Le Brésil et ses immigrants, 1880-1925 :  la définition de l'immigrant idéal

par Jair da Souza Ramos, doctorant,
Université de Sao Paulo

Conférence du 22 avril 1999

A partir de 1886, le Brésil devient un pays d'immigration de masse. Les nouveaux venus doivent à la fois fournir la main d'oeuvre dont ont besoin les plantations destabilisées par la fin de l'esclavage, permettre, la régénération raciale de la population brésilienne et assurer le développement du pays. Très tôt (loi des pauvres 1850), les autorités brésiliennes considèrent que tous les immigrants ne peuvent permettre d'atteindre ces objectifs et définissent un immigrant idéal qui sera "blanc, paysan et résigné". L'état fédéral met donc en place une politique destinée à attirer les immigrés désirables en finançant leurs trajets, tout en s'arrogeant le droit (1890) de refuser aux immigrants venus d'Afrique et d'Asie l'entrée sur le territoire brésilien. Il n'a cependant pas les moyens durant cette période de contrôler le processus migratoire. Les États, en particulier l'État de Sao Paolo lui disputent cette prérogative et profitent de leur autonomie pour financer, entre 1908 et 1922, l'arrivée d'immigrants japonais.

La première guerre mondiale marque un tournant. Les flux en provenance d'Europe diminuent considérablement et s'impose parmi les élites brésiliennes la crainte de voir se former des minorités allogènes qui pourraient menacer l'intégrité du territoire brésilien. Ce contexte nouveau permet à l'État fédéral de reprendre la main en matière d'immigration. Un décret de 1921, dit "loi des indésirables", interdit l'entrée du Brésil aux vieux, aux malades et aux plus pauvres des immigrants. Il offre également au gouvernement la possibilité d'expulser les immigrants installés depuis moins de cinq ans susceptibles de menacer l'ordre public.

Plusieurs décrets d'application, pris durant les années suivantes, règlent la mise en pratique de cette politique.
Ils instaurent un contrôle sanitaire strict de la population migrante, renforcent le contrôle de l'État sur les compagnies maritime et définissent la population soumise à ces dispositions nouvelles. Ils aggravent également ce dispositif en interdisant l'accès du territoire brésilien et la délivrance d'un visa aux immigrants, qui seraient, aux termes de la législation en vigueur, passibles d'expulsion.

La mise en place de cette politique est contemporaine d'un vif débat sur l'identité des populations qu'elle doit permettre d'écarter et plus précisément sur les races, le terme désignant des populations considérées physiquement et culturellement homogènes plus qu'une réalité biologique, qu'il convient d'écarter.
Plusieurs moments clés jalonnent ce débat. Au début des années vingt, le projet formé par des noirs américains de s'installer au Brésil provoque de violentes polémiques et le refus du gouvernement brésilien, qui y voit une menace pour la régénération de la population brésilienne et craint la naissance d'un nationalisme noir.

Ce débat va provoquer le dépôt d'un projet de loi visant à interdire l'entrée de migrants de race noire. Celui-ci est rejeté, ses initiateurs vont cependant déposer en 1924, sans plus de succès, un second projet, qui le reprend et élargit ses dispositions puisqu'il prévoit de limiter l'accès des populations de race jaune au Brésil.

Ces projets provoquent une contre offensive des propriétaires fonciers des régions périphériques qui, ne pouvant compter sur l'apport d'immigrants européens, peu attirés par ces régions, souhaitent conserver la possibilité de recruter des travailleurs japonais. Ils diffusent largement un questionnaire portant sur la désirabilité de l'immigration et reçoivent 166 réponses. L'analyse de celles-ci permet de repérer les critères de désirabilité des immigrants qui sont alors largement diffusés dans la société brésilienne. Ceux ci sont au nombre de trois : 

Cependant si ces critères sont largement partagés, le classement de la population japonaise à partir de ceux-ci ne fait pas l'objet d'un consensus, même si les stéréotypes négatifs l'emportent, paradoxalement parceque le puissance et la cohérence de la civilisation japonaise mène à craindre la formation de minorités allogènes ou la subversion de l'ordre et des valeurs brésiliennes, ce qui témoigne d'une conception de l'État où la légitimité politique était fondée sur l'unité physique et culturelle de son peuple.

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