Sous la monarchie de Juillet, de nombreux mineurs
italiens, parmi lesquels plusieurs entrepreneurs, vinrent travailler en France
sur les sites miniers (Gard notamment) mais aussi sur les chantiers de tunnel
(canaux, voies ferrées), notamment dans l'est, le centre-est et le
sud-est de la France...
Je vais présenter ici quelques aspects de cette
migration transalpine, plus particulièrement celle des entrepreneurs,
à partir de recherches que je mène sur la main-d'œuvre
d'un chantier de tunnel en Côte-d'Or, sur la ligne de chemin
de fer Paris-Dijon, chantier qui dura de 1845 à 1851.
1) Les sources
Pour étudier cette main-d'œuvre, j'ai
utilisé plusieurs sources conservées aux Archives
départementales de la Côte-d'Or : les états
civils des communes proches du chantier, les archives judiciaires, les archives
notariales... Les mentions de lieux de naissance ou lieux de mariage m'ont
amené à consulter d'autres états civils en France, ce
qui m'a permis de reconstituer des fractions de parcours
géographiques.
Au total, je suis parvenu à recueillir des
données éparses qui renseignent sur les provenances et les
itinéraires des travailleurs, la vie conjugale, les relations sociales
et dans une moindre mesure sur l'organisation du travail. Malgré
tout, d'énormes zones d'ombre demeurent. En ce qui concerne
plus précisément les entrepreneurs, je n'ai pas ou peu
d'éléments sur les conditions de départ de leur
village, la formation professionnelle, la constitution des fortunes, les
capitaux, le devenir après le passage sur le chantier...
2) Le chantier du tunnel et la
direction
Ce tunnel qui devait mesurer 4100 mètres se situait
entre deux petits villages, Malain d'une part et Blaisy-Bas d'autre
part, d'où son nom «tunnel de Blaisy ». Le
percement nécessitait au départ le creusement de 21 puits de trois
mètres de diamètre, sans compter les puits de tête, tous
espacés de 200 mètres environ, dont la profondeur variait de 14
à 196,50 mètres.
Dans un premier temps, le creusement des puits était
dirigé par les ingénieurs des ponts et chaussées. Par suite
de la loi sur les chemins de fer de juin 1845, les travaux du souterrain, ainsi
que ceux d'un des viaducs, furent concédés le premier mai 1846,
à la Compagnie du Chemin de fer de Paris à Lyon, qui fit diriger
tous les travaux par ses propres ingénieurs et entrepreneurs. Une des
premières mesures prises par le conseil d'administration de la Compagnie
pour ce qui concerne l'exécution des travaux dans la Côte-d'or fut
de passer un marché à forfait pour la construction du souterrain ;
c'est l'entrepreneur Catinal Phorion Debains qui obtint la concession.
3) La main-d'oeuvre
Des centaines de travailleurs (certains observateurs ont
cité le chiffre de 2 à 3000 personnes) convergèrent vers le
chantier, essentiellement des mineurs, terrassiers, maçons, ainsi que des
tailleurs de pierre, charpentiers... Ces hommes, qui se
déplaçaient parfois en familles, venaient de divers horizons :
-les mineurs venaient en grande partie du Piémont, des
zones minières de Saône-et-Loire, de la Loire et du Rhône et
enfin de l'Est (Franche Comté, Lorraine, Alsace, Bavière
rhénane) ;
-les maçons de la Creuse ;
-les terrassiers de l'Auvergne et de l'Est
(Franche Comté, Lorraine, Alsace, Allemagne).
Une difficulté dans l'étude de la
main-d'œuvre réside dans le flou des désignations
professionnelles et notamment dans l'équivalence fréquente
des termes d'entrepreneur, de tâcheron, de maître-mineur. En
fait, le tâcheron était plutôt un sous-traitant de
l'entrepreneur, et le maître mineur un chef d'équipe,
mais il existait une forte mobilité professionnelle dans le secteur de la
mine qui rend ces différences ténues.
Malgré tout, on peut considérer qu'au
moins 6 entrepreneurs transalpins sont choisis au départ par les
ingénieurs pour le creusement de plusieurs puits : Giuseppe
Lussietto, Grato Canale, Francesco Francio, Carlo Robino, Vola, Joachim
Bianquetti. D'autres arrivent en 1846 : Domenico Scalle associé
à Gian-Battista Favetto, Gian-Battista Marroco, Martino Fontana, semblent
être les sous-adjudicataires de l'entrepreneur principal Debains
pour le creusement de la galerie du tunnel. Mais séjournent aussi les
sous-traitants Domenico Minelono, Michele Gallo, Martino Bordetto, Martino
Boletino...
Certains sont âgés, tels Francio et Fontana,
nés peu avant 1800, ou encore Marocco, né vers 1805,
d'autres plus jeunes, tels Favetto, Bianquetti, Gallo, nés
après 1815...
Outre les entrepreneurs, une masse croissante de deux
à trois cents ouvriers transalpins arriva progressivement sur le chantier
entre 1846 et 1848. Beaucoup étaient de jeunes célibataires,
souvent de la même parentèle. Parmi eux quelques
«maîtres-mineurs » tels Battistino, Saudino ...,
âgés de 25 à 32 ans.
II) Les caractères de la migration des entrepreneurs piémontais
1) Une zone de provenance prédominante : la
vallée de la Chiusella dans le Canavese
Plusieurs entrepreneurs venaient de petites communes
montagnardes de la vallée de la Chiusella au nord-est
d'Ivrea ; c'est une vallée d'ancienne industrie
basée sur l'extraction de minerais de fer et de cuivre (minerais de
Brosso, Traversella) et sur la métallurgie, activités toutefois en
déclin dans la première moitié du XIXe siècle.
Ainsi Canale et Marocco venaient de Trausella, Robino de
San-Martino, Fontana de Fiorano, Gallo vraisemblablement de Traversella, Favetto
de Rueglio...
En ce qui concerne leurs milieux familiaux de provenance, je
n'ai quasiment aucune information hormis quelques mentions de la
profession des pères : elles indiquent non pas des mineurs, mais un
propriétaire (père de Favetto), un propriétaire-cultivateur
(père du maître mineur Saudino), un simple
«manouvrier » (père de Grato Canale qui
l'accompagne sur le chantier de Blaisy). Cela laisse entrevoir des formes
de passage professionnel intra familial, du secteur rural au secteur industriel,
passage favorisé par l'environnement minier de la Chiusella dans
lequel ont grandi ces futurs entrepreneurs. On retrouve d'ailleurs ce
phénomène chez plusieurs ouvriers migrants du chantier dont les
pères étaient paysans (par exemple des mineurs originaires des
bassins houillers de Saône-et-Loire).
2) Une forte mobilité géographique en
France
Les entrepreneurs mineurs de la Chiusella faisaient preuve
d'une grande capacité de déplacement entre les chantiers de
tunnels, de fortifications, et les zones minières. Il est difficile de
dater l'émergence de cette migration. Une recherche sur les
étrangers décédés lors de la construction du canal
de Bourgogne et du canal du Charolais à la fin du XVIIIe siècle
mentionne un mineur piémontais de Coni décédé en
1789 à Torcy en Saône-et-Loire aux travaux d'une rigole, mais
aucun travailleur de la Chiusella ; en revanche en 1826, il est possible
que des entrepreneurs de cette région aient travaillé à
Pouilly-en-Auxois en Côte-d'Or au creusement du tunnel du canal de
Bourgogne, puisqu'on trouve la trace de quelques ouvriers mineurs
originaires des communes de Drusacco, Rueglio...
De 1830 à 1845, on repère avec certitude des
entrepreneurs plus à l'est dans les différents chantiers de
tunnel du canal de la Marne au Rhin : Foug en Meurthe-et-Moselle et Mauvage
dans la Meuse ; plusieurs d'entre eux se dirigeront ensuite sur
Blaisy.
L'entrepreneur Fontana par exemple était ainsi
en 1838 à La Rouillerie, non loin de Bulgnéville dans les Vosges,
travaillant probablement au gisement houiller dit de Norroy ou sur un chantier
proche du canal de la Marne au Rhin ; il partit ensuite œuvrer au
chantier du souterrain de Foug, en 1841 et 1842, puis aux fortifications de
Langres (Haute-Marne) en 1844. Scalle vint également travailler durant
deux ans au chantier de Mauvages en 1844 et 1845.
3°) Des migrations non
saisonnières
On vient de voir comment les entrepreneurs se
déplaçaient de chantier en chantier en fonction des
opportunités. Ils y séjournaient relativement longtemps,
c'est-à-dire plusieurs mois voire plus d'un an. Ainsi sur le
site du tunnel de Blaisy, la plupart ont séjourné environ deux
ans. Ce type de migration professionnelle ne correspond donc pas ou plus au
modèle des migrations saisonnières avec retour régulier au
pays.
Dans son ouvrage
Les Alpes Occidentales (1954), Raoul
Blanchard avait déjà noté ce phénomène autour
de 1838 : «les voisins des minières de cette
vallée [Chiusella] ont un rayon d'action et des absences plus
élargi [que ceux des vallées voisines] : beaucoup
d'habitants de Drusacco passent l'hiver en France, employés
aux mines de fer ou de charbon ; Brosso a de nombreux citoyens au dehors
pour des travaux de voirie ou de mine. Novareglia compte des
émigrés en France, qui sont mineurs. Ces dernières
indications sentent furieusement l'émigration
définitive ».
4°) La fréquence des couples
itinérants
De façon générale, le déplacement
en couple est assez répandu chez les entrepreneurs de travaux publics car
la compagne était indispensable dans différentes tâches
d'appoint, notamment l'hébergement des ouvriers. C'est
aussi le cas des entrepreneurs et maîtres mineurs piémontais
migrants, plusieurs n'hésitant pas en outre à s'unir
à une française : Fontana et Scalle arrivèrent ainsi en
compagnie d'épouses rencontrées sur leur parcours, dans
l'Est de la France ; Canale et Favetto se marièrent durant leur
séjour sur le chantier de Blaisy, avec des femmes des villages
proches : respectivement, la jeune fille (17 ans) d'un meunier, la
jeune fille (20 ans) d'un cabaretier. Le maître mineur Bernardo
Saudino établit en 1846 à Malain une promesse de mariage avec une
ouvrière fille d'un manouvrier de chalons-sur-Saône.
Il existait il est vrai des couples de
piémontais migrants : Bianchetti vint avec son épouse
Magdalena Ricono, elle-même accompagnée de son père. Le
maître mineur Battistino épousa en 1847 à Blaisy-Haut la
sœur de l'entrepreneur Robino. Quant à ce dernier, ainsi que
Marocco, Bordetto, on ne trouve aucune trace de compagne sur le
chantier.
Concernant les ouvriers piémontais en revanche, la
rareté des accouchements de femmes piémontaises dans les villages
entourant le chantier, semble indiquer qu'il s'agissait dans
l'ensemble d'ouvriers célibataires ou ayant laissé
leur compagne dans leur village.
III) Les entrepreneurs piémontais et l'organisation du travail sur
le chantier
1) Connaissance et réputation à la base
du recrutement
En 1845, les ingénieurs choisirent pour le creusement
des puits des entrepreneurs, parfois associés, qui avaient
déjà travaillé avec eux sur d'autres chantiers,
à Savoyeux et Saint-Albin en Haute-Saône (tunnel de
dérivation de la Saône)..., et qu'ils savaient, pour
reprendre leur expression, «bons et solvables ».
Francio «maître mineur à
Firminy » n'était pas dans ce cas puisqu'il avait
été adressé par l'ingénieur en chef à
un ingénieur ; mais il inspira aussi de la confiance à ce
dernier «à raison de sa solvabilité, de son
expérience et de ses bons certificats » même s'il
«n'a jamais travaillé que dans le bassin de la Loire
[...] et se fait donc une idée fausse des roches autres que les marnes
que nous aurons à traverser », et s'il levait haut ses
prétentions, demandant 6 puits et «250 francs du mètre
courant ».
Il est fort probable que l'année suivante, le
nouvel entrepreneur principal du souterrain Debains, ait aussi choisi des
entrepreneurs, notamment des Piémontais, qu'il connaissait
personnellement pour avoir travaillé avec eux sur d'autres
chantiers, par exemple celui de Foug où il oeuvra vers 1841-1842.
2) Une sous-traitance en chaîne source de litiges
permanents
L'organisation du travail sur le chantier reposait sur
un système de sous-traitance à multiples niveaux. A la tête,
les ingénieurs, auxquels succéda l'entrepreneur principal,
puis les entrepreneurs qui prenaient en charge les activités de
creusement, de maçonnerie, de terrassement, puis les sous-traitants,
désignés parfois «tâcherons »,
lesquels pouvaient eux-mêmes faire appel à d'autres sous
traitants...
La concurrence entre tâcherons sous-traitants sur les
rabais, les retenues imposées parfois aux tâcherons pour
malfaçon, qui se répercutaient sur le salaire des ouvriers,
l'insolvabilité de tâcherons lancés, seuls ou
associés, dans des entreprises précaires, la dilution des
responsabilités qu'entraînait la sous-traitance, l'usage
généralisé de délais de paiement fixés
souvent oralement, tout cela donnait lieu à une multitude de litiges,
arbitrés souvent par le juge de paix de Sombernon. Les Piémontais
n'y échappaient pas. On note d'ailleurs qu'ils
étaient loin de faire corps, ouvriers et entrepreneurs s'opposant
parfois à propos de journées de travail non payées.
3) Les filières professionnelles de
provenance
La présence sur le chantier de nombreux ouvriers
originaires des mêmes communes que les entrepreneurs, ou de communes
proches, atteste du rôle des filières professionnelles de
provenance dans le recrutement. Ces filières concernaient les mineurs
piémontais, les maçons de la Creuse, les terrassiers
d'Auvergne, moins les travailleurs de l'Est (Alsaciens, Lorrains,
Allemands) qui comptaient peu d'entrepreneurs sur le chantier.
Par ce système de filière, bien
étudié chez les migrants creusois par Anne-Marie Moulin,
l'ouvrier pouvait se voir offrir par l'entrepreneur ou le
logeur-cabaretier un emploi, une aide au transport, à
l'hébergement, avances qu'il lui fallait ensuite rembourser.
Cela n'était pas sans litige comme le montre une affaire entre
plusieurs mineurs et un logeur-commerçant, tous italiens, venant
d'un chantier du Jura (vraisemblablement le chantier de fortification
des Rousses), portée devant le juge de paix en novembre 1845.
4) Logiques concurrentielles et conflictuelles entre
entrepreneurs
La concurrence entre les entrepreneurs donna lieu à
plusieurs conflits du travail. Les plus importants, qui prirent la forme de
véritables émeutes, visèrent les Piémontais. La
première survint en juillet 1846, en pleine crise économique,
après l'arrivée de l'entrepreneur principal Debains.
Celui-ci fit appel de nouveaux entrepreneurs piémontais qui
n'avaient pas encore travaillé sur le chantier, ce que lui
reprochèrent violemment des entrepreneurs et des ouvriers français
au chômage ou menacés de perdre leur emploi. Il semble bien que
Debains ait voulu se séparer de plusieurs travailleurs, «les
mauvais sujets, les brigands et ceux qui ne voudront pas
travailler », et il n'est pas impossible qu'il ait voulu
utiliser les Piémontais pour créer une émulation au sein de
la main-d'oeuvre. En outre, des rumeurs d'emploi communautaire des
Piémontais attisaient la colère. Ceux-ci étaient
considérés comme les alliés de l'entrepreneur
principal. Après l'émeute de juillet 1846, les tensions
persistaient se traduisant par de fréquentes rixes. Une nouvelle
mobilisation anti-piémontaise survint après la révolution
de 1848 : après avoir demandé à plusieurs reprises
leur départ, des ouvriers passèrent à
l'action : armés de bâtons, ils fouillèrent les
maisons des entrepreneurs piémontais et pourchassèrent leurs
ouvriers, les obligeant à quitter définitivement le chantier.
5) Quelques indicateurs de la richesse des
entrepreneurs
a) Le matériel
Les rares informations dont on dispose à ce sujet
concernent deux entrepreneurs. Lussietto et Fontana. Le premier, venu pour le
creusement de certains puits, semble posséder un matériel assez
restreint d'une valeur de quelques centaines de francs. Le 7 avril 1846,
il vendit la partie utilisée pour le creusement du puits zéro
à un marchand épicier de Malain : une baraque en bois, couverte et
garnie en planches située près du puits, six plateaux de
chênes de la dite baraque (le tout pour 263 francs), le treuil du puits
(85 francs), 2 bennes en bois cerclées de fer servant à extraire
la terre (55 francs). Un mois plus tard, le 13 mai il céda à
Boletino pour une valeur globale de 500 francs tous les bois placés dans
trois puits, deux treuils plus leurs accessoires, des plateaux de chêne
ainsi que la somme due par l'administration à Lussietto pour le
prix de dix stères de bois convertis en coins.
Quant au second, travaillant au creusement de la galerie du
tunnel, on apprend par une plainte émise pour vol qu'il
détenait un magasin d'entrepôt de charbon de terre, et une
forge utilisée notamment pour la construction de rails de chemin de
fer.
b) le logement
Parmi les entrepreneurs piémontais, ceux
arrivés dans le courant de l'année 1846 et sous
adjudicataires du creusement de la galerie, firent construire sur place pour
l'hébergement de leurs ouvriers de vastes maisons, capables de loger deux
ou trois dizaines, voire plus, d'ouvriers.
Marocco disposait ainsi près du puits 7, sur le
territoire de Blaisy-Haut, d'une maison, composée au
rez-de-chaussée d'une salle de billard, d'une salle à manger,
d'une cuisine et d'une alcôve, au premier étage de neuf chambres
et, au dessus d'elles, de deux mansardes ; il fit même agrandir le
bâtiment et s'accorda en février 1847 avec un cafetier de la
commune pour lui louer le tout durant quatre ans pour 1000 francs de loyer
annuel, à compter du 1
er janvier 1848.
Dominico Scalle construisit lui-même une maison, au
lieu dit La Tille à Baulme-la-Roche, qui semble également avoir
vocation à héberger des ouvriers. Elle comprenait trois chambres
au rez-de-chaussée, trois autres au premier étage, plus une cave
à côté de la maison. Il la cèda à titre de
bail à un forgeron en novembre 1846, moyennant 200 francs de loyer
annuel. La vente du mobilier de la maison, entre autres cinq tables, 18 chaises,
six lits, cent verres, sans compter les 480 litres de vin lui procura 1687
francs.
Fontana fit aussi bâtir une maison. On ne connaît
pas la taille du bâtiment, mais on sait que le constructeur, un
tâcheron français, lui réclama en mars 1847 1390 francs pour
solde du prix de la construction de l'édifice.
D'autres piémontais disposaient également
de maisons, mais moins spacieuses. Le tâcheron Boletino acheta en janvier
1847 à un scieur de long une maison construite en pierre, couverte de
paille, pour la somme de 550 francs. Un autre tâcheron Biollo devint
locataire, pour 300 francs l'année, d'une maison composée d'une
chambre et deux cabinets au rez-de-chaussée, plus un grenier, le tout
appartenant à un boucher de
Malain
[1].
c) Employés
Les employés, chargés notamment de payer les
ouvriers, sont un autre signe de la richesse relative d'entrepreneurs tels
que Scalle ou Fontana. Le premier avait un «caissier »,
français apparemment, et Fontana un «employé
principal », piémontais. Ces employés étaient
parfois l'objet de violences de la part de travailleurs s'estimant
lésés.
L'étude des piémontais à Blaisy
montre que les migrations de travailleurs étrangers sous la monarchie de
Juillet, loin de ne concerner que des prolétaires peu qualifiés,
ont touché aussi un grand nombre d'ouvriers qualifiés et
d'entrepreneurs. Le phénomène est connu à cette
époque chez les hommes d'outre-Manche, dans la métallurgie
ou le textile notamment, moins chez les mineurs transalpins.
Les caractéristiques de la migration des mineurs
piémontais de la Chiusella sont dans l'ensemble celles des
anciennes migrations montagnardes : déplacement essentiellement
masculin, organisé autour de filières de provenance... Ces
migrations pourtant semblent commencer sous la monarchie de Juillet à
perdre leur caractère périodique du fait de la multiplication des
grands travaux et du développement de l'industrie houillère.
A cet égard, parmi les migrants piémontais des
années 1840, les entrepreneurs semblent davantage changer de comportement
que les ouvriers. Ils ne rompent certes pas obligatoirement avec
l'idée de retourner dans leur village mais ils s'engagent
dans une itinérance professionnelle durable, à caractère
parfois familiale, qui les détache de leur «pays »
de provenance.
S'ils emploient et hébergent effectivement en
grande partie des ouvriers de leur village ou de leur région, ils ne
s'enferment pas dans ce qu'on appellerait maintenant la
«vie communautaire » où
«l'emploi ethnique » dans la mesure où
ils établissent et accumulent des relations et des contacts dans les
milieux qu'ils fréquentent. Ils savent se construire une bonne
réputation (expérience, solvabilité...) au sein des
ingénieurs de l'Etat et des grands entrepreneurs privés. Ils
savent s'entourer non seulement de Piémontais mais aussi de
sous-traitants, d'employés ou d'ouvriers français. Ils
savent en outre tisser dans les villages où ils séjournent, de
multiples relations avec les habitants sédentaires (transactions
financières, immobilières, relations conjugales...). Bref, loin de
regarder en permanence le village qu'ils ont quitté, ils
découvrent, s'adaptent et élargissent constamment leurs
horizons géographiques et sociaux.
.
Bibliographie sommaire :
Anne-Marie Moulin, “Le rôle des réseaux de
solidarité et d'exploitation dans la migration des maçons marchois
au XVIIIème siècle” in
Le Migrant. France terre de
migrations internes, terre d'immigration.,
Actes du colloque
d'Aurillac, 5-7 juin 1985,
Aurillac, 1986.
Marco Cima, “L'industrie dans le Canavais
(Piémont) au milieu du XVIIIème siècle”,
Le Monde
Alpin Rhodanien, troisième et quatrième trimestre
1987.
Abel Chatelain, «La main-d'œuvre et la
construction des chemins de fer au XIXe siècle »,
Annales.
Economies. Sociétés. Civilisations. 8, 1953,
Paola Corti, «L'émigration
italienne : historiographie, anthropologie et recherche
comparatiste »,
Revue européenne des migrations
internationales, vol. 11, n° 3, 1995.
Pierre-Jacques Derainne, «Les ouvriers migrants du
chantier de Blaisy, 1845-1851 », Annales de Bourgogne, tome 72,
fascicule 2, 2000.
Notes
[1] 4E 51/45, Richard Malain