premier constat est celui d'une très grande
diversité. Nous rencontrons, de l'inexistence du site au projet
ambitieux et déjà abouti, en passant par la simple page html
mentionnant informations institutionnelles et pratiques, toutes les situations,
même si les sites modestes, en termes de contenu, à
l'architecture simple et similaires sont la norme. D'après
notre enquête, 12 des 99 archives départementales n'avaient
pas, courant juillet 2004, de site internet accessible. Nous comptons parmi
ceux-ci les trois disposant d'une page
[4]
annonçant qu'une page d'information est en construction.
La plupart des 87 autres sites sont des plaquettes
électroniques de présentation de l'institution, offrant,
avec plus ou moins de détail, une présentation de ses missions et
de ses locaux, et permettant parfois un contact électronique par le biais
d'une adresse mèl. Dans quelques cas, ces données de base
sont complétées par une page évoquant
l'actualité de l'institution, l'organisation
d'expositions par exemple. Si nous distinguons ceux-ci de sites de service
ou de travail, que nous définissons par le fait qu'ils offrent des
ressources permettant à un visiteur potentiel de réaliser à
distance une partie des tâches habituellement accomplies in situ
(consultation des inventaires, consultation de documents, consultation
d'un guide de recherche), alors nous disposons de 48 plaquettes de
présentation et de 39 sites de service. C'est là surestimer
le poids de ces derniers, puisque certains ne figurent-ils dans cette
catégorie que parce qu'ils proposent l'accès à
quelques documents choisis pour leur valeur illustrative, ou décrivent de
façon précise les sous-séries du cadre
général de l'inventaire. Seuls sept sites proposent un
accès à la fois à des documents numérisés,
à des inventaires et à un ou plusieurs guides de recherche, une
vingtaine offrent deux de ces trois types de données.
Les dispositifs d'écriture mis en œuvre sont
de même souvent simples et de conception ancienne. L'utilisation du
langage de description de document XML
[5], qui
tend pourtant à devenir la norme en matière d'informatique
documentaire professionnelle, est très rare. Le recours à des
scripts complexes est peu fréquent,, une dizaine de concepteurs utilisant
php, autant asp, qui sont à l'heure actuelle les deux langages les plus
fréquemment utilisés par les créateurs de sites dynamiques.
Dans la majorité des cas, les sites associent html, feuilles de style et
parfois javascript, même s'il existe bien sûr des exceptions.
Le site des A.D. des Alpes maritimes
[6] propose
ainsi un accès en ligne à ses bases documentaires au moyen de
dispositifs logiciels efficaces, faisant partie des neuf sites qui permettent un
accès à distance à une ou des bases de données. Plus
surprenant peut-être, certaines des fonctions de base de l'html sont
très rarement utilisées. L'interactivité, même
sous sa forme minimale d'envoi de formulaire html ou d'offre de
choix de navigation, est très rare. Nous l'avons rencontré
une dizaine de fois, quelques A.D. offrant la possibilité de commander en
ligne certaines de leurs publications ou de remplir à distance un
formulaire d'inscription. Deux exceptions à cela, que nous
signalons parce qu'elles témoignent de la présence chez
certains d'une séduisante volonté exploratoire, nous sont
offertes par les sites du Lot et Garonne
[7] et de
la Mayenne. Dans le premier cas les internautes sont appelés à
participer à l'identification de lieux et de personnes figurant sur
des clichés détenus par les archives départementales, dans
le second ils sont conviés à participer à
l'élaboration d'une base de données recensant les
remarques portés en marge des registres paroissiaux ou d'état
civil par les curés et officiers d'état civil. Ces remarques sur
la vie des paroisses et communes sont indexées par lieu et par date.
Peu attirés par l'interactivité, les
concepteurs de site sont de même réticents à utiliser les
ressources de l'hypertexte
[8]. Les liens
externes sont extrêmement rares, même ceux renvoyant à
d'autres sites d'archives.
Nous sommes tentés d'expliquer la modestie de beaucoup de réalisations
par la faiblesse des moyens disponibles, les archives départementales
sont, notoirement, des institutions pauvres, par le fait aussi que leur personnel,
et en premier lieu les archivistes-paléographes en poste ont pour la
plupart été formés avant que l'irruption de l'informatique
documentaire et des réseaux ouverts ne transforment les conditions
de conservation et de structuration des systèmes d'information. L'impression
demeure cependant qu'elle s'explique aussi par la difficulté des acteurs
à s'approprier certains des concepts qu'internet met en œuvre.
L'absence de liens externes, conjuguée à la redondance des informations
fournies par de nombreux sites en est pour nous un indice. Beaucoup, ainsi,
précisent en une page les missions, telles qu'elles sont établies
par les textes, des archives départementales, près de 25 proposent
l'accès au cadre de classement des séries des archives départementales,
tel qu'il est fixé au niveau national, et les guides de recherche,
parfois très bien faits, offrent cependant souvent les mêmes
informations d'un site à l'autre. Ainsi, 21 sites proposent-ils un
ou plusieurs guides, pour un total de 33 de ceux-ci, ce qui nous permet de
disposer de 16 guides de recherches généalogiques et de quatre
guides permettant de faire l'histoire de sa maison. Il ne s'agit pas ici de
contester la place donnée aux généalogistes et à
la généalogie, ou à l'érudition locale, mais de
remarquer que l'informatique documentaire est censée éviter
la reproduction des mêmes tâches et le réseau favoriser
la mutualisation des ressources, logiques qui sont loin ici d'être mises
en œuvre.
II] Une nouvelle génération de sites
Le constat cependant ne vaut pas pour tous, il pourrait de
plus prochainement ne plus être d'actualité, quelques sites,
tant par les services qu'ils offrent déjà, que par les
réalisations en cours qu'ils annoncent, témoignent de ce que
la carte des sites archivistique est en plein bouleversement, que permettent des
investissements lourds, à l'échelle des ressources des
centres d'archives
[9], et le recours
à des professionnels de l'informatique dont les productions ont peu
à voir avec les bricolages pionniers des passionnés dont
témoignent encore certains sites
[10].
Il semble qu'il nous faille examiner ceux-ci si nous voulons savoir de
quoi demain sera fait, ou du moins quelles tendances sont à
l'œuvre.
Trois sont aisément repérables dont nous
retrouvons l'écho au travers de la plupart des sites
complexes : la mise à disposition des inventaires – sous forme
de fichier téléchargeable ou plus rarement d'accès
à une base de données -, la mise en place de programme de
numérisation des archives elles-mêmes, la possibilité
d'interroger une ou plusieurs bases de données. Le premier de ces
choix est aussi le plus fréquent, 26 services départementaux
offrent la possibilité de consulter en ligne tout ou partie de leurs
inventaires. C'est assez peu surprenant dans la mesure où, pour les
inventaires récents dont existe une version informatique, la mise
à disposition par le biais d'Internet est une opération
aisée et peu coûteuse. Elle offre de plus l'avantage de
permettre à une partie des visiteurs de réduire le temps de leur
présence nécessaire sur site, ce qui, pour beaucoup de services
confrontés à un afflux de visiteurs dépassant leurs
capacités constitue un avantage indéniable. De fait, lorsque peu
d'inventaires sont en ligne, le choix se porte sur les inventaires des
séries de l'état civil, ou des archives notariées,
qui sont de loin les plus consultés de tous.
La numérisation de documents d'archives et
l'offre d'un accès à ceux-ci par le biais d'un
site web et plus rare. Elle est cependant le fait de 22 services
d'archives qui nous offrent 40 collections de documents. Les choix
opérés sont assez remarquablement similaires d'un site
à l'autre. Les documents images sont extrêmement nombreux,
nous pouvons consulter 7 collections de documents photographiques, deux
collections de cartes et de plans, une de gravures du dix-neuvième
siècle, 10 dossiers présentant les pièces exceptionnelles
détenues par les archives, qui font une large place à ce type de
document et, mais le cas est assez particulier, quelques exemples de la
collection de films amateurs détenus par les A.D. de
Loire-atlantique
[11]. Ces dossiers constituent
donc un peu plus de la moitié de ceux proposés par les archives
départementales françaises, alors qu'ils ne
représentent qu'une part infime des fonds détenus. Nous
pouvons lire dans ce choix à la fois la confirmation de
l'intérêt accru des centres d'archives pour les
documents iconographiques et photographiques, la volonté de proposer des
pages attrayantes, ce qui si l'on en juge par exemple par
l'évolution des manuels du secondaire est
généralement associé à la multiplication des images.
Nous faisons enfin l'hypothèse que la présence parmi les
concepteurs de site d'individus ayant eu une formation de maquettiste ou
de graphiste contribue à cette valorisation de l'image.
Il est également fréquent que soient
proposées des archives de type sériel, en particulier le cadastre
ancien (4 fois), et tout ou partie de l'état civil ancien (4 fois
et l'on peut associer à ces quatre sites celui qui propose une
numérisation de partie de ses fonds notariés). Le choix là
encore surprend assez peu. Ces documents sont parmi les plus consultés,
le souci d'éviter leur détérioration autant que celui
d'éviter la surcharge des salles de lecture incite à en
proposer la consultation à distance, d'autant que ces
données comportent leur propre indexation (a minima par lieu et par
date), ce qui facilite la construction de bases de données en autorisant
la consultation à distance. Il ne faut de fait pas sous-estimer
l'importance de ce facteur. La mise au point de systèmes de
description et d'indexation de documents archivistiques est une
opération difficile et
complexe
[12].
De façon générale, les sites
observés sont conçus en fonction des besoins ou des attentes du
public de l'institution, et les généalogistes sont
particulièrement nombreux au sein de celui-ci, ainsi que les curieux
d'histoire locale. Précisons que nous n'entendons pas ici
proposer un schéma qui postulerait la transparence de besoins auxquels
l'institution répondrait par la mise en place d'une solution
technique neutre en termes sociaux et
savants
[13]. Nous remarquons simplement que les
dispositifs mis en place ont pour premiers destinataires des membres clairement
définis du public des Archives départementales. Nous en retrouvons
les effets, nous l'avons vu plus haut, dans le choix des guides, des
inventaires et du type de documents d'archives proposés au public.
L'examen des périodes et des thématiques associées
aux collections de documents proposés ne fait que renforcer cette
conclusion. La période contemporaine, le vingtième siècle
en particulier, avec les deux moments que sont la belle époque et la
seconde guerre mondiale, qui, il suffit pour s'en convaincre de parcourir
les rayons d'une librairie, suscitent énormément
d'intérêt dans le public, se taillent la part du lion.
Certains signes laissent supposer que ces choix ne sont pas seulement le produit
des représentations que se font les personnels des centres
d'archives des besoins de leur public, mais sont guidés par le
produit de la consultation de celui-ci, voire infléchis par la
participation de certains de ses éléments. Les archives
départementales de la Haute Vienne ont ainsi, dès 1999,
mené une enquête auprès de leurs lecteurs, demandant
à ceux-ci de préciser le type de services auxquels ils
désiraient accéder à distance. Ceux-ci, nombreux à
répondre, ont massivement écrit qu'ils souhaitaient un site
de services, rêvant de fonds numérisés et impatients
d'accéder de chez eux à des instruments de
recherche
[14]. De fait, les évolutions
constatées sont proches d'innovations explicitement
souhaitées par de nombreux utilisateurs réguliers.
Il nous semble cependant que la prise en compte des lecteurs
que sont les généalogistes et dans une moindre mesure les curieux
d'histoire locale, n'est pas seulement liée à leur
nombre, mais au fait que, collectivement, par le biais de leurs associations, ou
individuellement, ils ont parfois su se montrer prêts à
s'associer aux efforts entrepris. Plusieurs sites en témoignent.
Celui des A.D. des Côtes
d'Armor
[15] propose ainsi
l'accès à une base de données rassemblant des
relevés d'actes d'état civil collectés par des
associations de généalogistes. Si les sites des archives semblent
souvent leur être destinés, plus qu'aux professionnels de
l'histoire, nous faisons volontiers l'hypothèse que cela ne
reflète pas seulement l'avantage du nombre dont jouissent ces
derniers, mais aussi le fait qu'à notre connaissance, que ce soit
à titre collectif ou à titre individuel, les historiens
n'ont guère cherché à être partie prenante de
la création de ces objets.
La troisième tendance repérable au travers de
l'examen de ces sites fournis est l'apparition de modules
d'interrogation de bases de données. Le cas est encore rare,
puisqu'il ne concerne que neuf sites. La relative nouveauté de la
chose – les sites dynamiques ne se multiplient que depuis deux ou trois
ans – autant que le coût de ces outils, dont la mise au point exige
plus de temps et plus de compétences informatiques que ceux de la
génération précédente, l'explique en partie.
Les bases de données mises en ligne sont de trois types. Certaines
décrivent des inventaires, évolution qui d'un point de vue
technique est logique. Les services d'archives disposent aujourd'hui
de logiciels, en particulier d'Arkhéïa, destinés
à la constitution des inventaires qui produisent des documents
électroniques structurés dont le portage sur le web est assez
aisé.
D'autres bases décrivent les collections de
documents mis à disposition, en particulier lorsque ceux-ci sont des
documents de type sériel, (cadastre, état-civil), données
qui là encore, de par leur structure, se prêtent à la
construction de bases de données. Quelques'uns enfin se sont
lancés dans la construction de base de données documentaires.
C'est le cas en particulier des Archives départementales de la
Martinique
[16] qui nous proposent une base
consacrée à l'histoire de Saint-Pierre, ou des Archives des
Alpes Maritimes qui proposent un choix impressionnant, dont une très
étonnante base de données permettant de retrouver la trace
d'un immigré italien ayant séjourné dans le
département entre 1840 et 1935, données d'état civil
et cote des dossiers dans lesquels il est mentionné à
l‘appui
[17]. Là encore le
coût et la complexité de telles opérations explique leur
rareté, même s'il faut faire la part des stratégies et
des représentations des archivistes, dont certains mettent en cause, et
pour des raisons qui ne sont pas triviales, la pertinence de tels
investissements. Alain Paul, directeur des archives départementales des
Hautes-Alpes doute ainsi de l'intérêt de la mise à
disposition du public de modules d'interrogation de bases de
données documentaires, dont écrit-il :“ il ne sera jamais
certain qu'elle sera bien pertinente quant au résultat, la
réponse valable étant conditionnée par le bon
paramétrage sémantique de la question et son étroite
adéquation avec le vocabulaire documentaire
utilisé.
[18]“
Si les tendances repérées ici sont les plus
lourdes, et préfigurent sans doute les réalisations des
années à venir, elles n'épuisent pas le champ des
possibles, ni même ne suffisent à présager de ce que sera le
web archivistique d'ici quatre ou cinq ans. D'une part en effet tant
l'évolution des outils que les transformations, plus lentes, des
représentations et de la formation des personnels sont susceptibles de
nous valoir quelques surprises, d'autre part certains sites
témoignent d'une volonté exploratoire et
expérimentent des dispositifs, parfois techniquement simples, signe
d'une réflexion en cours, qui est dans le monde des archivistes,
comme dans celui des documentalistes, collective, ce dont témoigne par
exemple la tenue de réunions annuelles consacrées à
l'informatique documentaire et à ses
applications
[19] Nous avons
évoqué, dans les lignes qui précèdent, quelques
exemples d'interacivité ou des choix de documents atypiques,
appartiennent aussi à cette catégorie les essais de quelques
services éducatifs –chaque centre d'archives
départementales est doté d'un tel service animé par
un enseignant du secondaire détaché- qui proposent, outre des
informations sur leurs activités, des modules d'exercices pour la
classe, ou, pour les plus audacieux, des exercices de
paléographie
[20]. Quelques services
enfin proposent une ou plusieurs expositions virtuelles, à la suite
souvent d'expositions tenues aux Archives départementales.
C'est le cas par exemple de la Haute-Vienne qui propose une exposition
consacrée au tour de France – nous sommes au pays de Raymond
Poulidor et de Pascal Hervé – ou des Archives du Vaucluse qui
mettent en ligne plusieurs expositions.
L'écho de la “révolution
Internet » apparaît singulièrement assourdi lorsque
l'on visite les sites des Archives départementales
françaises. La règle demeure la modestie des ressources
proposées et la simplicité des dispositifs mis en œuvre,
voire l'ignorance de certains des principes de base du média
qu'est le WWW. La règle cependant connaît de nombreuses
exceptions, et pour certains le site n'est déjà plus un
outil dont on explore les possibilités mais un instrument de travail
bénéficiant d'une attention et d'investissement
soutenus. Toutes les situations intermédiaires étant
représentées, le visiteur peut avoir l'impression de se voir
offrir une coupe géologique, saisissant d'un coup plusieurs
étapes du développement du web archivistique français, du
désintérêt au bricolage pionnier en passant par le site
institutionnel. L'intérêt de cette diversité
n'est pas seulement historique. Nous pouvons aussi considérer cette
diversité comme le produit de logiques locales extrêmement
diverses, dont les déterminants sont les ressources (tant des archives
que des conseils généraux), et l'intérêt des
uns (les conseils généraux), pour les archives et le monde
numérique, ou des autres (les archivistes) pour les outils
numériques, voire tiennent aux rapports qu'entretiennent localement
services d'archives et conseil général. De ce fait, et la
conclusion dépasse le cas étudié, il apparaît que les
formes d'appropriation du même outil peuvent être
extraordinairement diverses, alors mêmes que les populations et les
contextes institutionnels sont ici très similaires, ce qui nous permet de
souligner ce que celles-ci doivent au contexte social de leur emploi.
Même si l'exploration des
possibilités du médium est loin d'être achevée,
quelques tendances se dégagent de l'examen des sites les plus
ambitieux. La mise en ligne des inventaires est en cours, tout laisse à
penser qu'elle sera d'ici quelques années la règle. Il
semble probable que la mise en ligne d'une partie des fonds
eux-mêmes, couplée à l'usage de bases de
données, est appelée à se développer, mais elle
servira sans doute plus les attentes des généalogistes que celles
des historiens, hormis ceux d'entre eux qui utilisent avec
assiduité état civil et cadastre. Nous ne voyons pas là une
raison de s'indigner, mais l'illustration du vieil adage qui veut
que les absents aient toujours tort. Les historiens, en tant que groupe
professionnel, sont remarquablement absents des débats et des chantiers
que suscitent les développements de l'informatique documentaire et
d'Internet. Les évolutions qui se font sans eux ne sauraient se
faire pour eux.
[1] Philippe Rygiel est
maître de conférences à l'université Paris I
Panthéon-Sorbonne, membre du Centre d'Histoire Sociale du
vingtième siècle et de l'Équipe
Réseaux-Savoirs-Territoires
[2] Rygiel P. "L'offre faite
aux historiens. Essai de description des services web offerts aux professionnels
de l'Histoire contemporaine", Guichard E.,
Internet et les chercheurs,
rapport final au ministère de l'enseignement et de la recherche,
1998., Rygiel P., Les sources de l'historien à l'heure
d'Internet,
Hypothèses, 2003, pages 341-354.
[3] Nous avons retenu comme
variable descriptive pertinente la présence des rubriques
suivantes : pages du service éducatif, guide des publications,
informations pratiques, présence de documents numérisés,
inventaires, informations institutionnelles, guides de recherches. Une
dernière rubrique rassemblait un ensemble de remarques et de commentaires
inspirés par le dépouillement du site.
[4] Nous appelons page, dans la
suite de ce texte, suivant l'usage proposé par Jacques Anis,
« (...) un ensemble de données non verbales et iconiques
susceptibles d'être visualisé sans rupture. » cf.
Jacques ANIS, Texte et ordinateur. L'écriture
réinventée ?, Paris/Bruxelles, De Boeck Université,
1998, page 195.
[5] XML est l'acronyme d'eXtensible Markup
Language. Le consortium W3C maintient une page d'information consacrée
au projet XML à
http://www.w3.org/XML/Activity.html.
[6] http://www.cg06.fr/culture/culture-archives.html
[7] http://www.cg47.fr/archives/
[8] Nous prenons le terme en
son sens le plus courant, tel que défini par l'inventeur de la
notion. Il s'agit alors d'une «(...) écriture non
séquentielle, texte qui se ramifie (...). On se le représente
généralement comme une série d'unités
textuelles connectées par des liens. » in Theodor NELSON
,
Literary Machines 93-1, Mindful Press, Sausalito CA.
[9] D'après Alain
Paul, directeur des A.D. des Hautes-Alpes, la conception du site des Yvelines,
(
http://www.cg78.fr/archives/), qui
est l'un des sites les plus riches, confié à une
société informatique, aurait coûté 100 000 francs
(nous n'avons pas d'indications concernant les coûts de
maintenance). Paul (Alain), Bases de données contre liens documentaires,
http://www.culture.gouv.fr:80/adha/bdcontrelh.html,
pas de date de mise en ligne, fin des années quatre-vingt-dix.
[10] Le site des A.D. Mayenne
est ainsi hébergé par Wanadoo, vraisemblablement à
l'initiative d'un membre du personnel des A.D. de la Mayenne
http://perso.wanadoo.fr/archives.53/.
[11] http://culture.cg44.fr/Archives/
[12] Le lecteur pourra se
reporter à Rolando Minuti,
Internet et le métier
d'historien, Paris, PUF, 2002, particulièrement les pages 54 et
suivantes.
[13] Sur ce point on verra
Lucien SFEZ,
Technique et idéologie, un enjeu de pouvoir, Paris,
Seuil,2002, particulièrement les pages 75 et suivantes.
[14] Nous remercions le
personnel des A.D. de Haute Vienne d'avoir bien voulu nous transmettre ce
document.
[15] http://archives.cg22.fr/
[16] http://www.cg972.fr/ArchivesMartinique/index.htm
[17] http://www.cg06.fr/os-html/immi/home.html
[18] PAUL Alain,
article cité.
[19] Il existe ainsi un club des utilisateurs
du logiciel d'archive Arkheia, qui tient des réunions annuelles au
cours desquelles sont évoquées les problèmes posés
par l'informatique et l'archivistique documentaire
http://www.cc-parthenay.fr/clubarkheia/archives/.
[20] C'est en ce
domaine encore le site des A.D. des Alpes maritimes qui apparaît pionner,
proposant de nombreux modules d'exploration de documents d'archives
destinés à des classes de niveau différent et des exercices
de paléographie corrigés.
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