Modalités de départs de France des immigrés polonais au cours des années 1930

Janine PONTY ,
Professeur émérite d'histoire contemporaine à l'Université de Franche-Comté

Conférence du mercredi 14 janvier 1998

La question ainsi posée va à l'inverse de celles généralement formulées en matière d'immigration où l'on s'interroge plutôt sur les raisons de l'arrivée et les conditions du recrutement. D'où l'intérêt de la démarche. Elle trouve pour partie sa source dans l'actualité :  la France a-t-elle renvoyé des étrangers à d'autres périodes de son histoire et notamment en période de crise de l'emploi?

Les Polonais, officiellement 507 000 en 1931, deuxième nationalité étrangère de France après les Italiens depuis le milieu des années 20, ne sont plus que 423 000 au recensement suivant, effectué en 1936, tout en gardant leur place de deuxième au classement général. Des naturalisations -encore peu nombreuses- , une légère baisse de la natalité et une augmentation de la mortalité rendent compte partiellement de cette chute numérique. Les sorties du territoire font le reste.

Toute immigration comporte sa part de retours. La déception, l'inadaptation aux nouvelles conditions de vie et de labeur avaient entraîné des départs dans les années 20, y compris dès les premiers mois, donc avec rupture du contrat de travail qui liait l'ouvrier ou l'ouvrière à son employeur pour un an. Au cours de la décennie suivante, cette forme de départ précipité tend à disparaître, car la crise a tari le recrutement et les Polonais en France n'y sont plus guère des nouveaux venus. Mais demeurent les sorties volontaires pour causes personnelles, telles celles de célibataires qui veulent rejoindre leurs parents âgés/malades ou qui ont économisé suffisamment pour s'acheter le lopin de terre les mettant à l'abri de la faim. Ceux-là regagnent la Pologne par le train, payent leur billet et les frais supplémentaires correspondant au transport des bagages et du mobilier.

Pourtant les sorties involontaires tendent à l'emporter et leur progression s'accroît. Il s'agit d'une part, comme dans les année 20, d'expulsés à titre individuel en vertu de la loi de décembre 1849 :  ÇvagabondsÈ (entendons par là étrangers sans papiers, notamment démunis de la carte d'identité, obligatoire pour eux depuis 1917), auteurs de rixes après boire, hommes accusés d'activités politiques, en fait le plus souvent militants syndicaux (mais le syndicalisme n'est pas répressible en tant que tel puisque la loi Waldeck-Rousseau permet à l'ouvrier étranger de se syndiquer). Deux exemples, tous deux datés de 1934 :  l'expulsion du communiste et responsable CGTU, Thomas Olszanski, dénaturalisé deux ans plus tôt et celle de 77 mineurs de Leforest (Compagnie de L'Escarpelle/Pas-de-Calais), qui ont mené une grève au fond de la fosse. Les sorties, de loin les plus nombreuses et caractéristiques d'une période de sous-emploi, consistent en rapatriements de familles entières. De 1934 à 1935, les Houillères du Nord organisent elles-mêmes les convois de retour. Le train gratuit mais imposé, trente kilos de bagages par personne ce qui empêche de tout emporter avec soi, et un départ précipité sous deux jours après le licenciement. Où se situent les responsabilités? Malgré les apparences, plutôt du côté gouvernemental que patronal, car les employeurs espèrent la reprise et savent ne pas pouvoir se passer d'ouvriers formés à l'extraction.

Les Polonais immigrés en France dans l'entre-deux-guerres par la voie du recrutement collectif sont tous de potentiels ÇsortantsÈ, venus, non pas pour se fixer, mais pour travailler en attendant des temps meilleurs dans leur pays. Les retours des années 30, au moment où la Pologne est plongée dans une crise économique bien plus grave que celle que vit la France, constituent pour eux une catastrophe dont, ici, on s'est peu soucié.

Sources

Bibliographie

Janine PONTY, Polonais méconnus, Histoire des travailleurs immigrés en France dans l'entre-deux-guerres , Paris, Publications de la Sorbonne, 1988, 474 p.

Maria NIEMYSKA-HESSEN, Reemigracja z Francji w dobie kryzysu (Les rapatriements de France à l'époque de la crise), Varsovie, IGS, 1939, 215 p.

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