L'Histoire des étudiants étrangers un défi pour l'histoire de l'immigration

Par Nicolas Manitakis

L'Étudiant étranger. Préactes de la journée d'études du 8 février 2002

Résumé.

Ma présentation lors de notre journée d'études sera pour l'essentiel un résumé de ma thèse dont le titre est  :  « Les migrations d'études en Europe de l'internationalisation des connaissances à l'appropriation nationale des compétences. Une étude de cas  :  les étudiants grecs en France (1880 -1940) ». Mais ici, je voudrais juste exposer quelques pensées qui pourraient alimenter notre débat général prévu à la fin de la séance de l'après-midi.
La filiation vis-à-vis du premier de domaines de recherches peut soulever des questions. L'étudiant étranger est-il un migrant, un émigré ou un immigré, selon qu'on se place du côté du pays de provenance ou de celui du pays d'accueil ? L'histoire des étudiants étrangers peut-elle faire partie intégrante de l'histoire de l'immigration, telle qu'elle s'est construite notamment en France au cours de ces deux dernières décennies ? Ces questions n'ont en réalité rien d'évident. Du fait du caractère passager du séjour des étudiants, ceux-ci ne sont souvent pas perçus comme des immigrés. En règle générale, on tend à ne considérer comme tels que les étrangers qui sont venus exercer une activité économique et s'installer définitivement dans le pays d'accueil. Pourtant, on ne pourrait nier, à mon sens, que les étudiants étrangers appartiennent à cette catégorie d'individus « entrés dans un pays qui n'est pas le leur pour s'y établir », selon la définition dominante des immigrés. On pourra objecter que leur établissement dans le pays d'accueil s'avère temporaire. Mais cette objection devrait être écartée pour deux raisons. La première est que le caractère éphémère de leur séjour ne fait pas l'unanimité. Il arrive qu'une partie de ces étudiants, qui peut varier selon l'origine nationale, la religion et la conjoncture historique, s'installe définitivement dans le pays de leurs études. La deuxième raison est que même parmi les travailleurs étrangers, dont on ne peut pas pourtant nier la condition d'immigrés, le caractère du séjour peut s'avérer tout aussi temporaire. Souvent le séjour du travailleur étranger ne s'avère pas plus long en durée que celui de l'étudiant, ce qu'on a tendance à oublier, tant la recherche historique dans les pays d'immigration s'est concentrée sur les étrangers qui sont restés et pas sur ceux qui sont repartis. Il est vrai, par ailleurs, que ces derniers ont laissé beaucoup moins de traces dans les archives.
Toujours est-il qu'on ne peut pas définir l'immigré en fonction de l'aboutissement de son acte de déplacement. Un critère plus sûr pour cerner celui-ci me semble être la relation durable et approfondie que l'étranger établit avec la société d'accueil, que ce soit dans le monde du travail ou dans celui de l'enseignement supérieur. Ce qui permet de le distinguer clairement de catégories d'étrangers passagers (touristes, hommes d'affaires, etc.). En ce sens, nous pouvons dire que les étudiants étrangers font pleinement partie de la catégorie des immigrés. Les autorités publiques françaises elles-mêmes ont fini par reconnaître cette réalité. Considérés comme des résidents temporaires, les étudiants étrangers sont soumis, à partir de 1945, à l'obligation de disposer d'une carte de séjour étudiant. Dans les faits, c'est depuis la fin du XIXe siècle qu'ils doivent légaliser leur séjour en procédant à une déclaration de résidence à la mairie ou à la Préfecture de Police, et, à partir de 1917, en se dotant d'une carte d'identité d'étranger de « non travailleur ». Pourtant, encore dans l'entre-deux-guerres, des juristes français, qui distinguaient les étrangers en deux principales catégories, les « immigrants » et les « touristes », persistaient à classer les étudiants parmi les seconds. On s'est trouvé ainsi face au paradoxe suivant. Traités en réalité par l'administration comme des immigrés, les étudiants allogènes étaient considérés, notamment par les spécialistes de l'immigration, comme des touristes. Dans les années 1930, sous l'effet de la crise économique et de la vaste polémique qu'a suscité à cette époque la présence étrangère dans l'enseignement supérieur français, on assiste progressivement à une prise de conscience de cette contradiction. En témoigne, entre autres, l'institution dans les faits d'un visa étudiant. Ainsi, les étrangers qui déclaraient au personnel consulaire français comme but de leur voyage en France l'entreprise d'études supérieures ne se verront plus attribuer un visa de courte durée (deux mois), mais un visa de longue durée (dix mois). Cette prise de conscience du caractère résidentiel du séjour des étudiants est le point de départ de la clarification qu'apporteront les Ordonnances de juin 1945. L'apport le plus important de l'histoire de l'immigration à l'histoire des étudiants étrangers serait, à mon avis, d'attirer l'attention sur la profonde rupture qui s'est produite à la fin du XIXe siècle en France (et, sans doute, aussi dans d'autres pays d'accueil)  :  la séparation de plus en plus nette établi entre nationaux et non-nationaux. D'où l'émergence à cette époque de l'obligation pour les étrangers de légaliser leur séjour, puis, à partir de l'entre-deux-guerres, leur entrée auprès de l'administration française, obligations qui, comme nous venons de le voir, n'épargnent pas les étudiants. L'intensification et la massification des migrations étudiantes en Europe, qui ont eu lieu au cours de la même période, se sont produites à un moment de cristallisation des Etats-nations dans leur processus de formation, à un moment où les frontières sont devenues bien réelles. Aussi, les historiens de étudiants étrangers ne peuvent pas, à mes yeux, ne s'intéresser qu'aux aspects concernant la composition de cette population (origine nationale, provenance sociale, sexe, confession, etc.) ou ses études (choix de discipline, établissement, type de cursus, etc.) et ne pas aborder également les questions concernant son statut juridique, son rapport à l'administration et à l'Etat du pays d'accueil. Pour se rendre compte à quel point ces questions sont incontournables, il suffit de considérer qu'à partir du début du XXe siècle et jusqu'à nos jours, en France, légaliser le séjour est une condition indispensable pour qu'un étranger puisse se faire admettre dans un établissement supérieur. En effet, une décision ministérielle de 1910 stipulait que, pour obtenir leur inscription universitaire, les étrangers devaient produire désormais à l'administration de l'établissement de leur choix un récépissé de déclaration de résidence. Une obligation que les divers guides qui leur étaient adressés ne cessaient depuis de leur rappeler. Après la guerre, qui institua la carte d'identité d'étranger, ils devaient dans un premier temps se procurer un récépissé, puis produire la carte d'identité, pour que leur inscription soit définitivement validée.
D'un autre côté, les étudiants étrangers comme objet d'étude posent un défi aux historiens des migrations. Ils ne font pas partie en effet des catégories habituelles d'étrangers desquelles ces derniers ont, pour l'essentiel, traité jusqu'à présent, notamment les travailleurs salariés ou indépendants. Ils proviennent très souvent des classes moyennes et supérieures de leurs pays. Ils possèdent un niveau élevé d'instruction. Ils disposent souvent d'une bonne connaissance de la langue du pays d'accueil. La culture de celui-ci, notamment écrite, leur est souvent familière. Ils habitent au coeur même des villes (par exemple à Paris au Quartier Latin), côtoient les nationaux dans les amphithéâtres et les laboratoires. De manière générale, ils se trouvent plus entremêlés avec la population locale que ne le sont d'autres catégories d'étrangers. Enfin, ils présentent souvent, mais pas toujours, un taux élevé de retour. Sur tous ces rapports, des différences notables les distinguent des travailleurs, objet chéri de l'histoire de l'immigration jusqu'à présent. Par conséquent, une multiplication des recherches portant sur ce sujet ne pourrait qu'enrichir et renouveler ce champ historiographique.

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