Analyse socio-professionnelle des entrepreneurs migrants piémontais du chantier du tunnel ferroviaire de Blaisy (Côte-d'Or), 1845-1850

Pierre-Jacques Derainne

Petites entreprises et petits entrepreneurs étrangers. Préactes du colloque d'octobre 2003

Sous la monarchie de Juillet,  de nombreux mineurs italiens, parmi lesquels plusieurs entrepreneurs, vinrent travailler en France sur les sites miniers (Gard notamment) mais aussi sur les chantiers de tunnel (canaux, voies ferrées), notamment dans l'est, le centre-est et le sud-est de la France...
Je vais présenter ici quelques aspects de cette migration transalpine, plus particulièrement celle des entrepreneurs, à partir de recherches que je mène sur la main-d'œuvre d'un chantier de tunnel en Côte-d'Or, sur la ligne de chemin de fer Paris-Dijon, chantier qui dura de 1845 à 1851.

1) Les sources


Pour étudier cette main-d'œuvre, j'ai utilisé plusieurs sources conservées aux Archives départementales de la Côte-d'Or : les états civils des communes proches du chantier, les archives judiciaires, les archives notariales... Les mentions de lieux de naissance ou lieux de mariage m'ont amené à consulter d'autres états civils en France, ce qui m'a permis de reconstituer des fractions de parcours géographiques.
Au total, je suis parvenu à recueillir des données éparses qui renseignent sur les provenances et les itinéraires des travailleurs, la vie conjugale, les relations sociales et dans une moindre mesure sur l'organisation du travail. Malgré tout, d'énormes zones d'ombre demeurent. En ce qui concerne plus précisément les entrepreneurs, je n'ai pas ou peu d'éléments sur les conditions de départ de leur village, la formation professionnelle, la constitution des fortunes, les capitaux, le devenir après le passage sur le chantier...


2) Le chantier du tunnel et la direction


Ce tunnel qui devait mesurer 4100 mètres se situait entre deux petits villages, Malain d'une part et Blaisy-Bas d'autre part, d'où son nom «tunnel de Blaisy ». Le percement nécessitait au départ le creusement de 21 puits de trois mètres de diamètre, sans compter les puits de tête, tous espacés de 200 mètres environ, dont la profondeur variait de 14 à 196,50 mètres.
Dans un premier temps, le creusement des puits était dirigé par les ingénieurs des ponts et chaussées. Par suite de la loi sur les chemins de fer de juin 1845, les travaux du souterrain, ainsi que ceux d'un des viaducs, furent concédés le premier mai 1846, à la Compagnie du Chemin de fer de Paris à Lyon, qui fit diriger tous les travaux par ses propres ingénieurs et entrepreneurs. Une des premières mesures prises par le conseil d'administration de la Compagnie pour ce qui concerne l'exécution des travaux dans la Côte-d'or fut de passer un marché à forfait pour la construction du souterrain ; c'est l'entrepreneur Catinal Phorion Debains qui obtint la concession.



3) La main-d'oeuvre


Des centaines de travailleurs (certains observateurs ont cité le chiffre de 2 à 3000 personnes) convergèrent vers le chantier, essentiellement des mineurs, terrassiers, maçons, ainsi que des tailleurs de pierre, charpentiers... Ces hommes, qui se déplaçaient parfois en familles, venaient de divers horizons :
-les mineurs venaient en grande partie du Piémont, des zones minières de Saône-et-Loire, de la Loire et du Rhône et enfin de l'Est (Franche Comté, Lorraine, Alsace, Bavière rhénane) ;
-les maçons de la Creuse ;
-les terrassiers de l'Auvergne et de l'Est (Franche Comté, Lorraine, Alsace, Allemagne).

Une difficulté dans l'étude de la main-d'œuvre réside dans le flou des désignations professionnelles et notamment dans l'équivalence fréquente des termes d'entrepreneur, de tâcheron, de maître-mineur. En fait, le tâcheron était plutôt un sous-traitant de l'entrepreneur, et le maître mineur un chef d'équipe, mais il existait une forte mobilité professionnelle dans le secteur de la mine qui rend ces différences ténues.
Malgré tout, on peut considérer qu'au moins 6 entrepreneurs transalpins sont choisis au départ par les ingénieurs pour le creusement de plusieurs puits : Giuseppe Lussietto, Grato Canale, Francesco Francio, Carlo Robino, Vola, Joachim Bianquetti. D'autres arrivent en 1846 : Domenico Scalle associé à Gian-Battista Favetto, Gian-Battista Marroco, Martino Fontana, semblent être les sous-adjudicataires de l'entrepreneur principal Debains pour le creusement de la galerie du tunnel. Mais séjournent aussi les sous-traitants Domenico Minelono, Michele Gallo, Martino Bordetto, Martino Boletino...
Certains sont âgés, tels Francio et Fontana, nés peu avant 1800, ou encore Marocco, né vers 1805, d'autres plus jeunes, tels Favetto, Bianquetti, Gallo, nés après 1815...
Outre les entrepreneurs, une masse croissante de deux à trois cents ouvriers transalpins arriva progressivement sur le chantier entre 1846 et 1848. Beaucoup étaient de jeunes célibataires, souvent de la même parentèle. Parmi eux quelques «maîtres-mineurs » tels Battistino, Saudino ..., âgés de 25 à 32 ans.





II) Les caractères de la migration des entrepreneurs piémontais


1) Une zone de provenance prédominante : la vallée de la Chiusella dans le Canavese


Plusieurs entrepreneurs venaient de petites communes montagnardes de la vallée de la Chiusella au nord-est d'Ivrea ; c'est une vallée d'ancienne industrie basée sur l'extraction de minerais de fer et de cuivre (minerais de Brosso, Traversella) et sur la métallurgie, activités toutefois en déclin dans la première moitié du XIXe siècle.
Ainsi Canale et Marocco venaient de Trausella, Robino de San-Martino, Fontana de Fiorano, Gallo vraisemblablement de Traversella, Favetto de Rueglio...
En ce qui concerne leurs milieux familiaux de provenance, je n'ai quasiment aucune information hormis quelques mentions de la profession des pères : elles indiquent non pas des mineurs, mais un propriétaire (père de Favetto), un propriétaire-cultivateur (père du maître mineur Saudino), un simple «manouvrier » (père de Grato Canale qui l'accompagne sur le chantier de Blaisy). Cela laisse entrevoir des formes de passage professionnel intra familial, du secteur rural au secteur industriel, passage favorisé par l'environnement minier de la Chiusella dans lequel ont grandi ces futurs entrepreneurs. On retrouve d'ailleurs ce phénomène chez plusieurs ouvriers migrants du chantier dont les pères étaient paysans (par exemple des mineurs originaires des bassins houillers de Saône-et-Loire).


2) Une forte mobilité géographique en France


Les entrepreneurs mineurs de la Chiusella faisaient preuve d'une grande capacité de déplacement entre les chantiers de tunnels, de fortifications, et les zones minières. Il est difficile de dater l'émergence de cette migration. Une recherche sur les étrangers décédés lors de la construction du canal de Bourgogne et du canal du Charolais à la fin du XVIIIe siècle mentionne un mineur piémontais de Coni décédé en 1789 à Torcy en Saône-et-Loire aux travaux d'une rigole, mais aucun travailleur de la Chiusella ; en revanche en 1826, il est possible que des entrepreneurs de cette région aient travaillé à Pouilly-en-Auxois en Côte-d'Or au creusement du tunnel du canal de Bourgogne, puisqu'on trouve la trace de quelques ouvriers mineurs originaires des communes de Drusacco, Rueglio...
De 1830 à 1845, on repère avec certitude des entrepreneurs plus à l'est dans les différents chantiers de tunnel du canal de la Marne au Rhin : Foug en Meurthe-et-Moselle et Mauvage dans la Meuse ; plusieurs d'entre eux se dirigeront ensuite sur Blaisy.
L'entrepreneur Fontana par exemple était ainsi en 1838 à La Rouillerie, non loin de Bulgnéville dans les Vosges, travaillant probablement au gisement houiller dit de Norroy ou sur un chantier proche du canal de la Marne au Rhin ; il partit ensuite œuvrer au chantier du souterrain de Foug, en 1841 et 1842, puis aux fortifications de Langres (Haute-Marne) en 1844. Scalle vint également travailler durant deux ans au chantier de Mauvages en 1844 et 1845.



3°) Des migrations non saisonnières


On vient de voir comment les entrepreneurs se déplaçaient de chantier en chantier en fonction des opportunités. Ils y séjournaient relativement longtemps, c'est-à-dire plusieurs mois voire plus d'un an. Ainsi sur le site du tunnel de Blaisy, la plupart ont séjourné environ deux ans. Ce type de migration professionnelle ne correspond donc pas ou plus au modèle des migrations saisonnières avec retour régulier au pays.
Dans son ouvrage Les Alpes Occidentales (1954), Raoul Blanchard avait déjà noté ce phénomène autour de 1838 : «les voisins des minières de cette vallée [Chiusella] ont un rayon d'action et des absences plus élargi  [que ceux des vallées voisines] : beaucoup d'habitants de Drusacco passent l'hiver en France, employés aux mines de fer ou de charbon ; Brosso a de nombreux citoyens au dehors pour des travaux de voirie ou de mine. Novareglia compte des émigrés en France, qui sont mineurs. Ces dernières indications sentent furieusement l'émigration définitive ».



4°) La fréquence des couples itinérants



De façon générale, le déplacement en couple est assez répandu chez les entrepreneurs de travaux publics car la compagne était indispensable dans différentes tâches d'appoint, notamment l'hébergement des ouvriers. C'est aussi le cas des entrepreneurs et maîtres mineurs piémontais migrants, plusieurs n'hésitant pas en outre à s'unir à une française : Fontana et Scalle arrivèrent ainsi en compagnie d'épouses rencontrées sur leur parcours, dans l'Est de la France ; Canale et Favetto se marièrent durant leur séjour sur le chantier de Blaisy, avec des femmes des villages proches : respectivement, la jeune fille (17 ans) d'un meunier, la jeune fille (20 ans) d'un cabaretier. Le maître mineur Bernardo Saudino établit en 1846 à Malain une promesse de mariage avec une ouvrière fille d'un manouvrier de chalons-sur-Saône.
Il existait il est vrai des couples de piémontais migrants : Bianchetti vint avec son épouse Magdalena Ricono, elle-même accompagnée de son père. Le maître mineur Battistino épousa en 1847 à Blaisy-Haut la sœur de l'entrepreneur Robino. Quant à ce dernier, ainsi que Marocco, Bordetto, on ne trouve aucune trace de compagne sur le chantier.
Concernant les ouvriers piémontais en revanche, la rareté des accouchements de femmes piémontaises dans les villages entourant le chantier, semble indiquer qu'il s'agissait dans l'ensemble d'ouvriers célibataires ou ayant laissé leur compagne dans leur village.





III) Les entrepreneurs piémontais et l'organisation du travail sur le chantier


1) Connaissance et réputation à la base du recrutement


En 1845, les ingénieurs choisirent pour le creusement des puits des entrepreneurs, parfois associés, qui avaient déjà travaillé avec eux sur d'autres chantiers, à Savoyeux et Saint-Albin en Haute-Saône (tunnel de dérivation de la Saône)..., et qu'ils savaient, pour reprendre leur expression, «bons et solvables ».
Francio «maître mineur à Firminy » n'était pas dans ce cas puisqu'il avait été adressé par l'ingénieur en chef à un ingénieur ; mais il inspira aussi de la confiance à ce dernier «à raison de sa solvabilité, de son expérience et de ses bons certificats » même s'il «n'a jamais travaillé que dans le bassin de la Loire [...] et se fait donc une idée fausse des roches autres que les marnes que nous aurons à traverser », et s'il levait haut ses prétentions, demandant 6 puits et «250 francs du mètre courant ».
Il est fort probable que l'année suivante, le nouvel entrepreneur principal du souterrain Debains, ait aussi choisi des entrepreneurs, notamment des Piémontais, qu'il connaissait personnellement pour avoir travaillé avec eux sur d'autres chantiers, par exemple celui de Foug où il oeuvra vers 1841-1842.


2) Une sous-traitance en chaîne source de litiges permanents


L'organisation du travail sur le chantier reposait sur un système de sous-traitance à multiples niveaux. A la tête, les ingénieurs, auxquels succéda l'entrepreneur principal, puis les entrepreneurs qui prenaient en charge les activités de creusement, de maçonnerie, de terrassement, puis les sous-traitants, désignés parfois «tâcherons », lesquels pouvaient eux-mêmes faire appel à d'autres sous traitants...
La concurrence entre tâcherons sous-traitants sur les rabais, les retenues imposées parfois aux tâcherons pour malfaçon, qui se répercutaient sur le salaire des ouvriers, l'insolvabilité de tâcherons lancés, seuls ou associés, dans des entreprises précaires, la dilution des responsabilités qu'entraînait la sous-traitance, l'usage généralisé de délais de paiement fixés souvent oralement, tout cela donnait lieu à une multitude de litiges, arbitrés souvent par le juge de paix de Sombernon. Les Piémontais n'y échappaient pas. On note d'ailleurs qu'ils étaient loin de faire corps, ouvriers et entrepreneurs s'opposant parfois à propos de journées de travail non payées.



3) Les filières professionnelles de provenance


La présence sur le chantier de nombreux ouvriers originaires des mêmes communes que les entrepreneurs, ou de communes proches, atteste du rôle des filières professionnelles de provenance dans le recrutement. Ces filières concernaient les mineurs piémontais, les maçons de la Creuse, les terrassiers d'Auvergne, moins les travailleurs de l'Est (Alsaciens, Lorrains, Allemands) qui comptaient peu d'entrepreneurs sur le chantier.
Par ce système de filière, bien étudié chez les migrants creusois par Anne-Marie Moulin, l'ouvrier pouvait se voir offrir par l'entrepreneur ou le logeur-cabaretier un emploi, une aide au transport, à l'hébergement, avances qu'il lui fallait ensuite rembourser. Cela n'était pas sans litige comme le montre une affaire entre plusieurs mineurs et un logeur-commerçant, tous italiens, venant d'un chantier du Jura (vraisemblablement le chantier de fortification des Rousses), portée devant le juge de paix en novembre 1845.


4) Logiques concurrentielles et conflictuelles entre entrepreneurs


La concurrence entre les entrepreneurs donna lieu à plusieurs conflits du travail. Les plus importants, qui prirent la forme de véritables émeutes, visèrent les Piémontais. La première survint en juillet 1846, en pleine crise économique, après l'arrivée de l'entrepreneur principal Debains. Celui-ci fit appel de nouveaux entrepreneurs piémontais qui n'avaient pas encore travaillé sur le chantier, ce que lui reprochèrent violemment des entrepreneurs et des ouvriers français au chômage ou menacés de perdre leur emploi. Il semble bien que Debains ait voulu se séparer de plusieurs travailleurs, «les mauvais sujets, les brigands et ceux qui ne voudront pas travailler », et il n'est pas impossible qu'il ait voulu utiliser les Piémontais pour créer une émulation au sein de la main-d'oeuvre. En outre, des rumeurs d'emploi communautaire des Piémontais attisaient la colère. Ceux-ci étaient considérés comme les alliés de l'entrepreneur principal. Après l'émeute de juillet 1846, les tensions persistaient se traduisant par de fréquentes rixes. Une nouvelle mobilisation anti-piémontaise survint après la révolution de 1848 : après avoir demandé à plusieurs reprises leur départ, des ouvriers passèrent à l'action : armés de bâtons, ils fouillèrent les maisons des entrepreneurs piémontais et pourchassèrent leurs ouvriers, les obligeant à quitter définitivement le chantier.



5) Quelques indicateurs de la richesse des entrepreneurs


a) Le matériel
Les rares informations dont on dispose à ce sujet concernent deux entrepreneurs. Lussietto et Fontana. Le premier, venu pour le creusement de certains puits, semble posséder un matériel assez restreint d'une valeur de quelques centaines de francs. Le 7 avril 1846, il vendit la partie utilisée pour le creusement du puits zéro à un marchand épicier de Malain : une baraque en bois, couverte et garnie en planches située près du puits, six plateaux de chênes de la dite baraque (le tout pour 263 francs), le treuil du puits (85 francs), 2 bennes en bois cerclées de fer servant à extraire la terre (55 francs). Un mois plus tard, le 13 mai il céda à Boletino pour une valeur globale de 500 francs tous les bois placés dans trois puits, deux treuils plus leurs accessoires, des plateaux de chêne ainsi que la somme due par l'administration à Lussietto pour le prix de dix stères de bois convertis en coins.
Quant au second, travaillant au creusement de la galerie du tunnel, on apprend par une plainte émise pour vol qu'il détenait un magasin d'entrepôt de charbon de terre, et une forge utilisée notamment pour la construction de rails de chemin de fer.

b) le logement
Parmi les entrepreneurs piémontais, ceux arrivés dans le courant de l'année 1846 et sous adjudicataires du creusement de la galerie, firent construire sur place pour l'hébergement de leurs ouvriers de vastes maisons, capables de loger deux ou trois dizaines, voire plus, d'ouvriers.
Marocco disposait ainsi près du puits 7, sur le territoire de Blaisy-Haut, d'une maison, composée au rez-de-chaussée d'une salle de billard, d'une salle à manger, d'une cuisine et d'une alcôve, au premier étage de neuf chambres et, au dessus d'elles, de deux mansardes ; il fit même agrandir le bâtiment et s'accorda en février 1847 avec un cafetier de la commune pour lui louer le tout durant quatre ans pour 1000 francs de loyer annuel, à compter du 1er janvier 1848.
Dominico Scalle construisit lui-même une maison, au lieu dit La Tille à Baulme-la-Roche, qui semble également avoir vocation à héberger des ouvriers. Elle comprenait trois chambres au rez-de-chaussée, trois autres au premier étage, plus une cave à côté de la maison. Il la cèda à titre de bail à un forgeron en novembre 1846, moyennant 200 francs de loyer annuel. La vente du mobilier de la maison, entre autres cinq tables, 18 chaises, six lits, cent verres, sans compter les 480 litres de vin lui procura 1687 francs.
Fontana fit aussi bâtir une maison. On ne connaît pas la taille du bâtiment, mais on sait que le constructeur, un tâcheron français, lui réclama en mars 1847 1390 francs pour solde du prix de la construction de l'édifice.
D'autres piémontais disposaient également de maisons, mais moins spacieuses. Le tâcheron Boletino acheta en janvier 1847 à un scieur de long une maison construite en pierre, couverte de paille, pour la somme de 550 francs. Un autre tâcheron Biollo devint locataire, pour 300 francs l'année, d'une maison composée d'une chambre et deux cabinets au rez-de-chaussée, plus un grenier, le tout appartenant à un boucher de Malain[1].

c) Employés
Les employés, chargés notamment de payer les ouvriers, sont un autre signe de la richesse relative d'entrepreneurs tels que Scalle ou Fontana. Le premier avait un «caissier », français apparemment, et Fontana un «employé principal », piémontais. Ces employés étaient parfois l'objet de violences de la part de travailleurs s'estimant lésés.



L'étude des piémontais à Blaisy montre que les migrations de travailleurs étrangers sous la monarchie de Juillet, loin de ne concerner que des prolétaires peu qualifiés, ont touché aussi un grand nombre d'ouvriers qualifiés et d'entrepreneurs. Le phénomène est connu à cette époque chez les hommes d'outre-Manche, dans la métallurgie ou le textile notamment, moins chez les mineurs transalpins.
Les caractéristiques de la migration des mineurs piémontais de la Chiusella sont dans l'ensemble celles des anciennes migrations montagnardes : déplacement essentiellement masculin, organisé autour de filières de provenance... Ces migrations pourtant semblent commencer sous la monarchie de Juillet à perdre leur caractère périodique du fait de la multiplication des grands travaux et du développement de l'industrie houillère.
A cet égard, parmi les migrants piémontais des années 1840, les entrepreneurs semblent davantage changer de comportement que les ouvriers. Ils ne rompent certes pas obligatoirement avec l'idée de retourner dans leur village mais ils s'engagent dans une itinérance professionnelle durable, à caractère parfois familiale, qui les détache de leur «pays » de provenance. 
S'ils emploient et hébergent effectivement en grande partie des ouvriers de leur village ou de leur région, ils ne s'enferment pas dans ce qu'on appellerait maintenant la «vie communautaire » où «l'emploi ethnique » dans la mesure où ils établissent et accumulent des relations et des contacts dans les milieux qu'ils fréquentent. Ils savent se construire une bonne réputation (expérience, solvabilité...) au sein des ingénieurs de l'Etat et des grands entrepreneurs privés. Ils savent s'entourer non seulement de Piémontais mais aussi de sous-traitants, d'employés ou d'ouvriers français. Ils savent en outre tisser dans les villages où ils séjournent, de multiples relations avec les habitants sédentaires (transactions financières, immobilières, relations conjugales...). Bref, loin de regarder en permanence le village qu'ils ont quitté, ils découvrent, s'adaptent et élargissent constamment leurs horizons géographiques et sociaux.


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Bibliographie sommaire :


Anne-Marie Moulin, “Le rôle des réseaux de solidarité et d'exploitation dans la migration des maçons marchois au XVIIIème siècle” in Le Migrant. France terre de migrations internes, terre d'immigration., Actes du colloque d'Aurillac, 5-7 juin 1985, Aurillac, 1986.

Marco Cima, “L'industrie dans le Canavais (Piémont) au milieu du XVIIIème siècle”, Le Monde Alpin Rhodanien, troisième et quatrième trimestre 1987.

Abel Chatelain, «La main-d'œuvre et la construction des chemins de fer au XIXe siècle », Annales. Economies. Sociétés. Civilisations. 8, 1953,

Paola Corti, «L'émigration italienne : historiographie, anthropologie et recherche comparatiste », Revue européenne des migrations internationales, vol. 11, n° 3, 1995.

Pierre-Jacques Derainne, «Les ouvriers migrants du chantier de Blaisy, 1845-1851 », Annales de Bourgogne, tome 72, fascicule 2, 2000.



Notes

[1] 4E 51/45, Richard Malain


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