Apports et place des communautés dans l'histoire de la Tunisie moderne et contemporaine
Habib Kazdaghli,
Université de Tunis-Manouba.
Tunisie.
Sommaire
I- Historiographie des communautés en
Tunisie.
A - Démarche et objectifs
B - Typologie des communautés et des
minorités
II- Evolution de la situation des
communautés de Tunisie : 1574-1956.
A- Les communautés de la Régence
au cours de "l'ère des capitulations" : 1577-1815.
B-Les communautés durant "l'ère des consuls" :
1815-1881.
C- Les communautés méditerranéennes de
Tunisie durant la période coloniale (1881-1956)
III- Les mutations identitaires au sein des communautés méditerranéennes de la Tunisie colonisée
I- Historiographie des communautés en Tunisie.
Depuis les travaux précurseurs de Jean Ganiage (1) sur l'installation des diverses communautés européennes en Tunisie au cours du XIXè siècle et les travaux de Pierre Soumille (2) sur les Européens de Tunisie, la recherche historique sur ces différents groupes semble avoir évolué à un rythme lent.
Il est vrai, qu'avec l'indépendance du pays en 1956 et l'affirmation de la composante arabo-musulmane de la population, il n'était plus à l'ordre du jour de montrer l'importance numérique des différentes communautés qui vivaient en Tunisie. Du côté des historiens, l'intérêt fut longtemps porté à l'histoire du mouvement national, à la genèse de l'Etat-nation issu de la décolonisation. Une telle opération statistique avait en effet également une signification politique, que les autorités du protectorat n'ignoraient pas. Celles-ci recensèrent dès 1906 la population européenne (3) et dénombrèrent régulièrement à partir de 1921, l'ensemble des populations de Tunisie. L'objectif était de montrer la nette augmentation du nombre des Français (4) au détriment de celui des Italiens, soupçonnés longtemps de jouer le rôle d'une cinquième colonne, susceptible de favoriser la concrétisation des visées italiennes sur la Régence.
Le départ de la majorité des membres de ces communautés par vagues successives - aussi bien celui des populations européennes que celui de la majeure partie de la communauté juive tunisienne - peut lui aussi expliquer le faible nombre d'études relatives à ces groupes. Comme l'a bien souligné M. Halbwachs (5) : "les souvenirs ne peuvent subsister qu'à l'aide des mêmes cadres sociaux" et il ajoute que : "ce n'est pas par mauvaise volonté, antipathie, répulsion ou indifférence qu'elle (la mémoire collective) oublie une si grande quantité des événements et de figures anciennes. C'est que les groupes qui en gardent le souvenir ont disparu."(6). Car, "la notion de mémoire collective, produit tout d'abord cet effet qu'elle postule le groupe : celui-ci est toujours déjà là "(7). Cependant, une fois le divorce consommé, le travail de deuil nécessaire qui accompagne toute rupture effectué, une fois que les nouvelles identités commencent à se reconstituer tant bien que mal, il arrive que la mémoire renaisse, le plus souvent sous une forme nostalgique ou mélancolique. Nous constatons ainsi un regain d'intérêt pour la Tunisie de la part de ceux qui avaient vécu dans ce pays pendant une période plus ou moins longue. Mais vouloir retrouver le monde d'antan, alors que les cadres sociaux et humains qui le formaient ont disparu, risque de devenir une entreprise hasardeuse et éprouvante. C'est ce qui a fait dire à Albert Memmi : "nous avons mal à notre mémoire, nous souffrons d'un défaut de reconnaissance" (8). Nous assistons depuis quelques années à une production abondante d'ouvrages (9) publiés par des auteurs membres de ces communautés originaires de Tunisie, ainsi qu'à la prolifération d'associations dont les noms comportent une évocation du pays d'origine (10). L'historien ne peut rester indifférent à ces échos de la mémoire communautaire. Bien entendu, il ne s'agit point de confondre mémoire et histoire. Halbwachs, précise que : "l'histoire commence au point où finit la tradition". Mais l'histoire, processus scientifique d'étude du passé, ne peut-elle pas mettre à profit, "ces fragments colorés qui captent, même si les mosaïques peuvent finir comme des fragments" (11) ?
En fait dans une entreprise d'étude de l'histoire des communautés qui marquèrent par leur présence des quartiers (12) et des espaces, des noms de rues (13), des monuments, des souvenirs personnels, l'historien ne peut faire l'économie du recours à toutes les traces qui peuvent l'aider à reconstituer les événements du passé, à les classer et les approcher suivant les nécessités et les règles de sa discipline.
L'existence de ces divers groupes ethniques et religieux est un fait mentionné non seulement par les voyageurs étrangers - soucieux de constater les différences - mais aussi par les réformateurs et les chroniqueurs locaux. C'est ainsi que Bayram V dans sa çafwat al-I tibar dresse vers la fin du XIXe siècle un tableau des principales ethnies qui composaient la population de la Régence (14). Quelques années avant lui, le chroniqueur Ibn Abi Diaf évoque cette pluralité ethnique. En décrivant la composition du Grand conseil institué en 1861, ce dernier distingue entre les autochtones - qui sont nés dans le pays - (Abna'-Al Balad) et les autres qui sont des enfants du pays, par adoption (bil-Wala) (15). En outre, il revendique les juifs en tant que frères dans la patrie (Ikh-wanoun' fil watan), tout en reprochant à certains parmi eux, la tendance exagérée à chercher la protection des consuls étrangers (16).
Si les traces de ces communautés - surtout d'origine européennes - sont les plus perceptibles à partir du XVIIIe siècle à travers de petites colonies de marchands marseillais et génois qui vont venir s'installer à Tunis et dans quelques villes côtières comme Tabarka, pour la pêche du corail ou à Cap-Nègre, pour le commerce des céréales, on doit remarquer que la présence de diverses communautés est plus ancienne et a suscité, selon les convictions religieuses des personnes qui les composent, des réactions différentes de la part des gouvernants.
A - Démarche et objectifs
Le projet « Histoire plurielle » avec ses trois volets : enseignement, recherches individuelles et rencontres collectives (quatre colloques organisés, le dernier à Toulouse), s'insère dans un effort à la fois de reconstruction et d'interrogation de l'ensemble des éléments constitutifs de l'histoire tunisienne.
La réflexion engagée depuis une décennie a tenté de montrer que l'histoire des différentes communautés et minorités de Tunisie ne participe pas uniquement de cette quête des itinéraires particuliers de ces différents groupes humains qui ont fait la "mosaïque" Tunisie, elle relève plus largement de la reconstruction de la mémoire collective sans tabou, sans exclusive ni mutilation. Notre démarche s'est voulue un dépassement à la fois des occultations et des visions tronquées de l'histoire des communautés, ainsi que des écritures partiales qui rappellent les temps de la littérature de ghetto. Nous pensons que l'étude des composantes minoritaires et marginales d'une société se révèle souvent être une entrée nécessaire, pour l'explication des attitudes majoritaires d'une société et de ses comportements collectifs.
B - Typologie des communautés et des minorités :
Les membres des communautés et des minorités ayant vécu en Tunisie à l'époque moderne et contemporaine ont été régis par divers statuts selon leurs origines ethniques et leurs appartenances religieuses. Pendant longtemps, en effet, les différences opérées entre les groupes avaient une base religieuse. En effet, le terme minorité, tel qu'il est conçu aujourd'hui, se place dans la sphère de l'Etat-nation. La question des minorités se pose en terme de conscience nationale majoritaire qui va faire apparaître une autre conscience : celle du minoritaire. Pour cette raison, il nous paraît utile de tenter une typologie, même sommaire, des divers termes qui semblent avoir le plus souvent désigné les membres de ces communautés, religieuses, ethniques ou linguistiques tels que : dhimmi, protégés, étrangers, francs, Roumi, Nasrani.
1- Le statut de dhimmi (17) a surtout concerné en Tunisie les juifs et plus particulièrement ceux qui parmi eux allaient être connus sous le nom de touansas par opposition aux juifs livournais dont l'installation remonte au XVIIème siècle (18) . En effet, la présence des juifs est attestée dans diverses sources dès l'époque de l'Afrique romaine (19). Contrairement à celle des chrétiens, elle va se poursuivre après la conquête arabe sous les différentes dynasties musulmanes qui prirent Kairouan et Mahdia pour capitales (20) . Après une période sombre qui succéda au passage des Almoades (21) dans le pays, la présence juive fut de nouveau signalée à Tunis à partir de l'époque hafside (XIII ème siècle). Une légende, largement répandue, fait même remonter à cette période la fondation d'un quartier juif à Tunis, connu sous le nom de Hara, après une intervention en leur faveur auprès des autorités du saint de Tunis, Sidi Mahrez (22). La condition des juifs a été régie durant toute l'époque moderne par une application plus ou moins rigoureuse du pacte de la dhimma et n'a connu de changement substantiel qu'avec le pacte fondamental de 1857 abolissant de fait le statut de dhimmi et faisant rentrer les juifs dans le droit commun.
En 1881, l'installation du protectorat français va profondément marquer l'évolution économique, sociale et politique de la communauté juive de Tunisie. Si en Algérie, la décision politique de naturalisation collective des juifs, par le décret Crémieux de 1870, a été le point de départ du processus de leur francisation, en Tunisie, les mutations ont été plus nuancées.
Au terme de cette présentation des mutations de la communauté juive sur la longue durée, il apparaît clairement que la suppression du statut du dhimmi au milieu du XIXème siècle, introduit pour l'essentiel dans un contexte de faiblesse de l'Etat et de pénétration européenne - indirecte, puis directe - n'a pu aboutir au moment de l'indépendance à une véritable égalité citoyenne ou à une "tunisianité" intégrant pleinement les différences religieuses.
Nous pensons que cela fut la cause profonde du départ des Juifs vers la France ou vers Israël. Il est ainsi légitime de se demander comment un statut aussi "archaïque" que celui de la dhimma a pu constituer un cadre juridique assurant, malgré certaines périodes sombres, une si longue période de coexistence, marquée par l'ouverture et la tolérance, équilibre que l'Etat-nation avec ses juridictions modernistes et républicaines n'a pu assurer dans la pratique, malgré les efforts déployés dans ce domaine. Voyons maintenant si le statut du Millet, variante améliorée de la dhimma, a eu plus de succès dans ce domaine ?
2- Le terme de Millet a connu une extension de son utilisation à partir de l'époque ottomane. A l'origine, il désignait une confession, une communauté religieuse, y compris lorsqu'il s'agissait de musulmans. Au temps de l'Empire ottoman, ce mot a connu une évolution sémantique l'amenant à désigner "les groupes religieux intérieurement autonomes au sein de l'Empire tels que les juifs, les Arméniens, les grecs orthodoxes ou Millet i-Rum" (23).
Le statut de membre du Millet, ainsi défini, et surtout lorsqu'il s'agit de celui relatif aux rums (grecs-orthodoxes) qui avaient bénéficié, de la part du sultan, de la qualité de second peuple de l'Empire (24), apparaît supérieur à celui de dhimmi. S'agissant des juifs, ce statut n'a jamais comporté aucun signe préférentiel. Bien au contraire, il pouvait s'accompagner, surtout en temps de crise économique, de charges supplémentaires. D'un autre côté, ces membres du Millet occupaient une place privilégiée par rapport à celle que donnaient les capitulations aux autres chrétiens installés dans les territoires de l'Empire. En application des traités entre la France et l'Empire Ottoman, ces derniers, même s'ils bénéficiaient, comme nous le verrons plus loin, de la protection de leurs biens et de leurs personnes (25), étaient toujours considérés comme des "étrangers" et ne pouvaient s'installer d'une manière définitive ni acquérir des biens immobiliers ni fonciers jusqu'à la proclamation du Pacte fondamental en 1857.
Dans le cas de la Régence de Tunis, c'est la communauté grecque-orthodoxe qui a pu bénéficier du statut du Millet (26). En effet, les quelques centaines de Grecs de Tunis, venus de territoires qui faisaient partie de l'Empire se sont vus accorder ce statut par les autorités beylicales et, à ce titre, ils étaient regroupés en une communauté dirigée par un Caïd. Du point de vue religieux, la communauté fut placée en 1647 sous l'autorité du Patriarcat oecuménique d'Alexandrie d'Egypte. Cette situation va durer pendant deux siècles et ne commence à connaître des mutations qu'après les événements survenus en Grèce suite à la proclamation d'indépendance à partir des années 1920.
Influencés par la naissance du mouvement hellénique, encouragés par la nouvelle conjoncture en méditerranée, marquée par le Congrès de Vienne en 1816 et surtout la conquête d'Alger en 1830, les Grecs de la Régence vont chercher à entrer sous la protection des puissances européennes dont le poids était devenu de plus en plus important. Ces dernières vont de plus en plus chercher à obtenir des privilèges supérieurs à ceux que leurs accordait le régime des capitulations.
Les capitulations sont des privilèges accordés par Soliman le magnifique à François 1 er , allié à l'Empire Ottoman dans sa lutte contre Charles Quint.
Par la suite, avec la crise de l'Empire, elles ont été étendues aux autres puissances européennes (27). Initialement elles comportaient quatre garanties fondamentales accordées aux Français vivant sur les territoires de l'Empire : liberté de séjour dans l'Empire Ottoman, liberté religieuse, inviolabilité du domicile et transmission du patrimoine aux héritiers (28). Ce régime de faveur accordé à la France en 1534 sera étendu à la Régence après l'installation définitive des Turcs dans le pays en 1574. C'est ainsi qu'en 1577, Henri III nomma Louis de la Motte d'Ariès premier consul de France avec juridiction sur Tripoli (29).
Ainsi, l'installation de la colonie française et des autres colonies européennes (30) en Tunisie a su profiter, au début, des clauses offertes par les capitulations en attendant le renversement de la conjoncture en Méditerranée en faveur des puissances européennes à partir de 1815 . Ces dernières, vont désormais agir en combinant les pressions et intrigues de leurs consuls installés sur place et la politique de la canonnière. C'est dans cette ambiance mouvante que vont évoluer les communautés méditerranéennes de Tunisie au cours des périodes précoloniale et coloniale.
II- Evolution de la situation des communautés de Tunisie : 1574-1956.
Cette évolution des communautés est tributaire du statut initial de ses membres : dhimmi, membre du millet ou bénéficiaire du régime des capitulations et est influencée par les faits liés à la conjoncture internationale en Méditerranée.
A- Les communautés de la Régence au cours de "l'ère des capitulations" : 1577-1815.
Profitant des capitulations, la France a pu établir des relations diplomatiques avec la Régence dès 1577.
Cependant, il a fallu attendre presqu'un siècle pour qu'en 1658 le Père Lazariste Jean Le Vacher, vicaire apostolique, qui faisait également fonction de consul de France, obtienne des Beys Mouradites, l'autorisation d'édifier le fondouk des Français(31).
Cette demeure, située dans la partie basse de ville, va constituer le premier noyau de ce qui allait être le "quartier franc" qui regroupera également les nationaux des autres pays européens. Elle va abriter la petite communauté de Français, regroupée autour du consul qui y habitait aussi. Cette commuanuté est formée pour l'essentiel de commerçants, d'artisans et de religieux, pour la plupart originaires de Provence et du Languedoc. Cette maison était un passage obligé pour tous les voyageurs français en voyage dans la Régence(32). Cette demeure abritant quelques dizaines de familles va désormais symboliser les intérêts à la fois politiques, commerciaux et religieux de la France en Tunisie.
Les Français de la Régence ont été les premiers à tirer profit des capitulations, mais l'existence de ces privilèges octroyés par la Sublime Porte ne va pas les mettre à l'abri de certains "débordements" de la part des chefs locaux de la course. Toutes ces conventions, signées le plus souvent au lendemain de conflits ou de litiges, ont porté dans l'un ou plusieurs de leurs articles sur les droits et les garanties à accorder à la nation française installée en Tunisie. Les Français obtiendront ainsi, en plus de l'interdiction de la course et la libération des esclaves, aussi bien du côté tunisien que français, la prééminence du consul de France par rapport aux représentants des autres puissances, la garantie des biens et la liberté de commercer des Français, la réglementation des conditions de résidence des Français dans la Régence, la liberté de pratiquer le culte catholique, le consul de France ayant lui même le droit de posséder chapelle et prêtre dans sa demeure(33). La reconnaissance, par ces traités, de la suprématie du consul de France fait de lui le véritable protecteur de tous les chrétiens de la Régence, puisque l'article 19 du traité de 1685 stipule que "les religieux capucins italiens résidant à Tunis seront traités et tenus comme sujets du roi de France qui les prend sous sa protection(34)".
Dans les faits, ces traités n'arrivaient à "mettre à l'abri" que les ressortissants français. Les nationaux des autres pays européens continueront pendant longtemps à subir la course et les risques de l'esclavage, pratiqué d'ailleurs sur les deux rives de la Méditerranée. Cependant, la relation évoquée plus haut entre le consul de France et la mission catholique à Tunis, va donner à cette dernière, de réelles possibilités d'intervention. En effet, appuyée par les consuls de France, dont certains étaient eux-mêmes des religieux (35), l'Eglise catholique, en particulier certains ordres religieux, va jouer un rôle important dans le rachat des captifs chrétiens. De même, les autres pays européens concernés par la course vont tenter de protéger leurs ressortissants par l'établissement de traités de paix avec la Régence. C'est le cas des divers Etats italiens (Vénétie, Toscane, Naples) qui avaient le plus souffert de la course tunisienne.
Après 1815, date de l'arrêt de la course, les traités auront pour objectif de prévenir toute velléité de retour à la course et surtout de garantir l'entrée des produits des pays européens dans la Régence. C'est à la faveur de ce changement que leurs ressortissants vont venir en nombre s'installer dans la Régence.
B-Les communautés durant "l'ère des consuls" : 1815-1881.
Au cours de cette période, les traités signés vont servir d'outils pour la pénétration européenne dans la Régence, même si leur objectif initial était surtout de mettre fin à la course.
En effet, c'est au lendemain du congrès de Vienne que Lord Exmouth(36) reçut l'ordre de se rendre, à deux reprises, à bord d'une flotte de guerre anglaise à Alger, à Tunis, puis à Tripoli pour faire signer des traités de paix pour la sauvegarde des pavillons et des côtes des Etats de Sardaigne(37) et de Naples et racheter les esclaves de ces nations détenus en "Barbarie"(38). La même chose se produira au lendemain de la prise d'Alger, en 1830. Malgré la complicité du bey Hassine dans cette opération, la France n'hésita pas à imposer à ce dernier, le 8 août 1830, un nouveau traité par lequel, il s'engage à « renoncer, et à jamais, au droit de faire la course, à abolir l'esclavage des chrétiens, à laisser trafiquer librement les sujets étrangers avec les sujets tunisiens... ».
Mais la nouveauté réside dans la signature, le même jour, d'un acte additionnel secret. En vertu de cet acte, le Bey cède "à perpétuité à sa Majesté, le Roi de France, un emplacement à Carthage pour ériger un monument religieux à la mémoire du Roi Louis IX"(39).
A plus d'un titre, 1830 a constitué un tournant dans l'évolution de la Régence, qui doit désormais tenir compte de la présence à ses frontières d'une grande puissance. A partir de cette date, les consuls des puissances européennes, conscients de cette nouvelle réalité, sont de plus en plus exigeants, voire arrogants, à l'égard des beys de Tunis. Les ressortissants des pays européens souhaitant s'installer dans la régence obtiennent plus de garanties ; l'obtention de ces privilèges fragilise l'équilibre entre les communautés dans la Régence et entraîne une agitation des protégés de l'Islam, aussi bien Dhimmis que membres de Millet, qui cherchent désormais à obtenir la protection des consuls européens. Ce changement a été bien perçu par le chroniqueur Ben Dyaf qui constate "qu'après la prise d'Alger par la France, un renversement total s'est opéré, le cours des événements va aboutir à une situation extraordinaire"(40).
Les dispositions relatives à l'édification du monument à la mémoire de Saint-Louis n'ont pas été concrétisées dans l'immédiat en raison des bouleversements politiques que connaît la France au cours de l'été 1830. Cependant, la question revient à l'ordre du jour, dix ans plus tard, dans le cadre d'une nouvelle conjoncture locale et régionale. C'est en 1840, au cours du règne d'Ahmed Bey que la construction de cet édifice est entamée. Il sera inauguré le 25 août 1841(41).
En marge de cette double action politique et religieuse un flux migratoire de l'extérieur amène vers les villes portuaires et principalement Tunis des milliers d'émigrés en provenance de Malte et du Sud de l'Italie. A partir des années 1840, le noyau initial qui s'était constitué avant 1815 et qui était composé pour l'essentiel de représentants de chambre de commerce, de négociants et d'armateurs génois et marseillais, se trouve considérablement renforcé par un autre type d'immigration, à caractère populaire. Ce second courant migratoire est la conséquence de la rapide croissance démographique et de la crise économique qui sévissait à l'époque dans les îles méditerranéennes devenues surpeuplées(42). Cet apport démographique extérieur intervient dans une conjoncture intérieure défavorable.
En effet, la peste de 1818 se conjugue avec plusieurs années de mauvaises récoltes pour aggraver le déficit démographique parmi la population autochtone. Bien que le rapport numérique soit resté de loin favorable à la composante musulmane, les communautés non-musulmanes ont eu une place importante, tant par leur dynamisme que par leur rythme de croissance.
Ainsi, pour l'ensemble de la première moitié du XIXème siècle, la population musulmane est stable, autour de 1 million, alors que le nombre des européens a connu une nette évolution. En effet, s'il est estimé en 1834 à près de 8000 personnes, en 1856, la mission catholique établie à Tunis en recensait 12 300(43). Au milieu du siècle les Maltais étaient les plus nombreux avec un effectif de 6 à 7000membres ; puis venaient les 4000 Italiens, devant les Grecs (environ 250 personnes) et les 50 à 60 familles de Français (44).
La proportion de non-musulmans est encore plus importante dans une ville comme Tunis où elle peut être estimée au tiers, lui conférant quelques unes des caractéristiques des villes cosmopolites(45). L'accroissement du nombre des immigrants va s'accompagner d'une recomposition de l'espace urbain de la ville de Tunis. Si durant plusieurs siècles la ville s'est agrandie au nord et au sud par la création puis l'extension de deux quartiers, Bab Swika et Bab Al-Jazira, au XIXème siècle la ville s'étend au delà des remparts sur le terrain situé entre Bab El bhar et El-Bhira.
Avec l'afflux des émigrés en provenance de Malte et des îles italiennes, le quartier franc où se cantonnaient jusque là les européens, n'arrivait plus à les contenir. La ville européenne commence à se créer à cette période. C'est en 1856 que les fondations de la Maison de France sont édifiées, en dehors des remparts, et le nouveau siège du consulat est inauguré en 1861(46). Quant aux quartiers des Maltais et des Siciliens, ils se développent autour de l'axe de la Marine.
Parallèlement à cette restructuration urbaine, nous assistons, au cours cette période, à des mutations du statut des communautés non-musulmanes. C'est le cas des Grecs qui cessent de se considérer comme membres d'une Millet autonome mais dépendante du Bey. En effet, ces derniers vont de plus en plus chercher la protection des consuls européens, de France et d'Angleterre et plus particulièrement du consul de Russie. C'est de 1827 que date la dernière nomination d'un Caïd des Grecs par le bey de Tunis(47).
De même, comme nous l'avons signalé plus haut, à partir du milieu du XIXe siècle, de nombreux Juifs cherchent à se placer sous la protection des consuls établis dans la Régence.
Enfin le cardinal Lavigerie, installé depuis 1867 en Algérie, tente de supplanter les missionnaires italiens et d'implanter à Tunis une organisation religieuse à caractère français(48). En 1875, il réussit l'établissement de sa congrégation "des Pères blancs" à Carthage. En 1881, année de l'installation du protectorat français, il prend lui même la direction de l'Eglise catholique, amenée à jouer un grand rôle dans la gestion des communautés au cours de la période coloniale.
C- Les communautés méditerranéennes de Tunisie durant la période coloniale (1881-1956) :
Cosmopolitisme sous surveillance française
La nouvelle situation juridique de la France dans le pays favorise la petite "nation française de Tunisie" qui comptait à peine 700 âmes en 1881. Elle reste encore longtemps beaucoup moins nombreuse que la colonie italienne, mais elle domine toutes les activités socio-économiques.
L'analyse des notices biographiques du Dictionnaire illustré de la Tunisie établi par Lambert (48) confirme ce caractère de « minorité dominante » (49).
L'analyse statistique puis la comparaison et le recoupement des résultats avec les autres sources ont permis de discerner les éléments constitutifs d'un groupe numériquement minoritaire, mais qui s'est donné tous les moyens d'assurer sa domination sur les autres communautés existantes. En effet, il a réussi à constituer une élite dynamique et entreprenante. Cette élite se compose de jeunes dont une partie est fortement instruite, accaparant entre ses mains et sous son regard les principaux rouages politiques, administratifs et financiers d'un "ordre colonial", qu'elle a réussi à mettre en place après 30 ans de présence française en Tunisie.
Cette élite fonctionne selon un système fermé qui n'intègre les autres éléments qu'à la mesure de leur disposition à l'assimilation et à l'intégration dans le cadre de ses visées de domination. Ce groupe s'ouvre seulement à ceux qui acceptent de composer avec lui. C'est pour cette raison qu'il est souvent en rivalité et en concurrence avec deux autres nationalismes exclusifs : celui des autochtones et celui des Italiens.
Pour renforcer numériquement la "nation française de Tunisie"(50) qui dominait, désormais, politiquement, militairement, administrativement, les autorités françaises ont recours à plusieurs initiatives.
D'une part, les autorités du protectorat cherchent par tous les moyens à encourager d'autres Français, aussi bien de la métropole, que d'Algérie à venir s'installer en Tunisie (facilité des prêts, Tiers colonial, octroi des terres...)
Face aux résultats insatisfaisants de cette campagne, les autorités cherchent alors à intégrer les groupes intermédiaires, déjà présents dans la Régence et qui se situent entre les deux pôles musulman et italien : cette intégration s'opère individuellement, par l'école ou l'armée.
De même elles vont encourager, tout en la contrôlant, la présence d' autres groupes étrangers, en dehors des Français. En témoigne, un décret en date 13 avril 1893, qui allait réglementer la présence de ces étrangers :
" Tout étranger qui veut établir sa résidence en Tunisie ou y exercer une profession, un commerce ou une industrie quelconque, doit, dans un délai de cinq jours à partir de son arrivée, faire devant l'autorité de police locale une déclaration de résidence en justifiant de son identité. Le bey a le droit d'expulsion mais les arrêtés d'expulsion doivent être contresignés par le Résident Général. Les étrangers établis en Tunisie sont justiciables des tribunaux français, au même titre que les Français. L'étranger n'a pas la jouissance de ses droits politiques en Tunisie." Quelques étrangers : Italiens, Anglo-Maltais, Grecs, sont parfois admis à faire partie des conseils municipaux, dont les membres sont, du reste, nommés par le gouvernement(51).
Pour augmenter les effectifs de la colonie française de Tunisie, les autorités coloniales encouragent aussi, par étapes successives, la naturalisation des membres des autres petites communautés européennes déjà implantées en Tunisie, telles que les Maltais ou les Grecs, mais elles encouragent aussi la naturalisation de ceux qui viendront s'installer en Tunisie dans l'entre-deux-guerres, comme les Russes (arrivés après 1917), les Polonais (installés au cours de années vingt), les Arméniens fuyant le génocide turc, ou encore les Espagnols (après la guerre civile de 1936-39). Ainsi, au lendemain de la Première guerre mondiale, (premier recensement général de la population) constatant toujours l'infériorité numérique des Français par rapport aux Italiens (54.000 contre 80.000), les autorités coloniales font promulguer en décembre 1923 une nouvelle loi facilitant et encourageant l'acquisition de la nationalité française par les membres de ces différentes communautés.
Ce mouvement de naturalisation entamé surtout à partir de 1923, porte ses fruits dès le début des années trente. En effet, bénéficiant de la naturalisation devenue presque automatique pour les Maltais résidant en Tunisie, et sous certaines conditions (désormais plus favorables) pour les Tunisiens, musulmans et juifs, mais aussi pour les Grecs ou les Russes, la communauté française réussit à dépasser légèrement sa rivale italienne, atteignant en 1931, le chiffre de 91.427 contre 91.178 pour les Italiens.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les effectifs de la population française de Tunisie atteignent 143.977 personnes contre 84.935 Italiens. Cette augmentation de la population française ne résulte pas de sa croissance naturelle, restée au niveau de 1,5% pour l'ensemble de la période, et encore moins d'une nouvelle immigration en provenance de la métropole.
La raison fondamentale en revient à l'acquisition de la nationalité par de nombreux éléments de la population européenne déjà établis dans le pays à titre individuel ou collectif(52). Mais il faut signaler que l'accroissement du nombre des naturalisations a surtout concerné les petites minorités : Maltais, Grecs, Espagnols, Russes, auxquels était destinée la loi du 20 décembre 1923, les Italiens étant encore régis par la convention de 1896.
Certes, ces mesures ont eu pour résultat l'augmentation des effectifs de la communauté française de Tunisie. Cependant, au delà des chiffres d'autres sources (récits, observations de terrain, enquêtes ethnologiques, visites des lieux et monuments) conduisent à constater que des mutations identitaires importantes affectent chaque communauté.
III- Les mutations identitaires au sein des communautés méditerranéennes de la Tunisie colonisée :
Au delà des changements de nationalité, des acculturations, des influences réciproques vont se produire au sein de chaque communauté. Il s'agit de nouveaux positionnements par rapport au quotidien (différence entre la vie dans la rue et chez soi) et par rapport aux différents groupes vivant en Tunisie. La langue, les coutumes, les rapports au colonisateur et aux colonisés, le rapport au pays d'origine et à l'éducation qu'on veut donner aux enfants, à la transmission identitaire, changent. Les transformations de ces marqueurs identitaires se traduisent de plusieurs manières.
Pour ce qui est des Italiens les transformations du quotidien (cuisine, emprunts architecturaux, les emprunts linguistiques transversaux, le sicilien se trouvant enrichi d'éléments de dialecte arabe) sont patents.
Les lois relatives à la naturalisation entraînent un malaise chez les Maltais. Si certains Maltais réclament leur statut d'Anglo-Maltais, alors qu'ils partagent avec les Français la religion catholique, tous refusent d'être considérés comme des arabes quoique, socialement, ils fussent plus proche de ces derniers.
Ces naturalisations vont également avoir des prolongements au sein de la communauté grecque : à partir de la fin des années vingt, cette dernière s'est divisée en deux groupes. Un premier groupe qui se dit toujours grec et s'identifie à l'hellénisme avec toutes ses composantes religieuses et ethniques, et un second qui, tout en continuant à professer la foi orthodoxe, se dit de nationalité française.
Cette division n'a pas manqué de provoquer des dissensions au sein des institutions de la communauté grecque orthodoxe, dissensions qui prirent parfois l'allure de luttes ouvertes suscitant interventions et intrigues de la part des autorités coloniales.
La même chose s'observe dans le cas de la communauté russe de Tunisie 1920-1956 (53). Partant du récit de vie recueilli de Mme Chirinsky, Russe arrivée avec sa famille à Bizerte à l'âge de huit ans, en décembre 1920, nous avons essayé, grâce aux archives françaises et aux journaux de l'époque, de reconstituer l'itinéraire de cette communauté de réfugiés russes qui arrive à Bizerte en 1920. Elle est formée de marins de la flotte de la Mer Noire, ainsi que de leurs familles. De ce groupe estimé à 5000 personnes en 1920, il ne reste, à partir de 1925, qu'une petite communauté de 800 âmes, concentrée principalement à Tunis et à Bizerte.
A la fin des années vingt la situation de la communauté russe de Tunisie semble se stabiliser, de même que ses effectifs. Le facteur religieux orthodoxe cimente l'identité de cette communauté attachée au projet de retour à la Grande Russie, ce qui explique que certains russes soient restés durablement attachés au statut d'apatride. Mais les besoins de la vie quotidienne imposent à la majorité des membres de la communauté un réalisme et un pragmatisme qui passent nécessairement par l'acquisition de la nationalité française.
Cependant, là aussi, l'identité russe ne reste pas figée, elle subit les influences des grands bouleversements du siècle. Ainsi, face aux exploits de l'armée soviétique au cours de la seconde guerre, naît au sein de cette communauté un courant de sympathie et de fierté nationale qui laisse apparaître une nouvelle identité où les anciennes lignes de démarcation s'estompent. Cependant, lorsque la possibilité du retour en Russie s'est offerte après les bouleversements qu'a connus ce pays, les derniers survivants parmi les réfugiés de la flotte ont préféré décliner l'offre et ont considéré Bizerte comme « la dernière escale », titre du livre de Mme Chirinsky.
Ainsi, on peut affirmer que la notion d'identité communautaire est en perpétuelle construction et qu'elle constitue souvent le masque idéologique derrière lequel se cachent les intérêts de ces groupes qui ont cherché à tirer profit de la présence française en Tunisie. Avec la décolonisation, engagée à partir des années cinquante, le sort de ces différentes communautés méditerranéennes de Tunisie va se trouver intimement lié à celui de la colonie française.
Notes
1 Ganiage (Jean), "Les Européens en Tunisie au milieu du XIX ème siècle (1840-1870), Cahiers de Tunisie , Numéro 11, T. 3, 1955, pp. 387-421 ; Etude démographique sur les Européens de Tunis : nationalité, fécondité, mortalité infantile au milieu du XIX ème s. , Cahiers de Tunisie, Numéro 19-20, T. 5, 1957, pp. 107-201.
2 Soumille (Pierre), Les Européens de Tunisie et les questions religieuses, CNRS, 1975.
3 "Dénombrement de la population européenne civile en Tunisie (16/12/1906)", In Bulletin de la Direction de l'Agriculture, du Commerce et de la colonisation , 11ème année , Numéro 42, 1er trimestre 1907, pp. 166-229. Dans l'introduction présentant les résultats du dénombrement il est précisé que : " Depuis 1891, il a été procédé tous les cinq ans au dénombrement de la population mais en circonscrivant les opérations à la colonie française. Mais ces opérations n'ont pas pu déterminer l'importance numérique de cette dernière par rapport aux autres. C'est ce qui a conduit le gouvernement à étendre à l'élément européen tout entier le dénombrement quinquennal, un décret du 7 nov. 1906 prescrivant qu'il y serait procédé le 16 déc. 1906 par les soins des autorités administratives locales".
4 Davi (Laura), Mémoires italiennes en Tunisie, Mémoire pour le DEA, dirigé par le professeur Mohamed-Hédi Chérif, soutenu, au mois d'oct. 1996, à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis. A la page 8 de son Mémoire, Davi essaye de reconstituer cette ambiance en insérant la citation d'un Français qui déplore en 1921, que "de la Tunisie nous n'avons su faire qu'un pays privilégié pour capitalistes français, et ce sont les Italiens qui le peuplent". En 1924, c'est une italienne qui va répondre en écrivant : "La Tunisie est une colonie italienne administrée par des fonctionnaires français".
5 Halbwachs (Maurice), Les cadres sociaux de la mémoire, deuxième édition, PUF, 1952 ; La Mémoire collective, PUF, Paris, 1950.
6 Halbwachs, La mémoire collective , op.cit. p. 73.
7 Dakhlia (Jocelyne), L'oubli de la cité, la mémoire collective à l'épreuve du lignage dans le Jérid tunisien, Editions de la découverte, 1990, p. 6.
8 Memmi (Albert), "Juif, Tunisien et Français, La Tunisie au miroir de sa communauté juive", Confluences Méditerranée , N. 10, Printemps 1994, p. 85.
9 Nous citons quelques titres d'ouvrages, dont le compte-rendu est paru dans le Bulletin annuel de l'Association Arts et Traditions Populaires des juifs de Tunisie, que dirige Bernard Allali : Houri-Pasotti Myriam, Eliaou . Ma Tunisie en ce temps là ; Madar Alain, Les liens de famille ; Guez Joseph , Une vie bien remplie, IsraËl, 1995; Hayoun Benoit, De Nabeul à Netanya 1912-1 : Histoire d'une vie , édité en IsraËl en 1996 (A compte d'auteur). Allali Jean-Pierre, Les Juifs de Tunisie , Images de Mémoire , éditions du Scribe, Paris. Sarfati Shimshon, Tounis "El-Khadhra", Tunis La Verte, Un regard nostalgique sur la Tunisie juive d'antan à l'intention des jeunes générations, IsraËl, 1996 ; Rendu Christian, La saga des pionniers , Lyon et la Tunisie 1880-1914, éd. Chantoiseau, 1995, 264 pages.
10 La liste de ces associations est longue, nous citons à titre indicatif : L'Amicale des Juifs de l'Ariana, L'Amicale des Sfaxiens du Monde, L'Association des Juifs originaires de Bizerte, Les enfants de Béja, Association Mondiale des Israélites de Tunisie, Le Club Tunès, la Diaspora sfaxienne,
11 Valensi (Lucette), conférence donnée le 16 janvier 1997 à Toulouse, en marge du colloque international : La Mosaîque Tunisie, 14-17 janvier 1997.
12 A titre d'exemple, nous pouvons citer : La Hara des juifs, le quartier franc, la petite Sicile, puis, au temps de la colonisation, d'autre, quartiers viendront s'ajouter : Notre Dame, La Fayette, France-ville, Jeanne d'Arc...etc.
13 Nous citons la rue Malta Sghira, la rue des Protestants, la rue de l'Eglise, de l'ancienne douane, de l'ancienne poste...etc.
14 Bayram V, çafwat al-Itib'r Mustawdai al-aqt''ri wal-Amçar, Le Caire, 1885, T. 1, pp. 124-126 " Au substrat local, berbère profondément arabisé, se sont ajoutés les apports turcs et andalous. Les Andalous ont construit leur propre quartier (H'ûma) qui porte leur nom dans le faubourg de B'b Swëqa..A ceux-là il faut ajouter les juifs dont la plupart habitent également la H''dhira,Quant aux chrétiens (Naç'r'), ils proviennent de plusieurs nations (Ajn's), en particulier des Maltais, des Italiens, des Français et d'autres,". Cité et traduit de l'arabe au français par Larguèche (Abdelhamid),dans sa communication intitulée "Tunis aux XVIII et XIX siècles, entre centralité et cosmopolitisme", qui fut présentée au cours de la conférence annuelle de l'AIMS (Tunis, 1998).
15 Ibn Abë l-Diy'f (Ahmad), Ith'f ahl al-zam'n bi-akhba'r mulûk Tûnis wa Ahd al-am'n, Vol. 5, 2ème éd. M.T.E., Tunis, 1989, p. 44.
16 Ibid. p. 97. A propos de l'attitude de ce chroniqueur à l'égard des juifs, voir l'étude de M.H. Chérif, "Ben Dhy'f et les juifs tunisiens", in Confluences Méditerranée , Numéro,10, Printemps 1994, pp. 89-96.
17 Taôeb (J ), Etre juif au Maghreb à la veille de la colonisation, présence du judaïsme, Albin Michel, 1994, p.16. L'auteur donne une définition communément admise du statut de la dhimma ou pacte de protection, connue également sous le nom sous la charte d'Omar. Elle stipule qu'en échange du droit de pratiquer son culte et de sauvegarder ses biens, le dhimmi (protégé) s'engage à pratiquer sa religion avec discrétion, à porter des vêtements particuliers, à ne pas édifier de nouveaux lieux de culte, à payer des impôts discriminatoires (la taxe de capitation ou jizya).
18 Taïeb (J), "Les juifs livournais de 1600 à 1881", in , Histoire plurielle, histoire communautaire. La communauté juive de Tunisie , publication du CPU, Tunis, 1999.
19 Voir l'ouvrage général de Sebag (P .) Histoire des juifs de Tunisie des origines à nos jours , ainsi les articles spécialisés de Hadas-Lebel (M.), "Les juifs dans la l'Afrique romaine" et celui de Sehili (S.), "Les juifs dans l'antiquité romaine d'après les auteurs chrétiens", in Histoire communautaire, histoire plurielle. La communauté juive de Tunisie , (ouvrage collectif), publications de C.P.U. 1999.
20 Voir à titre d'exemple le travail de Toukabri (H'mida ), La communauté juive de l'Ifriqiya au temps des Fatimides et des Zirides X-XI siècles, mémoire de DEA, sous la direction de Mounira Chapoutot-Remadi, Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis, 1997.
21 En réalité les Almohades qui opèrent, entre 1145 et 1160, un vaste mouvement de réunification du Maghreb d'Ouest en Est, vont massacrer sur leur passage juifs et chrétiens ainsi que musulmans suspects de tiédeurs religieuses.
22 Cazès (D.), Essai sur l'histoire des Israélites de Tunisie . A. Durlacher, Paris, 1889. Voir également Jammoussi (H.), "Le légendaire dans l'histoire des juifs de Tunisie", in Histoire communautaire, histoire plurielle , op.cit.
23 Encyclopédie de l'Islam , Nouvelle édition : Livraison 115-116 (Tome VII), Leiden, E.J. Brill, 1990, p. 61.
24 Dimitri Kitsikis, ' La Grèce entre l'Occident et l'Orient ', In Encyclopaedie. Universalis , éd. 1985, Corpus 8, p. 1002.
25 Soumille (P.), Aspects sociaux et religieux du régime des "capitulations" dans la Tunisie husseinite, In La vie sociale dans les provinces arabes à l'époque ottomane (Tome 3), publications du Centre d'Etudes et de Recherches Ottomanes, Morisques, de Documentation et d'Information, Zaghouan, 1988, pp. 229-239.
26 C'est ce que nous avons essayé de démontrer dans notre étude sur « Les Grecs de Tunisie : d'une Millet ottomane, à l'assimilation française (XVII-XXème siècles) », voir le dossier scientifique (volume III).
27 Soumille (P.), Aspects sociaux , op.cit. p. 230. L'auteur se réfère à un article de Zeller (G.), dans la Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine , 1955./II. Pour une vue opposée M. E., Les capitulations de 1535 ne sont pas une légende, in Annales E.S.C , XIX, 1964 ; il affirme qu'en dehors de la France, les seules capitulations accordées par l'Empire l'ont été à Venise au 15 ème siècle et à la Pologne en 1653. D'autres pays en obtiendront ensuite, l'Angleterre en 1580, la Hollande en 1612.
28 ibid.
29 Pellegrin (A.), La formation de la communauté française en Tunisie, In Communautés en terres d'Afrique , pp. 95-110.
30 Suite à l'extension des capitulations à leur pays respectifs, les autres consuls européens allaient profiter, eux aussi, de ce droit de construire des maisons pour héberger leurs nationaux résidents ou de passage à Tunis. Toujours d'après P. Sebag, Tunis. Histoire , op.cit. p. 196 : "Le Fondouk des Anglais et des Hollandais occupait l'emplacement sur lequel devait être édifié au début du XIX ème siècle le nouveau consulat anglais ; le Fondouk des juifs, réservé sans doute aux juifs Livournais, doit être identifié, soit avec l'ancien consulat d'Italie, soit avec le Fondouk Junes, l'un et l'autre, dans la rue Zarkoun".
31 Idem.
32 D'après D'Arvieux, Mémoires, publiés par J.B Labat, Paris, 1735, Tome IV, p. 19, cité par Sebag (P.), Tunis. Histoire d'une ville , l'Harmattan, Paris, 1998, p. 196 : "Le Fondouk des Français est bâti comme les Khans, ou les caravansérails de tout l'Orient. C'est grand corps de logis qui a une grande cour carré au milieu, des magasins au rez-de-chaussée, et des chambres au-dessus qui se communiquent les unes aux autres par une galerie qui donne sur la cour et qui conduit aux appartements du consul. Ils sont autour d'une cour carrée : un des côtés est occupé par la porte avec une terrasse au dessus, un autre est occupé par la chapelle et la chambre du conseil, le troisième par une grande salle à manger, et le quatrième par la cuisine et l'office".
33 Ibid. p. 232.
34 Ibid. P. Soumille y voit dans cet article une "version tunisienne de la clause introduite en 1673 dans les capitulations Ottomanes et qui prévoit la protection par la France de tous les catholiques en résidence dans les territoires relevant de l'Empire".
35 C'est le cas des consuls lazaristes : Jean le Vacher qui réside à Tunis dans les années 1652-1672 et Vincent de Paul qui semble-t-il avait souffert lui même d'une période de captivité à Tunis qui se situerait entre 1605 et 1607. (Voir P. Soumille, Aspects sociaux, op.cit. p 236.)
36 Exmouth, (Edouard), Baron, Chancelier, Grand-Croix de l'ordre du Bain, amiral de l'escadre bleue de la flotte de S. M. Britannique, membre de l'institution des chevaliers libérateurs des esclaves blancs en Afrique.
37 Chater, (Khélifa ), Dépendance et mutations précoloniales, la Régence de Tunis de 1815 à 1857, publications de l'Université de Tunis, 1984, p. Le prétexte fut l'attaque perpétrée le 15 octobre 1815 par une forte escadre tunisienne, battant pavillon anglais, qui a pu ainsi piéger les habitants de la petite île de Saint-Antioche , située au Sud-Ouest de la Sardaigne.
38 Idem. Lord Exmouth s'est rendu à Tunis du 10 au 23 avril 1816. A la tête d'une escadre de 18 bâtiments de guerre, il demanda au bey Hassine l'affranchissement des Sardes enlevés de Saint Antioche. Lettre de Devoize à Talleyrand en date du 16 avril 1816, in Correspondance des Beys de Tunis et des consuls de France avec la cour 1577-1830 , publiée sous les auspices du Ministère des Affaires Etrangères avec une introduction d'Eugène Plantet, T.3, Paris, 1899, pp. 548-549.
39 Mathieu de Lesseps, consul de France à Tunis signa, le 8 août 1830, ce traité au nom du roi de France, Charles X .
40 Ibn Abë l-Diy'f (Ahmad), Ith'f, op.cit, T. 5, p. 96.
41 Kazdaghli Habib, "La Chapelle "Saint-Louis" à Carthage 1830-1850 : Visées coloniales et domination symboliques", in Revue d'Histoire Maghrébine , Numéro 89-90, publication de la Fondation Temimi pour la Recherche Scientifique et l'Information, Zaghouan, mai 1998, pp. 87-95.
42 Ganiage (Jean), Les Européens en Tunisie ,op.cit, p. 172
43 Idem
44 Ibidem.
45 Larguèche (Abdelhamid), Tunis aux XVIII et XIX siècles, op.cit. p. 8. L'auteur se réfère à F. Arnoulet qui avance dans son article : Tunis dans la seconde moitié du XIX siècle, In R.H.M.C., 1975, p. 123, que sur une population totale estimée à 100.000 habitants vers 1860, Tunis comptait plus de 20.000 juifs dont 1500 Livournais, 6 à 7000 Maltais, 3 à 4000 Siciliens, 700 Grecs et 600 Français
46 Gandolphe (Marcel), ' La vie à Tunis 1840-1881 ', in C. H. Roger Dessort, Histoire de la ville de Tunis , Alger, 1924, p. 175.
47 Poulos (Kharalambis), Les Hellènes, in C. H. Roger Dessort, Histoire, op.cit p. 153. L'auteur avance que le dernier Caïd a avoir occupé ce poste est Théodoros Tsétsés
48 Kazdaghli Habib, "Les français de Tunisie à travers le Dictionnaire Lambert : le cas d'une minorité dominante"
49 Soumille (P.), Lavigerie et les capucins italiens en Tunisie de 1875 à 1891, in Bulletin de littérature ecclésiastique , publié par l'Institut Catholique de Toulouse, T. XCV, 1994, pp. 197-231.
50 Appellation qui a été donnée par les missionnaires pour nommer les Français qui résidaient en Tunisie avant le Protectorat. Elle était composée de missionnaires et de marchands de Marseille et de Provence. Voir : Lambert, Choses et Gens de Tunisie ...op.cit. p. 197.
51 Lambert Paul, Dictionnaire illustré ...op.cit. p.184.
52 Sebag, (Paul), Tunis, histoire d'une ville , l'Harmattan, 1998, p. 513.
53 Cf notre étude, "La communauté russe de Tunisie", in Rawafid , revue de l'Institut Supérieur de l'Histoire du mouvement national, N° 3, 1998, pp. 25-60.