L'intérêt que j'ai porté
à la dernière vague migratoire espagnole est né d'un
constat très frappant : alors qu'il s'agit d'une
émigration relativement récente, ayant encore des traces dans la
société espagnole de nos jours, peu de travaux de recherche
(historiques mais aussi sociologiques) lui ont été
consacrés. Marginalisée par les études migratoires, cette
dernière vague semble également touchée par une sorte
d'amnésie collective, comme si la société espagnole,
accablée par son nouveau rôle de pays d'arrivée (mais
pas forcement d'accueil) de centaines de milliers d'immigrés,
avait oublié que, jusqu'à très récemment,
l'Espagne a été un pays d'émigration.
Travailler sur cette dernière vague migratoire était, en quelque
sorte, une façon de récupérer une partie de cette
mémoire collective de l'émigration, avant qu'elle ne
sombre dans l'oubli.
Puis, au fur et à mesure de mes recherches, j'ai
été également très frappée par
l'extrême cloisonnement de la discipline dite des
«études migratoires ». Partagés entre
plusieurs disciplines et éparpillés dans une myriade de
spécialités, les travaux sur le phénomène migratoire
ont du mal à «mélanger les genres » :
il y a, d'une part, les travaux faits du point de vue du pays
d'arrivée et ceux qui prennent uniquement en compte le pays de
départ ; puis il y a ceux qui portent sur les aspects
«politiques » de cette émigration, face à
ceux qui se focalisent sur l'émigrant et son parcours
migratoire ; et il y a aussi ceux qui portent un regard macroscopique sur
le flux migratoire, face à ceux qui plaident pour l'utilisation
d'une échelle microscopique.
Face à cet état de choses, mon travail ne
pouvait que répondre à un défi ; celui de
l'interdisciplinarité et de l'interconnexion. En multipliant
le nombre des acteurs participant au phénomène migratoire (les
différents acteurs étatiques et les émigrants
eux-mêmes), il devait essayer de rendre compte de l'interconnexion
existante entre la sphère politique et celle plus strictement
«sociale » de l'émigration. Il
s'agissait de rapprocher deux histoires, deux visages de
l'émigration souvent dissociés : une histoire politique
de l'émigration et une histoire socio-économique du fait
migratoire.
Nous analyserons tout d'abord les processus
d'élaboration de la politique migratoire franquiste pendant les
deux décennies qui suivirent la fin de la Deuxième Guerre
mondiale. Dans un deuxième temps, nous nous concentrerons sur les
négociations menées avec la France concernant la gestion du flux
migratoire espagnol vers ce pays. Nous finir, une troisième partie sera
consacrée aux modalités d'émigration vers la France
ainsi qu'aux stratégies développées par les
émigrants espagnols pour faire face aux contraintes étatiques
compromettant ou mettant en difficulté leur projet migratoire.
I La construction de la politique migratoire franquiste, 1945-1965
Dans la nuit du 1er avril 1939, l'armée rebelle
dirigée par Franco déclara avoir atteint les derniers objectifs
militaires jusqu'ici défendus par l'armée
républicaine. Pour les vainqueurs, deux objectifs
s'imposaient : la rupture radicale avec la période
précédente et la construction d'un nouvel Etat, voire
d'une nouvelle société, sur des bases très
différentes de celles qui avaient caractérisé
l'Espagne de 1936.
Lors des presque quatre décennies du franquisme,
différents modèles étatiques se succédèrent,
destinés à assurer la survie du régime en l'adaptant
aux circonstances changeantes, tant nationales qu'internationales. Le
modèle d'État «policier » des
années de l'après guerre civile (1939-1945) fut
remplacé en 1946 par un modèle d'État
«catholique et social », à son tour
remplacé, à la fin des années 1950, par un
État du «développement à
outrance ». Mis en place par le réseau technocrate, ce
modèle étatique se prolongea jusqu'à la mort du
dictateur, en 1975.
Comme nous le verrons par la suite, chacun de ces
modèles eut une influence non négligeable sur la sphère
d'élaboration des politiques publiques, telle celle concernant
l'émigration.
À l'issue de la guerre civile, les vainqueurs
optèrent par un modèle d'État purement policer. Il
s'agissait d'un État qui trouvait sa raison
d'être dans la victoire du camp franquiste lors de la guerre civile,
et pour lequel la guerre était considérée comme un acte de
légitime défense face au gouvernement de la II
eme
République, taxé d'illégitimité parce que
dominé par des idéologies «étrangères
à l'idiosyncrasie du peuple espagnol ».
L'utilisation de la dialectique de guerre
«ami/ennemi » servait à cet État policier
pour marquer la séparation entre deux Espagnes, considérées
comme inconciliables : l'Espagne légitime des vainqueurs et
l'Espagne des vaincus, ceux-ci devenant les ennemis du nouvel Etat ainsi
que la cible de persécutions et d'une répression de masse.
L'application de cette logique policière et
répressive sur les vaincus de la guerre fut à l'origine
d'un exil massif. Pendant ces années de la fin de la guerre et de
l'après-guerre, l'émigration espagnole adopta ainsi un
visage tragique : des milliers de républicains, les vaincus de la
guerre, partirent en exil. Au moment de la
retirada qui suivit la chute
de la Catalogne fin janvier 1939, la plupart de ces exilés choisirent de
franchir la frontière pyrénéenne : environ
500 000 Espagnols sont alors entrés en France pendant les premiers
mois de 1939
[2]. En dehors de la France, quelques
Républiques latino-américaines (le Mexique et l'Argentine
notamment) ont également été la terre d'accueil
d'une partie, beaucoup plus modeste, de l'exil espagnol.
Il a fallu attendre 1946 pour voir reprendre en Espagne une
émigration de type
«économique »
[3].
La reprise du mouvement migratoire espagnol, à destination des
Républiques latino-américaines notamment, coïncida avec la
mise en place d'un nouveau modèle étatique. Condamné
à l'ostracisme international le plus complet, et touché par
une très forte pénurie économique, la survie du
régime franquiste était, au lendemain de la Deuxième Guerre
mondiale, fortement compromise
[4]. Dans un
contexte aussi menaçant, Franco opta pour une opération
destinée à améliorer l'image du régime. Pour
cela il fit appel aux membres de l'Asociación Católica
Nacional de Propagandistas (ACN de P)dits
«propagandistes », qui s'incorporèrent
à un réseau politique jusqu'ici majoritairement
phalangiste
[5]. Cette incorporation des
catholiques «propagandistes » au gouvernement devait
accentuer les traits catholiques du franquisme et également neutraliser
les aspects les plus radicaux de l'idéologie phalangiste. Cette
alliance entre catholiques «propagandistes » et
phalangistes marqua le début de ce que l'on a appelé
l'«Ère Bleue ».
Ce nouveau réseau fut chargé de mettre en place
un Etat «catholique, social et représentatif ». Et
ceci dans un double objectif: d'abord, rompre l'isolement
international, en favorisant l'acceptation du régime par
l'ensemble des Nations; ensuite, incorporer les vaincus de la guerre
à ce nouvel Etat, par le biais d'un processus de
«nationalisation des masses prolétaires »
aboutissant à l'acceptation du franquisme par l'ensemble de
la société.
Les catholiques «propagandistes »
furent chargés du premier objectif. Ils furent dotés d'un
instrument majeur, la politique extérieure, et d'un cadre
d'action : le ministère des Affaires étrangères.
Quant au deuxième objectif, il fut attribué à la famille
phalangiste. Pour l'accomplir elle allait compter sur la politique sociale
et de la main-d'œuvre, développée à
l'intérieur du ministère du Travail et du syndicat unique
(OSE).
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la reprise
du flux migratoire espagnol (à destination de l'Amérique
latine notamment) détermina l'intégration de la
«question migratoire » dans l'agenda politique
franquiste. Lors de l'élaboration et de la mise en place de cette
politique, trois logiques allaient s'opposer, rendant cette politique
migratoire fortement conflictuelle
[6].
D'une part, nous trouvons une logique policière,
défendue notamment par les acteurs du ministère de la
Gobernación (équivalent du ministère de
l'Intérieur). Héritée du modèle
étatique privilégié pendant la période
précédente, cette logique prônait un contrôle policier
très strict de l'ensemble des départs et des sorties du
territoire national (y compris celles liées à
l'émigration). Finalement, cette logique réussit à
s'imposer dans une sphère très importante de la politique
migratoire franquiste : la délivrance des passeports aux
émigrants, compétence traditionnellement attribuée aux
inspecteurs d'émigration, placés au sein du ministère
du Travail. Voulant faire sortir la question migratoire de la sphère
policière tout en la rapprochant de la sphère
«sociale », la loi d'émigration de 1924
avait attribué aux inspecteurs d'émigration (appartenant au
ministère du Travail) les compétences en matière de
délivrance des passeports aux émigrants. En 1935, et dans un
contexte d'extrême conflictualité sociale, le gouvernement
républicain autorisa le transfert «exceptionnel et
provisoire » de ces compétences à la Direction
générale de la sûreté (DGS) du ministère de la
Gobernación. Pendant la décennie suivant la fin de la
Deuxième Guerre mondiale, et malgré le rétablissement de la
Loi d'émigration de 1924, la DGS réussit à garder le
monopole en matière de délivrance des passeports (y compris les
passeports aux émigrants). Et ceci malgré les plaintes des acteurs
du ministère du Travail
[7]. Ce transfert
de compétences eut d'importantes conséquences sur le flux
migratoire espagnol : l'émigration déjà
traditionnellement tournée vers les Républiques
latino-américaines put se développer, car les passeports furent
facilement attribués aux émigrants partant pour ces destinations
qui déclaraient avoir un parent faisant appel à eux
(l'émigration étant ici assimilée à un
«regroupement familial »). En revanche, les passeports
pour la France (l'autre destination traditionnelle du flux migratoire
espagnol) furent largement refusés (y compris les passeports de
touristes), car soupçonnés de cacher un exil potentiel.
Depuis le ministère du Travail et la sphère
syndicale, l'on défendait une logique
«sociale » de la gestion étatique de
l'émigration. Appartenant à la famille idéologique
des phalangistes, ces acteurs revendiquaient l'importance
d'insérer la politique migratoire au sein de la politique
«sociale et de la main-d'œuvre ” dont ils
détenaient la responsabilité. Pour ces acteurs, la politique
migratoire devait comporter deux volets : un volet
«assistance-contrôle » et un volet
«lutte contre le chômage ». Selon le premier,
l'État espagnol devait assurer l'assistance mais aussi le
contrôle des colonies d'émigrants espagnols installés
à l'étranger. Selon le deuxième, il devait utiliser
l'émigration pour évacuer les excédents existant sur
son marché du travail, le but étant d'éviter les
tensions sociales dérivées d'un taux de chômage
élevé. L'État espagnol fut ainsi appelé
à sélectionner très strictement les candidats à
l'émigration, privilégiant les départs de
chômeurs et de travailleurs non qualifiés et tendant à
empêcher les départs d'ouvriers qualifiés.
L'émigration spontanée, majoritaire jusqu'ici, fut
désormais proscrite et remplacée par une émigration
dirigée et planifiée par les États (aussi bien
d'émigration que d'immigration).
Finalement, cette logique sociale ne réussit à
s'imposer dans aucun domaine : tout d'abord, le très
faible taux de chômage ne justifiait pas un encouragement de
l'émigration de la part de l'État ; ensuite,
l'isolement international empêchait la signature de traités
de migration avec les pays d'immigration
; de plus, la
sélection des émigrants en fonction de critères
socioprofessionnels était presque impossible, faute d'accord
avec la Direction générale de la sûreté
(chargée de la délivrance des passeports) ; et pour finir,
même l'assistance aux colonies d'espagnols
émigrés ne passa que très rarement par des canaux
étatiques, car l'existence dans ces pays d'un réseau
associatif de caractère «ethnique » très
développé et extrêmement méfiant à
l'égard du régime de Franco, rendit très difficile
cette assistance-contrôle.
L'élaboration de la politique migratoire au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale fut enfin présidée
par une troisième logique : la logique diplomatique. Défendue
par les acteurs du ministère des Affaires étrangères, cette
logique aspirait à faire de la «question
migratoire » un outil au service de la rupture de l'isolement
international, tâche ardue que Franco avait confiée à ce
ministère. Pour la diplomatie espagnole, la politique migratoire pouvait
constituer un espace de dialogue et de négociation avec les
Républiques «sœurs » d'Amérique
latine, destination traditionnelle du flux migratoire espagnol. En effet, depuis
le ministère des Affaires étrangères franquiste, on
espérait que les liens «historiques et culturels »
existant entre l'Espagne et ses anciennes colonies aboutiraient à
une normalisation des relations avec les pays latino-américains et, par
là, avec les Etats-Unis, puis avec le reste du monde. Or
l'hostilité de ces Républiques s'avéra plus
forte que ces «liens historiques et culturels », et cette
logique «diplomatique » ne put s'appliquer que lors
de la signature du seul traité d'émigration de la
période : celui que les autorités franquistes
signèrent avec l'Argentine amie du général
Péron en octobre 1948
[8].
Vers le milieu des années 1950, une nouvelle
étape s'amorça au sein su régime franquiste. Une fois
la bataille contre l'isolement international gagnée, le
régime se vit confronté à ses problèmes
internes
[9] : la stagnation
économique et la montée des tensions sociales constituaient
désormais la principale menace pour la survie du régime.
Pour sortir de cette impasse, Franco et son bras droit, Luis
Carrero Blanco, appelèrent aux affaires une nouvelle élite
politique : les technocrates. Avec eux, un nouveau modèle
étatique s'imposait : l'État du
développement à outrance. C'est par le développement
économique et par la modernisation que ce réseau technocrate
aspirait à assurer la continuité du régime, en lui
fournissant une légitimité qui lui faisait largement
défaut. Comme l'a souligné William Genieys :
«c'est à travers leurs
rôles de modernisateur de l'économie espagnole que ce groupe
d'acteurs s'impose comme légitime au sein du régime.
L'imposition d'un rôle nouveau à l'Etat, à
travers la promotion d'une nouvelle politique économique,
l'atteste. Ce groupe d'élites franquistes s'appuie sur
les résultats de cette politique pour conquérir les principaux
leviers de
l'Etat. »[10]
Passer de la simple acceptation à la pleine
intégration de l'Espagne dans la sphère internationale et
réussir ainsi la pacification sociale par la résolution des
problèmes de l'Espagne devinrent les objectifs prioritaires de ces
acteurs. Placés au sommet des principaux ministères
économiques, ces acteurs misèrent sur la politique
économique pour accomplir leur mission avec succès.
La mise en place de cette nouvelle stratégie de survie
de la part du régime franquiste coïncida avec un changement de cap
du mouvement migratoire espagnol. Davantage orienté vers l'Europe
industrialisée, le flux migratoire espagnol devint une un enjeu central
pour assurer le succès des plans de modernisation et de
développement esquissés par les acteurs technocrates. En effet, ce
courant migratoire pouvait non seulement amortir les effets négatifs des
programmes de stabilisation et de développement (la montée
très importante du chômage notamment), mais aussi contribuer au
succès de ces plans de développement en apportant une
importante entrée de devises (liée aux envois d'argent des
émigrants), et en constituant un espace de dialogue et de
négociation avec les pays de l'Europe développée
(notamment face à une possible entrée de l'Espagne dans la
CEE).
Pour mettre la «question migratoire »
au service des besoins de développement et de modernisation de
l'Espagne, une nouvelle politique fut mise en place. Davantage
orientée vers l'émigration dite
«continentale », cette politique migratoire fut
institutionnalisée par un cadre juridique et institutionnel nouveau
(basé sur une nouvelle loi d'émigration, approuvée en
1960, et par la création en 1956 de l'
Instituto español
de emigración)
[11].
Comme lors de la période précédente, la
politique migratoire franquiste fut également marquée par la
présence de différentes logiques, défendues par des acteurs
appartenant à des ministères et à des familles
idéologiques distincts.
La logique «sociale et de la
main-d'œuvre » restait l'apanage du ministère du
Travail et de la sphère syndicale. Elle mettait l'accent sur le
contrôle et la direction étatique des flux, ainsi que sur
l'assistance-contrôle des espagnols installés à
l'étranger (en Europe
notamment)
[12]. Pendant ces années,
cette logique réussit enfin à s'imposer ; des
programmes étatiques d'émigration furent mis en place, suite
à la signature de traités de migration avec les pays
d'immigration. L'émigration avec contrat de travail devint la
seule émigration officielle (et non pas légale), et la signature
d'accords bilatéraux de migration était censée
assurer le partenariat des pays dans la gestion et la planification du flux
migratoire espagnol.
Placés à la tête des principaux
ministères économiques, les acteurs technocrates mettaient
plutôt l'accent sur l'importance d'ouvrir les portes
à l'émigration. Des calculs furent faits, et l'on
estima que le développement économique de l'Espagne allait
exiger une émigration annuelle d'environ 80 000 personnes
entre 1960 et 1975
[13]. Des différents
atouts que ces acteurs tiraient du flux migratoire, l'obtention de devises
était pour eux le principal profit que les plans de développement
pouvaient tirer de cette
émigration
[14].
Pour les acteurs du ministère des Affaires
étrangères, la politique migratoire devait désormais servir
à intégrer l'Espagne dans l'Europe. Une fois
gagnée la bataille contre l'isolement, la diplomatie franquiste
entamait un deuxième défi : son intégration dans
l'espace économique européen. Comme lors de la
période précédente, les traités de migration avec
les puissances de l'Europe occidentale furent l'occasion de
créer des espaces de dialogue et de négociation ; de plus,
l'insertion des travailleurs espagnols dans les économies de ces
pays était également conçue comme une façon
d'intégrer l'Espagne dans l'espace économique
européen
[15].
Nous ne pouvons pas finir sans faire référence à une
dernière logique, très présente lors des processus d'élaboration
de la politique migratoire au temps des technocrates : la logique «morale
» de l'Église catholique espagnole. De plus en plus intéressée
par la «question migratoire », l'Église catholique espagnole
utilisa son influence sur la sphère politique franquiste pour imposer,
dans certains cas, sa logique «morale ». Les aspirations principales
de l'Église en matière d'émigration étaient au
nombre de deux : l'assistance religieuse aux émigrants et l'encouragement
du regroupement familial. Ces deux aspirations étaient liées
à la vision de l'émigration comme une source de déchristianisation
et de «tentations » pour les émigrants ; de plus,
elle provoquait la destruction et le déchirement de beaucoup de noyaux
familiaux
[16]. Finalement,
les pressions
des acteurs ecclésiastiques portèrent leurs fruits : vers
le milieu des années 1950 une Commission épiscopale des Migrations
fut créée. Elle fut chargée d'assurer une assistance
spirituelle aux émigrants en rendant obligatoire la présence
des «prêtres des émigrants » (
capellán
de emigrantes). De même, le regroupement familial finit par être
accepté comme l'un des axes de la politique migratoire franquiste,
et ceci malgré ses effets «nocifs » sur l'envoi de devises
ainsi que sur les conséquences très positives que le marché
du travail espagnol devait tirer du retour, à moyen terme, de ces émigrants
[17].
II] Vers une gestion bilatérale du flux
migratoire vers la France
Au moment de décider de la façon de gérer
l'émigration espagnole vers la France, les autorités
espagnoles furent appelées à tenir compte de l'avis de leurs
homologues français. Des négociations bilatérales
s'imposaient.
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les
relations étaient très tendues entre les deux États,
rendant très difficile toute sorte de négociation. Il a fallu
attendre la normalisation progressive des relations diplomatiques, au milieu des
années 1950, pour voir les premiers pourparlers en matière de
migration, et ceci alors que les deux pays assistaient déjà
à la reprise, lente et progressive, de l'émigration des
travailleurs espagnols vers la France
[18]. La
volonté de réglementer cette émigration poussa les deux
pays à négocier. Le 17 mars 1956, l'Espagne et la France
signèrent un accord de procédure pour l'immigration de
travailleurs saisonniers ; une Convention générale de la
sécurité sociale fut signée en février 1957 ;
en octobre 1958, un accord destiné à encourager le regroupement
familial fut également signé. Mais il a fallu attendre la
signature du traité de migration de 1961 pour que la question de
l'émigration dite permanente soit abordée.
Le
manque de consensus entre les différents acteurs espagnols, et les
espoirs français sur l'émigration italienne seraient
à la base de ce retard.
Le début des négociations entre les
autorités françaises et espagnoles fut fixé au 30 mai 1960,
à Paris
[19]. Elles durèrent
jusqu'au 4 juin et furent caractérisées par les
désaccords entre les deux délégations. Du côté
espagnol, celle-ci était composée de représentants des
différents ministères concernés par la
«question migratoire » : les Affaires
étrangères, l'Intérieur, le Travail, l'Institut
espagnol d'émigration et la sphère syndicale (OSE). La
délégation française, quant à elle, comptait des
plénipotentiaires des ministères des Affaires
étrangères, de l'Intérieur, du Travail, de la
Santé publique, de l'Agriculture et des Finances, ainsi qu'un
représentant de l'ONI.
Très tôt, les débats entre les deux
délégations se polarisèrent autour de deux questions
fondamentales : l'établissement d'une procédure
conjointe de recrutement des travailleurs espagnols, et le regroupement
familial. Elles constituèrent par la suite l'essentiel des
pourparlers, ainsi que du texte de l'accord issu de ces
négociations, qui fut définitivement signé le 21 janvier
1961.
Le recrutement de travailleurs espagnols semblait
présenter d'importants terrains de désaccords entre les deux
parties. Le premier concernait la question de l'émigration avec un
passeport de touriste (ou émigration spontanée),
c'est-à-dire celle qui échappait aux procédures de
recrutement. Largement choisie par les travailleurs espagnols, cette
démarche migratoire fonctionnait,
de facto, grâce à
la complaisance des autorités françaises, qui facilitaient la
régularisation
a posteriori de ces travailleurs. Cette attitude
avait motivé les critiques des délégués espagnols
(notamment du ministère du Travail et de la sphère syndicale) qui,
tout au long des négociations, insistèrent sur l'importance
de lutter contre l'émigration spontanée ; ils
allèrent jusqu'à exiger des délégués
français que la carte de travail soit uniquement délivrée
aux travailleurs arrivés par la voie régulière. Cependant,
le profit que la sphère économique française tirait de ces
régularisations à posteriori
explique le refus
catégorique de la délégation française
d'accepter cette demande. En alléguant, tout simplement, que ce
sujet n'avait pas «sa place dans le texte des
accords », les autorités françaises mirent fin à
cette polémique, orientant les débats vers la définition du
modus operandi des recrutements.
Le deuxième terrain de discorde était celui des
conditions dans lesquelles mener à bien ces recrutements. Les
délégués français mettaient l'accent sur le
tempo et sur la qualité de la main-d'œuvre
recrutée. De façon plus concrète, ils exigeaient
l'établissement de procédures administratives rapides et
efficaces, capables d'acheminer les travailleurs espagnols vers la France
dans les délais convenus. De même, leur préoccupation
concernant la qualité de la main-d'œuvre les avait
amenés à demander aux représentants espagnols la
possibilité d'indiquer les provinces dans lesquelles ils
désiraient privilégier le recrutement. Ces deux demandes furent
acceptées par les délégués espagnols et introduites
dans le projet final. Or, pour faire passer ces deux demandes, les
délégués français avaient dû céder sur
l'une des revendications de la délégation espagnole :
celle concernant l'envoi de renseignements sur les conditions de vie et de
travail que les différents contrats proposaient aux travailleurs.
Soucieux d'assurer les meilleures conditions économiques et
sociales à leurs candidats à l'émigration, les
délégués espagnols misaient sur la qualité des
contrats de travail proposés. Pour cela, ils exigeaient des
autorités françaises l'envoi de renseignements concernant
les conditions de travail, de salaire, de vie, etc., proposées dans les
différents contrats de travail.
Le troisième point de désaccord concernait les
modalités de recrutement. Lors des négociations, deux
modèles de contrat de travail furent pris en compte : le contrat
anonyme (donnant lieu au recrutement anonyme) et le contrat nominatif (à
l'origine du recrutement dit
«nominatif »)
[20]. Sur
les contrats nominatifs figurait l'identité du futur
embauché, et ils résultaient souvent de demandes de travailleurs
espagnols à leurs patrons pour qu'ils embauchent un ami ou un
membre de leur famille voulant travailler en France. Quant aux contrats dits
«anonymes », il s'agissait de demandes
numériques de travailleurs pour une branche spécifique de
l'économie. Les autorités espagnoles devaient
répondre à ces demandes avec des listes de travailleurs
censés obéir au profil demandé. C'est à
l'intérieur de ces listes que les autorités
françaises devaient sélectionner les candidats ; et ceci par
le biais d'une sélection médicale et professionnelle
menée en Espagne. Les préférences exprimées pour
l'une des deux modalités de contrat allaient constituer une
troisième source de désaccord entre les deux
délégations.
Tout au long des négociations, les
délégués espagnols exprimèrent leur volonté
de tirer un maximum de profit des contrats anonymes, tout en se méfiant
des contrats dits nominatifs. La prédilection des représentants
espagnols pour les contrats anonymes était liée au fait que ces
contrats leur permettaient de choisir les candidats à
l'émigration en fonction des déséquilibres du
marché espagnol de la main-d'œuvre. Dans ce sens, ils
allèrent jusqu'à demander la possibilité de proposer
librement aux autorités françaises leurs propres candidats ;
proposition qui fut refusée par les délégués
français.
À la différence des contrats anonymes, les
contrats nominatifs réussissirent à contourner la sélection
des candidats menée par les autorités espagnoles, ce qui provoqua
la méfiance de celles-ci à leur égard. Mal
considérés par les autorités espagnoles, les contrats
nominatifs étaient largement préférés par les
employeurs français, car ils diminuaient les risques que comportait
l'embauche de travailleurs complètement inconnus. Ceci explique le
refus des délégués français de la demande des
représentants espagnols de pouvoir refuser
«pour des
raisons d'ordre national ” certains de ces contrats nominatifs.
Le deuxième axe de ces négociations concernait
le regroupement de l'émigrant-travailleur avec sa famille. À
cet égard, la position de la délégation française
était claire et précise : cet accord ne devait pas se limiter
à
“ un accord de recrutement de main-d'œuvre, mais un
accord d'immigration et de peuplement
”[21]. En effet, les
autorités françaises étaient désireuses
d'utiliser l'immigration pour peupler la France avec une population
considérée comme facilement assimilable ;
l'installation d'Espagnols devait ainsi être encouragée
car, entre autres, elle permettait de contrebalancer l'immigration
originaire des pays en voie de
développement
[22].
Du côté espagnol, la volonté
d'encourager le regroupement familial était liée, nous
l'avons vu, à l'influence de l'Eglise catholique sur la
politique migratoire. Faisant comme si le regroupement familial n'allait
en rien modifier le projet de retour de ces émigrants, les
autorités espagnoles se sont concentrées par la suite sur la
façon de «capitaliser » ces retours. Pour cela, la
délégation espagnole insista sur le libre transfert vers
l'Espagne de l'épargne salariale de ces travailleurs, sur la
possibilité de les former dans des écoles de formation
professionnelle créées pour les travailleurs nationaux, et sur la
possibilité de faire bénéficier les Espagnols
émigrés de davantage de droits sociaux. Finalement, l'accord
de 1961 approuva l'ensemble des demandes formulées à cet
égard par les délégués
espagnols
[23].
À la suite de ces accords, plusieurs questions
restaient cependant à régler : la principale d'entre
elles étant la question relative aux «mesures à
prendre contre l'émigration spontanée ».
Esquivée lors des accords de 1961, elle n'eut pas de suite dans les
années suivant ces accords. Et ceci malgré les demandes des
autorités espagnoles liés à la sphère syndicale et
du travail, de plus en plus préoccupées par l'augmentation
de ces départs spontanés, régularisés par la suite
par les autorités françaises ; augmentation qui montrera les
limites d'un accord censé assurer la maîtrise du flux
migratoire espagnol par les États espagnol et français.
III Les chemins de l'émigration. Les
stratégies individuelles dans l'émigration espagnole vers la
France (1956-1965)
Nous allons maintenant analyser les possibles
répercussions de la politique migratoire franquiste et des accords
signés avec la France sur les stratégies des émigrants.
Pour cela, nous allons tenir compte, aussi bien du contenu de ces politiques,
que de la façon dont elles furent mises en place et gérées
par les administrations compétentes. À cet égard, nous
sommes partis du principe que les administrations sont un acteur politique
à part entière, et non pas le simple bras exécuteur de la
sphère politique. En reprenant l'expression de J. Chevallier,
l'administration doit être considérée comme un
«acteur politique à part entière dont le pouvoir
s'appuie sur la détention de ressources
spécifiques » ; autrement dit,
«le
principe de la double subordination, juridique et politique, ne suffit pas
à priver l'administration de toute capacité d'action
autonome ”
[24].
Jusqu'au milieu des années 1950, le
contrôle des départs vers la France relevait de la seule logique
policière. La fermeture de la frontière pyrénéenne
au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, puis la méfiance des
autorités franquistes envers les individus demandant un passeport pour la
France (terre d'accueil des républicains espagnols), rendirent
cette émigration très difficile. Même une fois la
frontière rouverte (en 1947), les passeports et les visas de sortie pour
la France furent toujours délivrés au compte-gouttes.
Pour ceux qui voulaient tenter leur chance, les
procédures légales étaient au nombre de deux : la
procédure nominative (qui était la procédure officielle) et
une procédure officieuse dite «du faux touriste ».
Les formalités administratives concernant la première
étaient du même genre que celles concernant les pays
latino-américains : pour obtenir son passeport et son visa de
sortie, l'émigrant devait fournir une lettre d'appel
visée par un consul espagnol en France (ce qui rendait nécessaire
la présence d'un parent, d'un ami ou d'une connaissance
déjà installé en
France)
[25]. Une fois l'autorisation de
départ en poche, l'émigrant devait obtenir son visa
d'entrée en France. Pour cela, il devait s'adresser au
consulat français le plus près et prouver qu'il avait
été demandé nominativement par un employeur, et qu'il
avait signé un contrat avec lui
[26].
Cependant, les autorités espagnoles refusaient très souvent le
passeport et le visa de sortie aux émigrants qui avaient opté pour
cette voie, ce qui conduisait la presque totalité des candidats à
l'émigration à tenter la procédure dite du
«faux touriste »
[27].
Un peu plus perméable que la procédure
officielle, l'émigration avec un simple passeport de touriste
était également soumise à un contrôle strict de la
part des fonctionnaires de la Direction nationale de la Sûreté,
chargés de la délivrance de tout type de passeport. Le nombre des
sorties refusées était très important, notamment aux
individus ayant des liaisons avec le camp des vaincus. De peur qu'ils
influencent les émigrants «économiques »,
les autorités franquistes surveillaient les départs (officiels ou
en qualité de faux touriste) des personnes dont on soupçonnait
l'hostilité envers le régime. Ceci d'autant plus que
la France, terre d'asile pour les républicains espagnols, semblait
attirer ces dissidents, dont le départ était, dans ces
années-là, à cheval entre l'émigration
économique et l'exil politique.
Face à ce contrôle strict des départs, les
émigrants espagnols développèrent plusieurs
stratégies. L'une des plus importantes était le recours aux
pots-de-vin pour soudoyer une administration franquiste très
défaillante, car très mal payée et manquant de personnel et
de moyens. Les dysfonctionnements et la porosité caractérisant
l'administration franquiste permirent le départ en
«faux touriste » de certains individus dont le passeport
avait été refusé dans un premier
temps
[28].
"Je suis arrivé en France en 1952.
J'étais d'un village de la province de Caceres, près
de Navalmoral de la Mata. Pour venir, j'avais besoin d'un passeport
de touriste qui durait trois mois (...) mais quand je suis allé le
chercher à Caceres, ils me l'ont refusé en disant que
j'appartenais à une famille de rouges. J'ai donc dû
aller à Madrid pour le faire là-bas. À la fin je l'ai
obtenu mais j'ai dû payer 3 000 pesetas, ce qui
représentait beaucoup d'argent à cette
époque-là[29].
Je gagnais 60 pesetas par jour, ce salaire ne suffisait pas
pour faire vivre une famille avec deux enfants, et j'ai alors
décidé d'aller travailler en France. À cause de mes
activités syndicales et de mes démêlés avec la Garde
civile, les autorités refusaient de me fournir un passeport pour quitter
le pays. (...) Finalement, comme un de mes jeunes frères vivait à
Paris, il m'a envoyé une lettre disant qu'il était
gravement malade et demandant que je vienne le voir. Un sergent de la Garde
civile, catalan et né dans une famille républicaine, m'a
finalement aidé à obtenir un visa de touriste pour
partir[30]
Enfin, pour ceux qui voyaient quand même leur passeport
refusé, il restait toujours la possibilité de partir
clandestinement.
Suite à la signature de l'accord
hispano-français de 1961, les programmes d'émigration
«assistée » (que les autorités
françaises appelèrent «programmes de recrutement de
travailleurs étrangers ») devirent le seul chemin officiel
pour émigrer en France. Avec eux, les États espagnol et
français devaient s'assurer le contrôle du flux migratoire,
ainsi que la possibilité de décider de son ampleur et de sa
composition.
Néanmoins, le manque de rigueur, l'arbitraire, et
les nombreuses anomalies présents lors des différentes
procédures administratives, éloignèrent l'application
du Traité de son contenu réel. Ce décalage entre normes
politiques et pratiques administratives créa de nombreux interstices par
lesquels certains émigrants espagnols réussirent à se
faufiler, échappant au contrôle étatique menaçant
leur projet migratoire.
De façon très générale, les
programmes d'émigration dirigée ou
«assistée » étaient composés de
différentes procédures : la diffusion de l'information
concernant les offres d'emploi à l'étranger, le
recrutement (ou inscription des offres et des demandes sur le Registre central
d'émigration), la présélection et la sélection
(professionnelle et médicale) des candidats, la documentation des
travailleurs recrutés, et leur acheminement vers leur lieu de
travail.
La diffusion des offres d'emploi en provenance de
l'étranger était l'une des clés de la
réussite de ces programmes de recrutement. Cette information devait
permettre aux candidats à l'émigration de connaître
les avantages de ces programmes (le paiement des frais de voyage, un logement
à leur arrivée, etc.). Elle devait également fournir des
renseignements précis concernant les conditions de travail, le salaire,
etc. ; et ceci dans la but de réduire le niveau d'incertitude
et la méfiance envers l'Etat de la plupart des candidats à
l'émigration.
Cependant, et étant donné le manque de moyens et
de volonté politique, l'information n'était ni
suffisante, ni précise, ni correctement diffusée, comme
l'illustre ce commentaire d'un inspecteur espagnol
d'émigration :
[L'émigrant] qui se rend à
l'organisme officiel se heurte à des incertitudes et à un
manque d'information, obtenant uniquement un aimable «on vous
préviendra », sans aucune précision sur les
délais, même approximative ; quand au bout de huit mois,
d'un an, parfois plus, ou parfois moins pour quelques professions, on les
prévient, on reçoit de nombreuses lettres retournées avec
la mention «Parti à
l'étranger ».
[31]
Fort dispersée, souvent incomplète, et passant
presque exclusivement par l'écrit (annonces dans la presse,
brochures, etc.), l'information fournie par les deux États ne
risquait pas de déclencher une inscription massive aux programmes
d'émigration assistée. Ceci d'autant plus
qu'elle ne pouvait pas concurrencer les voies informelles
d'information, amenant les émigrants potentiels sur les chemins de
l'irrégularité (voir ci-dessous). Très souvent, les
émigrants spontanés étaient beaucoup mieux informés
que les émigrants «réguliers ». Ces voies
informelles, comme le «bouche à oreille »,
étaient beaucoup plus répandues ; elles étaient
également considérées comme bien plus fiables que celles en
provenance des administrations de l'État.
La deuxième étape était celle du
«recrutement ». Elle consistait à inscrire sur le
Registre central des émigrants aussi bien les individus se proposant pour
travailler à l'étranger, que les demandes de travailleurs en
provenance de l'étranger.
Mais cette inscription comportait déjà en soi de
nombreuses anomalies. Tout d'abord, la concurrence entre l'IEE
(équivalent de l'ONI côté espagnol) et la
sphère syndicale espagnole fut à la base de nombreux
courts-circuits dans la gestion de ces programmes. En théorie, les
candidats à l'émigration pouvaient aussi bien
s'inscrire auprès des bureaux de placement de leur localité
de résidence, qu'auprès des délégations de
l'IEE (placées uniquement dans la capitale de chaque province).
Cependant, le manque de coordination et les rapports de force entre ces deux
organismes faisaient que seuls les travailleurs inscrits dans les
délégations de l'IEE avaient des véritables chances
de voir leur demande aboutir.
(...) Les travailleurs qui s'inscrivent dans le
bureau de placement en demandant un travail à l'étranger
n'ont aucune possibilité de partir, car seules les personnes
inscrites directement à la délégation provinciale de cet
organisme [Institut espagnol d'émigration] sont
sélectionnées. (...) Pour cela, notre bureau provincial ne fait
qu'inscrire les travailleurs qui le demandent et qu'enregistrer les
offres de travail à l'étranger envoyées à ce
Service national, sans que l'on puisse par la suite les gérer.
(...) Les faits et les circonstances rapidement commentés ci-dessus
mettent en évidence le manque de coordination dans la mécanique
administrative du processus
migratoire[32]
Cet état de choses incommodait fortement les candidats
à l'émigration ; originaires pour la plupart du monde
rural, ils étaient obligés de se déplacer vers la capitale
de la province pour avoir une chance de voir aboutir par la suite leur demande
d'émigration.
Ensuite, à ces problèmes de coordination
s'ajoutaient des dysfonctionnements au sein de ces deux organismes
administratifs. Le fonctionnement des différents bureaux syndicaux de
placement était marqué par le manque de personnel et de
ressources
[33]. Quant à l'IEE, ses
défaillances étaient liées au fait que ses fonctionnaires
étaient débordés et n'arrivaient guère
à gérer les nombreuses offres en provenance de
l'étranger, tout en assurant le reste des tâches
administratives
[34].
Pour finir, au manque de personnel et aux problèmes de
coordination, il faut ajouter la dégradation des rapports entre
l'IEE et la mission de l'ONI en Espagne. Durant les années
1960, les relations entre les deux organismes partenaires se sont
progressivement détériorées. Du côté espagnol,
l'on considérait le traité bilatéral signé en
janvier 1961 comme très favorable à la France, alors que du
côté français, l'on accusait l'IEE de ne pas
respecter le délai de 15 jours que ces accords avaient établi pour
les recrutements dits
«anonymes »
[35].
Ne pouvant pas obtenir à temps des travailleurs
«anonymes », les employeurs français se
tournèrent de plus en plus vers les recrutements
«nominatifs ». Pour cela, ils commencèrent
à profiter de prospections dans des provinces où ils
étaient censés faire du recrutement anonyme pour nouer des
contacts avec certains travailleurs, puis les recruter
nominativement
[36]. Mais cette astuce des
employeurs français fut découverte par les autorités
espagnoles, qui choisirent par la suite de restreindre de façon
très importante les recrutements nominatifs ; et ceci malgré
les plaintes des représentants français, qui demandaient à
ce que l'accord de janvier 1961 soit
respecté
[37].
Ces obstacles au recrutement anonyme, ajoutés à
l'impossibilité de recruter librement des travailleurs espagnols
par la voie «nominative ”, eurent comme conséquence une
nette augmentation du nombre de travailleurs espagnols entrés en France
avec un simple passeport de touriste
[38].
Cette phase de recrutement était suivie par
l'étape de la sélection (professionnelle et médicale)
des candidats à l'émigration. L'exécution des
tâches de sélection était également marquée
par des dysfonctionnements et des «arrangements »
contournant les normes légales. De plus, et étant donnée
que les critères de sélection des travailleurs émanant de
la sphère politique étaient très souvent flous,
l'administration finit par obtenir une grande autonomie dans la
sélection des migrants.
Lors de la présélection professionnelle
menée par l'administration espagnole, les cas de corruption, de
trafic d'influence et d'abus de pouvoir étaient très
nombreux. La présélection des travailleurs devint un acte de
pouvoir, et les critères de sélection étaient loin
d'être rigoureux
[39]. Or, dans
beaucoup de cas, ces anomalies étaient également liées au
fait que, faute de personnel suffisant pour mener ces opérations avec la
rigueur et le professionnalisme requis, ces formalités étaient
effectuées à la hâte, par du personnel subalterne
n'ayant pas la qualification professionnelle
requise
[40].
Les nombreuses irrégularités lors de ces
procédures finirent par décourager beaucoup de candidats à
l'émigration. Ne voulant pas assumer l'incertitude et le
risque liés à cette présélection, beaucoup
d'entre eux prirent d'autres chemins pour partir en France (voir
ci-dessous).
Du côté français, la sélection
professionnelle fut marquée par les nombreuses plaintes concernant la
«mauvaise qualité de la main-d'œuvre »
présélectionnée par les agents espagnols. Le
décalage entre les critères de sélection des
administrations espagnole et française fut à l'origine
d'importantes tensions et de conflits entre elles. Du côté
espagnol, l'on tâchait de répondre à la volonté
du ministère du Travail et de la sphère syndicale d'utiliser
cette émigration assistée pour évacuer une partie de la
main-d'œuvre excédentaire : l'on donnait la
priorité aux ouvriers peu qualifiés, aux chômeurs et aux
travailleurs du secteur primaire avec de faibles qualifications
professionnelles, en provenance notamment des provinces du sud. Tandis que du
côté français, l'on visait aussi bien de simples
manœuvres pour l'industrie que certaines catégories
d'ouvriers qualifiés, notamment dans le bâtiment, ainsi que
des mineurs. L'adéquation entre l'offre (espagnole) et la
demande (française) n'était donc pas toujours
facile
[41].
Selon des renseignements puisés à bonne source,
les différents «CENTRES » de l'ONI, en France, se plaignent
d'une façon générale de la mauvaise qualité
de la «Main-d'œuvre » recrutée par les Syndicats
espagnols et envoyée en France par l'entremise de la Mission ONI-Espagne.
En effet, pour prendre un exemple concret, lorsque l'ONI Espagne fait
une offre d'emploi «carrier » à la Direction des Syndicats
de Madrid (qui transmet aux Délégations Provinciales), l'ONI
Espagne reçoit un petit nombre de professionnels et un nombre plus
important d'ouvriers n'ayant jamais travaillé dans une carrière
de pierres (électriciens, ouvriers agricoles, etc.). Ces ouvriers,
faute de mieux, sont acheminés sur les employeurs ayant souscrit
des contrats de «carriers professionnels ». Au bout de très
peu de jours, les «non-professionnels » qui ne peuvent donner
satisfaction sont remis à la disposition du «Centre-ONI »
le plus proche, qui tente avec plus ou moins de succès de les «reclasser
» dans d'autres professions, ce qui ne va pas sans de très
sérieuses difficultés. C'est ainsi que le «Centre-ONI
» de LYON s'est plaint d'avoir en moyenne 35 % d'échecs
parmi les ouvriers espagnols venant d'Espagne, avec des contrats d'ouvriers
ou de manœuvres spécialisés. Le «Centre-ONI »
de Toulouse s'est également plaint pour des raisons identiques[42].
Parallèlement, les candidats espagnols étaient
également soumis à une sélection de type médical.
Comme pour les procédures d'inscription, les candidats à
l'émigration pouvaient choisir entre le bureau syndical (souvent
placé dans leur localité de résidence), et le bureau de
l'IEE (placé dans la capitale de leur province de résidence,
ce qui les obligeait à ce déplacer plus ou moins loin). Mais dans
la pratique, la rivalité et le manque de coordination entre ces deux
instances administratives obligeaient les candidats ayant choisi le bureau
syndical à repasser la visite médicale au bureau de l'IEE.
Ceci donnait lieu à une “
dualité d'examens
médicaux ” qui ne faisait qu'alourdir et ralentir
davantage les formalités administratives liées à
l'émigration, décourageant davantage encore ces
candidats
[43].
Côté français, la sélection
médicale était menée par les agents de la mission de
l'ONI à Irun. Censée être beaucoup plus rigoureuse et
complète, cette sélection médicale comportait les examens
suivants : détermination de la taille et du poids, examen clinique
conformément aux critères établis par le ministère
de la Santé publique et de la Population, examen de la vue pour
déterminer l'acuité visuelle, radioscopie des poumons,
analyse d'urine à la recherche de sucre et d'albumine,
sérologie de la syphilis et vaccination
antivariolique
[44].
Mais, au moment de mener à bien cette sélection,
la mission de l'ONI à Irun fut prise en tenaille. D'une part,
elle était amenée à être stricte, sous peine
d'être obligée de prendre en charge les travailleurs
«inaptes » entrés en France ; et ceci
au-delà même de la période d'essai chez
l'employeur. Mais d'autre part, si l'ONI était trop
strict à l'égard de ces candidats à
l'émigration (notamment avec les candidats
«nominatifs »), il s'exposait à des conflits
avec les organisations
professionnelles
[45].
Progressivement, un certain laxisme s'installa dans
cette sélection médicale menée à Irun. Deux
phénomènes furent à l'origine de ce manque de
rigueur : tout d'abord, la forte pression exercée par le
marché du travail français, dont les demandes en main-d'œuvre
étrangère ne cessaient de croître. Ensuite, le manque
très aigu de moyens et de personnel chargé de cette
sélection
[46]. Le résultat de cet
état de choses fut que le pourcentage de candidats espagnols
déclarés inaptes passe de presque 8 % en 1958 à
1 % en 1965
[47].
Après cette phase de
«sélection », l'administration espagnole
était chargée des démarches concernant la documentation des
candidats retenus. Pendant cette étape, les défaillances venaient
de la lourdeur des formalités et du manque de coordination au sein de
cette administration. Ceci repoussait encore plus les dates de départ des
travailleurs sélectionnés, sapant davantage la patience des
employeurs français.
Jusqu'en novembre 1957, la documentation des
émigrants recrutés par la France passait par la voie
ordinaire : passeport et visa de sortie étaient
délivrés par les autorités policières de la DGS dans
un délai de quinze jours au maximum. Par la suite, la volonté de
l'IEE de s'immiscer dans l'affaire allait compliquer beaucoup
les choses.
Suite à la création d'un passeport «E » (destiné
aux émigrants et géré par l'IEE), les démarches
de documentation s'alourdirent davantage. De plus, manquant des infrastructures
et du personnel nécessaires pour donner suite aux demandes de cette
nouvelle modalité de passeport, l'IEE fut obligé de demander
la collaboration de la sphère syndicale. Or, cette «collaboration
» ne se déroula pas dans la bonne entente et la coordination,
bien au contraire. Voici le témoignage d'un fonctionnaire de la mission
de l'ONI à Irun, fort intéressant à cet égard :
Il a été remarqué que le nouvel
«Office d'émigration” espagnol, seul
qualifié pour délivrer les Passeports d'émigrants
à ses ressortissants semblait demander un assez long délai pour
délivrer ces passeports aux intéressés. La raison de cette
attitude est assez complexe. Il faut d'abord savoir que jusqu'au
moment de la mise en activité de cet organisme, seuls les SYNDICATS
avaient qualité pour diriger les travailleurs sur la France, les
passeports et visas étant délivres par voie normale. Actuellement,
seul cet organisme a qualité pour délivrer les nouveaux passeports
d'émigrants (avec visas spéciaux) sauf cas particulier de
période transitoire. On assiste donc actuellement à une sorte de
lutte sourde entre ces deux organismes qui se disputent le droit de diriger
l'émigration espagnole. De plus il faut savoir que l'Office
d'émigration espagnole est à tendance catholique alors que
les syndicats sont le plus souvent de tendance opposée. Rien de
surprenant alors à ce que l'Office d'émigration
espagnole freine la délivrance des Passeports aux candidats à
l'émigration. Quand il est fait reproche à l'ONE
espagnole de mettre peu d'empressement à délivrer les
passeports, cet organisme répond «C'est de la faute aux
Syndicats ! », quand on reproche aux SYNDICATS de mettre du
temps à transmettre les demandes de passeports à l'ONE, les
SYNDICATS répondent «Nous avons fait les transmissions
nécessaires, c'est l'ONE qui ne fait pas son
travail ! » il n'en reste pas moins que l'ONE
devrait avoir environ 7 000 demandes de passeports
«E » (y compris campagne betteravière)
présentées par les SYNDICATS et c'est à peine si elle
en a reçu 1 800 pour la France (au lieu de
7 000 !).
La situation de l'ONI-(Mission Espagne) est
particulièrement
délicate[48].
Suite aux retards accumulés, les opérations de
recrutement de main-d'œuvre espagnole dépassaient très
largement les délais établis dans l'accord de 1961. Parfois
même, le passeport arrivait trop tard, et les contrats ne pouvaient pas
être honorés. Ceci rendait très difficile la planification
des embauches par les employeurs
français
[49].
La principale conséquence de tout cet état de
choses fut que l'émigration spontanée (avec un simple
passeport de touriste) finit par mieux s'adapter aux demandes de
l'économie française, arrangeant également les
technocrates espagnols, désireux de voir partir une quantité
importante de leurs compatriotes. Résultat, les deux États
fermèrent les yeux et laissèrent faire, et ceci malgré les
protestations d'autres secteurs de la sphère politique, qui
continuaient à revendiquer l'importance de contrôler et de
planifier cette émigration (sélectionner les émigrants, les
régions migratoires, etc.).
Or, même si le pourcentage d'émigrants partis avec ces programmes
fut relativement modeste (allant de 29 % en 1960 à 18 %
en 1965), cette modalité migratoire eut un impact non négligeable
sur l'émigration espagnole vers le pays voisin. En privilégiant
le départ des candidats de régions rurales au taux de chômage
élevé, n'ayant pas de tradition migratoire vers la France
(l'Andalousie notamment), ces programmes donnèrent la possibilité
d'émigrer à des personnes qui, faute de contacts en France,
ne se seraient peut être pas lancées dans une telle «aventure
». Prenant la place jadis occupée par les pionniers de jadis,
ces émigrants «assistés» rendirent par la suite
possible l'émigration, avec un simple passeport de touriste, de nombreux
individus originaires de ces régions. Ceci expliquerait que, vers
le milieu des années 1960, l'ensemble des régions espagnoles
était plus ou moins touché par l'émigration vers la
France.
Malgré la mise en place de ces programmes
d'émigration «assistée », le
départ avec un simple passeport de touriste fut, pendant toute la
période, le principal chemin d'émigration vers la France.
Nous avons vu comment l'accord de 1961 avait laissé la porte
ouverte à cette modalité migratoire (régularisée
à posteriori par les autorités françaises).
Considérée par l'Espagne comme irrégulière
mais non pas illégale (comme ce fut le cas au Portugal),
l'émigration avec un simple passeport de touriste finit par
l'emporter, car elle comportait une moindre incertitude pour les
émigrants. De plus, les démarches administratives étaient
beaucoup plus simples et rapides : une fois déposée la
demande avec les documents exigés (certificat de naissance, livret de
famille ou ancien passeport, carte d'identité, casier judiciaire,
etc.), le passeport de touriste était délivré dans les 48
heures
[50].
Au début, cette émigration avec un simple
passeport de touriste toucha surtout les régions ayant une importante
tradition migratoire vers la France : la côte
méditerranéenne dans son ensemble, et notamment la région
de Valence. La présence en France de personnes originaires de ces
régions (issues d'émigrations précédentes)
rendit possible beaucoup de ces nouveaux départs. Se servant de
l'aide proposée par ces anciens émigrants, les nouveaux
trouvaient très facilement un premier travail ou un premier logement en
France. Partis en qualité de faux touristes, ils n'avaient pas non
plus de mal à régulariser leur situation une fois installés
sur le sol français.
Par la suite, et au fur et à mesure que les programmes
d'émigration assistée facilitèrent
l'émigration d'individus d'autres régions
espagnoles, de nouveaux réseaux informels se créèrent,
rendant possible cette modalité migratoire (dite du «faux
touriste ») depuis beaucoup d'autres endroits.
Au moment de mettre en place leur projet migratoire, les
émigrants espagnols voulant partir en France butaient sur deux sortes
d'obstacles : l'obtention des papiers nécessaires pour
émigrer et la recherche d'un logement adéquat.
Pour ce qui est des «papiers », nous
avons déjà signalé comment ils optèrent massivement
pour la voie du «faux touriste », au détriment du
chemin «régulier » établit par les
États. Beaucoup plus rapide et simple, l'obtention du passeport de
touriste ne causait que rarement des difficultés à
l'émigrant. Bien informé, il savait contourner le seul
obstacle pour obtenir ce passeport : affirmer aux fonctionnaires du bureau
des passeports que son départ n'était pas une
émigration (dans le sens d'une quête de travail) mais un
voyage familial ou touristique ; faute de quoi, il risquait
d'être renvoyé vers les bureaux de l'IEE.
Je suis venu en tant que touriste. Le passeport je l'ai eu
facilement parce qu'une amie m'avait dit que si le policier me demandait
si j'allais travailler je devais répondre non, et dire que je venais
rendre visite à des amis. Et c'est comme ça que j'ai fait[51]
Pour obtenir le passeport de touriste il fallait aller à
la police et dire que tu allais voir des amis à Paris[52].
Nous sommes partis avec un passeport de touriste
qu'on nous avait donné et qui durait deux ans. Pour les
démarches du passeport, je suis allée à la police ; je
savais déjà que si on te demandait si tu partais pour travailler
tu devais répondre non[53].
Concernant les démarches administratives, les
émigrants espagnols partis en France semblent assez
partagés : il y a, d'une part, ceux qui insistent sur les
facilités de l'obtention de ce passeport, comparées aux
lourdeurs et aux difficultés de l'émigration
«régulière ».
Les gens de cette époque-là allaient en
France surtout en tant que touristes, avec un passeport de touriste.
C'était plus facile[54].
Puis, il y a ceux qui se rappellent des différents
certificats nécessaires pour obtenir le passeport ;
débordés par une incontournable et lourde paperasse, qui les
dépassait et à laquelle ils n'étaient pas
habitués, et par une administration souvent très inefficace,
nombre d'entre eux finissaient par avoir recours à des agences de
gestion.
Les démarches pour obtenir un passeport de
touriste... Ouh la la ! Il fallait d'abord aller à la Garde
civile et obtenir un certificat de bonne conduite. Puis tu allais dans une
agence de Sarria qui t'obtenait le passeport. Pour cela tu devais obtenir
le casier judiciaire à Madrid et un certificat du service militaire.
Puis, un jour tu allais avec la personne de l'agence à la Police
pour retirer et signer le passeport. Il y avait une longue queue à la
Police mais le monsieur de l'agence de gestion te faisait passer avant
tout le monde et alors tu signais le passeport. Les démarches pour moi et
pour ma femme ont coûté 8 000 pesetas, billets pour la France
compris[55].
Le lendemain, nous sommes allés dans une agence pour
qu'on nous préparent (sic) les passeports, car il y avait
très peu de jours pour tout faire. L'agence nous a promis
qu'en 15 jours il y avait du temps pour tout faire en règle. [15
jours plus tard] le 21 mai nous avions déjà les passeports, mais
ils manquaient (sic) les visas, et ils nous ont dit que quand nous arriverions
à Saint Sébastien nous pourrions les faire
facilement[56].
D'autres encore subirent les conséquences
d'une administration espagnole lente et défaillante, pouvant
même bousculer leur projet migratoire.
Un ami de mon beau-frère m'avait
proposé de venir travailler chez lui comme domestique (...) et moi, comme
j'avais très envie de venir... J'ai donc essayé de
venir comme employée de maison (...) mais quand je suis arrivée
ils m'ont dit que c'était fini, que ça faisait un mois
qu'on m'attendait, ils s'étaient lassés de
m'attendre et ne m'avaient pas attendue. Et tout ça parce que
(...) pour obtenir le passeport en Espagne les démarches et tout
ça avaient pris plus d'un
mois[57].
Hormis la lourdeur et les dysfonctionnements de
l'administration espagnole, l'obtention du passeport de touriste ne
semble pas avoir posé de problèmes à la plupart des
candidats à l'émigration ; et ce à
l'exception de quelques individus considérés comme
«opposés » au régime franquiste. De peur
qu'ils influencent les émigrants
«économiques », les autorités franquistes
surveillaient les départs des personnes dont elles soupçonnaient
l'hostilité envers le régime.
Je suis arrivé en France en 1952.
J'étais d'un village de la province de Caceres, près
de Navalmoral de la Mata. Pour venir, j'avais besoin d'un passeport
de touriste qui durait trois mois (...) mais quand je suis allé le
chercher à Caceres, ils me l'ont refusé en disant que
j'appartenais à une famille de rouges. J'ai donc dû
aller à Madrid pour le faire là-bas. À la fin je l'ai
obtenu mais j'ai dû payer 3 000 pesetas, ce qui
représentait beaucoup d'argent à cette
époque-là[58].
Je gagnais 60 pesetas par jour, ce salaire ne suffisait pas
pour faire vivre une famille avec deux enfants, et j'ai alors
décidé d'aller travailler en France. À cause de mes
activités syndicales et de mes démêlés avec la Garde
civile, les autorités refusaient de me fournir un passeport pour quitter
le pays. (...) Finalement, comme un de mes jeunes frères vivait à
Paris, il m'a envoyé une lettre disant qu'il était
gravement malade et demandant que je vienne le voir. Un sergent de la Garde
civile, catalan et né dans une famille républicaine, m'a
finalement aidé à obtenir un visa de touriste pour partir. On nous
a appelé immigrés économiques mais la plupart d'entre
nous avaient aussi des raisons politiques de quitter
l'Espagne[59].
Malgré les problèmes que le passeport de
touriste pouvait poser, son obtention était beaucoup plus rapide et
facile que celle des papiers concernant l'émigration
«régulière ». Venir «avec un
contrat » était considéré comme une
démarche trop compliquée, plus risquée et comportant des
zones d'ombre, concernant notamment le renouvellement du contrat. De plus,
les délais d'attente étaient beaucoup plus longs et le choix
de la destination en France et du type de contrat était à la merci
des États. Le seul aspect positif de cette démarche était
qu'elle assurait un logement à l'arrivée. Mais cet
avantage ne semble pas avoir été suffisant. Se méfiant de
ce type d'émigration, les émigrants choisirent, dans la
mesure du possible, des mécanismes informels pour partir.
[L'émigrant] en incite d'autres
à venir (...) ; car l'émigration la plus importante
n'est pas celle organisée par le gouvernement espagnol ; il y
a une émigration organisée mais la plupart des émigrants
n'arrivent pas par l'Institut espagnol d'émigration, ils
arrivent en tant que touristes, parce que sinon c'est plus
compliqué, plus complexe. Venir en tant que touriste, c'est une
décision purement personnelle, alors que sinon tu dois passer par toute
une série d'organismes : passer une visite médicale,
signer un contrat de travail, certifier où tu veux aller, où tu
dois aller... Et tu y vas d'une façon organisée, alors que
[comme touriste] on peut choisir par soi-même : “Je prends mon
passeport et je pars pour Lille, car j'ai un cousin là-bas, ou pour
Lyon car des gens de mon village y habitent.” C'est possible par
cette voie et c'est pour ça que la grande majorité des gens
la suivent, non seulement pour cela mais aussi pour ne pas attendre, pour ne pas
avoir à passer par un
organisme[60].
Pourquoi je ne suis pas venu avec un contrat de l'Institut
espagnol d'émigration ? Parce que tu venais pour six mois et après
tu ne savais pas si tu devais rentrer ou si tu pouvais rester. Sinon,
tu avais des avantages si tu venais avec une embauche car tu avais un
logement[61].
Il y avait également la possibilité de venir
avec un contrat, mais il fallait attendre longtemps, parfois un an. En plus, il
fallait passer des tests professionnels, faire des examens
médicaux[62].
Après la question des
«papiers », celle du logement constituait la
deuxième pierre d'achoppement pour ces candidats à
l'émigration en France. Hébergés provisoirement chez
des amis ou des parents, les problèmes arrivaient quand il
s'agissait d'avoir un logement adéquat pour recevoir leur
femme et leurs enfants. La crise du logement, notamment en région
parisienne, était à l'origine de cet état de choses.
Voici les soucis de logement d'un émigrant parti à
Saint-Denis en 1956, puis rejoint par sa famille (sa femme et leurs huit
enfants) un an plus tard.
Le mois d'avril, j'ai reçu une lettre de
ma femme pour me souhaiter un bon anniversaire, c'était le 3 avril.
Et je pensais, que ce n'était pas une vie de vivre
séparés. Et je me suis dit : “Si j'allais les
chercher... maintenant qui vient le beau temps nous pourrions vivre dans la
roulotte et toucher les allocations familiales.” (...) Les amis
m'encourageaient et moi que je ne désirait que cela (sic), je me
suis décidé à y aller. Le 6 mai 1957 à 21h30 je me
trouvais à la gare d'Austerlitz et le 7 j'étais avec
ma famille en Espagne. Celle-ci ne savait rien et la surprise a
été très grande. Quand je leur ai dit que je venais pour
les emmener à Paris, l'émotion a été terrible.
Ma femme la première chose qu'elle m'a dit c'est :
“Et l'appartement ?” Ma réponse a
été que j'avais une petite maison, pas très
confortable, mais que bientôt nous aurions une autre plus confortable
(sic). Je lui ai dit cela, car je savais que si elle réalisait que
c'était une roulotte, elle ne viendrait pas. (...) [À leur
arrivée] comme je leur avais dit que c'était une petite
maison, quand ils ont vu la roulotte ils ont été surpris. Je me
rappelle encore aujourd'hui ce que Célé [ma femme] a
dit : “C'est ça notre maison ? J'ai envie de
pleurer.” Et elle
pleura[63].
Pour beaucoup, la solution était d'avoir recours
au travail de la femme en tant que concierge ou femme de ménage, car ces
deux types d'emploi permettaient d'avoir accès à un
logement. Bien que fort modestes et manquant de tout confort, ces chambres de
bonnes et ces loges de concierges permettaient aux émigrants de
développer leur stratégie d'épargne, et ce sans avoir
à payer des chambres d'hôtels (qui constituaient
également une solution à la précarité du logement en
région parisienne). Dans son travail sur les femmes espagnoles à
Paris, Laura Oso a analysé le rôle très important des
«chambres de bonne » dans l'insertion des couples
espagnols arrivés à Paris. Elles leur offraient non seulement
d'avoir un premier logement mais, isolées du contrôle
des employeurs, elles permettaient également d'alimenter les
chaînes migratoires, car elles servaient de tremplin à de nouveaux
arrivants.
Je suis venue avec mon mari et avec un autre couple.
À l'arrivée, la belle-sœur du couple qui nous
accompagnait est venue nous attendre à la gare. Elle nous a amenés
chez elle. Elle avait une chambre comme bonne à tout faire. On
était deux couples avec deux enfants, la belle-mère et la fille de
la dame qui habitait là-bas. Elle nous a entassé tous les huit
dans la chambre. La chambre n'avait qu'un petit lit, une petite
table et une petite armoire. On avait mis un matelas par terre et la
grand-mère et la petite-fille (qui avait seize ans) ont dormi dessus.
Nous, les deux mères, on a dormi dans le lit, sur le sommier, avec les
deux bébés, les maris par terre et la propriétaire de la
chambre dans un coin. Et que personne ne bouge la nuit. On a passé trois
nuits là-bas, comme on était fatigués, on
dormait[64].
Dans un contexte international profondément
marqué par la volonté des États de planifier et
d'organiser les flux migratoires, la dernière vague migratoire
espagnole se déroula dans une perpétuelle interaction entre
logiques étatiques et stratégies individuelles. Ce regard
croisé entre l'État et l'émigrant nous a
révélé plusieurs éléments
d'intérêt.
Le premier, issu de cette articulation entre les
sphères politique, administrative et plus strictement
«sociale », est le rôle ambigu des pratiques
administratives sur les flux migratoires. Censée mener à bien les
programmes de planification et d'organisation des flux migratoires,
l'administration migratoire espagnole finit par favoriser les
départs spontanés. Plusieurs types de facteurs sont à
l'origine de cet état de choses : la lourdeur des
démarches avec lesquelles cette administration tentait de contrôler
les flux ; les difficultés que cette administration rencontrait pour
gérer ces départs «organisés », face
à la souplesse des départs spontanés ; et pour finir,
le manque de rigueur et les dysfonctionnements de cette administration, qui
furent à la base d'un contrôle étatique des flux
très défaillant.
Ensuite, nous avons pu constater comment, dans cet
affrontement entre logiques étatiques et stratégies individuelles,
les émigrants possédaient davantage de ressources pour faire face
aux entraves étatiques que l'État n'en
possédait pour contrecarrer leurs stratégies. Si les États
étaient incapables de mettre un agent derrière chacun
émigrant, les émigrants, eux, étaient capables de concevoir
et de mettre en place de multiples stratégies pour faire face aux
entraves étatiques menaçant leur projet migratoire.
[1] Ce travail a
été réalisé à partir de ma thèse de
doctorat, soutenue en décembre 2004 et intitulée :
Émigrer sous Franco. Politiques publiques et stratégies
individuelles dans l'émigration espagnole vers l'Argentine et
vers la France, 1945-1965, thèse de doctorat d'histoire,
Université de Paris 7, décembre 2004.
[2] G. DREYFUS-ARMAND,
L'exil des républicains espagnols en France de la Guerre civile
à la mort de Franco, Paris, Albin Michel, 1999, p. 53.
[3] Même si cette
émigration économique était parfois mélangée
à des motivations de type politique ou idéologique.
[4] En décembre 1946,
l'Espagne avait été expulsée de tous les organismes
internationaux et la plupart des ambassadeurs avaient quitté
Madrid ; en sus, en mars 1946 la France fermait la frontière
pyrénéenne. Le régime franquiste était
condamné à l'ostracisme le plus complet.
Cf. J.
TUSELL,
Historia de España en el siglo XX. Vol. III: La Dictadura
de Franco, Taurus Bolsillo, Madrid, 1998, p. 210.
[5] L'“
Asociación Católica Nacional de Propagandistas ”
était une association de laïcs créée en 1908 par les
jésuites et subordonnée aux évêques espagnols. Le but
de cette Association était double: d'une part elle devait
être l'instrument de la propagande catholique dans l'ordre
social; d'autre part, elle devait faire en sorte que les catholiques aient
une influence sur la vie publique par le biais de la formation de leaders
politiques capables de refléter et de mettre en pratique les grandes
orientations du catholicisme. Cf. G. HERMET,
Les catholiques dans
l'Espagne franquiste. Les acteurs du jeu politique, Presses de la
Fondation nationale des Sciences politiques, Paris, 1980, p.218 à
220.
[6] J'ai longuement
analysé cette question dans le premier chapitre de ma thèse. Cf.
M. J. FERNÁNDEZ VICENTE,
Émigrer sous Franco.., op.cit
[7] Cf. M. GONZALEZ-ROTHVOSS y
GIL
Los problemas actuales de la emigración española,
Madrid, Instituto de Estudios Políticos, 1949, p. 5-6; et surtout V.
BORREGON RIBES,
La emigración española a América,
Vigo, 1952, p. 86-92.
[8] Lors des
négociations avec les autorités argentines, on assista à
l'affrontement entre les logiques diplomatique et
«sociale ». La première défendait la
spontanéité du flux migratoire espagnol, tandis que la
deuxième se prononçait pour la direction et la planification
étatique des flux. La priorité que Franco donnait à la
rupture de l'isolement international (au-delà de la mission
«sociale » confiée à la famille
phalangiste) fut à la base du triomphe de la logique diplomatique. Cette
question est longuement analysée dans le premier chapitre de ma
thèse.
Cf. M. J. FERNÁNDEZ VICENTE,
Émigrer sous
Franco, op.cit.
[9] Finalement, la
«guerre froide » joua en faveur du régime
franquiste, dont on retint davantage l'anti-communisme que
l'autoritarisme. Depuis les premières années de la
décennie, le franquisme entama ainsi un processus de
réhabilitation internationale, qui s'acheva par son
intégration au sein des Nations-Unies en décembre 1955. En 1950,
l'Espagne était entrée dans l'Organisation pour
l'alimentation et l'agriculture ; en 1951, dans l'Union
postale, l'Organisation mondiale de la santé et
l'Organisation internationale de l'aviation civile ; en 1952,
elle entrait à l'UNESCO. En 1953 le gouvernement espagnol signa un
Concordat avec le Saint-Siège, ainsi que d'importants accords
militaires et diplomatiques avec les États-Unis.
Cf. J. TUSELL,
Historia de España..., op. cit., p. 291.
[10] W. GENIEYS,
Les
élites espagnoles face à l'Etat. Changement de
Régimes politiques et dynamiques centre-périphérie,
Paris, Harmattan, 1997, p. 185.
[11] Outre le fait que le
flux migratoire à destination des républiques
latino-américaines montrait ses premiers signes
d'épuisement, le réseau technocrate préférait
largement l'émigration «continentale », car
elle était considérée comme plus rentable que celle
s'adressant vers l'Amérique latine. Et ceci pou les raisons
suivantes : l'émigration
«continentale » était conçue comme
temporaire (elle visait une épargne rapide et le retour au pays) ;
il s'agissait très majoritairement d'une émigration
d'hommes seuls, face au caractère familial de
l'émigration outre-atlantique ; les pays d'accueil de
cette émigration «continentale » étaient
moins exigeants vis-à-vis de la qualité de cette main-d'œuvre
que les républiques latino-américaines (visant surtout des
ouvriers qualifiés) ; la différence salariale avec les pays
de l'Europe occidentale était plus grande qu'avec les pays
latino-américains, ce qui rendait cette émigration
européenne plus rentable, etc.
[12] La peur de la
contamination idéologique des Espagnols installés en Europe (en
France notamment) mena ces acteurs à combiner l'assistance aux
émigrés avec le contrôle politique.
[13] R. HERMIDA, J. BLASCO,
L. GUERECA,
La emigración española y el desarrollo
económico, Madrid, IEE, 1959, p. 90.
[14] Le tourisme puis
l'émigration furent les deux principales sources de devises rendant
possible la modernisation et le développement économique de
l'Espagne.
[15] «La
mobilité de tous les facteurs de production, hormis la terre, mène
actuellement vers l'intégration de l'Espagne dans
l'économie mondiale (...).
Mais cette intégration se
produit également maintenant (et davantage dans le futur) par le
biais [du]
déplacement du travail espagnol vers les pays
européens. » Extrait du discours du ministre espagnol du
Commerce, le technocrate Ullastres ;
cf. L. A. MARTÍNEZ
CACHERO, “ El mercado común y la emigración de la mano de
obra española a Europa ”,
Revista de Política social,
n° 59, juillet-septembre, Instituto de Estudios Políticos, 1963,
p. 29.
[16] La défense et la
protection de la famille constituaient l'un des axes de la conscience
sociale catholique. Déjà dans les premières années
du XX
e siècle, la protection du modèle familial
traditionnel était pour les acteurs catholiques – tant laïcs
qu'ecclésiastiques – l'instrument principal du
maintien ou du retour vers une société chrétienne ;
cf. F. MONTERO GARCÍA, “Los católicos españoles y los
orígenes de la política social”,
Studia Historica,
vol. II, nº 4, Universidad de Salamanca, 1984, p. 56-59.
[17] Le retour de ces
émigrants au bout de quelques années passées en Europe fut
très rentable pour le développement économique de
l'Espagne. Car non seulement ils allaient rapatrier leur
épargne avec eux, ils devaient également apporter une formation
professionnelle (acquise lors de leur séjour à
l'étranger) très nécessaire pour une Espagne en plein
développement.
[18] G. HERMET,
Les
Espagnols en France, Paris, Editions ouvrières, 1967, p.
31.
[19] L'ensemble des
négociations peut être consulté au Centre des Archives
contemporaines de Fontainebleau, CAC 790259 Art.1. Liasse 1. Accords
franco-espagnols.
[20] Les contrats anonymes et
les contrats nominatifs étaient les deux types de contrats normalement
utilisés dans le recrutement de main-d'œuvre
étrangère. C'était d'ailleurs les deux types de
contrats utilisés dans le Traité hispano-français de 1932,
traité qui servit de cadre juridique aux négociations de mai-juin
1960.
[21] V. VIET,
La France
immigrée. Construction d'une politique, 1914-1997, Paris,
Fayard, 1998, p. 269.
[22] Ibid., p.
273-274.
[23] Le libre transfert de
l'épargne salariale (Art. 9), la parité salariale avec les
travailleurs nationaux (Art. 6), l'acceptation des travailleurs
espagnols et des membres de leurs familles dans les Centres de formation
professionnelle français (Art. 10), la possibilité de
bénéficier des dispositions prévues par la convention
hispano-française de sécurité sociale de juin 1957 (Art.7),
la possibilité de bénéficier également des
œuvres sociales de tous les organismes français destinés aux
familles (point 5 de l'Annexe II consacré au regroupement
familial), etc. ;
cf. CAC 790259 Art.1. Liasse 1. Accords
franco-espagnols : Accord franco-espagnol relatif aux travailleurs
permanents du 25 janvier 1961.
[24] J. CHEVALLIER,
Science administrative, Paris, PUF, 1986, p. 266.
[25] CAC 810201 Art. 8,
Lettre du directeur de l'ONI au ministre du Travail, 12 novembre
1951.
[26] J. HAZERA, Dix
années d'immigration espagnole en France, 1957-1967, Thèse
de doctorat en sciences humaines, Bordeaux, 1968, p. 20.
[27] Ibidem.
[28] Lors des
entretiens menés dans le cadre de ma thèse de doctorat, j'ai
relevé plusieurs cas de personnes à qui l'on refusa le
passeport dans un premier temps, accusées d'être hostiles au
régime ou d'appartenir à une famille de
«rouges ». Finalement, le recours aux pots-de-vin et au
trafic d'influence leur permit de rejoindre la France avec un passeport de
touriste. Cf. M. J. FERNÁNDEZ VICENTE,
Émigrer sous
Franco...,
op. cit., p.384.
[29] Entretien avec Juan
,
31 mai 2003.
[30] Entretien avec Francisco
Díaz, réalisé par Natacha Lillo le 28 octobre
2000.
[31] Archives de
l'administration (Madrid) AGA Sindicatos R. 16.601. Intervention de Manuel
García, chef du SNEC à La Corogne, au Congrès
régional de l'émigration galicienne (La Corogne, septembre
1965).
[32] AGA Sindicatos R.16599
– Rapport des chefs du SNEC des provinces de Zamora et d'Orense
(1963 ?).
[33] AGA Sindicatos
R.1304 – Rapport du service de placement intitulé :
«Manque de personnel et de fonctionnaires spécialisés
dans la technique du placement des ouvriers » (
«Falta
de personal y funcionarios especializados en la técnica de la
colocación obrera ») ; sans date mais sans doute
rédigé fin 1959 ou début 1960.
[34] «Dans les
années 60, l'augmentation très forte de
l'émigration en Allemagne et Suisse fait que l'IEE est
débordé : elle crée ses services provinciaux et
prétend préparer elle-même le départ des travailleurs
qui ont l'habitude de se présenter au syndicat communal, ce qui
donne des conflits d'attribution. » ; J.
HAZERA,
Dix années..., op. cit., p. 65.
[35] Le manque de
définition dans l'attribution des compétences entre les
différents organismes administratifs espagnols, ainsi que
l'«excès de formalisme administratif »
lié au désir de contrôler l'ensemble des
départs de façon stricte étaient, selon les
représentants français, à l'origine de ces retards.
Cf. CAC 850705 Art. 1 : Rapports présentés au conseil
d'administration de l'ONI par son directeur, 29 avril 1960 et 9 mai
1961.
[36] CAC 810201 Art. 8 :
Compte rendu des opérations de l'ONI sur le territoire espagnol en
1962.
[37] Ibid. :
Lettre du directeur de l'ONI au ministre du Travail, 2 mars
1962.
[38] CAC 850705 Art. 1 :
Procès-verbal du conseil d'administration de l'ONI du 31 mai
1963.
[39] AGA Sindicatos R.
16599 : Rapport anonyme d'un fonctionnaire du SNEC, 1963( ?).
[40] Voici quelques
exemples de ces anomalies : après avoir été
présélectionnés par les bureaux provinciaux de l'IEE,
beaucoup de travailleurs voyaient leur départ finalement refusé,
au prétexte que leur offre «aurait été
annulée » ; il s'avéra par la suite que
d'autres travailleurs, qui n'avaient pas été
présélectionnés, partaient pour répondre à
ces mêmes offres de travail. De même, des travailleurs
présélectionnés pour certaines offres finissaient par
être refusés et réorientés vers des offres agricoles
et minières pour lesquelles ils n'étaient pas
préparés, etc.
Ibidem.
[41] Un
phénomène qui n'était pas nouveau. Ainsi, au
lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la France avait voulu recruter
de la main-d'œuvre en Italie, notamment dans les provinces du nord qui
possédaient une main-d'œuvre plus qualifiée. Cependant, les
autorités italiennes visèrent plutôt le sud, où le
taux de chômage était le plus élevé ;
cf.
A. SPIRE, «Un Régime dérogatoire pour une immigration
convoitée. Les politiques françaises et italiennes
d'immigration/émigration »
in M.-C.
BLANC-CHALEARD (dir.),
Les Italiens en France depuis 1945, Colloque
international 17-19 mai 2001
, Presses universitaires de Rennes, 2003, p.
44-45.
[42] CAC 900353 Art. 16
Liasse 1. Espagnols : Rapport confidentiel de l'officier de police
détaché près de l'ONI-Mission Espagne concernant la
qualité de la main-d'œuvre recrutée en Espagne, 13 septembre
1957.
[43] AGA Sindicatos R.
16601 : Intervention de Manuel García, chef du SNEC à La
Corogne, lors du Congrès régional de l'émigration
galicienne (La Corogne, septembre 1965).
[44] CAC 850705 Art. 1 :
Rapport présenté au conseil d'administration de l'ONI
par le directeur de l'Office le 24 avril 1959.
[45] CAC 850705 Art. 1 :
Intervention du directeur de l'ONI, M. Bideberry, au Conseil
d'administration de cet Office, 5 juin 1958.
[46] En mars 1962, une
étude française qualifiait le contrôle médical
mené à Irun de «rapide et
inefficace » : seuls deux médecins permanents et deux
vacataires prenaient en charge l'examen de 200 à 250 personnes par
jour ; examen uniquement composé d'une radioscopie et
d'une analyse sérologique. CAC 810201 Art. 2 : Étude
envoyée au ministre du Travail Gilbert Granval par J.R. Debray
(vice-président de la Commission des affaires culturelles, familiales et
sociales de l'Assemblée nationale) concernant l'introduction
en France des travailleurs espagnols et portugais, 12 juillet 1962.
[47] CAC 850705 Art. 1 :
Rapports annuels de l'ONI.
[48 ]CAC 900353 Art. 16
Liasse 1. Espagnols : Note confidentielle de M. Pujo, policier de la
Sûreté nationale détaché à la Mission de
l'ONI à Irun, 1
er avril 1958.
[49] J.
HAZERA,
Dix
années..., op. cit., p. 65.
[50] Décret du 20 juin
1958 concernant la délivrance de passeports ordinaires (BOE 14 juillet
1958).
[51] Entretien avec Ramona,
11 décembre 2003.
[52] Entretien avec Esteban,
12 décembre 2003.
[53] Entretien avec Dolores,
14 décembre 2003.
[54] Entretien avec
Ángel Cano, le 12 décembre 2003.
[55] Entretien avec
Dionisio García, 6 décembre 2003.
[56] Extrait des
mémoires de l'émigrant Ricardo Díez ; R.
DÍEZ,
Un hombre de Castilla, manuscrit dactylographié,
Saint Denis, 1983
.
[57] Entretien avec Leonor
Ruiz, 19 mai 2001.
[58] Entretien avec Juan
,
31 mai 2003.
[59] Entretien avec Francisco
Díaz, réalisé par Natacha Lillo le 28 octobre
2000.
[60] Entretien avec Antonio
García, 4 mai 2001.
[61] Entretien avec
Dionisio García, 6 décembre 2003.
[62] Entretien avec Esteban,
12 décembre 2003.
[63] Extrait des
mémoires de l'émigrant R. DÍEZ,
Un hombre..., op.
cit.
[64] Cf. L. OSO
CASAS,
Españolas en París. Estrategias de ahorro y consumo en
las migraciones internacionales, Barcelone, Edicions Bellaterra, 2004, p.
48
.