Émigrer sous Franco. Politiques publiques et stratégies individuelles dans l'émigration espagnole vers la France (1945-1965)

María José FERNÁNDEZ VICENTE

Février 2005

Texte présenté au séminaire "Histoire sociale de l'immigration", février 2005

Sommaire

La construction de la politique migratoire franquiste, 1945-1965
Vers une gestion bilatérale du flux migratoire vers la France
Les chemins de l'émigration. Les stratégies individuelles dans l'émigration espagnole vers la France (1956-1965)

L'intérêt que j'ai porté à la dernière vague migratoire espagnole est né d'un constat très frappant : alors qu'il s'agit d'une émigration relativement récente, ayant encore des traces dans la société espagnole de nos jours, peu de travaux de recherche (historiques mais aussi sociologiques) lui ont été consacrés. Marginalisée par les études migratoires, cette dernière vague semble également touchée par une sorte d'amnésie collective, comme si la société espagnole, accablée par son nouveau rôle de pays d'arrivée (mais pas forcement d'accueil) de centaines de milliers d'immigrés, avait oublié que, jusqu'à très récemment, l'Espagne a été un pays d'émigration. Travailler sur cette dernière vague migratoire était, en quelque sorte, une façon de récupérer une partie de cette mémoire collective de l'émigration, avant qu'elle ne sombre dans l'oubli.
Puis, au fur et à mesure de mes recherches, j'ai été également très frappée par l'extrême cloisonnement de la discipline dite des «études migratoires ». Partagés entre plusieurs disciplines et éparpillés dans une myriade de spécialités, les travaux sur le phénomène migratoire ont du mal à «mélanger les genres » : il y a, d'une part, les travaux faits du point de vue du pays d'arrivée et ceux qui prennent uniquement en compte le pays de départ ; puis il y a ceux qui portent sur les aspects «politiques » de cette émigration, face à ceux qui se focalisent sur l'émigrant et son parcours migratoire ; et il y a aussi ceux qui portent un regard macroscopique sur le flux migratoire, face à ceux qui plaident pour l'utilisation d'une échelle microscopique.
Face à cet état de choses, mon travail ne pouvait que répondre à un défi ; celui de l'interdisciplinarité et de l'interconnexion. En multipliant le nombre des acteurs participant au phénomène migratoire (les différents acteurs étatiques et les émigrants eux-mêmes), il devait essayer de rendre compte de l'interconnexion existante entre la sphère politique et celle plus strictement «sociale » de l'émigration. Il s'agissait de rapprocher deux histoires, deux visages de l'émigration souvent dissociés : une histoire politique de l'émigration et une histoire socio-économique du fait migratoire.
Nous analyserons tout d'abord les processus d'élaboration de la politique migratoire franquiste pendant les deux décennies qui suivirent la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Dans un deuxième temps, nous nous concentrerons sur les négociations menées avec la France concernant la gestion du flux migratoire espagnol vers ce pays. Nous finir, une troisième partie sera consacrée aux modalités d'émigration vers la France ainsi qu'aux stratégies développées par les émigrants espagnols pour faire face aux contraintes étatiques compromettant ou mettant en difficulté leur projet migratoire.



I La construction de la politique migratoire franquiste, 1945-1965


Dans la nuit du 1er avril 1939, l'armée rebelle dirigée par Franco déclara avoir atteint les derniers objectifs militaires jusqu'ici défendus par l'armée républicaine. Pour les vainqueurs, deux objectifs s'imposaient : la rupture radicale avec la période précédente et la construction d'un nouvel Etat, voire d'une nouvelle société, sur des bases très différentes de celles qui avaient caractérisé l'Espagne de 1936.
Lors des presque quatre décennies du franquisme, différents modèles étatiques se succédèrent, destinés à assurer la survie du régime en l'adaptant aux circonstances changeantes, tant nationales qu'internationales. Le modèle d'État «policier » des années de l'après guerre civile (1939-1945) fut remplacé en 1946 par un modèle d'État «catholique et social », à son tour remplacé, à la fin des années 1950, par un État du «développement à outrance ». Mis en place par le réseau technocrate, ce modèle étatique se prolongea jusqu'à la mort du dictateur, en 1975.
Comme nous le verrons par la suite, chacun de ces modèles eut une influence non négligeable sur la sphère d'élaboration des politiques publiques, telle celle concernant l'émigration.
À l'issue de la guerre civile, les vainqueurs optèrent par un modèle d'État purement policer. Il s'agissait d'un État qui trouvait sa raison d'être dans la victoire du camp franquiste lors de la guerre civile, et pour lequel la guerre était considérée comme un acte de légitime défense face au gouvernement de la IIeme République, taxé d'illégitimité parce que dominé par des idéologies «étrangères à l'idiosyncrasie du peuple espagnol ». L'utilisation de la dialectique de guerre «ami/ennemi » servait à cet État policier pour marquer la séparation entre deux Espagnes, considérées comme inconciliables : l'Espagne légitime des vainqueurs et l'Espagne des vaincus, ceux-ci devenant les ennemis du nouvel Etat ainsi que la cible de persécutions et d'une répression de masse.
L'application de cette logique policière et répressive sur les vaincus de la guerre fut à l'origine d'un exil massif. Pendant ces années de la fin de la guerre et de l'après-guerre, l'émigration espagnole adopta ainsi un visage tragique : des milliers de républicains, les vaincus de la guerre, partirent en exil. Au moment de la retirada qui suivit la chute de la Catalogne fin janvier 1939, la plupart de ces exilés choisirent de franchir la frontière pyrénéenne : environ 500 000 Espagnols sont alors entrés en France pendant les premiers mois de 1939[2]. En dehors de la France, quelques Républiques latino-américaines (le Mexique et l'Argentine notamment) ont également été la terre d'accueil d'une partie, beaucoup plus modeste, de l'exil espagnol.
Il a fallu attendre 1946 pour voir reprendre en Espagne une émigration de type «économique »[3]. La reprise du mouvement migratoire espagnol, à destination des Républiques latino-américaines notamment, coïncida avec la mise en place d'un nouveau modèle étatique. Condamné à l'ostracisme international le plus complet, et touché par une très forte pénurie économique, la survie du régime franquiste était, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, fortement compromise[4]. Dans un contexte aussi menaçant, Franco opta pour une opération destinée à améliorer l'image du régime. Pour cela il fit appel aux membres de l'Asociación Católica Nacional de Propagandistas (ACN de P)dits «propagandistes », qui s'incorporèrent à un réseau politique jusqu'ici majoritairement phalangiste[5]. Cette incorporation des catholiques «propagandistes » au gouvernement devait accentuer les traits catholiques du franquisme et également neutraliser les aspects les plus radicaux de l'idéologie phalangiste. Cette alliance entre catholiques «propagandistes » et phalangistes marqua le début de ce que l'on a appelé l'«Ère Bleue ».
Ce nouveau réseau fut chargé de mettre en place un Etat «catholique, social et représentatif ». Et ceci dans un double objectif: d'abord, rompre l'isolement international, en favorisant l'acceptation du régime par l'ensemble des Nations; ensuite, incorporer les vaincus de la guerre à ce nouvel Etat, par le biais d'un processus de «nationalisation des masses prolétaires » aboutissant à l'acceptation du franquisme par l'ensemble de la société.
Les catholiques «propagandistes » furent chargés du premier objectif. Ils furent dotés d'un instrument majeur, la politique extérieure, et d'un cadre d'action : le ministère des Affaires étrangères. Quant au deuxième objectif, il fut attribué à la famille phalangiste. Pour l'accomplir elle allait compter sur la politique sociale et de la main-d'œuvre, développée à l'intérieur du ministère du Travail et du syndicat unique (OSE).
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la reprise du flux migratoire espagnol (à destination de l'Amérique latine notamment) détermina l'intégration de la «question migratoire » dans l'agenda politique franquiste. Lors de l'élaboration et de la mise en place de cette politique, trois logiques allaient s'opposer, rendant cette politique migratoire fortement conflictuelle[6].
D'une part, nous trouvons une logique policière, défendue notamment par les acteurs du ministère de la Gobernación (équivalent du ministère de l'Intérieur). Héritée du modèle étatique privilégié pendant la période précédente, cette logique prônait un contrôle policier très strict de l'ensemble des départs et des sorties du territoire national (y compris celles liées à l'émigration). Finalement, cette logique réussit à s'imposer dans une sphère très importante de la politique migratoire franquiste : la délivrance des passeports aux émigrants, compétence traditionnellement attribuée aux inspecteurs d'émigration, placés au sein du ministère du Travail. Voulant faire sortir la question migratoire de la sphère policière tout en la rapprochant de la sphère «sociale », la loi d'émigration de 1924 avait attribué aux inspecteurs d'émigration (appartenant au ministère du Travail) les compétences en matière de délivrance des passeports aux émigrants. En 1935, et dans un contexte d'extrême conflictualité sociale, le gouvernement républicain autorisa le transfert «exceptionnel et provisoire » de ces compétences à la Direction générale de la sûreté (DGS) du ministère de la Gobernación. Pendant la décennie suivant la fin de la Deuxième Guerre mondiale, et malgré le rétablissement de la Loi d'émigration de 1924, la DGS réussit à garder le monopole en matière de délivrance des passeports (y compris les passeports aux émigrants). Et ceci malgré les plaintes des acteurs du ministère du Travail[7]. Ce transfert de compétences eut d'importantes conséquences sur le flux migratoire espagnol : l'émigration déjà traditionnellement tournée vers les Républiques latino-américaines put se développer, car les passeports furent facilement attribués aux émigrants partant pour ces destinations qui déclaraient avoir un parent faisant appel à eux (l'émigration étant ici assimilée à un «regroupement familial »). En revanche, les passeports pour la France (l'autre destination traditionnelle du flux migratoire espagnol) furent largement refusés (y compris les passeports de touristes), car soupçonnés de cacher un exil potentiel.
Depuis le ministère du Travail et la sphère syndicale, l'on défendait une logique «sociale » de la gestion étatique de l'émigration. Appartenant à la famille idéologique des phalangistes, ces acteurs revendiquaient l'importance d'insérer la politique migratoire au sein de la politique «sociale et de la main-d'œuvre ” dont ils détenaient la responsabilité. Pour ces acteurs, la politique migratoire devait comporter deux volets : un volet «assistance-contrôle » et un volet «lutte contre le chômage ». Selon le premier, l'État espagnol devait assurer l'assistance mais aussi le contrôle des colonies d'émigrants espagnols installés à l'étranger. Selon le deuxième, il devait utiliser l'émigration pour évacuer les excédents existant sur son marché du travail, le but étant d'éviter les tensions sociales dérivées d'un taux de chômage élevé. L'État espagnol fut ainsi appelé à sélectionner très strictement les candidats à l'émigration, privilégiant les départs de chômeurs et de travailleurs non qualifiés et tendant à empêcher les départs d'ouvriers qualifiés. L'émigration spontanée, majoritaire jusqu'ici, fut désormais proscrite et remplacée par une émigration dirigée et planifiée par les États (aussi bien d'émigration que d'immigration).
Finalement, cette logique sociale ne réussit à s'imposer dans aucun domaine : tout d'abord, le très faible taux de chômage ne justifiait pas un encouragement de l'émigration de la part de l'État ; ensuite, l'isolement international empêchait la signature de traités de migration avec les pays d'immigration ; de plus, la sélection des émigrants en fonction de critères socioprofessionnels était presque impossible, faute d'accord avec la Direction générale de la sûreté (chargée de la délivrance des passeports) ; et pour finir, même l'assistance aux colonies d'espagnols émigrés ne passa que très rarement par des canaux étatiques, car l'existence dans ces pays d'un réseau associatif de caractère «ethnique » très développé et extrêmement méfiant à l'égard du régime de Franco, rendit très difficile cette assistance-contrôle.
L'élaboration de la politique migratoire au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale fut enfin présidée par une troisième logique : la logique diplomatique. Défendue par les acteurs du ministère des Affaires étrangères, cette logique aspirait à faire de la «question migratoire » un outil au service de la rupture de l'isolement international, tâche ardue que Franco avait confiée à ce ministère. Pour la diplomatie espagnole, la politique migratoire pouvait constituer un espace de dialogue et de négociation avec les Républiques «sœurs » d'Amérique latine, destination traditionnelle du flux migratoire espagnol. En effet, depuis le ministère des Affaires étrangères franquiste, on espérait que les liens «historiques et culturels » existant entre l'Espagne et ses anciennes colonies aboutiraient à une normalisation des relations avec les pays latino-américains et, par là, avec les Etats-Unis, puis avec le reste du monde. Or l'hostilité de ces Républiques s'avéra plus forte que ces «liens historiques et culturels », et cette logique «diplomatique » ne put s'appliquer que lors de la signature du seul traité d'émigration de la période : celui que les autorités franquistes signèrent avec l'Argentine amie du général Péron en octobre 1948[8].

Vers le milieu des années 1950, une nouvelle étape s'amorça au sein su régime franquiste. Une fois la bataille contre l'isolement international gagnée, le régime se vit confronté à ses problèmes internes[9] : la stagnation économique et la montée des tensions sociales constituaient désormais la principale menace pour la survie du régime.
Pour sortir de cette impasse, Franco et son bras droit, Luis Carrero Blanco, appelèrent aux affaires une nouvelle élite politique : les technocrates. Avec eux, un nouveau modèle étatique s'imposait : l'État du développement à outrance. C'est par le développement économique et par la modernisation que ce réseau technocrate aspirait à assurer la continuité du régime, en lui fournissant une légitimité qui lui faisait largement défaut. Comme l'a souligné William Genieys :

«c'est à travers leurs rôles de modernisateur de l'économie espagnole que ce groupe d'acteurs s'impose comme légitime au sein du régime. L'imposition d'un rôle nouveau à l'Etat, à travers la promotion d'une nouvelle politique économique, l'atteste. Ce groupe d'élites franquistes s'appuie sur les résultats de cette politique pour conquérir les principaux leviers de l'Etat. »[10]

Passer de la simple acceptation à la pleine intégration de l'Espagne dans la sphère internationale et réussir ainsi la pacification sociale par la résolution des problèmes de l'Espagne devinrent les objectifs prioritaires de ces acteurs. Placés au sommet des principaux ministères économiques, ces acteurs misèrent sur la politique économique pour accomplir leur mission avec succès.
La mise en place de cette nouvelle stratégie de survie de la part du régime franquiste coïncida avec un changement de cap du mouvement migratoire espagnol. Davantage orienté vers l'Europe industrialisée, le flux migratoire espagnol devint une un enjeu central pour assurer le succès des plans de modernisation et de développement esquissés par les acteurs technocrates. En effet, ce courant migratoire pouvait non seulement amortir les effets négatifs des programmes de stabilisation et de développement (la montée très importante du chômage notamment), mais aussi contribuer au succès de ces plans de développement  en apportant une importante entrée de devises (liée aux envois d'argent des émigrants), et en constituant un espace de dialogue et de négociation avec les pays de l'Europe développée (notamment face à une possible entrée de l'Espagne dans la CEE).
Pour mettre la «question migratoire » au service des besoins de développement et de modernisation de l'Espagne, une nouvelle politique fut mise en place. Davantage orientée vers l'émigration dite «continentale », cette politique migratoire fut institutionnalisée par un cadre juridique et institutionnel nouveau (basé sur une nouvelle loi d'émigration, approuvée en 1960, et par la création en 1956 de l'Instituto español de emigración)[11].
Comme lors de la période précédente, la politique migratoire franquiste fut également marquée par la présence de différentes logiques, défendues par des acteurs appartenant à des ministères et à des familles idéologiques distincts.
La logique «sociale et de la main-d'œuvre » restait l'apanage du ministère du Travail et de la sphère syndicale. Elle mettait l'accent sur le contrôle et la direction étatique des flux, ainsi que sur l'assistance-contrôle des espagnols installés à l'étranger (en Europe notamment)[12]. Pendant ces années, cette logique réussit enfin à s'imposer ; des programmes étatiques d'émigration furent mis en place, suite à la signature de traités de migration avec les pays d'immigration. L'émigration avec contrat de travail devint la seule émigration officielle (et non pas légale), et la signature d'accords bilatéraux de migration était censée assurer le partenariat des pays dans la gestion et la planification du flux migratoire espagnol.
Placés à la tête des principaux ministères économiques, les acteurs technocrates mettaient plutôt l'accent sur l'importance d'ouvrir les portes à l'émigration. Des calculs furent faits, et l'on estima que le développement économique de l'Espagne allait exiger une émigration annuelle d'environ 80 000 personnes entre 1960 et 1975[13]. Des différents atouts que ces acteurs tiraient du flux migratoire, l'obtention de devises était pour eux le principal profit que les plans de développement pouvaient tirer de cette émigration[14].
Pour les acteurs du ministère des Affaires étrangères, la politique migratoire devait désormais servir à intégrer l'Espagne dans l'Europe. Une fois gagnée la bataille contre l'isolement, la diplomatie franquiste entamait un deuxième défi : son intégration dans l'espace économique européen. Comme lors de la période précédente, les traités de migration avec les puissances de l'Europe occidentale furent l'occasion de créer des espaces de dialogue et de négociation ; de plus, l'insertion des travailleurs espagnols dans les économies de ces pays était également conçue comme une façon d'intégrer l'Espagne dans l'espace économique européen[15].
Nous ne pouvons pas finir sans faire référence à une dernière logique, très présente lors des processus d'élaboration de la politique migratoire au temps des technocrates : la logique «morale » de l'Église catholique espagnole. De plus en plus intéressée par la «question migratoire », l'Église catholique espagnole utilisa son influence sur la sphère politique franquiste pour imposer, dans certains cas, sa logique «morale ». Les aspirations principales de l'Église en matière d'émigration étaient au nombre de deux : l'assistance religieuse aux émigrants et l'encouragement du regroupement familial. Ces deux aspirations étaient liées à la vision de l'émigration comme une source de déchristianisation et de «tentations » pour les émigrants ; de plus, elle provoquait la destruction et le déchirement de beaucoup de noyaux familiaux[16]. Finalement, les pressions des acteurs ecclésiastiques portèrent leurs fruits : vers le milieu des années 1950 une Commission épiscopale des Migrations fut créée. Elle fut chargée d'assurer une assistance spirituelle aux émigrants en rendant obligatoire la présence des «prêtres des émigrants » (capellán de emigrantes). De même, le regroupement familial finit par être accepté comme l'un des axes de la politique migratoire franquiste, et ceci malgré ses effets «nocifs » sur l'envoi de devises ainsi que sur les conséquences très positives que le marché du travail espagnol devait tirer du retour, à moyen terme, de ces émigrants[17].

II] Vers une gestion bilatérale du flux migratoire vers la France



Au moment de décider de la façon de gérer l'émigration espagnole vers la France, les autorités espagnoles furent appelées à tenir compte de l'avis de leurs homologues français. Des négociations bilatérales s'imposaient.
Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les relations étaient très tendues entre les deux États, rendant très difficile toute sorte de négociation. Il a fallu attendre la normalisation progressive des relations diplomatiques, au milieu des années 1950, pour voir les premiers pourparlers en matière de migration, et ceci alors que les deux pays assistaient déjà à la reprise, lente et progressive, de l'émigration des travailleurs espagnols vers la France[18]. La volonté de réglementer cette émigration poussa les deux pays à négocier. Le 17 mars 1956, l'Espagne et la France signèrent un accord de procédure pour l'immigration de travailleurs saisonniers ; une Convention générale de la sécurité sociale fut signée en février 1957 ; en octobre 1958, un accord destiné à encourager le regroupement familial fut également signé. Mais il a fallu attendre la signature du traité de migration de 1961 pour que la question de l'émigration dite permanente soit abordée. Le manque de consensus entre les différents acteurs espagnols, et les espoirs français sur l'émigration italienne seraient à la base de ce retard.
Le début des négociations entre les autorités françaises et espagnoles fut fixé au 30 mai 1960, à Paris[19]. Elles durèrent jusqu'au 4 juin et furent caractérisées par les désaccords entre les deux délégations. Du côté espagnol, celle-ci était composée de représentants des différents ministères concernés par la «question migratoire » : les Affaires étrangères, l'Intérieur, le Travail, l'Institut espagnol d'émigration et la sphère syndicale (OSE). La délégation française, quant à elle, comptait des plénipotentiaires des ministères des Affaires étrangères, de l'Intérieur, du Travail, de la Santé publique, de l'Agriculture et des Finances, ainsi qu'un représentant de l'ONI.
Très tôt, les débats entre les deux délégations se polarisèrent autour de deux questions fondamentales : l'établissement d'une procédure conjointe de recrutement des travailleurs espagnols, et le regroupement familial. Elles constituèrent par la suite l'essentiel des pourparlers, ainsi que du texte de l'accord issu de ces négociations, qui fut définitivement signé le 21 janvier 1961.
Le recrutement de travailleurs espagnols semblait présenter d'importants terrains de désaccords entre les deux parties. Le premier concernait la question de l'émigration avec un passeport de touriste (ou émigration spontanée), c'est-à-dire celle qui échappait aux procédures de recrutement. Largement choisie par les travailleurs espagnols, cette démarche migratoire fonctionnait, de facto, grâce à la complaisance des autorités françaises, qui facilitaient la régularisation a posteriori de ces travailleurs. Cette attitude avait motivé les critiques des délégués espagnols (notamment du ministère du Travail et de la sphère syndicale) qui, tout au long des négociations, insistèrent sur l'importance de lutter contre l'émigration spontanée ; ils allèrent jusqu'à exiger des délégués français que la carte de travail soit uniquement délivrée aux travailleurs arrivés par la voie régulière. Cependant, le profit que la sphère économique française tirait de ces régularisations à posteriori explique le refus catégorique de la délégation française d'accepter cette demande. En alléguant, tout simplement, que ce sujet n'avait pas «sa place dans le texte des accords », les autorités françaises mirent fin à cette polémique, orientant les débats vers la définition du modus operandi des recrutements.
Le deuxième terrain de discorde était celui des conditions dans lesquelles mener à bien ces recrutements. Les délégués français mettaient l'accent sur le tempo et sur la qualité de la main-d'œuvre recrutée. De façon plus concrète, ils exigeaient l'établissement de procédures administratives rapides et efficaces, capables d'acheminer les travailleurs espagnols vers la France dans les délais convenus. De même, leur préoccupation concernant la qualité de la main-d'œuvre les avait amenés à demander aux représentants espagnols la possibilité d'indiquer les provinces dans lesquelles ils désiraient privilégier le recrutement. Ces deux demandes furent acceptées par les délégués espagnols et introduites dans le projet final. Or, pour faire passer ces deux demandes, les délégués français avaient dû céder sur l'une des revendications de la délégation espagnole : celle concernant l'envoi de renseignements sur les conditions de vie et de travail que les différents contrats proposaient aux travailleurs. Soucieux d'assurer les meilleures conditions économiques et sociales à leurs candidats à l'émigration, les délégués espagnols misaient sur la qualité des contrats de travail proposés. Pour cela, ils exigeaient des autorités françaises l'envoi de renseignements concernant les conditions de travail, de salaire, de vie, etc., proposées dans les différents contrats de travail.
Le troisième point de désaccord concernait les modalités de recrutement. Lors des négociations, deux modèles de contrat de travail furent pris en compte : le contrat anonyme (donnant lieu au recrutement anonyme) et le contrat nominatif (à l'origine du recrutement dit «nominatif »)[20]. Sur les contrats nominatifs figurait l'identité du futur embauché, et ils résultaient souvent de demandes de travailleurs espagnols à leurs patrons pour qu'ils embauchent un ami ou un membre de leur famille voulant travailler en France. Quant aux contrats dits «anonymes », il s'agissait de demandes numériques de travailleurs pour une branche spécifique de l'économie. Les autorités espagnoles devaient répondre à ces demandes avec des listes de travailleurs censés obéir au profil demandé. C'est à l'intérieur de ces listes que les autorités françaises devaient sélectionner les candidats ; et ceci par le biais d'une sélection médicale et professionnelle menée en Espagne. Les préférences exprimées pour l'une des deux modalités de contrat allaient constituer une troisième source de désaccord entre les deux délégations.
Tout au long des négociations, les délégués espagnols exprimèrent leur volonté de tirer un maximum de profit des contrats anonymes, tout en se méfiant des contrats dits nominatifs. La prédilection des représentants espagnols pour les contrats anonymes était liée au fait que ces contrats leur permettaient de choisir les candidats à l'émigration en fonction des déséquilibres du marché espagnol de la main-d'œuvre. Dans ce sens, ils allèrent jusqu'à demander la possibilité de proposer librement aux autorités françaises leurs propres candidats ; proposition qui fut refusée par les délégués français.
À la différence des contrats anonymes, les contrats nominatifs réussissirent à contourner la sélection des candidats menée par les autorités espagnoles, ce qui provoqua la méfiance de celles-ci à leur égard. Mal considérés par les autorités espagnoles, les contrats nominatifs étaient largement préférés par les employeurs français, car ils diminuaient les risques que comportait l'embauche de travailleurs complètement inconnus. Ceci explique le refus des délégués français de la demande des représentants espagnols de pouvoir refuser «pour des raisons d'ordre national ” certains de ces contrats nominatifs.

Le deuxième axe de ces négociations concernait le regroupement de l'émigrant-travailleur avec sa famille. À cet égard, la position de la délégation française était claire et précise : cet accord ne devait pas se limiter à “ un accord de recrutement de main-d'œuvre, mais un accord d'immigration et de peuplement ”[21]. En effet, les autorités françaises étaient désireuses d'utiliser l'immigration pour peupler la France avec une population considérée comme facilement assimilable ; l'installation d'Espagnols devait ainsi être encouragée car, entre autres, elle permettait de contrebalancer l'immigration originaire des pays en voie de développement[22].
Du côté espagnol, la volonté d'encourager le regroupement familial était liée, nous l'avons vu, à l'influence de l'Eglise catholique sur la politique migratoire. Faisant comme si le regroupement familial n'allait en rien modifier le projet de retour de ces émigrants, les autorités espagnoles se sont concentrées par la suite sur la façon de «capitaliser » ces retours. Pour cela, la délégation espagnole insista sur le libre transfert vers l'Espagne de l'épargne salariale de ces travailleurs, sur la possibilité de les former dans des écoles de formation professionnelle créées pour les travailleurs nationaux, et sur la possibilité de faire bénéficier les Espagnols émigrés de davantage de droits sociaux. Finalement, l'accord de 1961 approuva l'ensemble des demandes formulées à cet égard par les délégués espagnols[23].

À la suite de ces accords, plusieurs questions restaient cependant à régler : la principale d'entre elles étant la question relative aux «mesures à prendre contre l'émigration spontanée ». Esquivée lors des accords de 1961, elle n'eut pas de suite dans les années suivant ces accords. Et ceci malgré les demandes des autorités espagnoles liés à la sphère syndicale et du travail, de plus en plus préoccupées par l'augmentation de ces départs spontanés, régularisés par la suite par les autorités françaises ; augmentation qui montrera les limites d'un accord censé assurer la maîtrise du flux migratoire espagnol par les États espagnol et français.


III Les chemins de l'émigration. Les stratégies individuelles dans l'émigration espagnole vers la France (1956-1965)



Nous allons maintenant analyser les possibles répercussions de la politique migratoire franquiste et des accords signés avec la France sur les stratégies des émigrants. Pour cela, nous allons tenir compte, aussi bien du contenu de ces politiques, que de la façon dont elles furent mises en place et gérées par les administrations compétentes. À cet égard, nous sommes partis du principe que les administrations sont un acteur politique à part entière, et non pas le simple bras exécuteur de la sphère politique. En reprenant l'expression de J. Chevallier, l'administration doit être considérée comme un «acteur politique à part entière dont le pouvoir s'appuie sur la détention de ressources spécifiques » ; autrement dit, «le principe de la double subordination, juridique et politique, ne suffit pas à priver l'administration de toute capacité d'action autonome ” [24].

Jusqu'au milieu des années 1950, le contrôle des départs vers la France relevait de la seule logique policière. La fermeture de la frontière pyrénéenne au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, puis la méfiance des autorités franquistes envers les individus demandant un passeport pour la France (terre d'accueil des républicains espagnols), rendirent cette émigration très difficile. Même une fois la frontière rouverte (en 1947), les passeports et les visas de sortie pour la France furent toujours délivrés au compte-gouttes.
Pour ceux qui voulaient tenter leur chance, les procédures légales étaient au nombre de deux : la procédure nominative (qui était la procédure officielle) et une procédure officieuse dite «du faux touriste ». Les formalités administratives concernant la première étaient du même genre que celles concernant les pays latino-américains : pour obtenir son passeport et son visa de sortie, l'émigrant devait fournir une lettre d'appel visée par un consul espagnol en France (ce qui rendait nécessaire la présence d'un parent, d'un ami ou d'une connaissance déjà installé en France)[25]. Une fois l'autorisation de départ en poche, l'émigrant devait obtenir son visa d'entrée en France. Pour cela, il devait s'adresser au consulat français le plus près et prouver qu'il avait été demandé nominativement par un employeur, et qu'il avait signé un contrat avec lui[26]. Cependant, les autorités espagnoles refusaient très souvent le passeport et le visa de sortie aux émigrants qui avaient opté pour cette voie, ce qui conduisait la presque totalité des candidats à l'émigration à tenter la procédure dite du «faux touriste »[27].
Un peu plus perméable que la procédure officielle, l'émigration avec un simple passeport de touriste était également soumise à un contrôle strict de la part des fonctionnaires de la Direction nationale de la Sûreté, chargés de la délivrance de tout type de passeport. Le nombre des sorties refusées était très important, notamment aux individus ayant des liaisons avec le camp des vaincus. De peur qu'ils influencent les émigrants «économiques », les autorités franquistes surveillaient les départs (officiels ou en qualité de faux touriste) des personnes dont on soupçonnait l'hostilité envers le régime. Ceci d'autant plus que la France, terre d'asile pour les républicains espagnols, semblait attirer ces dissidents, dont le départ était, dans ces années-là, à cheval entre l'émigration économique et l'exil politique.
Face à ce contrôle strict des départs, les émigrants espagnols développèrent plusieurs stratégies. L'une des plus importantes était le recours aux pots-de-vin pour soudoyer une administration franquiste très défaillante, car très mal payée et manquant de personnel et de moyens. Les dysfonctionnements et la porosité caractérisant l'administration franquiste permirent le départ en «faux touriste » de certains individus dont le passeport avait été refusé dans un premier temps[28].

"Je suis arrivé en France en 1952. J'étais d'un village de la province de Caceres, près de Navalmoral de la Mata. Pour venir, j'avais besoin d'un passeport de touriste qui durait trois mois (...) mais quand je suis allé le chercher à Caceres, ils me l'ont refusé en disant que j'appartenais à une famille de rouges. J'ai donc dû aller à Madrid pour le faire là-bas. À la fin je l'ai obtenu mais j'ai dû payer 3 000 pesetas, ce qui représentait beaucoup d'argent à cette époque-là[29].


Je gagnais 60 pesetas par jour, ce salaire ne suffisait pas pour faire vivre une famille avec deux enfants, et j'ai alors décidé d'aller travailler en France. À cause de mes activités syndicales et de mes démêlés avec la Garde civile, les autorités refusaient de me fournir un passeport pour quitter le pays. (...) Finalement, comme un de mes jeunes frères vivait à Paris, il m'a envoyé une lettre disant qu'il était gravement malade et demandant que je vienne le voir. Un sergent de la Garde civile, catalan et né dans une famille républicaine, m'a finalement aidé à obtenir un visa de touriste pour partir[30]


Enfin, pour ceux qui voyaient quand même leur passeport refusé, il restait toujours la possibilité de partir clandestinement. Suite à la signature de l'accord hispano-français de 1961, les programmes d'émigration «assistée » (que les autorités françaises appelèrent «programmes de recrutement de travailleurs étrangers ») devirent le seul chemin officiel pour émigrer en France. Avec eux, les États espagnol et français devaient s'assurer le contrôle du flux migratoire, ainsi que la possibilité de décider de son ampleur et de sa composition.
Néanmoins, le manque de rigueur, l'arbitraire, et les nombreuses anomalies présents lors des différentes procédures administratives, éloignèrent l'application du Traité de son contenu réel. Ce décalage entre normes politiques et pratiques administratives créa de nombreux interstices par lesquels certains émigrants espagnols réussirent à se faufiler, échappant au contrôle étatique menaçant leur projet migratoire.
De façon très générale, les programmes d'émigration dirigée ou «assistée » étaient composés de différentes procédures : la diffusion de l'information concernant les offres d'emploi à l'étranger, le recrutement (ou inscription des offres et des demandes sur le Registre central d'émigration), la présélection et la sélection (professionnelle et médicale) des candidats, la documentation des travailleurs recrutés, et leur acheminement vers leur lieu de travail.
La diffusion des offres d'emploi en provenance de l'étranger était l'une des clés de la réussite de ces programmes de recrutement. Cette information devait permettre aux candidats à l'émigration de connaître les avantages de ces programmes (le paiement des frais de voyage, un logement à leur arrivée, etc.). Elle devait également fournir des renseignements précis concernant les conditions de travail, le salaire, etc. ; et ceci dans la but de réduire le niveau d'incertitude et la méfiance envers l'Etat de la plupart des candidats à l'émigration.
Cependant, et étant donné le manque de moyens et de volonté politique, l'information n'était ni suffisante, ni précise, ni correctement diffusée, comme l'illustre ce commentaire d'un inspecteur espagnol d'émigration :

[L'émigrant] qui se rend à l'organisme officiel se heurte à des incertitudes et à un manque d'information, obtenant uniquement un aimable «on vous préviendra », sans aucune précision sur les délais, même approximative ; quand au bout de huit mois, d'un an, parfois plus, ou parfois moins pour quelques professions, on les prévient, on reçoit de nombreuses lettres retournées avec la mention «Parti à l'étranger ».

[31]



Fort dispersée, souvent incomplète, et passant presque exclusivement par l'écrit (annonces dans la presse, brochures, etc.), l'information fournie par les deux États ne risquait pas de déclencher une inscription massive aux programmes d'émigration assistée. Ceci d'autant plus qu'elle ne pouvait pas concurrencer les voies informelles d'information, amenant les émigrants potentiels sur les chemins de l'irrégularité (voir ci-dessous). Très souvent, les émigrants spontanés étaient beaucoup mieux informés que les émigrants «réguliers ». Ces voies informelles, comme le «bouche à oreille », étaient beaucoup plus répandues ; elles étaient également considérées comme bien plus fiables que celles en provenance des administrations de l'État.

La deuxième étape était celle du «recrutement ». Elle consistait à inscrire sur le Registre central des émigrants aussi bien les individus se proposant pour travailler à l'étranger, que les demandes de travailleurs en provenance de l'étranger.
Mais cette inscription comportait déjà en soi de nombreuses anomalies. Tout d'abord, la concurrence entre l'IEE (équivalent de l'ONI côté espagnol) et la sphère syndicale espagnole fut à la base de nombreux courts-circuits dans la gestion de ces programmes. En théorie, les candidats à l'émigration pouvaient aussi bien s'inscrire auprès des bureaux de placement de leur localité de résidence, qu'auprès des délégations de l'IEE (placées uniquement dans la capitale de chaque province). Cependant, le manque de coordination et les rapports de force entre ces deux organismes faisaient que seuls les travailleurs inscrits dans les délégations de l'IEE avaient des véritables chances de voir leur demande aboutir.

(...) Les travailleurs qui s'inscrivent dans le bureau de placement en demandant un travail à l'étranger n'ont aucune possibilité de partir, car seules les personnes inscrites directement à la délégation provinciale de cet organisme [Institut espagnol d'émigration] sont sélectionnées. (...) Pour cela, notre bureau provincial ne fait qu'inscrire les travailleurs qui le demandent et qu'enregistrer les offres de travail à l'étranger envoyées à ce Service national, sans que l'on puisse par la suite les gérer. (...) Les faits et les circonstances rapidement commentés ci-dessus mettent en évidence le manque de coordination dans la mécanique administrative du processus migratoire[32]


Cet état de choses incommodait fortement les candidats à l'émigration ; originaires pour la plupart du monde rural, ils étaient obligés de se déplacer vers la capitale de la province pour avoir une chance de voir aboutir par la suite leur demande d'émigration.
Ensuite, à ces problèmes de coordination s'ajoutaient des dysfonctionnements au sein de ces deux organismes administratifs. Le fonctionnement des différents bureaux syndicaux de placement était marqué par le manque de personnel et de ressources[33]. Quant à l'IEE, ses défaillances étaient liées au fait que ses fonctionnaires étaient débordés et n'arrivaient guère à gérer les nombreuses offres en provenance de l'étranger, tout en assurant le reste des tâches administratives[34].
Pour finir, au manque de personnel et aux problèmes de coordination, il faut ajouter la dégradation des rapports entre l'IEE et la mission de l'ONI en Espagne. Durant les années 1960, les relations entre les deux organismes partenaires se sont progressivement détériorées. Du côté espagnol, l'on considérait le traité bilatéral signé en janvier 1961 comme très favorable à la France, alors que du côté français, l'on accusait l'IEE de ne pas respecter le délai de 15 jours que ces accords avaient établi pour les recrutements dits «anonymes »[35].
Ne pouvant pas obtenir à temps des travailleurs «anonymes », les employeurs français se tournèrent de plus en plus vers les recrutements «nominatifs ». Pour cela, ils commencèrent à profiter de prospections dans des provinces où ils étaient censés faire du recrutement anonyme pour nouer des contacts avec certains travailleurs, puis les recruter nominativement[36]. Mais cette astuce des employeurs français fut découverte par les autorités espagnoles, qui choisirent par la suite de restreindre de façon très importante les recrutements nominatifs ; et ceci malgré les plaintes des représentants français, qui demandaient à ce que l'accord de janvier 1961 soit respecté[37].
Ces obstacles au recrutement anonyme, ajoutés à l'impossibilité de recruter librement des travailleurs espagnols par la voie «nominative ”, eurent comme conséquence une nette augmentation du nombre de travailleurs espagnols entrés en France avec un simple passeport de touriste[38].
Cette phase de recrutement était suivie par l'étape de la sélection (professionnelle et médicale) des candidats à l'émigration. L'exécution des tâches de sélection était également marquée par des dysfonctionnements et des «arrangements » contournant les normes légales. De plus, et étant donnée que les critères de sélection des travailleurs émanant de la sphère politique étaient très souvent flous, l'administration finit par obtenir une grande autonomie dans la sélection des migrants.
Lors de la présélection professionnelle menée par l'administration espagnole, les cas de corruption, de trafic d'influence et d'abus de pouvoir étaient très nombreux. La présélection des travailleurs devint un acte de pouvoir, et les critères de sélection étaient loin d'être rigoureux[39]. Or, dans beaucoup de cas, ces anomalies étaient également liées au fait que, faute de personnel suffisant pour mener ces opérations avec la rigueur et le professionnalisme requis, ces formalités étaient effectuées à la hâte, par du personnel subalterne n'ayant pas la qualification professionnelle requise[40].
Les nombreuses irrégularités lors de ces procédures finirent par décourager beaucoup de candidats à l'émigration. Ne voulant pas assumer l'incertitude et le risque liés à cette présélection, beaucoup d'entre eux prirent d'autres chemins pour partir en France (voir ci-dessous).
Du côté français, la sélection professionnelle fut marquée par les nombreuses plaintes concernant la «mauvaise qualité de la main-d'œuvre » présélectionnée par les agents espagnols. Le décalage entre les critères de sélection des administrations espagnole et française fut à l'origine d'importantes tensions et de conflits entre elles. Du côté espagnol, l'on tâchait de répondre à la volonté du ministère du Travail et de la sphère syndicale d'utiliser cette émigration assistée pour évacuer une partie de la main-d'œuvre excédentaire : l'on donnait la priorité aux ouvriers peu qualifiés, aux chômeurs et aux travailleurs du secteur primaire avec de faibles qualifications professionnelles, en provenance notamment des provinces du sud. Tandis que du côté français, l'on visait aussi bien de simples manœuvres pour l'industrie que certaines catégories d'ouvriers qualifiés, notamment dans le bâtiment, ainsi que des mineurs. L'adéquation entre l'offre (espagnole) et la demande (française) n'était donc pas toujours facile[41].

Selon des renseignements puisés à bonne source, les différents «CENTRES » de l'ONI, en France, se plaignent d'une façon générale de la mauvaise qualité de la «Main-d'œuvre » recrutée par les Syndicats espagnols et envoyée en France par l'entremise de la Mission ONI-Espagne. En effet, pour prendre un exemple concret, lorsque l'ONI Espagne fait une offre d'emploi «carrier » à la Direction des Syndicats de Madrid (qui transmet aux Délégations Provinciales), l'ONI Espagne reçoit un petit nombre de professionnels et un nombre plus important d'ouvriers n'ayant jamais travaillé dans une carrière de pierres (électriciens, ouvriers agricoles, etc.). Ces ouvriers, faute de mieux, sont acheminés sur les employeurs ayant souscrit des contrats de «carriers professionnels ». Au bout de très peu de jours, les «non-professionnels » qui ne peuvent donner satisfaction sont remis à la disposition du «Centre-ONI » le plus proche, qui tente avec plus ou moins de succès de les «reclasser » dans d'autres professions, ce qui ne va pas sans de très sérieuses difficultés. C'est ainsi que le «Centre-ONI » de LYON s'est plaint d'avoir en moyenne 35 % d'échecs parmi les ouvriers espagnols venant d'Espagne, avec des contrats d'ouvriers ou de manœuvres spécialisés. Le «Centre-ONI » de Toulouse s'est également plaint pour des raisons identiques[42].


Parallèlement, les candidats espagnols étaient également soumis à une sélection de type médical. Comme pour les procédures d'inscription, les candidats à l'émigration pouvaient choisir entre le bureau syndical (souvent placé dans leur localité de résidence), et le bureau de l'IEE (placé dans la capitale de leur province de résidence, ce qui les obligeait à ce déplacer plus ou moins loin). Mais dans la pratique, la rivalité et le manque de coordination entre ces deux instances administratives obligeaient les candidats ayant choisi le bureau syndical à repasser la visite médicale au bureau de l'IEE. Ceci donnait lieu à une “ dualité d'examens médicaux ” qui ne faisait qu'alourdir et ralentir davantage les formalités administratives liées à l'émigration, décourageant davantage encore ces candidats[43].
Côté français, la sélection médicale était menée par les agents de la mission de l'ONI à Irun. Censée être beaucoup plus rigoureuse et complète, cette sélection médicale comportait les examens suivants : détermination de la taille et du poids, examen clinique conformément aux critères établis par le ministère de la Santé publique et de la Population, examen de la vue pour déterminer l'acuité visuelle, radioscopie des poumons, analyse d'urine à la recherche de sucre et d'albumine, sérologie de la syphilis et vaccination antivariolique[44].
Mais, au moment de mener à bien cette sélection, la mission de l'ONI à Irun fut prise en tenaille. D'une part, elle était amenée à être stricte, sous peine d'être obligée de prendre en charge les travailleurs «inaptes » entrés en France ; et ceci au-delà même de la période d'essai chez l'employeur. Mais d'autre part, si l'ONI était trop strict à l'égard de ces candidats à l'émigration (notamment avec les candidats «nominatifs »), il s'exposait à des conflits avec les organisations professionnelles[45].
Progressivement, un certain laxisme s'installa dans cette sélection médicale menée à Irun. Deux phénomènes furent à l'origine de ce manque de rigueur : tout d'abord, la forte pression exercée par le marché du travail français, dont les demandes en main-d'œuvre étrangère ne cessaient de croître. Ensuite, le manque très aigu de moyens et de personnel chargé de cette sélection[46]. Le résultat de cet état de choses fut que le pourcentage de candidats espagnols déclarés inaptes passe de presque 8 % en 1958 à 1 % en 1965[47].

Après cette phase de «sélection », l'administration espagnole était chargée des démarches concernant la documentation des candidats retenus. Pendant cette étape, les défaillances venaient de la lourdeur des formalités et du manque de coordination au sein de cette administration. Ceci repoussait encore plus les dates de départ des travailleurs sélectionnés, sapant davantage la patience des employeurs français.
Jusqu'en novembre 1957, la documentation des émigrants recrutés par la France passait par la voie ordinaire : passeport et visa de sortie étaient délivrés par les autorités policières de la DGS dans un délai de quinze jours au maximum. Par la suite, la volonté de l'IEE de s'immiscer dans l'affaire allait compliquer beaucoup les choses.
Suite à la création d'un passeport «E » (destiné aux émigrants et géré par l'IEE), les démarches de documentation s'alourdirent davantage. De plus, manquant des infrastructures et du personnel nécessaires pour donner suite aux demandes de cette nouvelle modalité de passeport, l'IEE fut obligé de demander la collaboration de la sphère syndicale. Or, cette «collaboration » ne se déroula pas dans la bonne entente et la coordination, bien au contraire. Voici le témoignage d'un fonctionnaire de la mission de l'ONI à Irun, fort intéressant à cet égard :

Il a été remarqué que le nouvel «Office d'émigration” espagnol, seul qualifié pour délivrer les Passeports d'émigrants à ses ressortissants semblait demander un assez long délai pour délivrer ces passeports aux intéressés. La raison de cette attitude est assez complexe. Il faut d'abord savoir que jusqu'au moment de la mise en activité de cet organisme, seuls les SYNDICATS avaient qualité pour diriger les travailleurs sur la France, les passeports et visas étant délivres par voie normale. Actuellement, seul cet organisme a qualité pour délivrer les nouveaux passeports d'émigrants (avec visas spéciaux) sauf cas particulier de période transitoire. On assiste donc actuellement à une sorte de lutte sourde entre ces deux organismes qui se disputent le droit de diriger l'émigration espagnole. De plus il faut savoir que l'Office d'émigration espagnole est à tendance catholique alors que les syndicats sont le plus souvent de tendance opposée. Rien de surprenant alors à ce que l'Office d'émigration espagnole freine la délivrance des Passeports aux candidats à l'émigration. Quand il est fait reproche à l'ONE espagnole de mettre peu d'empressement à délivrer les passeports, cet organisme répond «C'est de la faute aux Syndicats ! », quand on reproche aux SYNDICATS de mettre du temps à transmettre les demandes de passeports à l'ONE, les SYNDICATS répondent «Nous avons fait les transmissions nécessaires, c'est l'ONE qui ne fait pas son travail ! » il n'en reste pas moins que l'ONE devrait avoir environ 7 000 demandes de passeports «E » (y compris campagne betteravière) présentées par les SYNDICATS et c'est à peine si elle en a reçu 1 800 pour la France (au lieu de 7 000 !). La situation de l'ONI-(Mission Espagne) est particulièrement délicate[48].


Suite aux retards accumulés, les opérations de recrutement de main-d'œuvre espagnole dépassaient très largement les délais établis dans l'accord de 1961. Parfois même, le passeport arrivait trop tard, et les contrats ne pouvaient pas être honorés. Ceci rendait très difficile la planification des embauches par les employeurs français[49].
La principale conséquence de tout cet état de choses fut que l'émigration spontanée (avec un simple passeport de touriste) finit par mieux s'adapter aux demandes de l'économie française, arrangeant également les technocrates espagnols, désireux de voir partir une quantité importante de leurs compatriotes. Résultat, les deux États fermèrent les yeux et laissèrent faire, et ceci malgré les protestations d'autres secteurs de la sphère politique, qui continuaient à revendiquer l'importance de contrôler et de planifier cette émigration (sélectionner les émigrants, les régions migratoires, etc.).
Or, même si le pourcentage d'émigrants partis avec ces programmes fut relativement modeste (allant de 29 % en 1960 à 18 % en 1965), cette modalité migratoire eut un impact non négligeable sur l'émigration espagnole vers le pays voisin. En privilégiant le départ des candidats de régions rurales au taux de chômage élevé, n'ayant pas de tradition migratoire vers la France (l'Andalousie notamment), ces programmes donnèrent la possibilité d'émigrer à des personnes qui, faute de contacts en France, ne se seraient peut être pas lancées dans une telle «aventure ». Prenant la place jadis occupée par les pionniers de jadis, ces émigrants «assistés» rendirent par la suite possible l'émigration, avec un simple passeport de touriste, de nombreux individus originaires de ces régions. Ceci expliquerait que, vers le milieu des années 1960, l'ensemble des régions espagnoles était plus ou moins touché par l'émigration vers la France.

Malgré la mise en place de ces programmes d'émigration «assistée », le départ avec un simple passeport de touriste fut, pendant toute la période, le principal chemin d'émigration vers la France. Nous avons vu comment l'accord de 1961 avait laissé la porte ouverte à cette modalité migratoire (régularisée à posteriori par les autorités françaises). Considérée par l'Espagne comme irrégulière mais non pas illégale (comme ce fut le cas au Portugal), l'émigration avec un simple passeport de touriste finit par l'emporter, car elle comportait une moindre incertitude pour les émigrants. De plus, les démarches administratives étaient beaucoup plus simples et rapides : une fois déposée la demande avec les documents exigés (certificat de naissance, livret de famille ou ancien passeport, carte d'identité, casier judiciaire, etc.), le passeport de touriste était délivré dans les 48 heures[50].
Au début, cette émigration avec un simple passeport de touriste toucha surtout les régions ayant une importante tradition migratoire vers la France : la côte méditerranéenne dans son ensemble, et notamment la région de Valence. La présence en France de personnes originaires de ces régions (issues d'émigrations précédentes) rendit possible beaucoup de ces nouveaux départs. Se servant de l'aide proposée par ces anciens émigrants, les nouveaux trouvaient très facilement un premier travail ou un premier logement en France. Partis en qualité de faux touristes, ils n'avaient pas non plus de mal à régulariser leur situation une fois installés sur le sol français.
Par la suite, et au fur et à mesure que les programmes d'émigration assistée facilitèrent l'émigration d'individus d'autres régions espagnoles, de nouveaux réseaux informels se créèrent, rendant possible cette modalité migratoire (dite du «faux touriste ») depuis beaucoup d'autres endroits.

Au moment de mettre en place leur projet migratoire, les émigrants espagnols voulant partir en France butaient sur deux sortes d'obstacles : l'obtention des papiers nécessaires pour émigrer et la recherche d'un logement adéquat.
Pour ce qui est des «papiers », nous avons déjà signalé comment ils optèrent massivement pour la voie du «faux touriste », au détriment du chemin «régulier » établit par les États. Beaucoup plus rapide et simple, l'obtention du passeport de touriste ne causait que rarement des difficultés à l'émigrant. Bien informé, il savait contourner le seul obstacle pour obtenir ce passeport : affirmer aux fonctionnaires du bureau des passeports que son départ n'était pas une émigration (dans le sens d'une quête de travail) mais un voyage familial ou touristique ; faute de quoi, il risquait d'être renvoyé vers les bureaux de l'IEE.

Je suis venu en tant que touriste. Le passeport je l'ai eu facilement parce qu'une amie m'avait dit que si le policier me demandait si j'allais travailler je devais répondre non, et dire que je venais rendre visite à des amis. Et c'est comme ça que j'ai fait[51]

Pour obtenir le passeport de touriste il fallait aller à la police et dire que tu allais voir des amis à Paris[52].

Nous sommes partis avec un passeport de touriste qu'on nous avait donné et qui durait deux ans. Pour les démarches du passeport, je suis allée à la police ; je savais déjà que si on te demandait si tu partais pour travailler tu devais répondre non[53].


Concernant les démarches administratives, les émigrants espagnols partis en France semblent assez partagés : il y a, d'une part, ceux qui insistent sur les facilités de l'obtention de ce passeport, comparées aux lourdeurs et aux difficultés de l'émigration «régulière ».

Les gens de cette époque-là allaient en France surtout en tant que touristes, avec un passeport de touriste. C'était plus facile[54].


Puis, il y a ceux qui se rappellent des différents certificats nécessaires pour obtenir le passeport ; débordés par une incontournable et lourde paperasse, qui les dépassait et à laquelle ils n'étaient pas habitués, et par une administration souvent très inefficace, nombre d'entre eux finissaient par avoir recours à des agences de gestion.

Les démarches pour obtenir un passeport de touriste... Ouh la la ! Il fallait d'abord aller à la Garde civile et obtenir un certificat de bonne conduite. Puis tu allais dans une agence de Sarria qui t'obtenait le passeport. Pour cela tu devais obtenir le casier judiciaire à Madrid et un certificat du service militaire. Puis, un jour tu allais avec la personne de l'agence à la Police pour retirer et signer le passeport. Il y avait une longue queue à la Police mais le monsieur de l'agence de gestion te faisait passer avant tout le monde et alors tu signais le passeport. Les démarches pour moi et pour ma femme ont coûté 8 000 pesetas, billets pour la France compris[55].


Le lendemain, nous sommes allés dans une agence pour qu'on nous préparent (sic) les passeports, car il y avait très peu de jours pour tout faire. L'agence nous a promis qu'en 15 jours il y avait du temps pour tout faire en règle. [15 jours plus tard] le 21 mai nous avions déjà les passeports, mais ils manquaient (sic) les visas, et ils nous ont dit que quand nous arriverions à Saint Sébastien nous pourrions les faire facilement[56].


D'autres encore subirent les conséquences d'une administration espagnole lente et défaillante, pouvant même bousculer leur projet migratoire.

Un ami de mon beau-frère m'avait proposé de venir travailler chez lui comme domestique (...) et moi, comme j'avais très envie de venir... J'ai donc essayé de venir comme employée de maison (...) mais quand je suis arrivée ils m'ont dit que c'était fini, que ça faisait un mois qu'on m'attendait, ils s'étaient lassés de m'attendre et ne m'avaient pas attendue. Et tout ça parce que (...) pour obtenir le passeport en Espagne les démarches et tout ça avaient pris plus d'un mois[57].


Hormis la lourdeur et les dysfonctionnements de l'administration espagnole, l'obtention du passeport de touriste ne semble pas avoir posé de problèmes à la plupart des candidats à l'émigration ; et ce à l'exception de quelques individus considérés comme «opposés » au régime franquiste. De peur qu'ils influencent les émigrants «économiques », les autorités franquistes surveillaient les départs des personnes dont elles soupçonnaient l'hostilité envers le régime.

Je suis arrivé en France en 1952. J'étais d'un village de la province de Caceres, près de Navalmoral de la Mata. Pour venir, j'avais besoin d'un passeport de touriste qui durait trois mois (...) mais quand je suis allé le chercher à Caceres, ils me l'ont refusé en disant que j'appartenais à une famille de rouges. J'ai donc dû aller à Madrid pour le faire là-bas. À la fin je l'ai obtenu mais j'ai dû payer 3 000 pesetas, ce qui représentait beaucoup d'argent à cette époque-là[58].


Je gagnais 60 pesetas par jour, ce salaire ne suffisait pas pour faire vivre une famille avec deux enfants, et j'ai alors décidé d'aller travailler en France. À cause de mes activités syndicales et de mes démêlés avec la Garde civile, les autorités refusaient de me fournir un passeport pour quitter le pays. (...) Finalement, comme un de mes jeunes frères vivait à Paris, il m'a envoyé une lettre disant qu'il était gravement malade et demandant que je vienne le voir. Un sergent de la Garde civile, catalan et né dans une famille républicaine, m'a finalement aidé à obtenir un visa de touriste pour partir. On nous a appelé immigrés économiques mais la plupart d'entre nous avaient aussi des raisons politiques de quitter l'Espagne[59].


Malgré les problèmes que le passeport de touriste pouvait poser, son obtention était beaucoup plus rapide et facile que celle des papiers concernant l'émigration «régulière ». Venir «avec un contrat » était considéré comme une démarche trop compliquée, plus risquée et comportant des zones d'ombre, concernant notamment le renouvellement du contrat. De plus, les délais d'attente étaient beaucoup plus longs et le choix de la destination en France et du type de contrat était à la merci des États. Le seul aspect positif de cette démarche était qu'elle assurait un logement à l'arrivée. Mais cet avantage ne semble pas avoir été suffisant. Se méfiant de ce type d'émigration, les émigrants choisirent, dans la mesure du possible, des mécanismes informels pour partir.

[L'émigrant] en incite d'autres à venir (...) ; car l'émigration la plus importante n'est pas celle organisée par le gouvernement espagnol ; il y a une émigration organisée mais la plupart des émigrants n'arrivent pas par l'Institut espagnol d'émigration, ils arrivent en tant que touristes, parce que sinon c'est plus compliqué, plus complexe. Venir en tant que touriste, c'est une décision purement personnelle, alors que sinon tu dois passer par toute une série d'organismes : passer une visite médicale, signer un contrat de travail, certifier où tu veux aller, où tu dois aller... Et tu y vas d'une façon organisée, alors que [comme touriste] on peut choisir par soi-même : “Je prends mon passeport et je pars pour Lille, car j'ai un cousin là-bas, ou pour Lyon car des gens de mon village y habitent.” C'est possible par cette voie et c'est pour ça que la grande majorité des gens la suivent, non seulement pour cela mais aussi pour ne pas attendre, pour ne pas avoir à passer par un organisme[60].



Pourquoi je ne suis pas venu avec un contrat de l'Institut espagnol d'émigration ? Parce que tu venais pour six mois et après tu ne savais pas si tu devais rentrer ou si tu pouvais rester. Sinon, tu avais des avantages si tu venais avec une embauche car tu avais un logement[61].

Il y avait également la possibilité de venir avec un contrat, mais il fallait attendre longtemps, parfois un an. En plus, il fallait passer des tests professionnels, faire des examens médicaux[62].



Après la question des «papiers », celle du logement constituait la deuxième pierre d'achoppement pour ces candidats à l'émigration en France. Hébergés provisoirement chez des amis ou des parents, les problèmes arrivaient quand il s'agissait d'avoir un logement adéquat pour recevoir leur femme et leurs enfants. La crise du logement, notamment en région parisienne, était à l'origine de cet état de choses. Voici les soucis de logement d'un émigrant parti à Saint-Denis en 1956, puis rejoint par sa famille (sa femme et leurs huit enfants) un an plus tard.

Le mois d'avril, j'ai reçu une lettre de ma femme pour me souhaiter un bon anniversaire, c'était le 3 avril. Et je pensais, que ce n'était pas une vie de vivre séparés. Et je me suis dit : “Si j'allais les chercher... maintenant qui vient le beau temps nous pourrions vivre dans la roulotte et toucher les allocations familiales.” (...) Les amis m'encourageaient et moi que je ne désirait que cela (sic), je me suis décidé à y aller. Le 6 mai 1957 à 21h30 je me trouvais à la gare d'Austerlitz et le 7 j'étais avec ma famille en Espagne. Celle-ci ne savait rien et la surprise a été très grande. Quand je leur ai dit que je venais pour les emmener à Paris, l'émotion a été terrible. Ma femme la première chose qu'elle m'a dit c'est : “Et l'appartement ?” Ma réponse a été que j'avais une petite maison, pas très confortable, mais que bientôt nous aurions une autre plus confortable (sic). Je lui ai dit cela, car je savais que si elle réalisait que c'était une roulotte, elle ne viendrait pas. (...) [À leur arrivée] comme je leur avais dit que c'était une petite maison, quand ils ont vu la roulotte ils ont été surpris. Je me rappelle encore aujourd'hui ce que Célé [ma femme] a dit : “C'est ça notre maison ? J'ai envie de pleurer.” Et elle pleura[63].



Pour beaucoup, la solution était d'avoir recours au travail de la femme en tant que concierge ou femme de ménage, car ces deux types d'emploi permettaient d'avoir accès à un logement. Bien que fort modestes et manquant de tout confort, ces chambres de bonnes et ces loges de concierges permettaient aux émigrants de développer leur stratégie d'épargne, et ce sans avoir à payer des chambres d'hôtels (qui constituaient également une solution à la précarité du logement en région parisienne). Dans son travail sur les femmes espagnoles à Paris, Laura Oso a analysé le rôle très important des «chambres de bonne » dans l'insertion des couples espagnols arrivés à Paris. Elles leur offraient non seulement d'avoir un premier logement mais, isolées du contrôle des employeurs, elles permettaient également d'alimenter les chaînes migratoires, car elles servaient de tremplin à de nouveaux arrivants.

Je suis venue avec mon mari et avec un autre couple. À l'arrivée, la belle-sœur du couple qui nous accompagnait est venue nous attendre à la gare. Elle nous a amenés chez elle. Elle avait une chambre comme bonne à tout faire. On était deux couples avec deux enfants, la belle-mère et la fille de la dame qui habitait là-bas. Elle nous a entassé tous les huit dans la chambre. La chambre n'avait qu'un petit lit, une petite table et une petite armoire. On avait mis un matelas par terre et la grand-mère et la petite-fille (qui avait seize ans) ont dormi dessus. Nous, les deux mères, on a dormi dans le lit, sur le sommier, avec les deux bébés, les maris par terre et la propriétaire de la chambre dans un coin. Et que personne ne bouge la nuit. On a passé trois nuits là-bas, comme on était fatigués, on dormait[64].

Dans un contexte international profondément marqué par la volonté des États de planifier et d'organiser les flux migratoires, la dernière vague migratoire espagnole se déroula dans une perpétuelle interaction entre logiques étatiques et stratégies individuelles. Ce regard croisé entre l'État et l'émigrant nous a révélé plusieurs éléments d'intérêt.
Le premier, issu de cette articulation entre les sphères politique, administrative et plus strictement «sociale », est le rôle ambigu des pratiques administratives sur les flux migratoires. Censée mener à bien les programmes de planification et d'organisation des flux migratoires, l'administration migratoire espagnole finit par favoriser les départs spontanés. Plusieurs types de facteurs sont à l'origine de cet état de choses : la lourdeur des démarches avec lesquelles cette administration tentait de contrôler les flux ; les difficultés que cette administration rencontrait pour gérer ces départs «organisés », face à la souplesse des départs spontanés ; et pour finir, le manque de rigueur et les dysfonctionnements de cette administration, qui furent à la base d'un contrôle étatique des flux très défaillant.
Ensuite, nous avons pu constater comment, dans cet affrontement entre logiques étatiques et stratégies individuelles, les émigrants possédaient davantage de ressources pour faire face aux entraves étatiques que l'État n'en possédait pour contrecarrer leurs stratégies. Si les États étaient incapables de mettre un agent derrière chacun émigrant, les émigrants, eux, étaient capables de concevoir et de mettre en place de multiples stratégies pour faire face aux entraves étatiques menaçant leur projet migratoire.



[1] Ce travail a été réalisé à partir de ma thèse de doctorat, soutenue en décembre 2004 et intitulée : Émigrer sous Franco. Politiques publiques et stratégies individuelles dans l'émigration espagnole vers l'Argentine et vers la France, 1945-1965, thèse de doctorat d'histoire, Université de Paris 7, décembre 2004.
[2] G. DREYFUS-ARMAND, L'exil des républicains espagnols en France de la Guerre civile à la mort de Franco, Paris, Albin Michel, 1999, p. 53.
[3] Même si cette émigration économique était parfois mélangée à des motivations de type politique ou idéologique.
[4] En décembre 1946, l'Espagne avait été expulsée de tous les organismes internationaux et la plupart des ambassadeurs avaient quitté Madrid ; en sus, en mars 1946 la France fermait la frontière pyrénéenne. Le régime franquiste était condamné à l'ostracisme le plus complet. Cf. J. TUSELL, Historia de España en el siglo XX. Vol. III: La Dictadura de Franco, Taurus Bolsillo, Madrid, 1998, p. 210.
[5] L'“ Asociación Católica Nacional de Propagandistas ” était une association de laïcs créée en 1908 par les jésuites et subordonnée aux évêques espagnols. Le but de cette Association était double: d'une part elle devait être l'instrument de la propagande catholique dans l'ordre social; d'autre part, elle devait faire en sorte que les catholiques aient une influence sur la vie publique par le biais de la formation de leaders politiques capables de refléter et de mettre en pratique les grandes orientations du catholicisme. Cf. G. HERMET, Les catholiques dans l'Espagne franquiste. Les acteurs du jeu politique, Presses de la Fondation nationale des Sciences politiques, Paris, 1980, p.218 à 220.
[6] J'ai longuement analysé cette question dans le premier chapitre de ma thèse. Cf. M. J. FERNÁNDEZ VICENTE, Émigrer sous Franco.., op.cit
[7] Cf. M. GONZALEZ-ROTHVOSS y GIL Los problemas actuales de la emigración española, Madrid, Instituto de Estudios Políticos, 1949, p. 5-6; et surtout V. BORREGON RIBES, La emigración española a América, Vigo, 1952, p. 86-92.
[8] Lors des négociations avec les autorités argentines, on assista à l'affrontement entre les logiques diplomatique et «sociale ». La première défendait la spontanéité du flux migratoire espagnol, tandis que la deuxième se prononçait pour la direction et la planification étatique des flux. La priorité que Franco donnait à la rupture de l'isolement international (au-delà de la mission «sociale » confiée à la famille phalangiste) fut à la base du triomphe de la logique diplomatique. Cette question est longuement analysée dans le premier chapitre de ma thèse. Cf. M. J. FERNÁNDEZ VICENTE, Émigrer sous Franco, op.cit.
[9] Finalement, la «guerre froide » joua en faveur du régime franquiste, dont on retint davantage l'anti-communisme que l'autoritarisme. Depuis les premières années de la décennie, le franquisme entama ainsi un processus de réhabilitation internationale, qui s'acheva par son intégration au sein des Nations-Unies en décembre 1955. En 1950, l'Espagne était entrée dans l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture ; en 1951, dans l'Union postale, l'Organisation mondiale de la santé et l'Organisation internationale de l'aviation civile ; en 1952, elle entrait à l'UNESCO. En 1953 le gouvernement espagnol signa un Concordat avec le Saint-Siège, ainsi que d'importants accords militaires et diplomatiques avec les États-Unis. Cf. J. TUSELL, Historia de España..., op. cit., p. 291.
[10] W. GENIEYS, Les élites espagnoles face à l'Etat. Changement de Régimes politiques et dynamiques centre-périphérie, Paris, Harmattan, 1997, p. 185.
[11] Outre le fait que le flux migratoire à destination des républiques latino-américaines montrait ses premiers signes d'épuisement, le réseau technocrate préférait largement l'émigration «continentale », car elle était considérée comme plus rentable que celle s'adressant vers l'Amérique latine. Et ceci pou les raisons suivantes : l'émigration «continentale » était conçue comme temporaire (elle visait une épargne rapide et le retour au pays) ; il s'agissait très majoritairement d'une émigration d'hommes seuls, face au caractère familial de l'émigration outre-atlantique ; les pays d'accueil de cette émigration «continentale » étaient moins exigeants vis-à-vis de la qualité de cette main-d'œuvre que les républiques latino-américaines (visant surtout des ouvriers qualifiés) ; la différence salariale avec les pays de l'Europe occidentale était plus grande qu'avec les pays latino-américains, ce qui rendait cette émigration européenne plus rentable, etc.
[12] La peur de la contamination idéologique des Espagnols installés en Europe (en France notamment) mena ces acteurs à combiner l'assistance aux émigrés avec le contrôle politique.
[13] R. HERMIDA, J. BLASCO, L. GUERECA, La emigración española y el desarrollo económico, Madrid, IEE, 1959, p. 90.
[14] Le tourisme puis l'émigration furent les deux principales sources de devises rendant possible la modernisation et le développement économique de l'Espagne.
[15] «La mobilité de tous les facteurs de production, hormis la terre, mène actuellement vers l'intégration de l'Espagne dans l'économie mondiale (...). Mais cette intégration se produit également maintenant (et davantage dans le futur) par le biais [du] déplacement du travail espagnol vers les pays européens. » Extrait du discours du ministre espagnol du Commerce, le technocrate Ullastres ; cf. L. A. MARTÍNEZ CACHERO, “ El mercado común y la emigración de la mano de obra española a Europa ”, Revista de Política social, n° 59, juillet-septembre, Instituto de Estudios Políticos, 1963, p. 29.
[16] La défense et la protection de la famille constituaient l'un des axes de la conscience sociale catholique. Déjà dans les premières années du XXe siècle, la protection du modèle familial traditionnel était pour les acteurs catholiques – tant laïcs qu'ecclésiastiques – l'instrument principal du maintien ou du retour vers une société chrétienne ; cf. F. MONTERO GARCÍA, “Los católicos españoles y los orígenes de la política social”, Studia Historica, vol. II, nº 4, Universidad de Salamanca, 1984, p. 56-59.
[17] Le retour de ces émigrants au bout de quelques années passées en Europe fut très rentable pour le développement économique de l'Espagne. Car non seulement ils allaient rapatrier leur épargne avec eux, ils devaient également apporter une formation professionnelle (acquise lors de leur séjour à l'étranger) très nécessaire pour une Espagne en plein développement.
[18] G. HERMET, Les Espagnols en France, Paris, Editions ouvrières, 1967, p. 31.
[19] L'ensemble des négociations peut être consulté au Centre des Archives contemporaines de Fontainebleau, CAC 790259 Art.1. Liasse 1. Accords franco-espagnols.
[20] Les contrats anonymes et les contrats nominatifs étaient les deux types de contrats normalement utilisés dans le recrutement de main-d'œuvre étrangère. C'était d'ailleurs les deux types de contrats utilisés dans le Traité hispano-français de 1932, traité qui servit de cadre juridique aux négociations de mai-juin 1960.
[21] V. VIET, La France immigrée. Construction d'une politique, 1914-1997, Paris, Fayard, 1998, p. 269.
[22] Ibid., p. 273-274.
[23] Le libre transfert de l'épargne salariale (Art. 9), la parité salariale avec les travailleurs nationaux (Art. 6), l'acceptation des travailleurs espagnols et des membres de leurs familles dans les Centres de formation professionnelle français (Art. 10), la possibilité de bénéficier des dispositions prévues par la convention hispano-française de sécurité sociale de juin 1957 (Art.7), la possibilité de bénéficier également des œuvres sociales de tous les organismes français destinés aux familles (point 5 de l'Annexe II consacré au regroupement familial), etc. ; cf. CAC 790259 Art.1. Liasse 1. Accords franco-espagnols : Accord franco-espagnol relatif aux travailleurs permanents du 25 janvier 1961.
[24] J. CHEVALLIER, Science administrative, Paris, PUF, 1986, p. 266.
[25] CAC 810201 Art. 8, Lettre du directeur de l'ONI au ministre du Travail, 12 novembre 1951.
[26] J. HAZERA, Dix années d'immigration espagnole en France, 1957-1967, Thèse de doctorat en sciences humaines, Bordeaux, 1968, p. 20.
[27] Ibidem.
[28] Lors des entretiens menés dans le cadre de ma thèse de doctorat, j'ai relevé plusieurs cas de personnes à qui l'on refusa le passeport dans un premier temps, accusées d'être hostiles au régime ou d'appartenir à une famille de «rouges ». Finalement, le recours aux pots-de-vin et au trafic d'influence leur permit de rejoindre la France avec un passeport de touriste. Cf. M. J. FERNÁNDEZ VICENTE, Émigrer sous Franco..., op. cit., p.384.
[29] Entretien avec Juan, 31 mai 2003.
[30] Entretien avec Francisco Díaz, réalisé par Natacha Lillo le 28 octobre 2000.
[31] Archives de l'administration (Madrid) AGA Sindicatos R. 16.601. Intervention de Manuel García, chef du SNEC à La Corogne, au Congrès régional de l'émigration galicienne (La Corogne, septembre 1965).
[32] AGA Sindicatos R.16599 – Rapport des chefs du SNEC des provinces de Zamora et d'Orense (1963 ?).
[33] AGA Sindicatos R.1304 – Rapport du service de placement intitulé : «Manque de personnel et de fonctionnaires spécialisés dans la technique du placement des ouvriers » («Falta de personal y funcionarios especializados en la técnica de la colocación obrera ») ; sans date mais sans doute rédigé fin 1959 ou début 1960.
[34] «Dans les années 60, l'augmentation très forte de l'émigration en Allemagne et Suisse fait que l'IEE est débordé : elle crée ses services provinciaux et prétend préparer elle-même le départ des travailleurs qui ont l'habitude de se présenter au syndicat communal, ce qui donne des conflits d'attribution. » ; J. HAZERA, Dix années..., op. cit., p. 65.
[35] Le manque de définition dans l'attribution des compétences entre les différents organismes administratifs espagnols, ainsi que l'«excès de formalisme administratif » lié au désir de contrôler l'ensemble des départs de façon stricte étaient, selon les représentants français, à l'origine de ces retards. Cf. CAC 850705 Art. 1 : Rapports présentés au conseil d'administration de l'ONI par son directeur, 29 avril 1960 et 9 mai 1961.
[36] CAC 810201 Art. 8 : Compte rendu des opérations de l'ONI sur le territoire espagnol en 1962.
[37] Ibid. : Lettre du directeur de l'ONI au ministre du Travail, 2 mars 1962.
[38] CAC 850705 Art. 1 : Procès-verbal du conseil d'administration de l'ONI du 31 mai 1963.
[39] AGA Sindicatos R. 16599 : Rapport anonyme d'un fonctionnaire du SNEC, 1963( ?).
[40] Voici quelques exemples de ces anomalies : après avoir été présélectionnés par les bureaux provinciaux de l'IEE, beaucoup de travailleurs voyaient leur départ finalement refusé, au prétexte que leur offre «aurait été annulée » ; il s'avéra par la suite que d'autres travailleurs, qui n'avaient pas été présélectionnés, partaient pour répondre à ces mêmes offres de travail. De même, des travailleurs présélectionnés pour certaines offres finissaient par être refusés et réorientés vers des offres agricoles et minières pour lesquelles ils n'étaient pas préparés, etc. Ibidem.
[41] Un phénomène qui n'était pas nouveau. Ainsi, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, la France avait voulu recruter de la main-d'œuvre en Italie, notamment dans les provinces du nord qui possédaient une main-d'œuvre plus qualifiée. Cependant, les autorités italiennes visèrent plutôt le sud, où le taux de chômage était le plus élevé ; cf. A. SPIRE, «Un Régime dérogatoire pour une immigration convoitée. Les politiques françaises et italiennes d'immigration/émigration » in M.-C. BLANC-CHALEARD (dir.), Les Italiens en France depuis 1945, Colloque international 17-19 mai 2001, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 44-45.
[42] CAC 900353 Art. 16 Liasse 1. Espagnols : Rapport confidentiel de l'officier de police détaché près de l'ONI-Mission Espagne concernant la qualité de la main-d'œuvre recrutée en Espagne, 13 septembre 1957.
[43] AGA Sindicatos R. 16601 : Intervention de Manuel García, chef du SNEC à La Corogne, lors du Congrès régional de l'émigration galicienne (La Corogne, septembre 1965).
[44] CAC 850705 Art. 1 : Rapport présenté au conseil d'administration de l'ONI par le directeur de l'Office le 24 avril 1959.
[45] CAC 850705 Art. 1 : Intervention du directeur de l'ONI, M. Bideberry, au Conseil d'administration de cet Office, 5 juin 1958.
[46] En mars 1962, une étude française qualifiait le contrôle médical mené à Irun de «rapide et inefficace » : seuls deux médecins permanents et deux vacataires prenaient en charge l'examen de 200 à 250 personnes par jour ; examen uniquement composé d'une radioscopie et d'une analyse sérologique. CAC 810201 Art. 2 : Étude envoyée au ministre du Travail Gilbert Granval par J.R. Debray (vice-président de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale) concernant l'introduction en France des travailleurs espagnols et portugais, 12 juillet 1962.
[47] CAC 850705 Art. 1 : Rapports annuels de l'ONI.
[48 ]CAC 900353 Art. 16 Liasse 1. Espagnols : Note confidentielle de M. Pujo, policier de la Sûreté nationale détaché à la Mission de l'ONI à Irun, 1er avril 1958.
[49] J. HAZERA, Dix années..., op. cit., p. 65.
[50] Décret du 20 juin 1958 concernant la délivrance de passeports ordinaires (BOE 14 juillet 1958).
[51] Entretien avec Ramona, 11 décembre 2003.
[52] Entretien avec Esteban, 12 décembre 2003.
[53] Entretien avec Dolores, 14 décembre 2003.
[54] Entretien avec Ángel Cano, le 12 décembre 2003.
[55] Entretien avec Dionisio García, 6 décembre 2003.
[56] Extrait des mémoires de l'émigrant Ricardo Díez ; R. DÍEZ, Un hombre de Castilla, manuscrit dactylographié, Saint Denis, 1983.
[57] Entretien avec Leonor Ruiz, 19 mai 2001.
[58] Entretien avec Juan, 31 mai 2003.
[59] Entretien avec Francisco Díaz, réalisé par Natacha Lillo le 28 octobre 2000.
[60] Entretien avec Antonio García, 4 mai 2001.
[61] Entretien avec Dionisio García, 6 décembre 2003.
[62] Entretien avec Esteban, 12 décembre 2003.
[63] Extrait des mémoires de l'émigrant R. DÍEZ, Un hombre..., op. cit.
[64] Cf. L. OSO CASAS, Españolas en París. Estrategias de ahorro y consumo en las migraciones internacionales, Barcelone, Edicions Bellaterra, 2004, p. 48.

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