Les Algériens acteurs des faits divers pendant la guerre d'Algérie

Guillaume D'Hoop

Mars 2004

Ce travail a été réalisé à partir d’un mémoire de maîtrise : D’Hoop, Guillaume, La représentation sociale des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie à travers l’étude des faits divers, Paris, mémoire de maîtrise d’histoire sociale, sous la direction de Michel Pigenet, Université Paris I Panthéon Sorbonne, 2001, 205 pages.

Sommaire

Les faits divers comme sources d’une étude des représentations collectives
Les permanences dans la représentation de la vie quotidienne des Algériens en métropole
Evolution de la représentation de la délinquance algérienne
La grande apparition de la criminalité nationaliste algérienne
Réaction de l’opinion publique face à tout regroupement d’Algériens
La répression s’impose
Conclusions
Notes

De 1954 à 1962, les «évènements d'Algérie » font la Une des plus grands quotidiens français. Le lecteur assidu peut suivre, de manière soutenue, les différentes étapes du conflit. Selon les recensements officiels de l'INSEE de 1954 et 1962, le nombre d'Algériens, c'est à dire de ressortissants de cette région en insurrection, vivant en métropole passe de 211 000 à 350 000. Les enjeux du conflit poussent l'opinion publique à réévaluer la représentation sociale de ceux qui sont alors désignés comme des «Nord-africains », à modifier sa perception de cette catégorie de population. Ces évolutions sont ici mises en valeur par l'étude d'articles de presse présentés comme des faits divers. Travailler à partir de cette rubrique pose certains problèmes de méthode dus au fait que l'actualité de ces évènements n'est que rarement évoquée. Mises à part quelques dates importantes, les numéros des cinq journaux étudiés ; France-Soir, Le Parisien Libéré, L'Aurore, Le Figaro et L'Humanité furent systématiquement observés et comparés pour seize mois choisis en fonction de la possibilité d'une évolution de cette représentation entre octobre 1954 et mars 1962. Parallèlement, le recours aux archives policières[2] permet de renseigner l'historien sur cette actualité fait diversière difficile à appréhender et apporte aussi une perception plus «objective » des évènements qui contraste souvent avec celle présentée par la presse. Les faits délinquants et criminels qui se multiplient en France à cause de la véritable guerre que se livrent les mouvements nationalistes algériens sont, de par la nature de la rubrique, les évènements principalement retenus en tant que faits divers. Ce travail doit montrer comment l'opinion publique se représente, dans ces articles de presse, les délinquants et les criminels algériens avec l'émergence de ce nouvel acteur qu'est le «terroriste nord-africain », puis comment la représentation de l'ensemble des immigrés algériens évolue en conséquence. De par la nature du grand événement «toile de fond » de cette étude qu'est la guerre d'Algérie, la perception des Nord-africains vivant en métropole étudiée dans ces articles de presse porte en elle certains enjeux pour l'opinion publique puisque la façon dont les Algériens sont représentés traduit plus largement le positionnement des lecteurs et des journaux par rapport au conflit.




Les faits divers comme sources d'une étude des représentations collectives


L'étude des articles de presse classés comme des faits divers permet à l'historien d'observer l'évolution des mentalités collectives sur cette question ; l'aspect «secondaire » de cette rubrique en fait un terrain d'expression particulièrement «révélateur » de cette représentation. Le choix des faits divers recensés, le traitement journalistique des acteurs algériens par rapport à celui d'acteurs européens, les situations, les thèmes et les termes récurrents sont autant d'indices qui illustrent comment le journal et le lecteur (si le journal influence son lectorat, il doit aussi être à l'écoute et suivre les changements d'opinion de celui-ci) perçoivent cette catégorie de Français. Certains auteurs ont déjà su mettre en évidence la valeur du fait divers pour l'étude des mentalités collectives[3]. La rubrique rassemble des événements que le journal ne peut classer dans aucune autre. Le caractère «non-important » de ceux-ci permet au journaliste de le «mettre en scène ». Le narrateur mise sur la quotidienneté, sur la proximité entre l'événement, ses acteurs et les lecteurs pour profiter des vides laissés par les peurs collectives dans le but de créer des émotions chez son lectorat et non simplement de l'informer comme le font les autres rubriques. Le journaliste rend compte, dans l'interprétation du fait survenu, des attentes des lecteurs qui, physiquement extérieurs à l'action, sont placés en situation de supériorité, dans l'illusion du recul objectif. A la recherche de la dimension émotionnelle, le «possible » passe généralement après le «vrai » même si le «plausible » doit toujours être sauvegardé pour ne pas rompre le lien de proximité d'avec la vie quotidienne. La subjectivité réside donc dans les spéculations, toujours dans le domaine du possible, qui agrémentent les récits d'événements réellement survenus. Lors d'importants débats, chargés d'une forte dimension émotionnelle, le choix et la narration de faits divers participent au jeu des passions collectives en tant que terrain d'expression de leur déchaînement. Si l'exemplarité est souvent recherchée, la récurrence l'est elle aussi. La répétition de termes, de thèmes, de situations, de causes installent une habitude chez le lecteur alors plus enclin à de rapides associations d'idées. La récurrence dans le rapport entre une cause toute trouvée et une conséquence devenue quasi mécanique fait naître dans l'esprit du lecteur une sorte de «loi des séries ». Rapport causal, part d'interprétation, perception des acteurs, rapport entre les termes et répétition des situations éclairent, pour le lecteur, le sens de l'événement survenu et, pour l'historien, la part de représentation portée par cette rhétorique. Le traitement journalistique est aussi rendu plus libre de diverses contraintes d'ordre politique ou moral par l'aspect secondaire et non important des faits divers. Le lecteur s'approprie ces petits événements rejetés par le grande «actualité » en y imposant la marque de sa perception de la quotidienneté. Pour suivre leur lectorat, les journaux à grand tirage se doivent de ne pas «rater » des faits divers susceptibles de créer des émotions et développés par leurs collègues concurrents. Selon des sondages, cette rubrique est la matière journalistique la plus lue du journal, et ce surtout dans les petites villes et par les femmes[4]. Les variables les plus importantes sont néanmoins liées plus étroitement à l'aspect local du fait divers et à la catégorie socioprofessionnelle du lecteur car leur lecture ne requiert pas de connaissances techniques préalables à la différence de la plupart des autres rubriques. Les journaux d'opinion, comme ici Le Figaro et L'Humanité, préfèrent chercher l'exemplarité d'un événement pour ne pas risquer d'être accusés de verser dans le «sensationnalisme » plus volontairement recherché par les journaux dits populaires, ici France-Soir, Le Parisien Libéré et L'Aurore. Ces cinq journaux étudiés font partie des quotidiens français les plus vendus de la période. Sous la direction de Pierre Lazareff, France-Soir est le journal apolitique et populaire ayant le plus de succès qui tire en 1960 à plus de 1 400 000 exemplaires avec ses six éditions quotidiennes. Le Parisien Libéré, sous la direction d'Emilien Amaury, tire de 1954 à 1962 entre 750 000 et un million d'exemplaires. Autre quotidien populaire, L'Aurore a adopté un ton beaucoup moins «neutre » que ses deux confrères et une position nettement plus conservatrice. Avec ses tirages de 450 000 à 550 000 exemplaires durant la période, ce journal est souvent considéré comme le quotidien populaire concurrent, à droite, du Figaro. Avec ses célèbres éditoriaux de l'écrivain François Mauriac, Le Figaro, journal d'opinion, a rompu avec son ton polémique et a su trouvé son lectorat dans les milieux modérés de la droite classique. Ses tirages oscillent aussi entre 450 000 et 550 000 exemplaires. Enfin, L'Humanité reste l'organe journalistique du parti communiste français qui tire entre 150 000 et 250 000 exemplaires. Ce journal évolue rapidement de la dénonciation de la «lutte nationaliste » au soutien feutré à la «guerre d'indépendance ». Ce parti pris pour la cause algérienne lui assura quinze saisies gouvernementales entre 1955 et 1960. Ses quatre autres collègues étudiés défendent longtemps «les thèses traditionnelles de l'Algérie française et orientent leurs informations en conséquence »[5]. Le Figaro, France-Soir et Le Parisien Libéré gardent une ligne très officielle et suivent les orientations de l'opinion publique qui évolue vers une solution négociée du problème algérien à partir de 1959[6]. Par contre, L'Aurore reflète les opinions de la frange «réticente » de l'opinion publique par rapport à cette négociation et fût le seul des cinq journaux étudiés à défendre le geste des généraux au moment du «putsch » d'avril 1961[7]. Les choix et les traitements journalistiques des faits dépendent très étroitement de la nature des lectorats respectifs des différents journaux étudiés. Ainsi, L'Humanité est tiraillée entre les aspirations sensibles de la partie populaire de son lectorat et les objectifs plus spécifiquement politiques de dénonciation de l'ordre bourgeois et de ses dérapages visibles dans certains faits divers. Par l'audience de ces journaux, par la place qu'ils réservent à cette rubrique et par l'importance que les lecteurs lui accordent, elle est, de par sa nature, un terrain d'étude privilégié pour l'observation des représentations collectives.



Les permanences dans la représentation de la vie quotidienne des Algériens en métropole



Certains aspects de la représentation sociale des Algériens restent inchangés dans les mentalités collectives, ce qui est principalement le cas de leur activité professionnelle ; poids du chômage, du prolétariat et manque de diversité dans la nature des différents emplois exercés. Les règles sociales qui régissent les relations entre ces immigrés sont perçues comme très particulières dans le domaine des mœurs familiales, de la justice clanique et dans celui de la religion. Du fait de son origine essentiellement rurale, l'immigration algérienne fût moins prolétaire que «prolétarisée » à cause de son manque de formation. Ces ouvriers apparaissent dans la rubrique des faits divers à travers les accidents de chantier dont ils sont fréquemment victimes. L'opinion publique a conscience de l'importance de cet apport de main-d'œuvre pour la bonne marche de l'économie de la métropole et les journaux savent offrir des traitements compatissants à ces travailleurs malheureux. L'Humanité évoque quasiment systématiquement les accidents dont ils sont victimes. Le rendu journalistique se fait dans deux registres : récit émouvant consacré à tout ouvrier accidenté, ou utilisation de l'accident pour la dénonciation des conditions de travail dans le cadre de l'oppression «bourgeoise » de la classe prolétaire. Plus prudents que L'Humanité sur les luttes et autres solidarités ouvrières, certains articles des autres journaux témoignent d'une certaine forme de considération à l'égard de ces travailleurs. Les termes de «nord-africains », «musulman » ou «algérien » n'apparaissent souvent pas dans les titres et même souvent dans le contenu des articles (même si l'énoncé du nom de la victime laisse supposer son origine). Ceci est le cas pour France-Soir, Le Parisien Libéré et pour Le Figaro mais L'Aurore préfère généralement évoquer les accidents de travail lorsque la maladresse ayant provoqué la catastrophe est due à l'inadvertance d'un Algérien. Dans tous les cas, ces ouvriers exercent une activité professionnelle en métropole et méritent, à ce titre, de bénéficier de la paternelle protection que la République française doit offrir aux «honnêtes travailleurs » (ceci étant l'expression généralement consacrée) à la différence de ceux qui sont au chômage. Cette honnêteté renvoie à une forme de loyauté que les Algériens doivent ressentir à l'égard de la France qui, dans le cadre de sa mission civilisatrice, sait s'occuper d'eux. «Le devoir français est de les protéger » énonce L'Aurore le 3 mai 1955. Cet aspect paternaliste s'accorde avec ce que se représente l'opinion publique du caractère infantile de ces immigrés. Le danger vient souvent pour eux de leur propre caractère de «grand enfant ». Deux Algériens sont blessés par un train car le fait de se promener trop près des voies de chemin de fer est «une distraction de leur part »[8]. Généralement, de nombreux Européens considèrent que la France prête déjà beaucoup d'attention aux Algériens. Le Parisien Libéré fait dire à un employé du «bureau d'assistance aux Français musulmans » que «nous leur procurons des emplois »[9]. En effet, la métropole sait utiliser cette main-d'œuvre en la cantonnant dans la condition ouvrière puisqu'en 1961, selon Benjamin Stora, 189 200 des 190 000 travailleurs d'origine algérienne sont des ouvriers[10]. Ils doivent aussi fréquemment changer de localité en fonction des opportunités d'embauche. Cette protection découle ainsi d'une forme de paternalisme qui s'accompagne, malgré quelques efforts entrepris, d'une ignorance (ou plutôt d'une non-prise en compte) des réels problèmes rencontrés par les Algériens immigrés en métropole. Pour beaucoup d'Européens, la France a su leur apporter du travail, ou du moins leur en a proposé, et ceux-ci s'imaginent mal que des Algériens puissent exercer un autre type d'activité professionnelle. Le 3 mai 1955, L'Aurore présente dans un de ses articles une liste des métiers exercés par ces immigrés : «ouvriers, commerçants, forains ». Si le poids des commerçants reste assez négligeable, celui des forains est quasiment inexistant. Cette représentation est aussi péjorative puisque le monde des marchands forains est traditionnellement perçu comme marginal, cloisonné et particulièrement dangereux. Le journal a semble-t-il eu du mal à réaliser cette courte liste. Ces ouvriers bénéficient, tout de même, d'un meilleur traitement journalistique que les Algériens chômeurs perçus comme responsables de leur non-emploi[11]. Dans le domaine de la vie quotidienne, les récits de faits divers aiment aussi souligner la spécificité des relations sociales entre Algériens. Afin de stigmatiser la violence qui règne dans ces familles immigrées, les journaux utilisent un vocabulaire qui accentue la brutalité des gestes évoqués dans les articles. Un Algérien peut se révéler être un «tortionnaire », un «bourreau d'enfants » qui impose à son entourage une «atmosphère intolérable » ou une «existence infernale »[12]. Pourtant, les récits de faits divers n'apportent pas, malgré tout, de regard foncièrement critique sur les mœurs familiales algériennes et préfèrent présenter ces violences pour ce qu'elles sont ; des gestes isolés perpétrés par des maris violents. Aussi, les mariages mixtes entre Européens et Algériens, malgré les réticences initiales des familles, mais non des journaux, sont intégrés à la rhétorique, finalement peu particulière, attachée à cet aspect de la vie quotidienne des familles algériennes. Une grande particularité des relations sociales entre Algériens avancée par les journaux réside dans le recours à une justice clanique inspirée du droit coranique et de la loi coutumière pour régler les problèmes entre eux. De nombreux articles sont assez indulgents envers cette pratique peut-être plus adaptée, selon eux, à s'occuper de ces questions relevant des rapports entre Algériens que ne l'est la justice française. Pourtant, les assassinats sont souvent fermement critiqués ; il y a une grande différence entre régler à l'amiable une question de divorce et faire jouer la solidarité familiale pour venger l'affront fait à un parent[13]. Alors, la justice officielle entre en jeu pour montrer, comme le souligne Le Parisien Libéré, que «le pacte n'avait court qu'en terre d'Afrique »[14]. Les Algériens sont aussi des Français particuliers puisqu'ils sont désignés comme des «Français musulmans ». Les récits de faits divers aiment souligner cette différence en mettant sur le compte de cette religion «peu civilisée »[15] un certain nombre d'archaïsmes. Ainsi, les femmes sont aveuglément soumises et les hommes apprennent l'égorgement lors de fêtes rituelles[16]. Des arguments religieux se veulent parfois explicatifs de gestes meurtriers : un Algérien meurt «en bon musulman » en se donnant la mort après avoir massacré toute sa famille au cours d'une crise de colère provoquée par l'insoumission de sa femme[17]. Même si le recours à la violence est condamné et dénoncé, le fait que les Algériens peuvent, entre eux, arranger certains de leurs problèmes est désormais intégré aux thèmes des articles de faits divers et les journaux se plaisent souvent à traiter de ces formes d'organisations sociales parallèles au mode de vie «normal » de la métropole.

Evolution de la représentation de la délinquance algérienne


La délinquance nord-africaine reste un des thèmes de prédilection de la rubrique des faits divers des années 1950 et 1960. Le fait n'est pas nouveau et découle des mythes sur la paresse, la promiscuité et l'infantilisme des Algériens. Selon la revue Les Temps Modernes, «pour certains policiers, et journalistes, non seulement le Nord-africain est présumé coupable mais le coupable est présumé nord-africain »[18]. Les journaux recourent périodiquement à de violentes campagnes de presse comme ce fût le cas en 1948-1949[19]. Certains thèmes et termes présentant cette délinquance sont communs à la représentation plus large de l'étranger violent et dangereux mais nous nous intéresseront ici à la spécificité des crimes et délits commis par des Algériens tels qu'ils sont présentés et surtout aux récurrences et aux évolutions de ces thèmes et termes au cours de la période. Le vol, avec l'aide d'un couteau lorsqu'il est perpétré avec violence, est, par la récurrence des brèves, le délit le plus fréquemment commis par des Algériens. Les rubriques de faits divers des journaux populaires consacrent de nombreux articles à cette manifestation, devenue typique, de cette délinquance. Cette petite criminalité est due essentiellement à la misère matérielle des Algériens immigrés[20] mais la presse pas cette raison directe. La représentation de la délinquance sexuelle attribuée aux Algériens relève plus fréquemment d'un mythe que d'une réalité, pour le proxénétisme, mais aussi, et surtout, pour le viol[21]. De nombreux récits de faits divers relatent les réactions violentes d'Algériens qui ont vu leurs avances repoussées par des Européennes. Cette crainte du viol relèverait d'une peur collective, d'un mythe s'attachant à spécifier les pratiques sexuelles des Algériens. La revue Les Temps Modernes souligne que l'opinion publique à besoin de mettre en avant les déviances sexuelles des Algériens afin de prouver leur «infériorité »[22]. A travers les récits de faits divers, on peut aussi dresser le portrait stéréotypé du délinquant algérien typique. Son comportement est particulier ; il est lâche, opportuniste, provocateur et fourbe. Sa mentalité de grand enfant lui apporte naïveté, bêtise et esprit vindicatif. Ces thèmes sont systématiquement utilisés, soit l'un d'entre eux, soit plusieurs en même temps, par les faits diversiers pour décrire les délits commis par des Algériens. Un retard de civilisation rendrait leur comportement infantile, naïf, voire bête. «Un Arabe de 30 ans pourtant évolué » explique le meurtre d'un gérant de commerce avec les mots d'un enfant : «je ne l'ai pas fait exprès »[23]. D'ailleurs, les journaux préfèrent souvent n'utiliser que le prénom de l'agresseur algérien pour le désigner. Plus grave encore, une dimension proprement pathologique accompagnerait ce comportement particulier. Ces délinquants ont une mentalité très instable, la jalousie et l'ivresse excessive sont les causes principales, pour la presse, des délits qu'ils commettent. Par un manque de recul dû à ce «retard de maturation et de développement mental »[24], un Algérien risque à tout moment de sombrer dans un état proche de la folie. Sujets à l' «instabilité », ils peuvent subir des «changements instantanés »[25]. Un Algérien peut massacrer sa famille «dans une crise de démence inspirée par la jalousie »[26]. L'alcool est une seconde cause toute trouvée des agressions étant donné que les Algériens passent souvent pour ne sachant pas s'adonner à la boisson de manière mesurée et deviennent particulièrement violents lorsqu'ils sont «pris de boisson ». Pour Le Figaro, «le poison alcoolique détermine chez les Nord-africains des phénomènes explosifs »[27]. Les journaux versent fréquemment dans ces stéréotypes, surtout L'Aurore qui présente, par exemple, le 2 octobre 1954 un agresseur en même temps «violent (...), buveur (...), jaloux » et lâche. Pourtant, ce portrait ainsi dressé évolue durant la guerre d'Algérie. Ce changement dans le vocabulaire employé pousse vers un rapprochement, dans la représentation, de la délinquance algérienne d'avec la délinquance européenne plus «traditionnelle ». A la différence des petits délinquants européens, les Algériens ne sont pas désignés comme des «malfaiteurs » mais comme des «Nord-africains ». Lorsque l'agresseur et la victime sont des Algériens, les protagonistes sont désignés comme des «coreligionnaires », ce qui met en avant cette commune particularité[28]. Les victimes ne sont pas non plus traitées de la même manière face à un agresseur algérien puisque l'agression passe alors souvent pour une simple bagarre entre gens de même religion. Si le terme d' «Algérien » est parfois utilisé au début du conflit, son usage tend à se raréfier étant donné sa forte connotation identitaire. L'Humanité préfère éviter ce débat d'appellation en donnant simplement le nom ou la profession de l'agresseur. A partir des années 1959-1960, l'emploi de l'expression plus nuancée de «type nord-africain » se développe pour décrire physiquement un agresseur. Les témoins et les victimes sont aussi plus nuancés dans leur description des agresseurs même si, pour l'opinion publique, la supposition qu'il s'agisse d'un Algérien reste très présente. L'évolution la plus marquante dans la représentation de la délinquance algérienne reste, à partir de 1960-1961, les traitements plus similaires de petits délinquants algériens et européens dans les récits de faits divers autour d'expression comme «Jeunes Voyous » ou «blousons noirs ». Les termes de «gangster » et de «malfaiteur » ne sont plus exclusivement attribués aux Européens même si les «origines nord-africaines » sont souvent rappelées. Le développement des agressions commises par des gens assez jeunes, européens et algériens, est présentée comme une nouveauté par des journaux qui cherchent à l'expliquer et à proposer des remèdes à la différence de l'attitude qu'ils avaient face à la délinquance algérienne telle qu'elle était perçue de 1954 à 1960. Les membres d'une bande de «Quatre J-V », responsables d'un meurtre, sont désignés par leurs noms dans le journal France-Soir du 8 février 1962. Deux d'entre eux sont des noms à consonance algérienne et l'un de ces derniers, présenté comme plus malin que les autres (et non présenté comme plus mauvais) est même le «chef » de la bande. Même si les habitudes perdurent, cette évolution des termes et des thèmes est une évolution marquante dans la représentation de la délinquance algérienne qui tend à être ainsi plus banalisée dans une petite criminalité due à des «enfants sensibles » laissés à la dérive par un manque d'autorité parentale[29]. Les vols et les agressions parfois très mineures qui étaient recensés dans les journaux au début du la guerre d'Algérie le sont nettement moins au fur et à mesure que celle-ci s'éternise[30]. Ce glissement est en grande partie explicable par le développement de la criminalité nationaliste algérienne, par sa radicalisation et par la «réponse » violente de l'Organisation de l'Armée Secrète à partir de 1961.


La grande apparition de la criminalité nationaliste algérienne



L'extension territoriale du conflit, d'Algérie en métropole, ce qui se traduit principalement par une véritable guerre civile entre les mouvements nationalistes FLN et MNA, fait son apparition dans la rubrique faits divers des journaux concernés. Le «terrorisme nord-africain » se développe et les articles qui lui sont consacrés traduisent les opinions des lectorats et des rédactions sur les opérations menées et sur les représentations de leurs acteurs, agresseurs et victimes. Dés 1954, le FLN doit prouver sa légitimité et son efficacité aux immigrés algériens pour les amener à soutenir financièrement, de la métropole, le conflit armé en Algérie. Il n'hésite pas, pour convaincre, à recourir à la violence car il doit aussi activement lutter contre son rival qu'est le Mouvement National Algérien. En 1955, les premiers «raids » nationalistes visant à «mettre au pas » les immigrés font leur apparition dans les rubriques des faits divers en tant qu'évènements purement criminels. La dimension nationaliste de ces opérations est minimisée par la mise entre guillemets de l'adjectif «politique ». Pour L'Aurore, il s'agit d'une «pègre » et pour Le Figaro d' «extrémistes notoires »[31]. En 1956, la presse et le lectorat se sont habitués à la fréquence des opérations et connaissent mieux ces mouvements présentés comme des «organisations terroristes ». Souvent, la dimension religieuse de la coercition, qui passe par l'interdiction de boire de l'alcool, est mise en avant par la presse afin de discréditer tout leur aspect politique. Au début du conflit, L'Humanité reste muette sur ces évènements, hésitante sûrement entre un appui à la dimension politique et indépendantiste de la lutte et une dénonciation de son aspect criminel. Le système des cotisations que le FLN impose aux immigrés est présenté, dans la presse, comme un vaste «racket » organisé pour mieux mettre en avant l'idée qu'il s'agit de bandes criminelles. En 1958, Le Figaro évoque encore le système des collectes comme une «extorsion de fonds à main armée »[32] même si ces confrères tendent à le présenter comme une imposition afin de laisser sous-entendre que les immigrés algériens sont tous des soutiens volontaires de la révolte armée en Algérie. Dans les faits, même si un certain nombre d'Algériens payaient volontiers les sommes exigées[33], beaucoup d'entre eux y étaient contraints par un FLN désormais bien organisé sur le territoire français[34]. Les journaux perçoivent cette solide organisation et développent des thèmes autour d'une stricte hiérarchie et d'une forme de politique de terreur qui règne dans ce mouvement[35]. Lorsqu'un chef est arrêté, les journaux appuient son apparente respectabilité ; tout Algérien, bien qu'instruit et intégré, peut se révéler être un redoutable dirigeant nationaliste[36]. Les exécutants fanatisés remplissent aveuglement les ordres de ces chefs. De plus, à la différence de la justice familiale ou clanique, la justice nationaliste est particulièrement inacceptable sur le sol français puisqu'elle ne semble pas avoir pour but de réguler la vie sociale entre Algériens. Elle est présentée comme arbitraire et violente, accompagnée de méthodes brutales[37]. Les attentats et autres «règlements de comptes » entre coreligionnaires, ainsi que les actions menées, à partir de 1958, par le FLN contre certains Européens, sont aussi désormais plus volontiers classés sous le titre générique de «terrorisme nord-africain en métropole ». La nature de cette criminalité a évolué et la presse a aussi changé de vocabulaire comme nous le montre ces tableaux représentant l'évolution des thèmes abordés rattachés aux activités nationalistes pour les mois de mai 1955 et de septembre 1960 tels qu'ils apparaissent dans les pages faits divers des numéros de ces quatre journaux :


 
 
Mai
1955
 
 
Le Parisien
 
 
 
 
Libéré
France-Soir
L'Aurore
Le Figaro
Saccages de café
5
6
2
2
Rackets nationalistes
 

3
 
Assassinats
 
1
1
1
Attentats terroristes
 

 
 
Méprises nationalistes
 

 
 
Règlements de compte nationalistes
 

 
 


 
 
Septembre
1960
 
 
Le Parisien
 
 
 
 
Libéré
France-Soir
L'Aurore
Le Figaro
Saccages de café




Rackets nationalistes
 


 
Assassinats
 
2


Attentats terroristes
6
5
2
4
Méprises nationalistes
1
1

1
Règlements de compte nationaliste
1
1
2
1


Entre le FLN et le MNA, la presse se contente généralement de compter les coups. Cette lutte fratricide entre Algériens ne concerne l'opinion publique que dans la mesure où elle compromet l'ordre public. Mécaniquement, les victimes sont présumées appartenir au groupe adverse. Souvent, de simple constats sont présentés tel que : «règlements de comptes entre Nord-africains : 3 morts, 11 blessés hier »[38]. Les lecteurs s'habituent à cet état de fait et à la monotonie des comptes rendus. Etonnée, France-Soir souligne le 17 octobre 1958 que «depuis quinze jours, il n'y avait pas eu de règlements de comptes », mais un algérien retrouvé étranglé rue d'Aubervilliers permet ce «retour à la normale ». S'ils connaissent la violence de cette lutte, celle-ci est cantonnée dans un statut d'événement secondaire, en marge de l'actualité, par leur seul classement dans les rubriques de faits divers.

A partir de 1958, les expressions de «terrorisme nord-africain » ou d' «attentat terroriste » commencent à concurrencer celle de «règlements de comptes entre Nord-africains » afin de mieux mettre l'accent sur le non respect de l'ordre public plutôt que sur le conflit sanglant qui touche les immigrés algériens, mais aussi parce qu'il est plus facile de ranger sous ce titre les arrestations et les attentats FLN commis contre des Européens à partir de l'ouverture du «second front » en métropole le 25 août 1958. Dans un premier temps, il s'agit, pour la presse, d' «erreurs », de «méprise ». Un étudiant est blessé par balles à Issy-les-Moulineaux, les tueurs l'avaient pris pour un militaire [...] parce qu'il portait un blouson militaire[39]. Les articles mettent en avant, dans les détails de la narration, l'innocence des victimes européennes touchées dans la banalité de leur vie quotidienne : «un client racontait ses vacances au patron... Deux Nord-africains surgissent et les tuent tous les deux »[40]. La presse se lamente sur ce revirement du terrorisme qui touche désormais d'innocentes victimes européennes. Les Algériens ne se contentent plus de régler leurs comptes entre eux et ce changement passe pour inacceptable : la perception des agresseurs et des deux «catégories » de victimes découle de cette représentation. En 1955, au nom du paternalisme républicain, les journaux commencent par louer la loyauté à la France des premières victimes algériennes[41]. Dés l'année suivante, les récits récurrents évoluent en simples brèves expéditives et quasiment identiques les unes aux autres[42]. Ces récits sont généralement classés dans la nouvelle rubrique des «règlements de compte entre Nord-africains ». Lorsqu'un attentat blesse un Européen et un Algérien, le traitement des deux victimes est foncièrement inégal. Dans France-Soir, une «voyageuse » blessée, dont l'état n'est d'ailleurs pas particulièrement préoccupant, occupe le titre et les onze premières lignes d'un article qui en compte dix-huit. Le sous-titre et les sept dernières lignes sont consacrées au «musulman dans un état désespéré »[43]. Ce dernier passe pour en partie responsable de ce qui vient de lui arriver, de cette explosion du nationalisme algérien. Quant à l'agresseur, au «terroriste », au «tueur », les thèmes qui étaient attachés aux délinquants algériens se reportent sur la représentation de ce nouveau type de criminel. Les agents FLN se cachent, espionnent les conversations pour débusquer les Algériens rétifs à la cause nationaliste, puis ils surgissent de l'ombre pour les abattre froidement[44]. Foncièrement stupides, ces exécutants commettent très fréquemment des erreurs. Lâches, ils s'enfuient à la moindre opposition, tiraillés entre leur devoir de mission et leur couardise naturelle. Lors des manifestations d'octobre 1961, la presse présente un FLN qui se cache derrière des femmes et des enfants qu'il envoie dans la rue. Dans L'Aurore, ce sont même les parents qui utiliseraient leurs propres enfants comme boucliers humains[45]. Présenter FLN et MNA comme des mouvements violents, qui frappent arbitrairement, dont les membres ne peuvent être que les pires criminels algériens de la métropole, dirigés par de faux politiciens, permet de discréditer toute la dimension nationaliste revendicative. Pour les victimes algériennes, la presse semble abandonner le traditionnel paternalisme pour les amalgamer aux sympathisants nationalistes, payant volontiers l' «impôt » et tombant dans des «règlements de comptes ». Ainsi, l'opinion publique européenne réagit devant le conflit par un réflexe de défense qui touche tous les immigrés algériens de la métropole.


Réaction de l'opinion publique face à tout regroupement d'Algériens



La représentation des lieux de vie et de sociabilité des Algériens traduit cette montée de la méfiance des Européens. Si la précarité des logements particuliers est abordée de manière sporadique mais continue avant et durant le conflit, les lieux de concentration de population algérienne que sont les «quartiers nord-africains » passent pour foncièrement et intrinsèquement malfamés, infréquentables pour des Européens. Même s'il s'agit d'une réalité[46], l'entassement et la promiscuité que doivent subir de nombreux Algériens apparaissent de manière si récurrentes qu'ils deviennent une caractéristique attachée à cette immigration. Dans certains articles, notamment dans L'Aurore, cet état de fait découlerait plus d'une sorte de choix, d'un mode de vie[47]. L'évolution perceptible de la représentation de ces lieux de vie réside principalement dans la banalisation de la question de l'insalubrité des immeubles et des logements occupés par des Algériens en métropole. A partir de 1955, c'est à dire lorsque surviennent en France les activités des mouvements nationalistes, ce problème fût rapidement mis de côté. L'opinion publique connaît cette question mais préfère s'en détourner car il convient plus, à l'heure qu'il est, d'exalter l'œuvre civilisatrice de la France que de mettre en avant les carences de la République. L'Etat crée des centres d'hébergement et des foyers, et les journaux louent cette entreprise même s'il s'agit aussi de chercher à mieux encadrer et surveiller cette main-d'œuvre[48]. Pourtant ces établissements eurent rapidement une image déplorable du fait de la dénonciation des activités criminelles découlant, directement pour les journaux, de cette concentration d'Algériens[49]. Les «quartiers nord-africains » sont aussi fréquemment et violemment dénoncés comme des zones à haut risque qu'il convient d'éviter, principalement le quartier de la Goutte d'Or à Paris dans lequel «les Français de la métropole sont désormais presque des étrangers »[50]. A la différence de France-Soir, du Parisien Libéré et de L'Aurore, Le Figaro préfère éviter ce type de généralisation hâtive alors que L'Humanité n'évoque pas le problème posé par les quartiers majoritairement habités par des Algériens. De nombreux immigrés vivaient aussi dans de réels bidonvilles aux portes même de la capitale, le plus grand et le plus connu étant celui de la commune de Nanterre[51]. Les conditions de vie y sont très difficiles et le feu reste une menace constante du fait des matériaux de construction. La presse aborde cette question des bidonvilles quand des drames y surviennent, et notamment des incendies. Seule L'Humanité, et dans une moindre mesure Le Figaro, offrent des articles conséquents aux malheureux sinistrés. Cette forme de reconnaissance publique reste néanmoins assez «négative » puisqu'elle n'intervient qu'à partir du moment où de graves problèmes touchent ces bidonvilles. Cette précarité est, elle aussi, de plus en plus banalisée. Le 16 octobre 1959, un nouvel incendie survient à Nanterre ; Le Parisien Libéré et Le Figaro choisissent de l'ignorer, France-Soir lui offre une brève de cinq lignes et L'Aurore une de sept lignes sans pour autant aborder les questions d'hygiène et de sécurité. Les quartiers nord-africains sont aussi de plus en plus désignés par des termes spécifiques. Il s'agit de «cités », de «douars », voire de «médinas ». Les habitants semblent avoir eux-même choisi de vivre dans la marginalisation de leurs quartiers spécifiques afin de pouvoir suivre plus librement leur mode de vie particulier. Cette méfiance est aussi nettement perceptible dans la représentation des établissements, cafés et/ou hôtels, tenus et fréquentés par des immigrés. Principaux lieux de sociabilité entre Algériens, ils deviennent rapidement pour cela le terrain privilégié des «règlements de comptes » nationalistes. Cette fonction d'espace de dialogue n'est développée par la presse qu'à partir du moment où, a cause de la guerre, les «discussions politiques » qui s'y tiennent deviennent nettement plus violentes. Ils passent alors pour des lieux de réunion des mouvements nationalistes et leurs clients pour d'actifs militants[52]. Lorsqu'un de ces établissements est attaqué, il ne peut s'agir que d'un «foyer », d'un «centre d'obédience » d'un mouvement nationaliste pour avoir été choisi pour cible. Par ailleurs, le «café algérien » devient, dans le langage courant des faits divers plutôt synonyme de café malfamé que de débit de boisson tenu et fréquenté exclusivement par des Algériens. Certains établissements présentés comme étant «fréquentés par des Nord-africains » reçoivent en réalité une clientèle plus «cosmopolite ». Les cafés algériens deviennent ainsi, dans leur représentation, des endroits où les violences sont fréquentes[53]. Un rapport de police daté du 22 juillet 1960 fait le bilan d'une enquête lancée à la suite d'une plainte déposée par les habitants du quartier de la place Clichy à Paris au sujet d'un «PMU réservé, paraît-il, à des Nord-africains »[54]. Le policier prenant acte de la plainte transmet à son supérieur que «le comportement des intéressés serait, en outre, particulièrement bruyant ». Ceci n'a rien à voir avec une quelconque association de malfaiteurs ou avec un mouvement nationaliste mais illustre la méfiance des populations européennes environnantes à l'égard de cette clientèle algérienne. Après enquête, la préfecture conclut que le café reçoit «une clientèle cosmopolite composée cependant en majeure partie d'Européens », la part des Algériens étant évaluée à 15 à 20 % des habitués. Les cafés «fréquentés par des Nord-africains », comme par exemple les PMU, subissent ainsi la représentation des «cafés algériens ». Plus généralement, l'opinion publique semble se méfier de tout regroupement d'Algérien, dans un bâtiment mais aussi dans la rue. En France, les Algériens sont perçus comme vivant au sein d'une société parallèle à la société française que les journaux désignent comme un «milieu »[55]. L'expression de «milieu nord-africain » s'attache à désigner le «groupe » algérien immigré. Par définition, tous, et non les seuls sympathisants nationalistes, appartiennent à ce milieu. Plus dangereusement encore, ce milieu peut aussi rassembler ses éléments sur la voie publique pour entreprendre de réelles actions de «masse ». Selon L'Aurore, une foule algérienne aurait tentée de «lyncher » des policiers venus arrêter un pickpocket algérien. Il s'agit, pour le journal, d'une tentative d'insurrection, et il évoque une «situation qui s'aggrave chaque jour »[56]. France-Soir et Le Figaro reprennent eux aussi, mais sur un ton plus mesuré, les grandes lignes de cette représentation du débordement. Mieux valant prévenir que guérir, des Européens dénoncent des regroupements d'Algériens en vue de leur caractère potentiellement violent. Ainsi, un «rassemblement suspect (est) dispersé », celui-ci «ayant été signalé » à la police[57]. Plus fermement, la presse dénonce le caractère proprement dangereux des manifestations d'Algériens. Les mesures vexatoires prises le 6 octobre 1961 par la préfecture de police de la Seine, comme le couvre-feu (que des journaux, comme France-Soir, dénoncent le lendemain) déclenchent plusieurs grandes manifestations à partir du 17 octobre. Celles-ci sont représentées comme des tentatives d'émeutes de la part de la «masse » des Algériens qui forment des «contingents » pour Le Figaro et suivent un «plan d'ensemble » pour France-Soir. De part la taille des articles consacrés à ces événements, les journaux ont du mal à traiter de ces manifestations dans les pages attribuées aux faits divers. Les journaux, mise à part L'Humanité, consacrent généralement une page particulière à «cette agitation musulmane qui déferle sur Paris »[58] puis, lorsque cette agitation retombe et que les articles consacrés sont, en conséquence, moins importants, l'événement regagne les pages consacrés aux faits divers[59]. Seule L'Humanité a abordé ces manifestations comme des événements réellement politiques en les classant dans cette rubrique. La dénonciation du groupe existait depuis le début du conflit mais elle atteint son paroxysme lors des manifestations d'octobre 1961. Dans leurs logements, leurs quartiers, leurs cafés et leurs hôtels, les Algériens peuvent à loisir suivre les règles de leur «milieu », mais sur la voie publique, ils passent, à partir du moment où ils sont plusieurs, pour braver directement et systématiquement l'ordre publique français.


La répression s'impose



Dans le prolongement de cette dénonciation, l'opinion publique encourage un renforcement de la répression policière. La presse applaudit les mesures prises par le gouvernement, le travail de la police ainsi que certaines actions populaires présentées comme relevant de la «légitime défense », mais elle dénonce les opérations jugées trop radicales comme l'utilisation des «harkis », les ratonnades populaires et les attentats de l'OAS. Les forces de l'ordre opèrent de plus en plus d'opérations de contrôle et de rafles généralisées. Celles-ci passent pour le moyen le plus efficace pour débusquer des nationalistes activistes. La Brigade des Agression et Violences (BAV) est chargée de mener ces opérations fréquemment commentées par la presse. A l'exception de L'Humanité, les journaux présentent ces rafles «pour vérification d'identité » comme la réaction répressive la plus adéquate pour répondre aux attentats du FLN. La presse ne cache pas leur fréquence ni l'ampleur des contrôles et autres «battues » effectués[60]. Le terme de «rafle » se généralise même très rapidement dans les comptes rendus journalistiques[61]. Selon les chiffres des rapports de police, de nombreux Algériens furent ainsi des habitués des postes de police pour y subir les «vérifications d'usage » encouragées par la presse[62]. En octobre 1961, le nombre de contrôles suivis de séjours au poste de police atteint des sommets évoqués, de par leur ampleur, par l'ensemble des journaux étudiés qui considèrent, toujours à l'exception de L'Humanité, cette répression comme nécessaire pour contenir les Algériens rendus dangereux par leur regroupement. Ils rendent compte du «ratissage » policier et des «arrestation préventives » effectuées les jours suivants. La répression fit aussi certains excès, dans le sens d'entorses faites à la légalité française, partiellement dénoncées par les journaux. Beaucoup d'Algériens furent purement et simplement expulsés de métropole ou plutôt «transférés en Algérie »[63] et la presse ne semble pas s'émouvoir devant ce procédé qui touche pourtant des Français musulmans ayant libre droit de circulation sur tout le territoire français. A la suite des manifestations d'octobre 1961, seules France-Soir et L'Humanité traitent d'une manière assez critique l'expulsion vers l'Algérie d'immigrés arrêtés[64]. Des violences policières accompagnèrent aussi bien souvent la répression. Certains journaux comme Le Figaro font de timides allusions aux méthodes quelque peu musclées de la police[65]. «Faut-il que l'indignation soit grande chez les Français pour que même Le Figaro soit obligé de protester » ironise L'Humanité le 26 octobre. Pourtant, il fallut attendre la polémique sur la responsabilité de la police dans les assassinats de nombreux Algériens lors du mois d'octobre 1961, pour que ces journaux émirent plus explicitement quelques critiques. Avant ces événements, la presse ne se souciait pas des exactions jugées et présentées comme assez secondaires ou simplement niées dans les articles. France-Soir, et plus timidement L'Humanité menacée par les saisies gouvernementales, évoquent aussi les soupçons qui pèsent sur la police après le nombre assez élevé (par rapport à une petite moyenne due aux «règlements de comptes » nationalistes) de cadavres d'Algériens repêchés dans la Seine les jours suivants[66]. La dénonciation de certains excès de la répression permit de revaloriser quelque peu l'image, alors assez déplorable, des Algériens auprès de l'opinion publique européenne. En 1960, le recours aux «harkis », dits aussi «FPA » (Force de Police Auxiliaire), ou plus généralement «supplétifs musulmans » se développe en métropole[67]. A cause des exactions et des violences qui leur sont attribuées, l'opinion publique leur attache une représentation des plus négatives et se désintéresse de plus en plus de leur sort alors même que leur fonction d'encadrement de l'immigration en fit des cibles de choix du FLN. Les agressions perpétrées contre eux sont plus volontiers exposées dans des brèves rappelant celles consacrées aux règlements de comptes qu'aux articles conséquents dont bénéficient les policiers européens victimes[68]. Qu'il soit du côté du nationalisme ou de celui de la France, un Algérien armé reste quelqu'un de potentiellement très dangereux. Une partie de l'opinion publique ne tolère pas la mise en place de ces brigades aux méthodes inacceptables pour des éléments, même supplétifs, des forces de police alors que l'autre partie, en les acceptant, les représente comme des outils «utiles » dans cette guerre de règlements de comptes puisqu'ils passent finalement pour n'être pas si différents des criminels et autres «terroristes » du FLN[69]. Parallèlement à cette action répressive de l'Etat, des foules européennes réagissent parfois violemment contre la criminalité nationaliste voire contre la délinquance algérienne. Certains journaux présentent, ou même exaltent, ce qui est présenté comme des «réflexes de défense populaire ». Parfois, le réflexe est préventif ; des Algériens peuvent être «victimes de leur attitude » étant donné qu'ils «se sont montrés menaçants »[70]. Ainsi, ce sont ici les victimes qui sont directement responsables de leur agression. En fonction du degré de provocation du ou des Algériens, la plupart des journaux tolèrent ou approuvent ce type de réaction[71]. Par contre, face aux attentats nationalistes, ces réactions populaires sont perçues comme adaptées pour faire face plus efficacement, et «tous ensemble », au terrorisme algérien[72]. Il convient aussi de remarquer que ces réactions n'ont lieu que lorsque les attentats visent des Européens. Pourtant, ces foules doivent uniquement maîtriser l'agresseur et, à l'exception de L'Aurore, les journaux dénoncent les scènes de «lynchage » au cours desquelles la police doit intervenir pour permettre au «terroriste » de venir en bon état au poste de police[73]. Certains Européens trouvent dans la criminalité nationaliste un prétexte adéquat pour justifier le passage de la méfiance vis à vis des immigrés à une répression jugée nécessaire. Par contre, la presse représente de manière beaucoup plus critique les opérations de «représailles » qui se traduisent par des ratonnades organisées, et réagit fermement à la question de l'OAS. Les «expéditions punitives » à initiative populaire sont généralement dénoncées même si L'Aurore préfère éviter de les évoquer pour ne pas avoir à prendre position dans ce périlleux débat[74]. Plus généralement, ces ratonnades furent plus présentes dans les rapports de police que dans les pages des journaux et elle passèrent ainsi, et assez faussement, pour des actes isolés et particulièrement rares. Par contre, lorsque se constitue l'OAS en 1961, la dénonciation de ses actions devint rapidement très résolue. Pour les journaux, l'enjeu de la représentation de ce mouvement est d'importance puisque cette façon de faire face activement au terrorisme répond aux aspirations de nombreux lecteurs. Ainsi, Le Parisien Libéré et L'Aurore évitent de présenter l'étendue des méfaits de l'OAS et laissent souvent planer des doutes sur le «bord » nationaliste des terroristes responsables de l'attentat évoqué[75]. Si L'Humanité est, par la censure, maintenue quelque peu à l'écart du débat, seuls France-Soir et dans une moindre mesure le légaliste Figaro prennent de front cette question en assimilant l'action de l'OAS au  terrorisme du FLN[76]. Ainsi, à partir de 1961, la répression légale semble être applaudie moins inconditionnellement par la presse alors que le traitement du terrorisme de l'OAS soulève d'importants débats dans les rédactions. Ce revirement est surtout visible dans France-Soir, ce qui est très important étant donné que ce journal est, rappelons-le, le quotidien français alors le plus vendu. Pourtant, vis à vis des immigrés algériens, la méfiance s'est renforcée et peut facilement évoluer en réaction de défiance. La séparation physique des Algériens et des Européens entre leurs quartiers et leurs établissements respectifs devient un clivage plus profond qui trouve de nouvelles bases dans cette réaction. En définitive, les deux «catégories » de Français voient, au sortir de la guerre, leurs antagonismes se renforcer.


Les évolutions de la représentation sociale des Algériens doivent toujours être mises en rapport avec l'événement qu'est la guerre d'Algérie. Présenter les Algériens comme des «grands enfants » permet de justifier la présence française en Algérie qui y remplit sa «mission » civilisatrice. Beaucoup d'Européens ont violemment réagi, plus dans leur représentation des Algériens que dans les faits, à cause d'un sentiment d'ingratitude qu'ils ressentaient. Aussi, le choix du ton, parfois véhément, de la presse prend ses racines dans une perception, en partie erronée, de l'attachement de l'opinion publique à l'Algérie française. Il se reporte ensuite sur l'attitude des lecteurs européens vis-à-vis des immigrés. A force de dénonciation, l'opinion publique devient plus sensibilisée sur la question des problèmes posés par la présence des immigrés algériens en France. Par réaction, les clivages entre Européens et Algériens sortent renforcés du conflit, à cause de la criminalité nationaliste pour les uns, à cause de la généralisation de la répression pour les autres. L'infléchissement dans la dénonciation des spécificités caractérielles des Algériens et la progressive banalisation de la délinquance algérienne par la prise en compte de la misère matérielle illustrent les «efforts » que veulent bien consentir certains Européens secoués par la violence des actions du FLN, pour tenter de palier les fausses représentations héritées des images du passé. Pourtant, après la guerre, et jusque dans les années 1980, cette représentation est demeurée à peu de chose près inchangée. Il s'agit de ce que Claude Liauzu[77] nomme le «syndrome algérien ». La guerre a déchaîné des passions et la plupart des métropolitains souhaite, en 1962, ne plus entendre parler de ce conflit, et du même coup des Algériens. Les rapports et les perceptions se figent. La guerre d'Algérie a entraîné un abandon du rapport «paternaliste » avec les Algériens, mais aussi une crainte profonde et durable envers eux. L' «enfant » n'a plus besoin que l'on s'occupe de lui, mais, devenu «adulte », il n'en est que plus dangereux encore. La transition, sa «crise d'adolescence », fut le recours à la criminalité nationaliste et, sans en parler, les Européens n'oublieront pas rapidement cette étape.

Notes

[1]. Ce travail a été réalisé à partir d'un mémoire de maîtrise : D'Hoop, Guillaume, La représentation sociale des Algériens en France pendant la guerre d'Algérie à travers l'étude des faits divers, Paris, mémoire de maîtrise d'histoire sociale, sous la direction de Michel Pigenet, Université Paris I Panthéon Sorbonne, 2001, 205 pages.
[2]. Archives de la Préfecture de Police, série Ha-19 relative à la délinquance et à la criminalité nord-africaines en métropole. Tous les dossiers cités dans ce texte sont tirés de ce carton.
[3]. R. Barthes, «Structure du fait divers », in Essais critiques, Paris, Ed. du Seuil, 1964, p. 188-198. M. Ferro, Fait divers, fait d'histoire, in Revue des Annales, Paris, n°4, juillet août 1983, p. 48-54. G. Auclair, La mana quotidienne, Paris, Anthropos, 1970.
[4]. Sondages-Revue française de l'opinion publique, 17ème année, 1955, n°3, La presse, le public et l'opinion, cité par Didier Privat, Le fait divers à travers sa représentation sociale (du «canard » au «fait de société »), Paris, thèse de sociologie, Université Paris VII, 1992, p. 316sq. : 59 % des sondés privilégient la lecture de cette rubrique sur celle des autres, surtout les femmes à 62 % contre 54 % pour les hommes, et surtout dans les villes de moins de deux mille habitants à 60 % contre 47 % à Paris.
[5]. B. Droz et E. Lever, Histoire de la guerre d'Algérie 1954-1962, Paris, Ed. du Seuil, 1991, p. 150
[6]. Ch-R. Ageron, L'opinion publique à travers les sondages, in J-P. Rioux (sous dir.), La guerre d'Algérie et les Français, Paris, Fayard, 1990, p. 25-45.
[7]. Cl. Bellanger, (sous dir.), Histoire générale de la presse française, t. 5, de 1958 à nos jours, Paris, PUF, 1976, p. 173.
[8]. L'Aurore du 22 octobre 1954.
[9]. dans son numéro du 3 octobre 1961.
[10]. 114 000 manœuvres, 60 500 ouvriers spécialisés et 14 700 ouvriers qualifiés selon Benjamin Stora, Aide-mémoire de l'immigration algérienne (1922-1962), Paris, L'Harmattan-CIEM, 1992, p. 94-96.
[11]. ce sont, toujours dans le numéro du 3 mai 1955 de L'Aurore, d' «inquiétants désoeuvrés que l'on voit rôder dans des rues à eux, visiblement en quête de quelque chose à voler ».
[12]. dans l'ordre : Le Parisien Libéré du 29 septembre 1960, Le Figaro du 10 juin 1958 et Le Parisien Libéré du 9 septembre 1955.
[13]. Ainsi, L'Aurore, Le Parisien Libéré et France-Soir abordent tous deux événements le 3 mai 1955 comme des actes de «justice » ou des «vendettas ». Le Figaro est plus prudent et les présente comme des «différents familiaux ».
[14]. dans son numéro du 2 octobre 1956.
[15]. L'Aurore du 11 février 1957.
[16]. Le Parisien Libéré, L'Aurore et Le Figaro du 10 juin 1958.
[17]. L'Aurore du 11 février 1957.
[18]. Moscat, Henri et Peju, Marcel, Du colonialisme au racisme, les Nord-africains en métropole. La grande colère des honnêtes gens, Paris, Revue des Temps Modernes, n°83, septembre 1952.
[19]. Pour Le Matin du 6 septembre 1949, «80% des agressions nocturnes sont commises par des Arabes », et pour L'Aurore du 5 novembre 1949, «l'Arabe est très exactement le voleur qui attend au coin de la rue le passant attardé, le matraque et lui vole sa montre ».
[20]. Cette réalité est pourtant connue à l'époque puisque la revue Esprit y consacre un article (Pierre-Bernard Lafont, La criminalité nord-africaine dans la région parisienne) dans son numéro 206 de septembre 1953.
[21]. comme l'explique le revue Esprit, op. cit.
[22]. Moscat, Henri et Peju, Marcel, op. cit.
[23]. Le Parisien Libéré du 26 octobre 1954.
[24]. expression employée dans un rapport de la Police judiciaire à la préfecture de police de la Seine du 22 novembre 1951, contenu dans le dossier Nord-africains, délinquance, statistiques (1948-1964) du carton Ha-19 des Archives de la Préfecture de Police.
[25]. selon ce même rapport de police du 22 novembre 1951.
[26]. Le Figaro du 11 février 1957.
[27]. dans son numéro du 25 octobre 1961.
[28]. Dans les vingt-neuf actes de délinquance commis par des Algériens recensés dans les numéros du Parisien Libéré du mois de mai 1955, les agresseurs sont désignés dix-huit fois par le seul terme de «Nord-africain » et trois fois par celui de «coreligionnaire ».
[29]. France-Soir du 8 mai 1961.
[30]. Onze vols et neuf agressions commis par des Algériens sont relevés dans les numéros du Parisien Libéré du mois de mai 1955 pour respectivement zéro et une dans le même journal au mois de septembre 1960.
[31]. respectivement dans leur numéro du 3 et du 11 mai 1955. France-Soir informe ses lecteurs de six saccages de cafés algériens au cours de ce même mois.
[32]. dans son numéro du 23 juin 1958.
[33]. dans son numéro du 11 septembre 1960, France-Soir présente ainsi les déclarations d'un algérien : «moi-même, je paie l'impôt ».
[34]. En 1958, la Fédération de France du FLN est désormais bien implantée et est en mesure d'exiger 3000 francs par immigrés algérien selon Ali Haroun, La 7ème wilaya, la guerre du FLN en France 1954-1962, Paris Ed. du Seuil, 1986, p. 307-308.
[35]. Un des membres de l'organisation, coupable d'avoir «critiqué le FLN » est «conformément aux ordre reçus [...] exécuté à 22 heures 30 » (selon France-Soir du 15 juin 1958 qui présente ainsi un compte-rendu de mission trouvé sur le tueur arrêté).
[36]. Lors de son arrestation, Aït El Hocine, un des chef de la Fédération de France, est présenté comme «élégant » et «discret » par France-Soir, ayant même gagné “ l'estime de sa concierge » pour L'Aurore, dans leurs numéros respectifs du 1er octobre 1959.  
[37]. France-soir, dans son numéro du 25 juin 1958, explique ainsi la découverte du corps d'un Algérien dans une cave : «il s'agit vraisemblablement d'un nord-africain condamné à mort par un tribunal terroriste ».
[38]. France-Soir du 23 février 1957.
[39]. L'Aurore du 18 septembre 1958.
[40]. L'Aurore du 5 septembre 1960.
[41]. Ainsi, le 17 mai 1955, L'Aurore ne présente pas une de ces victimes comme un Algérien mais comme «un Français, et d'un patriotisme farouche ».
[42]. Le numéro de France-Soir du 4 juin 1954 présente ainsi trois brèves évoquant trois Algériens tués à Aubervilliers et dans le XIIIème arrondissement dans un article de dix lignes.
[43]. France-Soir du 2 octobre 1959.
[44]. Un Algérien est ainsi blessé par un «coreligionnaire qui paraissait espionner sa conversation » (Le Figaro du 1er octobre 1956).
[45]. dans son numéro du 19 octobre 1961.
[46]. Dans le quartier de la Goutte d'Or, les îlots quatre et sept comprennent respectivement 39 % et 36 % d'immigrés algériens alors que les appartements d'une seule pièce représentent 85 % et 75 % des logements particuliers et que 90 % et 97 % de ces habitations sont dépourvues de WC particuliers, selon J-C. Toubon et K. Messamah, Centralité immigrée, le quartier de la Goutte d'Or, dynamique d'un espace pluriethnique, succession, compétition, cohabitation, Paris, L'Harmattan CIEM, 1990, p. 154.
[47]. «Ce sont des gens qui dorment entassés à dix dans la même chambre », L'Aurore du 3 mai 1955.
[48]. France-Soir informe ses lecteurs le 19 octobre 1956 que des Algériens «ont été déménagés » d'un «immeuble insalubre » pour être relogés dans un «ultra-moderne foyer de Nord-africains ». Afin de mieux les surveiller on confit la direction d'un de ces foyers à un «ancien légionnaire » (L'Aurore du 10 juin 1958).
[49]. Lorsque le cadavre d'un Algérien est retiré de la Seine, Le Parisien Libéré et L'Aurore souligne tous les deux, dans leurs numéros du 1er septembre 1960, la proximité du lieu de la découverte avec un «foyer nord-africain ».
[50]. Le Parisien Libéré du 21 octobre 1957.
[51]. qui regroupait alors 5 000 Algériens selon Abdelmalek Sayad, Un Nanterre algérien, terre de bidonvilles, Paris, Autrement, 1995, p. 20.
[52]. Ainsi, dans son numéro du 18 octobre 1957, France-Soir annonce que les cotisations serviraient à acheter des cafés «où se tiennent des réunions du FLN ou du MNA et où sont organisées des expéditions punitives ».
[53]. Pour France-Soir (numéro du 18 octobre 1957) et pour Le Figaro (numéro du 29 octobre 1957), les «tribunaux » nationalistes tiennent séance dans ces établissements.
[54]. dans le dossier Délinquance nord-africaine, rapport de police (1946-1963).
[55]. Pour France-Soir (numéro du 9 mai 1961), des tenanciers de cafés sont «menacés de mort » en raison de leurs différents avec les «milieux nord-africains ».
[56]. dans son numéro du 16 mai 1955.
[57]. Le Figaro du 1er octobre 1956.
[58]. Il s'agit du titre choisi par L'Aurore le 19 octobre pour la rubrique créée pour l'occasion.
[59]. Ainsi, le 23 octobre, le sort des manifestants arrêtés est abordé par Le Figaro à côté d'un article intitulé «Un tueur du FLN ouvre le feu sur les policiers lancés à sa poursuite ».
[60]. A la suite de l'agression d'un agent de police dans le bidonville d'Argenteuil, France-Soir évoque le 20 octobre 1957 les «incessantes allées et venues de camionnettes bourrées de Nord-africains entre le quartier, le commissariat central et la Police Judiciaire ».
[61]. Sauf pour L'Aurore qui reste fidèle à l'expression plus neutre d' «opérations policières ».
[62]. Selon le dossier Lutte contre le terrorisme et la délinquance, statistiques (1950-1960), en 1958, 5 549 «battues » et 121 992 contrôles furent effectués au cours desquels 50,25 % des personnes contrôlées furent conduites au poste de police.
[63]. expression utilisée par la police dans le dossier Lutte contre le terrorisme et la délinquance, statistiques (1950-1960).
[64]. France-Soir précise, le 21 octobre 1961, que ces «refoulés » sont principalement des délinquants et des chômeurs.
[65]. Après la grande manifestation du 17 octobre 1961, France-Soir évoque les «matraquages » pratiqués par la police, Le Figaro les «groupes de ratissages, casqués et armés de longues matraques », et Le Parisien Libéré le fait que sur les nombreuses personnes interpellées, «85 % avait été plus ou moins malmenées » (numéro du 20 octobre 1961 pour France-Soir et du 19 octobre 1961 pour Le Figaro et Le Parisien Libéré).
[66]. France-soir évoque ainsi le 28 octobre 1961 que «quatre travailleurs nord-africains [...] auraient été jetés par la police dans la Seine ». Le 24 octobre, L'Humanité présente une dépêche AFP selon laquelle les cadavres retirés de la Seine ont «les jambes ficelées » et «les mains liées dans le dos ».
[67]. Les journaux emploient ces différents termes pour les désigner et les opposer aux «policiers métropolitains ». L'Aurore et L'Humanité utilisent plus volontiers le terme de «harkis ».
[68]. Ainsi le 5 octobre 1961, France-Soir présente une série d'attentats perpétrés la nuit précédente dans des «hôtels nord-africains » et n'évoque qu'à la fin de l'article l'assassinat d'un de ces «supplétifs ». L'Aurore présente le meurtrier comme «un de ses coreligionnaires ».
[69]. Le 2 mai 1960, France-Soir dénonce les «interrogatoires violents » présentés comme de réelles séances de «torture » pratiquées dans des «caves ». Ces procédés renvoient à ceux que les journaux attribuent généralement aux mouvements nationalistes.
[70]. Le Parisien Libéré et L'Aurore du 19 septembre 1958.
[71]. Le 1er février 1957, à Pont-de-Claix en Isère, un Algérien blesse au couteau sept personnes avant d'être abattu par deux Européens. Le Figaro et Le Parisien Libéré exposent simplement les faits alors que L'Aurore exalte la réaction des «courageux commerçants ». Seule France-Soir précise que les deux Européens sont «inculpés d'homicide volontaire ».
[72]. Le 3 octobre 1961, après un attentat nationaliste, France-Soir critique ainsi la passivité de l'assistance : «personne n'a bougé ».
[73]. comme dans les numéros de France-Soir et du Parisien Libéré du 9 mai 1961.
[74]. Ainsi, seule L'Aurore n'évoque pas le 2 octobre1957 les ratonnades organisées la veille par de jeunes Européens à Lyon.
[75]. Ces journaux ne commencent à s'intéresser aux actions de l'OAS que le 17 janvier 1962 lorsque dix-sept bombes furent lancées la nuit précédente contre des commerces algériens. Mis à part l'usage du plastic (qui est l'arme de prédilection des activistes de l'OAS), le traitement journalistique renvoie directement à celui des «règlements de comptes » entre nationalistes algériens.
[76]. Les 3 et 11 mai 1961, France-Soir désigne les criminels européens responsables de meurtre d'Algériens comme des «terroristes ». Plus prudent, Le Figaro expose les faits sans utiliser ce terme pour désigner les assassins.
[77]. Cl. Liauzu, Race et civilisation. L'autre dans la culture occidentale, Paris, Syros, 1992, cité par Y. Gastaut, L'immigration et l'opinion en France sous la Vème République, Paris, Ed. du Seuil, 2000, p. 257.

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