Les rapatriements de travailleurs étrangers dans le bassin potassique de Haute-Alsace. Les mines domaniales de potasse d'Alsace furent-elles un laboratoire de la politique gouvernementale?

par Yves FREY, docteur en histoire, IUFM de Mulhouse

Conférence du 29 avril 1998

La potasse est découverte en 1904 en Haute-Alsace, alors sous domination allemande. Mais l'essor de l'extraction date du retour à la France en 1919. Deux sociétés se partagent l'exploitation des mines, l'une, les Mines domaniales de potasse d'Alsace (MDPA), entreprise industrielle d'État, qui contrôle 70% des puits, l'autres les Mines de Kali-Sainte-Thérèse (KST), entreprise privée qui posède les 30% restants. Cependant, la main d'oeuvre locale fait défaut. A partir de 1923, les deux entreprises font appel aux immigrés, en très grande majorité (80%) des Polonais, qui arrivent dans le bassin potassique jusqu'à l'été 1930.

La potasse est un minerai utilisé à 95% pour la fabrication d'engrais. Comme dans les années vingt, l'Allemagne et la France possèdent le quasi-monopole de la production mondiale, les exportations représentent à peu près la moitié de l'extraction. Très sensible donc à la situation de l'agriculture, l'industrie potassique alsacienne subit d'abord la crise mondiale de 1929-1930, puis, lorsque celle-ci s'atténue, la crise française qui se fait durement sentir à partir de 1933 et surtout 1934. La crise est donc précoce (dès 1930) et longue, six ans (jusqu'à l'automne 1936). La production doit être limitée. Se pose alors la question de la diminution du nombre d'ouvriers-mineurs.

Les renvois d'étrangers débutent en janvier 1932, c'est à dire un mois après l'adoption par la chambre des députés du texte prévoyant la limitation de la main d'oeuvre étrangère dans les entreprises industrielles. Bien que non encore voté par le Sénat (ce sera chose fait le 10 août 1932), ce texte fait l'objet d'un consensus. Le ministère du Travail se trouve concerné. Or le directeur du Travail au ministère est Charles Picquenard, également membre du conseil d'administration des MDPA. Il charge le directeur général Pierre de Retz, d'élaborer une politique de rapatriement des étrangers. Celui-ci remet ses conclusions à la fin décembre 1931. Il énonce cinq principes.
- pas de licenciement massif d'étrangers afin de limiter l'émotion et les protestations des pays concernés;
- les licenciements doivent donc être individuels, affecter en premier lieu les ouvriers célibataires ou isolés volontaires et ne concerner que des petits nombres à la fois;
- les licenciés doivent être reconduits dans leur pays;
- les dépenses liées au rapatriement doivent être prises en charge par les MDPA;
- la mise en oeuvre des rapatriements doit être assurée par le préfet

Les rapports annuels du service des mines du Haut-Rhin ne mentionnent, à l'exception de l'année 1933, que des "départs individuels volontaires". Le terme de refoulement est très rarement employé. Cependant le terme "volontaire" est bien vite écrit. Il signifie en l'occurence, la remise par l'ouvrier de la carte d'identité et du passeport à la direction de l'entreprise, la première pour être conservée par la préfecture, le second pour être rendu, complété, à l'intéressé, le jour de son départ. Mais aucune source ne nous précise comment les candidats au départ se déterminent. Y'a-t-il pression? Nous le penson. Les premiers rapatriés de l'année 1932 sont presque tous des hommes seuls. Conformément aux principes du directeur général, il y a un tri. En outre, les rapatriements sont les plus nombreux, et de très loin, pendant le premier semestre 1932 alors que la loi n'est pas encore votée. Les "sélectionnés" doivent-ils choisir entre le rapatriement ou le licenciement pur et simple? Sans doute. A la suite d'interventions du consulat de Pologne à Strasbourg au sujet de quelques-uns de ses ressortissants licenciés, les directions répondent que ceux-ci ont refusé le rapatriement.

En 1933, le nombre de "volontaires" ne suffisant pas, les directions des mines ont recours aux refoulement. En accord avec la préfecture du Haut-Rhin, elles envoient les listes d'ouvriers dont elles souhaitent se séparer. La préfecture ne renouvelle alors pas leur carte d'identité. Les étrangers doivent donc quitter le territoire. Mais les refoulements ne concernent qu'une faible, voire très faible proportion des "rapatriés".

Au total de 1932 à 1936, le nombre des Polonais retournés au pays s'élève à environ 45% de l'effectif. Cependant, malgré l'importance de ces départs, les mines de potasse conservent une proportion d'ouvriers étrangers supérieure à 10%. Car la loi du 10 août 1932 ne s'y est jamais appliquée, Charles Picquenard, le premier, ne le souhaitant pas.

Il semble que la politique menée par les MDPA en 1932, entreprise industrielle d'Etat dépendant du ministère des Travaux Publics, ait inspiré ensuite la politique gouvernementale :  opérations ni brutales, ni spectaculaires, pression sur les entreprises pour obtenir des rapatriements "volontaires", prise en charge des frais, en un mot souplesse. Cette politique qui entraîne pourtant une baisse sensible de la main-d'oeuvre étrangère, reste pour ces raisons, trop discrète pour une fraction de l'opinion publique qui réclame toujours plus de contingentement et de mesures autoritaires.

Sources.

Archives départementales du Haut-Rhin, Colmar. Série AL (fonds MDPA et KST).

CERARE (centre rhénan d'archives et de recherches économiques), Mulhouse (fonds KST).

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