Conditions d'entrée et de séjour des Américains en France, 1919-1939

par Nicole Fouché, CNRS (CRH/EHESS)

Conférence du 14 mai 1999

S'interroger sur les conditions d'entrée et de séjour des Américains en France pendant l'entre-deux-guerre, c'est de toute évidence faire le constat qu'il existe un statut de privilégié, visiblement entériné par les pouvoirs en place. Il a été montré, dans ce séminaire, qu'avec les autres nationalités (originaires des pays pauvres) nous n'étions pas confrontés à une logique bureaucratique autonome, centrale, qui aurait imposé ses critères, "prédéfinis et objectivés", à l'administration, mais qu'au contraire nous étions face à une gestion relativement décentralisée des procédures, avec une prise en charge locale et conjoncturelle de la restriction.

Dans le même ordre de constat, le statut privilégié des Américains n'est inscrit nulle part; on peut seulement déduire la libéralité de ce statut de l'examen de la situation. Après la première guerre mondiale, on ne s'attend pas, de la part de la France, à des mesures vexatoires ou répressives vis-à-vis des Américains. Nous sortons d'une guerre dans laquelle ils étaient nos alliés économiques, politiques et militaires ; il y a clairement, en France, une dette financière envers les États-Unis, mais surtout une dette morale. La France n'est pas en situation de supériorité.

Contrôles plutôt que restrictions à l'entrée

Le passeport est rétabli par la France (décret du 3 aôut 1914). Le visa n'est obligatoire que si les Américains veulent sortir de France pour voyager en Europe, puis revenir en France. Ils sont également soumis aux douanes françaises (droits élevés), mais sans vexations particulières.

Obligation comme pour tout étranger, depuis le 2 avril 1917, de la carte d'identité. A la préfecture de Police de Paris, un service leur est spécialement réservé, conjointement avec les Anglais. La sociologie des entrants -professions commerciales, libérales, industrielles, financières, intellectuelles, artisanales, artistiques- indique que les Américains sont majoritairement dans la catégorie des étrangers "non salariés", ce qui leur évite la marque liée à l'obtention de la carte d'identité des travailleurs industriels ou agricoles (qui correspond à un statut de second rang).

Les Américains liés aux professions commerciales doivent avoir une carte d'identité professionnelle.
A partir de 1936, même les touristes américains (de moins en moins nombreux) seront aussi tenus à obligation de la carte de tourisme.
Je n'ai pas, à ce jour, rencontré de cas de refoulements, d'expulsions ni d'extraditions d'Américains.

La liberté d'entreprendre

Ce qui intéresse les Américains, ce sont les carrières et les affaires privées du secteur tertiaire français fondées sur la liberté d'entreprendre  :  banques, assurances, services aux entreprises, agences commerciales, import-export, tourisme, transport, voyage, presse, santé, enseignement, beaux-arts, études. Dans le tertiaire, la législation française concernant les nationaux et donc a fortiori les étrangers est quasi nulle. Ce secteur est très ouvert. Les Américains ne sont pas contrôlés par le patronat français (ils ne sont pas touchés par les lois restrictives des années 1930) mais par leurs compatriotes ; Les "associés" américains (partners) appliquent les lois françaises sur les salaires, sur les droits sociaux (accident du travail, 40 h, congés payés, etc.). Les commerçants américains en France sont tenus à l'inscription au registre du commerce et au paiement de la patente.

L'ostracisme français et les réponses américaines

Les Américains sont à peine gênés par l'interdiction qui leur est faite d'accéder à la profession d'avocat, car les juristes qui sont dans la communauté américaine de France n'ont aucune ambition d'accéder au barreau français. Ils préfèrent la situation d'extraterritorialité qui est la leur.

Ils souffrent plus, particulièrement à l'Hôpital américain de Paris, de ne pouvoir recruter de médecins américains (cela étant, ils finiront par faire admettre, après des années de négociations (loi spécifique du 18 mai 1949) la présence d'au moins six praticiens américains.

Les Américains sont exclus des "lois de prorogation" (maintien légal des locataires dans les lieux) qui sont destinées, à la suite de la guerre, à faire face à la crise du logement. Les Américains font intervenir les circuits diplomatiques et obtiennent un "accord interprétatif" qui les réintègre officiellement dans les mêmes droits que les nationaux.

Les sociétés et les particuliers américains sont taxés doublement, en France et aux Etats-Unis ; les Américains de France échouent à faire supprimer cette double imposition pour les particuliers, mais réussissent à améliorer le sort des sociétés ; ils obtiennent une convention bilatérale France-États-Unis qui stipule des mesures d'exonération.

Opportunisme américain

Les américains utilisent peu le droit à l'enseignement laïc gratuit et obligatoire, dont ils pourraient bénéficier ; ils préfèrent former leurs enfants à l'américaine dans des écoles privées et payantes (de la maternelle au lycée). Souvent, après la High School, les jeunes vont faire des études aux États-Unis.

En revanche ils utilisent le droit d'association stipulé par la loi de 1901 ; Les associations privées américaines sont nombreuses en France ; elles sont totalement autonomes, car formées de bénévoles américains et financées par la colonie ; on en trouve dans tous les domaines  :  religion, santé, assistance, loisirs, culture, éducation, commerce, défense des intérèts de la colonie. Elles permettent de maintenir une identité nationale américaine.

Conclusion

Peu concernés par la volonté française de restreindre l'immigration, les Américains avaient toujours les moyens de faire pression en faisant intervenir la diplomatie... et la réciprocité ; toute mesure allant à l'encontre de leurs intérêts pouvait se retourner contre ceux des FranÇais aux Etats-Unis.
On ne peut guère parler, en ce qui concerne les Américains, d'une gestion de leur flux, ni de leur stock, par les autorités françaises.

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