L'immigration algérienne en France, une
immigration qui fait problème? Réflexions sur la
responsabilité de lÉtat.
Par Geneviève Massard-Guilbaud, Université
Blaise-Pascal, Clermont II.
Conférence du 10/12/1999
Chacun saccorde à reconnaître que les
immigrés algériens en France constituent une
population qui rencontre des difficultés
particulières en matière dintégration
à la société française, et semble, en
tout cas, suivre une voie différente de celle quont
suivie les autres immigrés depuis que la France est
devenue un pays dimmigration de masse, vers le milieu du
XIXe siècle. Lexplication selon laquelle ces
difficultés trouveraient leur origine dans le fait que
lAlgérie fut longtemps une colonie française
et nobtint son indépendance quau prix
dune guerre qui a marqué les relations entre les
deux pays nest pas fausse, mais elle est trop courte.
Si lon cherche montrer en quoi le caractère colonial
de limmigration algérienne a pu créer pour
elle des difficultés spécifiques, cest bien
en amont, dès la Première Guerre mondiale,
quil faut porter son regard. On découvre alors que
la politique menée par lÉtat français
dans lentre-deux-guerres a contribué a mettre les
Algériens à lindex de la nation, et ceci de
différents points de vue.
Limmigration algérienne, qui démarre avant
première guerre mondiale, ne semble pas poser alors de
problèmes particuliers. Seuls les colons envisagent
dun mauvais oeil son développement, qui risquerait
de réduire le réservoir de main-doeuvre bon
marché dans lequel ils ont lhabitude de puiser. Mais
la guerre va bouleverser les choses. Appelés en masse pour
servir en France comme soldat ou comme travailleur civil, les
Algériens y découvrent la société
industrielle, sa richesse, et la considération relative
dont jouit en France la main-doeuvre, fût-elle
immigrée. La guerre terminée, ils sont nombreux
à vouloir rester en France ou à y revenir, fuyant
la misère endémique qui sévit chez eux,
loppression des colons et les carcans dune
société autoritaire.
Alertés par les administrateurs en place sur le terrain,
qui décrivent de façon saisissante les
conséquences de la guerre sur le comportement social,
sexuel et politique des indigènes, les pouvoirs publics
français font lanalyse que lémigration
constitue une menace pour le maintien de la France en
Algérie et choisissent de donner la
préférence aux immigrés européens.
Les Algériens sont officiellement déclarés
indésirables en France. Malgré cette
stratégie, lémigration algérienne,
dont les causes sont structurelles, se poursuit et le
gouvernement de Cartel, cédant à la pression des
lobbies coloniaux, entreprend de mettre en place une
réglementation visant à la contenir. Il ne va pas,
toutefois, jusquà linterdire, une telle mesure
napparaissant pas possible dans le contexte politique et
diplomatique du moment. Pourtant, malgré larsenal
réglementaire impitoyable auquel elle est
confrontée, lémigration se poursuit.
Faute de pouvoir résorber totalement ce flux, on se soucie
de lencadrer mieux. Ainsi naissent dans toutes les grandes
villes de France les SAINA, Services des affaires
indigènes nord-africaines. La confusion de laction
policière et dune action sociale dun type
très particulier va avoir pour effet disoler les
Algériens du reste de la population française ou
immigrée et de lui fermer pour longtemps
laccès à toutes les voies par lesquelles les
étrangers se fondent généralement dans la
société française : immigration des femmes et
des enfants (qui fréquentent ensuite lécole
publique), logement dans des cités ou des quartiers
ouvriers où se développent des sociabilités
contribuant à lintégration (et non dans des
garnis exclusivement peuplés de compatriotes),
fréquentation des administrations ordinaires
dassistance, etc. Systématiquement utilisés
comme jaunes pendant les grèves ou comme masse de manoe
uvre par les ligues de droite grâce à la
complicité de la police, les Algériens se coupent
des syndicats, constituant un lumpen prolétariat
détesté du reste de la population ouvrière.
Nayant derrière eux aucun État national pour
les protéger, ils deviennent des parias dans la
société française alors même que leur
immigration sétoffe et commence à prendre
lallure de ce quelle deviendra bientôt : une
immigration de masse destinée à faire souche en
France.
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