Présentation de l'ouvrage
Construction des nationalités et immigration dans la France contemporaine

Presses de l'École normale supérieure
ISBN 2-7288-0234-3, 400 pages, 180 F.

Nous reproduisons ici l'intégralité de l'introduction.

Cet ouvrage résulte du travail collectif que nous avons développé depuis plusieurs années au sein du Laboratoire de sciences sociales de l'École normale supérieure, autour de la question de l'immigration. Nous avons tout d'abord rassemblé et analysé les matériaux concernant la population étrangère et naturalisée publiés par la Statistique Générale de la France lors des recensements de 1931 et de 1936, en poursuivant deux objectifs. En premier lieu, nous nous sommes efforcés d'honorer une tradition importante de la recherche scientifique en histoire depuis le XIXe siècle: l'édition critique de documents. Les informations publiées par la SGF dans l'entre-deux-guerres à propos de l'immigration sont d'une très grande richesse, mais très difficiles d'accès. Même la Bibliothèque Nationale ne possède pas, à l'heure actuelle, la collection complète des volumes qui rassemblent ces données. C'est ce qui nous a incité à publier ces sources statistiques (après les avoir passées au crible de la critique) et à les regrouper en troisième partie de ce livre dans des tableaux synthétiques (plus lisibles que ceux de l'administration). Il s'agit à nos yeux d'un instrument de travail qui, nous l'espérons, sera utile à tous les chercheurs qui s'intéressent à l'histoire de l'immigration, notamment ceux qui n'ont pas accès facilement aux grandes bibliothèques parisiennes. En second lieu, nous avons développé une analyse d'ensemble qui met en relief l'intérêt de ces données statistiques pour une connaissance plus approfondie de l'immigration en France entre les deux guerres. Le recensement de 1931 constitue une "photographie" de la population étrangère juste à la fin de la période d'afflux exceptionnel qui caractérise les années vingt. En comparant ces données avec celles du recensement de 1936, nous avons tenté de mettre en relief les effets de la crise économique sur l'ensemble de la population immigrée et sur chacune de ses composantes. Cette analyse a été réalisée par Éric Guichard, Olivier Le Guillou, Nicolas Manitakis et Gérard Noiriel.

La deuxième partie de l'ouvrage rassemble des études à caractère "monographique" qui viennent à la fois confirmer et contredire le commentaire d'ensemble. Plusieurs d'entre elles fournissent des éléments critiques sur l'usage des statistiques en histoire sociale, à la lumière desquels le lecteur pourra relire toute la première partie. Une réflexion rigoureuse sur les instruments élaborés par les responsables de la SGF eux-mêmes peut être un moyen, pour l'historien, de ne pas se laisser dominer par la vision statistique du monde social. En confrontant les réflexions de ces administrateurs, Éric Guichard souligne les failles, les incohérences, les contradictions de leur raisonnement. L'étude minutieuse des données disponibles au niveau local permet à Philippe Rygiel de montrer, à partir de l'exemple du Cher, que le caractère statique de l'enregistrement statistique masque les trajectoires et la mobilité individuelles. Seule une vigilance critique et méthodologique vis à vis de ces catégories permet de voir que, contrairement à ce que l'on aurait pu croire, dans le Cher, les enfants de l'immigration ne sont pas, majoritairement, les enfants des immigrés présents dans la période antérieure. En prenant l'exemple de la "Syrie", Charif Kiwan apporte une autre contribution à ce travail de critique des sources, en mettant en relief le fait que les "nationalités" juridiques ­qui constituent une des catégories de base sur lesquelles reposent ces statistiques­ ne sont pas des entités "naturelles", mais des constructions historiques, en grande partie arbitraires, qui résultent de la domination coloniale que l'Europe a imposée aux autres parties du monde. Ces analyses sont complétées par des études destinées elles aussi à enrichir notre connaissance de l'immigration en braquant l'objectif sur des groupes qui jusqu'ici n'ont pas beaucoup attiré l'attention des historiens, que ce soit les étudiants (Nicolas Manitakis) ou les paysans (Gérard Noiriel), les Russes (Olivier Le Guillou) ou les réfugiés allemands (Claire Zalc).

Pour situer cette recherche dans les discussions actuelles sur les nouvelles orientations de la recherche historique, on soulignera, en conclusion, que nous avons délibérément voulu tourner le dos aux polémiques stériles qui opposent, trop souvent, les partisans du "micro" aux partisans du "macro", ceux qui ne jurent que par le "sens", le "contexte", les "interactions", aux tenants des "structures", du "quantitatif" et de la "longue durée". Il nous a semblé plus utile, d'un point de vue scientifique, non pas d'opposer ces points de vue sur le monde social, mais de les combiner, de les faire jouer les uns contre les autres. Étant donné que, dans la première partie, nous voulions présenter une vision d'ensemble, "quantitative", de l'immigration en France dans l'entre-deux-guerres, nous étions dans l'obligation d'envisager les nationalités comme des catégories "objectives" ou "réifiées" (pour utiliser un terme aujourd'hui en vogue). Dans la deuxième partie, en adoptant un autre point de vue sur le même objet, il devenait possible d'examiner ces entités nationales sous un autre angle, de façon à relativiser les constats que nous avons pu faire initialement, sans pour autant les invalider. A nos yeux, c'est de cette manière, bien plus qu'en multipliant les discours abstraits sur la "méthode" ou "l'objet" de l'histoire que l'on contribue le plus efficacement au progrès de la recherche scientifique.

Pour terminer nous tenons à remercier les élèves et les étudiants qui, depuis des années, ont été associés de près ou de loin aux séminaires et ateliers que nous avons organisés autour de l'histoire de l'immigration. Nous tenons aussi à souligner que l'atmosphère à la fois fraternelle et conviviale que Jean-Claude Chamboredon et Christian Baudelot ont su développer au sein du Laboratoire de sciences sociales de l'ENS a été pour beaucoup dans la réussite de ce projet, tout comme le soutien sans faille que le directeur de l'École normale, Étienne Guyon, nous a apporté. Puisque nos modestes entreprises étaient prises au sérieux par les "vrais" scientifiques, les spécialistes de "sciences dures", c'est qu'elles n'étaient peut-être pas aussi futiles, voire inutiles, que certains le prétendent. Dans les moments de doutes et de découragement, cette marque d'attention a été d'un grand réconfort.

[NOTA : Voir aussi les tableaux statistiques des recensements de 1931 et 1936]

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