Entre modernisateurs et conservateurs :
les débats au Portugal sur l'émigration portugaise en
France, 1958-1974
Victor Pereira
IEP Paris
Décembre 2003
En émigrant en France, un million
de Portugais, approximativement, posèrent, entre 1958 et 1974, un vaste
problème aux élites gouvernementales portugaises. Ces
départs massifs
[1]
suscitèrent d'amples débats au sein de l'Etat
portugais qui, en dépit de son caractère dictatorial, connaissait
d'importants clivages autour des questions du développement
économique et social, de la position à prendre vis-à-vis de
la construction européenne ou de la viabilité du maintien des
provinces
d'outre-mer
[2].
L'émigration participait au plus haut niveau à ces
controverses et la gestion de celle-ci épousait les lignes de force des
autres débats.
Bien que tout le monde s'accordait à
dire que l'émigration devait être évitée, que
la première politique à mener était de combattre ses
causes, deux options principales se profilaient dans la mise sur pied
d'une politique migratoire : soit libéraliser
l'émigration portugaise vers la France, c'est-à-dire laisser
émigrer tous ceux qui le désiraient et ôter, plus ou moins
fortement, le corset législatif qui empêchait les Portugais de
sortir du pays
[3] soit, au
contraire, restreindre, plus ou moins fermement, ce que certains
considéraient comme une «hémorragie de
population » en renforçant ce corset par des lois limitant
davantage les possibilités de migrer légalement, en durcissant les
peines contre les clandestins et, surtout, en tentant d'appliquer
drastiquement cet ensemble de mesures. La première position était
défendue par les modernisateurs – groupe majoritairement
composé de fonctionnaires (alors appelés technocrates)- qui
considéraient que l'émigration en réduisant la main
d'œuvre disponible obligerait les structures productives du pays
à se moderniser et permettrait d'accélérer
l'industrialisation aux dépens du secteur agricole dont le poids
archaïque était perçu comme un frein pour le type de
développement souhaité. L'afflux de
remessas[4],
traditionnel expédient équilibrant la balance commerciale
d'un pays séculairement déficitaire dans ses échanges
internationaux
[5],
constituait un autre argument de poids en faveur de la libéralisation de
l'émigration. Face à cette logique, les seconds, les
conservateurs, s'insurgeaient contre ces flux migratoires pour une
batterie de motifs que l'on expliquera plus loin mais que l'on peut
déjà subodorer au vu de la sociologie du groupe :
propriétaires agricoles, petits industriels, bourgeoisie agraire :
tous ceux qui bénéficiaient de la main d'œuvre peu
coûteuse que l'émigration leur ôtait.
Bien entendu, au-delà de ce dualisme
quelque peu simplificateur, certains défendaient des solutions
intermédiaires, d'autres arguaient, inspirés notamment par
la doctrine sociale de l'Eglise catholique, que l'Etat ne pouvait
empêcher quiconque de se déplacer selon sa libre volonté.
Les différents courants de l'opposition prétendaient ainsi
que la dictature enfreignait, avec sa législation, les droits de la
population à circuler librement, à choisir son lieu de
résidence. Cependant, nous nous limiterons ici aux positions
émises à l'intérieur de l'appareil d'Etat
et aux soutiens traditionnels de la dictature en gardant à l'esprit
que certaines élites de l'
Estado Novo défendaient et
désiraient entreprendre une politique distincte voire opposée aux
fondements de l'idéologie salazariste.
L'arène des débats sur
l'émigration est constituée par les cabinets
ministériels, les secrétariats d'Etat, les travées de
l'
assembleia nacional et de la
câmara corporativa et
les différents organismes administratifs où
s'échangeaient des notes, des informations, des avis, des projets,
où s'échafaudaient des lois, des accords de main
d'oeuvre. Elle se trouve également dans ce que l'on ne peut
pas véritablement appeler l' «opinion
publique » dans le cas de l'
Estado Novo mais dont
certains avis étaient médiatisés
via les journaux,
nationaux et/ou régionaux et par des courriers adressés aux divers
organismes de l'Etat, ceux-ci allant de la
Junta da
emigração - organisme rattaché au ministère de
l'Intérieur et composé de représentants de plusieurs
ministères et services ayant des rapports avec les
phénomènes migratoires - jusqu'à la présidence
du Conseil.
Le long de la période étudiée, avec la césure
constituée par la mort politique de Salazar en août 1968, l'empreinte
conservatrice inspirant la politique migratoire de l'Etat portugais s'estompe
pour laisser place à l'optique modernisatrice. Cependant cette lecture
par trop linéaire ne doit pas occulter tout un jeu de vitrine machiavélique
opéré par Salazar qui donnait à voir une législation
conservatrice mais recevait les dividendes d'une politique modernisatrice
menée à pas cachés. A partir de documents issus des archives
des différents organismes gouvernementaux, nous tenterons de percevoir
au plus près les ambiguïtés d'une politique qui ne peut
se découvrir pour cause d'équilibres internes à préserver,
qui ne peut être rationnellement entreprise faute d'outils adéquats.
Enfin, nous verrons que l'évolution libéralisante impulsée
dans la gestion de l'émigration massive pendant l'ère de Marcelo
Caetano trouve largement ses racines dans les débats en cours dans
la dernière décennie du règne de Salazar.
Prises de décision
Les débats internes aux élites
gouvernementales, à propos de l'émigration comme de tout
autre thème, butaient, jusqu'en août 1968, sur le style de la
prise des décisions politiques lors du long règne de Salazar. Quoi
qu'il fut dit ou écrit, argumenté ou rétorqué,
la seule chose qui comptait était l'opinion et la décision
de Salazar
[6], si bien que
l'on observe plusieurs fois une importante dichotomie entre les avis des
fonctionnaires compétents et les décisions prises
in fine.
Or, Salazar est autant omnipotent que silencieux sur le thème de
l'émigration portugaise en France. Dans la dernière
décennie de sa dictature, l'ancien séminariste discourait
plus longuement sur le futur de l'Occident, le péril communiste,
sur le «lusotropicalisme », sur le Portugal
«multiracial et pluricontinental » que sur l'exode
vers la France de près d'un million de ses sujets à
l'aspect, selon un curé de la mission catholique portugaise de
Paris, de «récent-sortis d'un camp de
concentration »
[7].
Le thème est absent de ses propos compilés par la
Coimbra
editora[8] ; de
surcroît, dans, par exemple, sa correspondance avec Marcello Mathias,
ambassadeur du Portugal à Paris entre 1961 et
1969
[9], il évite de
faire de larges considérations sur le sujet, se bornant à
déplorer la grande activité des passeurs - sorte de
boucs-émissaires pour les élites salazaristes quant au
problème migratoire – qui encouraient le risque de peines de
prisons conséquentes mais fort peu scrupuleusement
appliquées
[10].
Pour reconstituer le processus de prise de
décision et identifier, au sein des différents organes de
l'Etat portugais, les différentes postures face au
phénomène migratoire, une note du 3 novembre 1967,
rédigée par António Manuel Baptista, président de la
Junta da emigração et destinée au ministre de
l'Intérieur Alfredo Santos Junior, est particulièrement
éclairante. Ce document expose la demande formulée par
l'Office National d'Immigration français de recrutement de
travailleurs portugais pour le dernier trimestre de l'année 1967 et
le premier trimestre de 1968, soit un contingent «de 1200
travailleurs, composé de 900
manoeuvres de
force[11], originaires
de zones rurales autant que possible, et de 300 travailleurs agricoles pour tous
les
services »
[12].
Afin de préparer une réponse, la
Junta de
emigraçõ
ão se
réunit. Divers avis s'expriment dans cette note, dont les logiques
renvoient au clivage modernisateur/conservateur tout autant qu'aux statuts
de ceux qui les énoncent. Le représentant du ministère des
Affaires étrangères «manifeste
l'intérêt qu'il y aurait à ne pas donner une
réponse totalement négative à la demande parce que
l'ambassade de France, en face des actuelles restrictions, se montre
réticente à la signature d'accords qui seraient de
l'intérêt du pays, accords relatifs à
l'assistance sociale et à son extension aux travailleurs portugais
du
Cap-Vert »
[13].
Le représentant du ministère de l'Outre-mer est favorable
à ce dernier point et, de ce fait, à toutes «les
mesures qui peuvent le
faciliter »
[14].
Le représentant du ministère des Corporations souhaite que
l'on satisfasse la demande française car,
raisonnant «en termes de marché de
l'emploi », il dit avoir «connaissance de
situations de chômage et de sous-emploi en certaines zones du
pays »
[15],
tandis que le représentant du ministère de l'Economie est
contre pour des raisons «économiques » non
consignées dans le document. Les représentants des autres
ministères et services (ministère de la Marine, ministère
des Travaux Publics, PIDE) restent muets. Le président de la
Junta da
emigração termine la note en donnant son opinion : il
est opposé à ce que la demande de l'ONI soit
acceptée. Son refus est notamment motivé par l'interdiction
d'émigrer aux travailleurs ruraux et aux ouvriers qui a
été édictée le 30 mai
1967
[16]. La
décision revient au ministre de l'Intérieur. Et celui-ci
tranche : «Face aux règles qui, pour des raisons
d'ordre supérieur, s'observent et devant la carence de
main-d'œuvre dans le secteur agricole, j'approuve l'avis
de la
Junta da
emigração »
[17],
c'est-à-dire de son président, soit le rejet de la demande
française. Derrière les «raisons d'ordre
supérieur », on devine l'ombre du président du
Conseil. Que ce document ait été retrouvé dans les archives
de Salazar est une preuve supplémentaire de son influence dans la
décision prise. Et, comme on le sait, Salazar contrôlait de
près le capital ministère de
l'Intérieur
[18].
La décision prise a un parfum kafkaïen. L'argument invoqué
pour justifier le refus est en totale contradiction avec l'avis du représentant
du ministère des Corporations pourtant censé être le mieux
placé pour connaître le marché du travail. D'ailleurs,
le terme de connaissance employé par lui, puis par le ministère
de l'Intérieur, révèle le caractère impressionniste
et fortement approximatif qui est à la base de la décision.
Cet exemple permet de distinguer deux traits fondamentaux dans les débats
sur l'émigration. En premier lieu, ces non-prises en compte du véritable
état du marché de l'emploi et l'importance donnée aux
impressions révèlent que ces décisions tenaient plus
de la manœuvre politique que de la gestion purement économique
(si elle existe). En second lieu, le champ laissé libre aux approximations
cognitives prouve la quasi-inexistence et/ou le non-emploi des outils de mesures
indispensables à la tenue d'un véritable débat sur l'émigration,
ce qui ouvre à l'hypothèse selon laquelle une politique migratoire
rationnelle et efficace, basée sur une connaissance précise
du marché de l'emploi, aurait été impossible car «anachronique
» : l'Etat ne possédait pas encore les éléments
statistiques adéquats et la vision portée sur la société
portugaise était largement archaïque. Les résistances politiques
et sociales contre l'industrialisation avaient, par ricochet, retardé
l'élaboration et la construction de tels outils statistiques qui auraient
permis de gérer rationnellement le marché du travail et l'émigration,
ou, à tout le moins, d'argumenter les choix..
Résistances
Si Salazar se passait de tâter le pouls de
la population
via de véritables élections et, plus
généralement, ne se préoccupait pas de l'opinion de
la majorité de cette population, il cherchait à aller dans le sens
des appuis sur lesquels reposait son pouvoir. Or, pendant les années
agitées consécutives à la campagne présidentielle du
général Humberto Delgado en
1958
[19], des appuis
traditionnels du régime montrèrent des signes plus
qu'évidents d'érosion, ébranlant le
statu
quo conçu par Salazar. D'un côté, les coups
d'éclats d'Humberto Delgado, de Henrique Galvão ou de
Júlio Botelho Moniz laissaient entrevoir des embarras croissants pour
Salazar dans ses relations avec les forces
armées
[20]. De
l'autre, les prises de position puis l'exil de
l'évêque de Porto révélaient la rupture
d'une partie de l'Eglise et de ses fidèles avec le
régime
[21].
D'obscurs nuages s'amoncelaient au-dessus du palais de São
Bento d'autant plus que les guerres coloniales avaient
éclaté et qu'une parcelle de l'Empire
pluri-séculaire avait été perdu face aux armées de
Nehru
[22].
Face à ces menaces de défection,
Salazar se dut de renforcer l'appui qui lui était offert par la
bourgeoisie agraire et les petits industriels. Le régime assurait
à ces derniers une relative prospérité en les
protégeant des concurrence internes et externes
via le
conditionnement industriel et des mesures protectionnistes et en leur
réservant une main d'œuvre abondante, docile, aux marges de
manoeuvre revendicatrice quasi inexistantes et peu
rémunérée
[23].
Or l'émigration massive rompt ce cercle vertueux pour ces milieux
conservateurs qui ne cessent de s'en plaindre, mettant en cause le
gouvernement. Leurs protestations face à l'émigration
s'adossèrent à un argumentaire visant à
préserver le Portugal rural et pluri-continental. La lettre
adressée, le 7 juin 1961, au ministre de l'Intérieur, par
José Pereira da Rocha, à la fois pharmacien, propriétaire
et président de la
Junta de freguesia de Paúl située
dans le concelho de Beira Baixa - en somme une bon représentant de
la bourgeoisie agraire conservatrice – atteste de l'articulation des
raisons politiques, économiques et idéologiques dans les
résistances face à l'émigration :
Permettez que, très
respectueusement, je dirige à Votre Excellence un appel afin que soit
contenu le terrible exode de travailleurs ruraux vers l'étranger,
spécialement vers la France.
Dans toute la province on lutte
déjà avec un manque de bras, non seulement de travailleurs
agricoles mais aussi d'artistes de la construction civile, principalement
des charpentiers et des maçons.
En tant que petit propriétaire,
vivant dans cette région depuis plus de 30 ans, je sens le
problème dans toute son acuité, ayant des difficultés
à trouver du personnel, et, comme moi, des centaines et des centaines de
producteurs luttent avec les mêmes difficultés. La clameur est
générale.
Et car j'occupe aussi, pour le bien
de la Nation, la modeste charge de president de la Junta de Freguesia
locale, je connais la quantité d'hommes valides qui sont sortis et
essaient de sortir vers l'étranger, la même chose arrivant
dans d'autres villages.
Nous traversons une heure
exceptionnellement grave, avec les événements de l'Angola,
dans lesquels « tous nous ne sommes pas assez » pour
défendre le Portugal, notre patrimoine d'outre-mer, des attaques de
nos ennemis. Nous devons lutter sur tous les fronts, par tous les moyens en
notre possession et avec l'ardeur de notre inébranlable foi dans
les destins éternels de notre Patrie et, en cette heure difficile, la
sortie vers l'étranger de tant de centaines ( peut être des
milliers !) d'hommes valides, pourra non seulement compromettre
l'équilibre économique de la nation par la diminution de la
production comme sa propre défense.
Sans doute serait-il beaucoup plus utile
que, au lieu d'émigrer vers l'étranger, ces hommes
valides partent vers notre
Outremer »
[24]
Selon l'auteur de la lettre,
l'émigration vers la France se fait au détriment du maintien
des provinces d'outre-mer. Outre le dépérissement de
l'agriculture, cet argument est la principale corde sur laquelle jouent
les élites rurales. Les émigrants en France sont dépeints
comme des traîtres. Autant ceux qui émigraient afin
d'échapper au service militaire qui, pour cause de guerres
coloniales, s'allongeait à 4 ou 5 années (dont une partie
sur l'un des fronts africains), que ceux qui, bien que ne
s'étant pas soustraits à leur devoir patriotique, ne
participaient pas au peuplement – blanc – des provinces africaines,
étaient considérés comme des
traîtres.
Tant et si bien que, dans l'optique
conservatrice, les émigrants portugais se dirigeant vers France
étaient quasiment «perdus » pour le Portugal.
Selon eux, pas plus qu'ils ne contribuaient à la politique
coloniale (en revanche, il n'échappait ni aux modernisateurs ni
à Salazar que les envois d'argent soutenaient le financement des
coûteuses guerres coloniales), ils ne s'inséraient dans les
épopées des Grandes Découvertes magnifiées par le
régime salazariste. Difficile d'affilier ces rudes paysans de
l'intérieur portugais aux colons d'antan qui
«donnèrent de nouveaux mondes à
l'Europe ». En France, ils ne construisaient pas un nouveau
pays intimement lié à la métropole comme dans le cas du
Brésil, ancien réceptacle des vagues d'émigration.
Même si pour les conservateurs, la France représentait la patrie de
grands penseurs comme Charles Maurras ou Maurice Barrès dont Salazar
appréciait les oeuvres et recevait fréquemment les descendants
spirituels (Jacques Ploncard d'Assac ou Henri
Massis
[25]), elle leur
apparaissait surtout comme l'horrible berceau de la Révolution
française, de la modernité et de tous les maux dont le venin
était à même de contaminer les âmes pures et les
esprits a-critiques de leurs compatriotes qui, innocemment, souilleraient, lors
de leurs vacances ou éventuels retours définitifs, leurs terres
natales. De même, ce plébiscite populaire que pouvait constituer
l'émigration en faveur de l'intégration du Portugal
dans un espace européen ne pouvait être admis par ces
panégyristes du «Portugal du Minho à
Timor ».
Le secteur agricole n'eut pas
l'exclusivité des clameurs contre l'émigration. Les
industriels, surtout ceux du nord du pays, qui employaient une main
d'oeuvre rurale qui pratiquait la poli-activité – travaillant
dans de petites et moyennes usines implantées en milieu rural tout en
continuant de cultiver des terres – émirent également de
fortes réticences. Soutenus par le régime qui les
protégeaient des concurrences internes et externes et les assuraient
d'une main d'œuvre abondante et peu chère et leur
offrait en outre les débouchés des provinces africaines où,
paisiblement, ils pouvaient écouler leurs marchandises, ces industriels
s'insurgèrent contre la départ de
«leur » main d'œuvre et la disparition du
réservoir de population qui tendait à maintenir la faiblesse des
salaires. Ces facilités confortèrent l'inertie et la
dépendance infantile à l'égard de l'Etat de
l'industrie portugaise qui ne cherchait alors pas, à
l'exception de rares cas, à moderniser son appareil productif, ou
à améliorer ses taux de
productivité
[26].
L'émigration et ses effets les secoua donc rudement.
Délibérément aveugles ou incapables de comprendre les
causes profondes du phénomène et peu préparés ou
disposés à accepter ses conséquences, certains de ces
industriels se retournèrent contre l'Etat portugais qu'ils
accusaient de privilégier les salariés. Ainsi firent, par exemple,
des industriels de Braga, dans une lettre du 30 juillet 1964 :
«On ne peut pas seulement penser aux droits légitimes des
travailleurs qui veulent émigrer désirant une vie meilleure (et
nous savons que, finalement, ils trouvent dans les lieux où ils
émigrent un pain plus amer que celui dont ils disposaient dans leurs
terres) car il est indispensable de penser également aux droits de ceux
qui restent et dont la sécurité du travail peut être
très
affectée »
[27].
Réfractaires à toute autocritique, ces industriels
délégitiment même les migrants car, selon eux, ces derniers
ne trouvent pas de meilleurs conditions de vie à l'étranger.
D'autres emploient des arguments plus fins, prétendant que les
départs massifs empêchent la jeune industrie portugaise de
s'épanouir et de s'aguerrir en vue d'une
intégration plus étroite avec les autres économies.
L'émigration apparaît donc, aux yeux des élites
conservatrices rurales, agricoles comme industrielles, comme néfaste,
ferment de désagrégation de leur relative
prospérité.
«O que parece
é »
[28]
Malgré la mauvaise foi, la défense
de leurs intérêts et la volonté de maintenir, avant tout, le
statu quo économique et social, l'avis de ce
lobby
conservateur à propos de l'émigration est fondamental
politiquement pour Salazar. Même si
a posteriori de multiples
études démontrent que le Portugal a pris le chemin de la
croissance économique – ce qui allait de pair avec la mise en
concurrence accrue des entreprises et, pour survivre, la modernisation
forcée de l'appareil productif, etc. - dès la fin des
années 1950, Salazar continuait de soutenir officiellement ces
résistances. L'importance prêtée aux protestations des
conservateurs est facilement décelable dans les
archives
[29]. Par exemple,
en juillet 1964, un nommé Albano Rebelo envoie un
télégramme lapidaire au ministre de l'Economie depuis Arouca
dans lequel il affirme : “le signataire propriétaire proteste
contre politique suvie gouvernement émigration laissant
propriétaires sans métayers cultivant terres et payant plus
contributions(.) politique suivie cause ruine agriculture et porte
préjudice économie nationale (.) responsable seulement
gouvernement (.) Albano
Rebelo”
[30]. Cette
critique frontale n'est ni archivée (et rapidement oubliée)
ni retransmise à la PIDE pour enquêter sur ce trublion osant
critiquer le gouvernement de la Nation. Au contraire, l'administration se
met en branle afin d'éclairer ce propriétaire
mécontent. Le ministère de l'Economie adresse ce
télégramme au ministère de l'Intérieur qui le
transmet à la
Junta da emigração. Celle-ci,
malgré le surplus de travail inhérent à
l'augmentation exponentielle des candidatures à
l'émigration, s'affaire à rédiger une note
justifiant la politique migratoire du gouvernement
portugais
[31]. Elle
explique, avec de savants tableaux, que l'émigration légale
dans la région d'Arouca se déroule par le biais de cartes
d'appel envoyées par des Portugais implantés au
Brésil et, de façon temporaire, vers la France, pour la culture de
la betterave. Elle précise, avec force graphiques, que ces départs
n'amputent pas la croissance «naturelle » de la
population. L'émigration légale, selon cette note,
n'absorbe que 62,4% du solde physiologique en 1958, 48,2% en 1959, 37,6%
en 1960, 53% en 1961, 51,5% en 1962. Ainsi, si Arouca se dépeuple –
49 personnes de perdues entre les recensements de 1950 et 1960 –, ce
n'est point la faute des départs autorisés par l'Etat.
Nous approfondirons plus loin l'argumentaire autour des soldes
physiologiques dont la logique sous-jacente, imbue de pensée
mercantiliste, est fondamentale pour la compréhension des apories de la
politique migratoire. On voit déjà par cette note, la
stratégie utilisée par Salazar : le gouvernement portugais
n'a aucune responsabilité dans l'ampleur de
l'émigration. Elle se fait, selon lui, malgré lui, sous
forme clandestine. Le gouvernement se sert donc de l'émigration
clandestine pour se dédouaner de toute responsabilité dans le
départ des émigrants. Il se limite à minimiser
l'ampleur de l'émigration légale, avec une
législation particulièrement restrictive, où la
responsabilité du gouvernement est engagée. La
clandestinité, en partie sciemment favorisée, permet au
gouvernement de percevoir les bienfaits de l'émigration. Car ce
n'est pas à Salazar que l'on allait apprendre les avantages
de l'émigration tant au niveau politique – soupape de
sécurité désamorçant les tensions politiques et
sociales dues au «chômage », au sous-emploi,
à la misère, etc. – et économique grâce
aux «
remessas » des émigrants qui
permettaient d'équilibrer la balance de paiement. Salazar, ancien
professeur d'économie politique à l'université
de Coimbra, n'avait-il pas écrit en 1916 dans son ouvrage
O
Ágio do Ouro que les émigrants portugais au Brésil
«étaient pour leur pays d'origine une
richesse »
[32] ?
Bien que Salazar-professeur et Salazar-président du Conseil ne
développaient et n'appliquaient pas toujours les mêmes
idées
[33], on ne
peut croire qu'il n'ait pas utilisé les bienfaits de
l'émigration même si, toutefois, il en redoutait les
conséquences politiques à moyen et long termes,
c'est-à-dire une démocratisation du Portugal. En effet, dans la
vision salazariste, chaque émigrant se transformait en
révolutionnaire potentiel. Non pas dans le sens où il aurait
lu
O
Avante ![34]
et se serait converti en opposant au régime mais dans le sens
où, ayant fait un apprentissage de la démocratie,
s'étant enrichi, ayant découvert un véritable
Etat-providence, il ne manquerait pas lors de ces vacances annuelles dans sa
terre natale, d'ouvrir le Portugal à l'Europe et de montrer
à ceux qui étaient restés combien ils étaient
rustres et combien les divagations des élites salazaristes contre la
démocratie étaient infondées. De même Salazar
n'avait pas manqué de percevoir que le développement
économique du pays rendait peu viable la dictature qui ne subsistait, en
partie, que grâce à l'arriération. L'apparition
d'une classe moyenne importante, la multiplication des échanges
internationaux sonneraient tôt au tard le glas de l'
Estado
Novo. Cependant, percevoir les risques permettait de mieux les contrer.
L'émigration clandestine a ainsi été une arme, tout
comme l'encadrement et la surveillance, permettant de restreindre les
risques de politisation des Portugais en France. Un clandestin n'est-il
pas plus vulnérable face aux Etats, plus enclin à éviter
tout contact et activité risquant de briser sa stratégie
migratoire qui repose sur un travail et des économies intensifs afin de,
plus ou moins rapidement, plus ou moins mythiquement, retourner au
Portugal ?
Suivant son adage «en politique, ce
qui paraît existe », Salazar a instrumentalisé
l'émigration clandestine. En restreignant l'émigration
légale tout en régularisant
a posteriori les migrants
partis clandestinement - ce qui incitait les Portugais à imiter ceux qui
étaient déjà partis, sachant que leur retour serait
possible à la prochaine amnistie -, Salazar, tout en feignant
d'assurer, aux milieux conservateurs, son appui inconditionnel,
recueillait le fruit du labeur des Portugais en France qui, au prix de multiples
sacrifices, envoyaient tout ce qu'ils pouvaient à leurs familles.
Il dépassait ainsi ingénieusement le clivage posé en
introduction entre défenseurs et opposants à une
libéralisation de l'émigration. Il conservait la
fidélité des premiers et obtenait les dividendes attendus par les
seconds (modernisation accélérée, afflux d'argent).
Les lois criminalisant l'émigration
clandestine
[35] et la
soi-disant répression implacable des passeurs, dont la couverture
journalistique était largement manipulée par les autorités
politiques, participaient largement de ce jeu de vitrine. Si Salazar avait
été vraiment opposé à l'émigration, les
lois sur les clandestins auraient été effectivement
appliquées, les réseaux de passeurs plus effrayés de ce
qu'ils ne
l'étaient
[36]
et le gouvernement n'aurait pas, annuellement,
décrété des amnisties qui
de facto encourageaient
l'émigration clandestine et régularisaient
a
posteriori les clandestins.
Le télégramme de protestation
d'Albano Rebelo envoyé au ministère de l'Economie,
lequel n'avait pas de responsabilité particulière dans la
gestion de l'émigration, corrobore l'idée de
l' “inavouable dysfonction nationale »
avancée par António José
Telo
[37]. Selon cet auteur,
certaines dysfonctions essentielles dans la position du Portugal au sein du
système international doivent être tues par les dirigeants
même s'ils en tiennent compte dans leurs actions gouvernementales.
Car «quand un homme politique, même des plus habiles, oublie
cette dichotomie entre l'action réelle et celle exprimée
dans le discours vendu pour la consommation interne, le résultat est sa
chute »
[38].
Ici, c'est la position semi-périphérique du
Portugal
[39], sa
dépendance économique et financière et l'
inéluctabilité de l'émigration que les hommes
politiques ne peuvent énoncer. Or, à l'inverse de Salazar,
le jeune économiste Luis Maria Teixeira Pinto, ministre de
l'Economie entre 1962 et 1965, dont les projets allaient à
l'encontre des courants conservateurs qui auraient provoqué son
départ en 1965
[40],
ne respecte pas ce principe vital. Lors d'une conférence de presse
en 1964, il déclare qu'il ne pense pas que
l'émigration, «en dépit de sa
gravité, soit de nature, sur le plan national, à poser de
sérieuses difficultés. En effet, c'est de la
main-d'œuvre qualifiée que le pays a
besoin »
[41]. Ce
type de diagnostic, en inadéquation avec la pensée empreinte de
mercantilisme et de nationalisme véhiculée par les milieux
conservateurs, semble avoir été à l'origine des
protestations de ceux-ci. Salazar, au contraire, assimila ce principe du
silence bienfaisant - son pouvoir pendant 40 ans n'en découle-t-il
pas en partie ? – : comme on l'a dit, il n'évoqua
jamais l'émigration massive des années 1960 et
a
fortiori ne la présenta pas comme l'instrument indispensable
à l'équilibre de la balance des paiements. L'entretien
concédé à la revue
International Affairs en 1963
montre à quel point le dictateur était maître dans le jeu de
l'évitement discursif de la dysfonction nationale. Constatant la
pauvreté du sous-sol portugais, l'âpreté du climat et
les accidents orographiques, il avance que «comme
l'agriculture ne peut ni absorber l'excédent annuel de
main-d'œuvre, ni même subvenir de façon raisonnable aux
besoins de sa propre main-d'œuvre, l'industrialisation du pays
s'impose [...]. Notre plan de développement, en cours
d'exécution, prévoit la migration, jusqu'en 1964,
d'une partie de la population du pays dans l'industrie, le commerce
et les prestations de services ; nous devons y créer, au cours de
chacune des années à venir, 40 à 45 000 emplois nouveaux.
Nous atteindrons un point d'équilibre quasiment idéal,
semble-t-il, lorsque l'agriculture n'occupera pas plus de 30 % de la
population
active »
[42].
Tournant définitivement les pages des contes oniriques du Portugal
agraire «vivant habituellement », reconnaissant
l'impossibilité que l'agriculture nourrisse toutes les
bouches et la nécessité de l'industrialisation, Salazar ne
confesse cependant pas l'émigration comme outil de
régulation du développement économique et social. Plus
frappant, il n'esquisse pas ouvertement l'idée du peuplement
des provinces d'Outre-mer, argument pourtant martelé par les
milieux conservateurs. Toutes mentions à l'émigration sont
donc soigneusement évitées afin de mieux préserver
l'appui des milieux conservateurs même, et surtout, si la politique
menée va à l'encontre de leurs intérêts. Et si
Salazar utilise le terme de migration, il ne lui donne toutefois pas de
connotation spatiale. Accepter la fin d'un Portugal vivant majoritairement
de l'agriculture ne signifie pas qu'il accepte le
dépeuplement des campagnes, l'exode rural et les concentrations de
salariés-prolétaires dans les villes et les éventuels
troubles socio-économiques que ce processus
implique
[43]. Il
prétend vouloir inscrire l'industrie dans le milieu rural afin que
les Portugais ne perdent pas les valeurs prônées par le
salazarisme : la famille, la religion, la morale. Dans les travées
de l'Assemblée nationale, une des panacées contre
l'émigration consiste à créer des
«industries » dans les campagnes afin d'y fixer la
population : «d'une distribution du travail
équilibrée sur tout le territoire du pays dépend
l'équilibre démographique de cette population et
l'annulation, ou au moins la réduction, des inconvénients
graves que représentent l'émigration et même la
concentration autour des grands centres
urbains »
[44].
Ce projet, empreint de la pensée leplaysienne qui a influencé
Salazar et les élites de l'
Estado
Novo[45], a, en partie,
été réalisé. Les industries implantées
à la campagne – surtout dans le nord du pays (Val do Ave) - ont
ainsi concilié agriculture et industrie, évitant la
«désaffiliation », le paupérisme et
atténuant les troubles sociaux et politiques. Un autre vieux projet,
visant à inscrire la population dans les campagnes, resurgit afin
d'éviter l'émigration : le remembrement rural.
Malgré plusieurs
échecs
[46],
l'idée de redessiner les limites des terres agricoles et de
favoriser la multiplication de propriétés familiales
réapparaît à l'orée des années
1960 et est ainsi défendue : «effectivement, je
suis de ceux qui pensent qu'il[le remembrement] peut être un
élément de la plus haute importance pour la valorisation de notre
agriculture ; pour l'application de nouvelles méthodes ;
pour l'augmentation du rendement du capital
«fundiário », aujourd'hui
relégué à des valeurs extraordinairement basses ; pour
une amélioration des conditions de vie de ceux qui travaillent la terre
et, aussi pour, dans certaines régions, s'opposer à
l'exode rural et faire face à la croissante pauvreté des
bras, déterminée par l'industrialisation progressive et par
l'émigration
constante »
[47].
Bureaucratie, statistiques et archaïsmes
Prétendre gérer réellement
et efficacement l'émigration, couplant ce phénomène
avec l'état du marché de l'emploi, impose de pouvoir
connaître les taux de chômage, du sous-emploi, la situation et les
besoins du marché de l'emploi dans les différentes
régions du pays et dans les divers secteurs d'activités. Or
rien de cela n'est possible voire pensable. Le Portugal des années
1960 ne possède pas l'appareil statistique indispensable ; la
société, les rapports face au travail, le système de
possession des terres ne se prêtent pas à une connaissance pointue.
Certes plusieurs auteurs évoquent un chômage rural ou un
sous-emploi important au détour de leurs études mais sans
qu'aucun chiffre fiable ne puisse être avancé. Par exemple,
ni Adérito Sedas
Nunes
[48] ni Carlos Almeida
et António
Barreto
[49] ne
présentent les chiffres du chômage alors qu'ils utilisent,
dans de nombreux tableaux, des données sur les évolutions de la
société portugaise des années 1960. Il ne s'agit pas
ici de prétendre que ce qu'
a posteriori nous qualifions de
chômage – c'est-à-dire
grosso modo des personnes en
âge de travailler privées de travail et en cherchant un –
n'existait pas. Nous désirons seulement émettre
l'idée que l'Etat portugais ne possédait aucune
statistique précise du chômage – surtout dans les
régions les plus arriérées où sévissait
l'exode rural - sur laquelle il aurait pu, s'il le désirait,
s'appuyer pour gérer rationnellement l'émigration et
éviter les contradictions décrites auparavant.
Deux causes principales expliquent cet
«impensable chômage », concept qui, loin
d'être un donné objectif, a connu en France, Grande-Bretagne
et aux Etats-Unis, une longue et difficile
construction
[50]. En
premier lieu, les élites conservatrices ont une vision nationaliste,
organiciste et mercantiliste de la société. Pour elles, la notion
de chômage signifie peu de choses. Quoi qu'il fasse, un homme est,
dans son essence, une richesse qu'il faut conserver. Plus le pays est
peuplé, plus il est riche. Plus la population est nombreuse, plus les
rémunérations à octroyer sont faibles ; la
clientèle est accrue et, en conséquence, le pouvoir politique,
économique et symbolique renforcé. Pensée comme un corps,
la Nation ressent comme une amputation, comme une perte de sang, le
départ de certains de ses membres : les conservateurs filent les
métaphores corporelles. Par exemple, Aguedo de Oliveira, à
l'assemblée nationale, le 6 mars 1968, évoque
l'émigration comme «une transfusion de sang qui
anémiait profondément le corps social d'origine et allait
vivifier les terres nouvelles du
globe »
[51]. La
note de la
Junta da emigração rédigée en
réponse au télégramme d'Albano Rebelo relève
également de cette vision de la société : elle
n'indique que l'accroissement naturel de la population et non pas la
répartition par professions ou secteurs d'activités. Peu
importe ce qu'elle fait ou produit, la population ne vaut que par son
nombre. Pierre Rosanvallon a montré que c'est l'apanage de
l'Etat protecteur de représenter les sociétés comme
un corps et de refuser de la «concevoir sous le mode du
marché »
[52]comme
dans le cas de l'Etat-providence. Effectivement, en second lieu, le
chômage, lié au salariat, est encore anachronique et
«impensable » dans le Portugal des années
1958-1974
[53] car les
rapports au travail sont encore bien trop archaïques. Et cela, plus
précisément, dans le Portugal intérieur qui,
d'après la division de la société portugaise des
années 1960 opérée par Adérito Sedas Nunes,
perpétue ses traditions, perd sa population et creuse
l'écart qui le sépare des régions littorales en voie
de modernisation
accélérée
[54].
Comment extraire les chiffres du chômage si, en 1960, dans les
régions rurales d'où sortent la majorité des
émigrés vers la France, comme par exemple, Aveiro, Braga, Viana do
Castelo, on ne décompte dans les professions agricoles que 37%, 35% et
20% de salariés et encore 52%, 58% et 78 % de travailleurs familiaux non
salariés
[55] ?
Ces chiffres révèlent que ces régions pourvoyeuses
d'hommes sont encore des sociétés paysannes telles
qu'elles sont définies par Henri
Mendras
[56] : le
travail non salarié domine et donc le
«chômage » y est impensable. Certes on peut parler
de surpopulation ou d'excédents de population quand la population
croît plus vite, dans un milieu naturel donné, que les technologies
utilisées pour exploiter la terre. C'est ce constat que fait
Salazar en 1963 à la revue
International Affairs, mais il ne
repose que sur des données fort approximatives qui, comme dans la
réponse à la demande par l'ONI de travailleurs portugais,
peuvent être facilement niées et instrumentalisées. Les
élites rurales, elles, n'admettent pas cette idée de
surpopulation. Dès l'aube de la décennie 1960 où
l'émigration n'est qu'à son début, elles
ne cessent de pointer le vide des campagnes.
Peu sollicité par le pouvoir politique qui
préférait, dans ses prises de décision politique (aux
fonctions ostentatoires), suivre – et rassurer - les opinions alarmistes
des élites conservatrices, l'appareil statistique semble
s'être peu perfectionné. Marcello Caetano reconnaissait que
le Portugal avait le «pire service statistique de
l'Europe »
[57].
Pour le chômage, ce n'est qu'en 1975, quand celui-ci est
institué - on reconnaît alors un état de recherche de
travail donnant droit à une indemnité - que l'on obtient des
chiffres
[58]. Les services
publics d'emploi créés précédemment (
Fundo
de desemprego,
Fundo de desenvolvimento da mão de obra,
Serviço nacional do Emprego) étaient dans
l'impossibilité d'avancer des chiffres nationaux car ils ne
traitaient que des emplois salariés. Par exemple, le
Fundo do
Desenvolvimento da Mão de Obra ne protégeait, dans ses textes,
que le chômage technique c'est-à-dire dû à
«la réorganisation industrielle du
pays »
[59].
Autant dire que cet organisme s'attachait peu à connaître le
chômage et le sous-emploi des campagnes arriérées
portugaises aux habitudes séculaires.
Le retard dans les décomptes du
chômage et dans son indemnisation, est dû, outre les arguments
déjà avancés, au fait que le pouvoir politique n'a
jamais redouté, dans le nord du pays, les effets du manque d'emploi
ou de sous-emploi. Au nord du Tejo, dans la «zone de
l'agriculture
familiale »
[60],
les solidarités familiales, l'économie de subsistance
et évidemment l'émigration avec ses
«
remessas » constituaient de puissantes soupapes
de sécurité. Cela n'était pas le cas du Sud (de
l'Alentejo surtout), où la prédominance du système
latifundiaire, avec ses milliers de salariés agricoles, faisait craindre
des jacqueries aux moindres «crises du travail ». En
conséquence, des politiques de travaux publics étaient entreprises
dans le sud alors que dans le nord, on laissait la
««société-civile providence
forte »
[61]
jouer son rôle.
Aujourd'hui encore, les chercheurs butent
sur l'obstacle posé par le manque de statistiques fiables dans les
études sur le
Portugal
[62].
Difficulté accrue dans les études sur l'émigration
étant donné l'importance du phénomène
clandestin
[63].
D'ailleurs ce dernier facteur rendait impossible toute politique
d'émigration rationnelle. Les migrants, forcés à
utiliser les voies clandestines à cause de la législation et
préférant privilégier les solidarités familiales et
villageoises, évitant ainsi les ingérences étatiques, se
sont, en grande partie, soustraits à toute sélection rationnelle.
La lacune statistique dans le décompte du
«chômage » et du sous-emploi s'explique donc,
en grande partie, par l'archaïsme des schémas de
pensées dominants dans certaines élites et par l'état
de la société elle-même. Or, comme Christian Topalov
l'avance, «la statistique n'est pas un simple moyen
d'observation mais contribue à produire son propre objet en
construisant les faits qu'elle est censée
mesurer »
[64].
C'est sans doute pourquoi, afin aussi d'éviter que les
impressions approximatives ne fondent la gestion de l'émigration,
des fonctionnaires modernisateurs, que l'on retrouve principalement au
ministère des Corporations et de la prévoyance sociale,
tentèrent de forger des outils statistiques adéquats. Ainsi, ils
purent construire les soubassements nécessaires à une gestion de
l'émigration couplée au marché de l'emploi et,
plus globalement, à une politique de modernisation du pays. Comme
Geneviève Rieucau l'a décrit dans les cas espagnols et
italiens
[65], la
codification de la population surnuméraire liée aux secteurs
traditionnels disponible, soit pour la migration vers l'industrie ou les
services, soit vers l'émigration, permet l'émergence
du salariat. Au Portugal, sans aucun doute, ce processus a également
été à l'œuvre. La construction des outils
statistiques quantifiant les éventuels surnuméraires sous-entend
une rationalisation du marché de l'emploi, l'instauration de
nouvelles catégories et, en somme, constitue une contribution
indispensable à la modernisation socio-économique du pays. Les
conservateurs, eux, avec leur argumentaire sur le dépeuplement des
campagnes et/ou la volonté de peupler les provinces africaines minorent
les notions d'excédents de population et prétendent les
réinscrire dans les structures traditionnelles (agriculture surtout),
refusant ainsi d'admettre qu'elles sont disponibles soit pour
l'industrie, les services ou l'émigration.
Mário Murteira fut un des fonctionnaires,
formé à
l'Université
[66]
qui, loin des rêves agraires de Salazar ou des politiques pragmatiques
visant à maintenir l'équilibre politique, était
«dans le régime politique, pour le critiquer indirectement,
mais avec chaque fois plus de
virulence »
[67].
Chef de la division de l'emploi au ministère des Corporations, il
se montre, selon l'ambassadeur français au Portugal,
«fort compréhensif à l'égard de notre
mission de
l'ONI »
[68].
Lors de la commission d'étude des problèmes de
l'émigration de 1964-1965, dans laquelle il représente le
ministère des
Corporations
[69], il
propose de coupler la politique d'émigration au marché de
l'emploi : il constate « la tendance dominante des pays
étrangers à intégrer les services d'émigration
dans les ministères du
travail »
[70].
Or, au Portugal, bien qu'un fond de développement de la main
d'œuvre ait été récemment créé
(lequel, comme la
Junta da emigração, ne peut mener
à bien ses tâches faute de dotations budgétaires), une
politique migratoire coordonnée à l'emploi est impossible.
Le responsable du ministre de l'Economie ajoute, dans cette même
commission, que, ne sachant pas la politique à suivre dans le secteur
agricole («quand et dans quels termes veut-on réaliser la
modernisation de
l'agriculture »
[71]),
la planification d'une politique d'émigration est difficile.
Les diverses propositions faites lors des débats de la commission
n'aboutissent donc qu'à une apparente modernisation de la
politique d'émigration. La résolution du conseil des
ministres du 14 janvier 1965 sur l'émigration annonce qu'il
«sera créé et mis en fonctionnement le plus rapidement
possible, un service national d'emploi prévu dans le plan
intercalaire de développement, à qui il compètera, dans les
termes à établir dans le diplôme respectif,
d'exécuter la politique définie dans le numéro
supérieur[lier politique d'émigration et politique de
l'emploi] et d'articuler avec les services de peuplement en rapport
avec l'outremer portugais, qui, pour l'effet, devront avoir dans ce
service une représentation
adéquate »
[72].
L'extrait de ce document signé par Salazar constitue un exercice de
style singulier : admettant le couplage emploi/émigration, il
cherche toutefois à donner la priorité à l'un des
desseins conservateurs, la politique de peuplement de l'outre-mer.
Cependant, ces concessions aux idées modernisatrices ne sont que des
promesses sans grand lendemain : elles ne seront peu ou pas
appliquées. Pour preuve, bien que le
serviço nacional de
emprego ait été créé par le décret-loi
n°46 731 du 9 décembre 1965, il ne remplit que très
partiellement ses prérogatives ; un arrêt du 3 juin 1969 du
ministre d'Etat de la présidence du Conseil tente ainsi, quatre
années plus tard, de le faire entièrement fonctionner. De plus,
à chaque discours d'investiture, les nouveaux secrétaires
nationaux à l'émigration ne cessent de réclamer une
liaison plus étroite entre le
Serviço nacional do Emprego
et leur propre
structure
[73]. Ces
aléas éclairent le
quiproquo décrit plus haut avec
la demande formulée par l'ONI. L'Etat portugais se montrait
délibérément incapable de compter et de diriger ses
«excédents de population » dont certaines parties
– et d'autres, ne relevant pas de l'excédent des
excédents - était candidate à l'émigration.
Salazar préférait être placé devant le fait accompli
plutôt que d'impulser donc de contrôler, avec les risques
politiques inhérents, les évolutions qui étaient, par
ailleurs, prônées comme indispensables.
Le tournant marcelliste
Le tournant marcelliste
Les protestations citées, que l'on
pourrait multiplier à l'envi tout comme leurs échos dans les
organismes les plus conservateurs de l'appareil d'Etat tels le
ministère de l'Intérieur ou la PIDE, datent de 1961 et 1964,
années où l'émigration est loin d'avoir atteint
son apogée (ce que ne savaient évidemment pas les protagonistes).
Ces clameurs sont les derniers chants du cygne conservateur, des tenants
d'un Portugal archaïsant, tourné vers l'Afrique, qui
continue à crier sachant que Salazar est sensible à ses
lamentations. Même si, à l'intérieur de l'Etat,
beaucoup rejettent les principaux postulats de ces contestations, la gestion
migratoire se fait l'écho des voix conservatrices. Ceci n'est
plus le cas avec Marcello Caetano. Dès son arrivée en 1968, il
revendiqua la rupture avec l'optique visant à restreindre
l'émigration légale. Au journal français de droite
L'Aurore, il affirmait : «Mais là non plus,
je ne suis pas de l'avis du Dr Salazar, qui pensait pouvoir empêcher
cette émigration. Moi, je n'imposerai plus de contraintes et vous
pouvez annoncer que, bientôt, chacun pourra sortir librement de ce pays.
Tous ceux qui le demanderont recevront un
passeport »
[74].
Le nouveau président du Conseil semble sous-estimer la ruse et le jeu de
vitrine opérés par son prédécesseur même si,
indéniablement, il accomplit une libéralisation certaine de
l'émigration. Dès 1969, l'émigration
clandestine n'est plus considérée comme un crime sauf dans
le cas des insoumis, des réfractaires et des déserteurs – si
la modernisation du pays est acceptée, la crispation sur les provinces
d'outre-mer est patente dans cette
exception
[75]. Un accord
d'émigration est signé avec la France en 1971,
remplaçant celui déjà paraphé en 1963 mais qui,
étant donné les retards, complications et autres mesures
exceptionnelles prévues pour empêcher sa bonne application,
était quasiment enterré dès 1967. Prévoyant la venue
en France d'un quota annuel maximum de 65000 Portugais, l'accord
prouvait l'acceptation non seulement de l'émigration mais
aussi de son ampleur. Par ailleurs, dès 1970, la
Junta da
emigração est dissoute et remplacée par le
Serviço nacional da emigração, rattaché
à la présidence du Conseil puis au ministère des
Corporations et de la prévoyance
sociale
[76].
Désormais découplée du ministère de
l'Intérieur (et donc
a priori d'une vision
répressive) et liée au marché de
l'emploi
[77],
l'émigration peut être, théoriquement,
gérée efficacement en fonction des données
économiques ( mais pas nécessairement en fonction du
bien-être, des besoins et des envies de la population) et
bénéficier de la mise en route différée de
l'organisme chargé de la connaissance du marché de
l'emploi. Cependant, la libéralisation de l'émigration
ne se produisit pas pour cause de la fixation de la dictature sur les provinces
africaines. Si le gouvernement se passait de ses paysans, il voulait garder ses
soldats. Ainsi, une proportion encore considérable de
l'émigration vers la France se déroula de forme clandestine.
Il faut néanmoins avoir à l'esprit que la permanence du
phénomène clandestin s'explique également par les
stratégies migratoires des Portugais qui tentent d'éviter
les ingérences des Etats dans leur mouvements et le fort
«push » créé par les pratiques de
régularisation du gouvernement
français
[78].
Ces évolutions socio-économiques
– dans la continuité de la politique coloniale –
s'expliquent par le renversement d'appuis opéré par
Caetano. Délaissant les conservateurs, Caetano cherche à se gagner
l'ensemble de la population. Ce fut l'ère du
«Salazar souriant » expliquant ses choix à la
télévision
[79],
cherchant à ébaucher l'esquisse d'un Etat-providence
baptisé Etat social, voulant sortir de la misère la population
rurale et multipliant les bains de foules considérés comme autant
de plébiscites. Outre les fortes motivations économiques et
sociales, libéraliser l'émigration s'insère
dans cette volonté de s'attacher les faveurs populaires et de se
détacher de la figure de Salazar qui apparaissait comme celui qui
empêchait ceux qui le désiraient de partir
(légalement).
Le développement économique
assumé, Caetano lâcha la bride aux jeunes loups modernisateurs
muselés quelques années auparavant par Salazar. Certains comme
Rogério Martins, secrétaire d'Etat à
l'industrie, ou Vasco Leonidas, secrétaire d'Etat à
l'agriculture, se répandirent en considérations qui,
quelques années auparavant, auraient fait pâlir les élites
conservatrices. Ce dernier, par exemple, voyait, là où tous
décelaient une profonde crise de l'agriculture deux ans avant, une
mutation nécessaire et
in fine bénéfique de
l'agriculture et jugeait le départ de la main d'œuvre
rurale comme une aubaine. Il présentait l'émigration
à la
Federação dos grémios da Lavoura de
entre Douro e Minho comme «un facteur de
valorisation, grâce à la permanence d'entrepreneurs et
ouvriers agricoles suffisamment préparés pour mener à bien
les travaux complexes exigés par la modernisation et la rénovation
permanente d'une agriculture en
transformation”
[80].
Bien que ce type de discours reste vague sur la destination des
“excédents” du secteur traditionnel (on continue
jusqu'au 25 avril 1974 de présenter les provinces d'outre-mer
comme les destinations privilégiées) et qu'il ait pu
être tenu par certains modernisateurs du temps de Salazar, il n'est
plus marginalisé et, ceux qui s'en font les porteurs ne sont plus,
comme ce fut le cas de Luis Maria Teixeira Pinto, rapidement
écartés. Les idées et les hommes étaient
présents avant l'arrivée de Marcello Caetano à la
présidence du Conseil mais ils devaient ronger leurs freins et diverger
amèrement des options prises, ostentatoirement conservatrices, par
Salazar malgré leurs travaux, projets ou conseils.
La priorité donnée à
la période comprise entre 1958 et 1968 se fonde sur le fait que ce
n'est véritablement qu'à cette époque que
l'émigration suscite un véritable débat qui traverse
l'Etat et les élites du pays. Avec l'arrivée de
Caetano, la discussion n'existe quasiment plus. Ceux qui défendent
le Portugal agraire ou ceux qui veulent prospérer dans une bulle de
sous-productivité sans compétition sont alors marginalisés.
L'émigration est acceptée dans son ampleur, dans ses
conséquences économiques et sociales. Derniers accrocs
d'ailleurs révélateurs de l'ère
marcelliste : la fixation sur les guerres coloniales et la volonté
d'éviter la migration des jeunes (soldats). Par l'utilisation
de sources d'archives, nous avons prétendu dévoiler
l'ambiguïté de la gestion de l'émigration suivie
par Salazar, ses jeux de vitrine et ses silences. Car il faut, avec une
prospection attentive des archives, complexifier les approches des politiques
économiques et sociales des dernières décennies
salazaristes. Avant de s'arrêter aux effets observés a
posteriori, il faut observer les pratiques dans leurs complexités et
ambiguïtés.
Notes
[1] Entre 1960 et
1973, 1.4 millions de Portugais ont quitté le Portugal. Pour les
données statistiques sur le phénomène migratoire portugais
cf. Joel Serrão, A emigração portuguesa,
Lisboa, Livros Horizonte, 1977(1ère éd. 1972) ;
Jorge Carvalho Arroteia, A emigração portuguesa. Suas origens e
distribuição, Lisboa, Biblioteca breve, 1983.
[2] Cap-Vert,
São Tomé e Principe, Guiné-Bissau, Angola, Mozambique,
Macau, Timor. Le territoire de Goa ayant été rattaché, en
1961, après invasion, par l'Etat indien.
[3] Depuis sa
Constitution de 1933, l'Estado Novo, pour protéger
«les intérêts supérieurs de la
Nation », s'est doté de lois limitant
l'émigration légale ( fortes entraves dans la concession de
passeports d'émigration ; restrictions dans la concession de
passeports de tourisme pour la population rurale et ouvrière ;
fortes entraves posées dans l'exécution des accords de main
d'œuvre difficilement signés ; faible publicité
des voies légales d'émigration). Le détail de cette
législation est exposé par Francisco G. Cassola Ribeiro,
Emigração portuguesa (Aspectos relevantes relativos as
políticas adoptadas no domínio da emigração
portuguesa desde a ultima guerra mundial, contribuição para o seu
estudo), Lisboa, Secretária de estado das comunidades
portuguesas/Instituto de apoio a emigração e as comunidades
portuguesa/Centro de estudo, 1986. Voir également Maria Beatriz
Rocha-Trindade, «Emigração portuguesa : as
políticas de trajecto de ida e de ciclo fechado », Cadernos
da revista de história económica e social, n°1-2, 1981,
pp. 71-90.
[4] Transferts
d'argent envoyés par les émigrés vers le
Portugal.
[5] Les travaux
sur l'importance cruciale des remessas pour l'économie
portugaise sont nombreux, parmi ceux-ci : Maria Ioannis Baganha,
«As correntes emigratórias portuguesas no século XX e
o seu impacto na economia nacional », Análise social,
vol.29, n°128, 1994, pp. 959–980 ; Maria Ioannis Baganha,
«L'économie politique de la migration :
l'émigration portugaise au 19e
siècle », in Arquivos do centro cultural Calouste
Gulbenkian, Le Portugal et l'Atlantique, vol. 42, Lisboa-Paris,
Centro cultural Calouste Gulbenkian, 2001, pp. 77-96.
[6] Cf.
António Costa Pinto, « O império do professor, Salazar
e a elite ministerial do Estado Novo (1933-1945) », Análise
social, vol.25, n°157, 2001, pp.1055-1076.
[7] Cité
dans une lettre de la secretária de la Câmara municipal de Vila
Nova de Gaia adressée au gouverneur du district de Porto, le 4 mars 1963,
arquivo do ministério da Administração Interna
(désormais AMAI), Gabinete do ministro 1965, caixa 283.
[8] António
Oliveira Salazar, Entrevistas 1960-1966, Coimbra, Coimbra editora, 1967.
[9] Marcelo
Mathias, Correspondência 1947-1968, Lisboa, Difel,
1984.
[10]
Idem, p.467.
[11] En
français dans le texte.
[12] Information
de la Junta da emigração, signée par António
Manuel Baptista, le 3 novembre 1967, AOS/CO/IN-15, pasta 20.
[13]
Idem.
[14]
Idem.
[15]
Idem.
[16] La
circulaire du 30 mai 1967 restreint encore plus fortement
l'émigration vers la France, enterrant quasiment l'accord de
main d'œuvre signé avec le gouvernement français le 31
décembre 1963 qui n'avait jamais pleinement fonctionné. La
circulaire interdit toute émigration vers la France via des
contrats anonymes pour la majorité des professions.
[17] Information
de la Junta da emigração, signée par António
Manuel Baptista, le 3 novembre 1967, AOS/CO/IN-15, pasta 20.
[18] Cf.
«Ministério do Interior », in Fernando
Rosas, José Maria Brandão de Brito (eds), Dicionário da
História do Estado Novo, vol. 2, Venda Nova, Bertrand, 1996,
p.599 ; Evelyne Monteiro, «La politique criminelle sous
Salazar : approche comparative du modèle Etat
autoritaire », Archives de politique criminelle, n°20,
1998, pp.141-160, p.152.
[19] Cf.
sur ces élections, Iva Delgado, Humberto Delgado : as
eleições de 58, Lisboa, Vega, 1998.
[20] Cf.
Maria Carrilho, Forças armadas e mudança política no
século XX. Para uma explicacão sociológica do papel dos
militares, Lisboa, Imprensa nacional/Casa da Moeda, 1985 ; José
Medeiros Ferreira, O comportamento político dos militares.
Forças armadas e regimes políticos em Portugal no século
XX, Lisboa, Estampa, 1992.
[21] Sur
l'importance des positions prises par l'évêque de Porto
dans l'opposition catholique à l'Estado Novo, cf.
D. António Ferreira Gomes, D. António Ferreira Gomes :
nos 40 anos da carta do bispo a Salazar, Lisboa, Multinova, 1998 ;
José Barreto, “ Comunistas, católicos e os sindicatos sob
Salazar », Análise social, vol.29, n°125-126,
1994, pp. 287-317.
[22] Cf.
notamment António Costa Pinto, O fim do império
português, Lisboa, Livros horizonte, 2001 ; et pour une vision
plus large, Francisco Bethencourt, Kirti Chaudhuri(eds), História da
expansão portuguesa, vol.5, Lisboa, Círculo de leitores,
1999.
[23] Cf.
José Maria Brandão de Brito, A
industrialização portuguesa no pós-guerra (1948-1965):
o condicionamento industrial, Lisboa, Dom Quixote, 1989.
[24] Lettre de
José Soares Pereira da Rocha, simultanément, propriétaire
d'une pharmacie à Paul, propriétaire de terres et
président de la junta de Freguesia de Paúl (Beira Baixa) au
ministre de l'Intérieur, le 7 juin 1961, AMAI, Gabinete do ministro
1961, caixa 217. Le ministre écrit sur ce courrier
«agradece-se-o ? », ce qui est fait par
l'envoi d'un carton de remerciement le 19 juin
1961.
[25] Cf.
notamment sur les relations entre l'extrême-droite française
et l'Estado Novo, João Medina, Salazar em
França, Lisboa, Atica, 1977 ; Emmanuel
Hurault, «Le modèle portugais » in
Marc-Olivier Baruch ; Vincent Duclert, Serviteurs de l'Etat,
Paris, La Découverte, 2000, pp.439-447.
[26] Sur la
dépendance débilitante de l'industrie face à
l'Etat cf. notamment Fernando Rosas, «Estado novo e
desenvolvimento económico (anos 30 e 40) : uma
industrialização sem reforma agrária »,
Análise social, n°128, vol. 29, 1994, pp.
871-887.
[27] Lettre des
entreprises A cegonheira de Irmãos Carvalho, lda; Alberto Carvalho de
Araujo & ca; António Peixeto lda; João de Araujo
“onça”& filhos, lda; Sarotos Metalurgicos,
lda
adressée au délégué
de l'Institut national du travail et de la prévoyance sociale
à Braga, le 30 juillet 1964, AMAI, Gabinete do ministro 1961, Caixa
0217.
[28] Dans une
version plus explicite : «Politiquement, il n'existe que
ce dont le public connaît l'existence », cité
in Yves Léonard, Salazarisme et fascisme, Paris,
Chandeigne, 1996, p.145.
[29] On
l'a vu plus haut, le propriétaire de Paul a été
remercié pour sa lettre inspirée.
[30]
Télégramme envoyé par Albano Rebelo au ministre de
l'Economie depuis Arouca, non daté, AMAI, gabinete do ministro
1964, caixa 0276.
[31] Information
de la Junta de emigração signée par António
Manuel Baptista, le 6 août 1964, AMAI, gabinete do ministro 1964, caixa
0276.
[32]
António Oliveira Salazar, O Ágio do Ouro e outros textos
económicos, Lisboa, Banco do Portugal, 1997, p.122.
[33] Des auteurs
ont démontré les contradictions, les évolutions et les
inflexions de Salazar entre ses écrits antérieurs à son
arrivée au gouvernement et ses actions politiques. Ce fut
particulièrement le cas avec la «campagne du
blé » (1929-1938). Alors qu'il avait auparavant
critiqué la primauté du blé dans l'agriculture
portugaise au détriment d'autres productions, la campagne du
blé, impulsée par lui, a accentué cette distorsion.
Cf. par exemple, Manuel de Lucena, “Salazar, a
‘fórmula' da agricultura portuguesa e a
intervenção estatal no sector primário »,
Análise social, n° 110, vol. 26, 1991, pp. 97-206.
[34] Principal
journal publié, dans la clandestinité, par le Parti communiste
portugais.
[35] Les
articles 85 et 86 du décret-loi 43 582 du 4 avril 1961 criminalisent
l'émigration clandestine et l'enrôlement. Ces lois
seront abrogées par le décret-loi 49 900 du 19 novembre
1969.
[36] Un rapport
de 1970 de la GNR précise benoîtement, dans une liste de plus
d'une centaine de passeurs, que certains sont toujours en activité
(«Relação dos engajadores ja referenciados por esta
corporação ( 1970)”, GNR/ comando geral/ 4a
repartição, AMAI, gabinete do ministro 1971, caixa 389).
L'appareil judiciaire révéla, lui, une certaine
mansuétude. Dans une note du conseil supérieur judiciaire du
ministère de la Justice, datée du 29 avril 1964, il est
précisé que sur 248 personnes présentées aux
tribunaux pour présomption de crime d'enrôlement
d'émigrants clandestins, seules 129 ont été
condamnées, soit 52%. De plus, les peines atteignent fort
exceptionnellement celles inscrites dans les textes législatifs (Note du
conseil supérieur judiciaire du ministère de la justice,
datée du 29 avril 1964, AMAI, Gabinete do ministro 1964, caixa 0273). En
somme, une étude fine des pratiques policières et judiciaires dans
la dite “lutte” contre l'émigration clandestine prouve
que celle-ci était à mille lieux des discours prononcés et
de la perception même de la population portugaise. Il faudrait
néanmoins mieux comprendre si ce constat est, à tous les niveaux
de décision et d'éxécution, le fruit de
dysfonctionnements, de faiblesses pratiques de l'Etat ou le fruit
conscient d'une politique délibéré. A notre sens,
c'est un mélange de ces différents
facteurs.
[37]
António José Telo, «Trezes teses sobre a
disfunção nacional – Portugal no sistema
internacional », Análise social, vol. 32, n°142,
1997, pp. 649-683.
[38]
Idem, p. 659.
[39] Cf.
Boaventura de Sousa Santos, O estado e a sociedade em Portugal
(1974-1988), Porto, Afrontamento, 1990 et Boaventura de Sousa Santos,
«Etat, rapports salariaux et protection sociale, à la
semi-périphérie - cas du Portugal », Peuples
méditerranéens, n°66, janvier-mars 1994,
pp.23-66.
[40] Cf.
Luciano Amaral, «Portugal e o passado : política
agrária, grupos de pressão e evolução da agricultura
portuguesa durante o Estado Novo (1950-1973) », Análise
social, vol.29, n°128, 1994,
pp.889-906, p.897-898.
[41] Cité
dans une note de l'ambassadeur de France au Portugal, le 12 novembre 1964,
AMAE, série Europe 1961-1970, sous-série Portugal, vol.
97.
[42] Cité
dans la note de l'ambassadeur de France au Portugal, le 16 avril 1963,
AMAE, série Europe 1961-1970, sous-série Portugal, vol.
101.
[43] Cf.
sur les projets ébauchés visant à éviter les
concentrations prolétariennes et le paupérisme, Robert Castel,
Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du
salariat, Paris, Fayard, 1995, pp. 227-228.
[44]
Intervention de Calheiro Lopes le 14 décembre 1964 à
l'Assembleia Nacional, 9e législature,
n°008, Díario du 15 décembre 1964, page 108.
[45] Bernard
Kalaora, Antoine Savoye, Les inventeurs oubliés. Le Play et ses
continuateurs aux origines des sciences sociales, Seyssel, Champ Vallon,
1989. Voir, plus particulièrement, le chapitre sur Paul Descamps qui
reçut une commande de Salazar afin d'étudier la paysannerie
portugaise.
[46] Cf.
Fernando Oliveira Baptista, A política agrária do Estado
Novo, Porto, Afrontamento, 1993.
[47]
Intervention de Santos Bessa à l'Assembleia Nacional le 18
janvier 1962, 8e législature, n° 18, diário du 19
janvier 1962, p. 447.
[48]
Adérito Sedas Nunes, Sociologia e ideologia do desenvolvimento,
Lisboa, Moraes, 1969.
[49] Carlos
Almeida, António Barreto, Capitalismo e emigração,
Lisboa, Prelo, 1976 (1ère ed. 1970).
[50] Sur la
difficile et longue définition et délimitation de la
catégorie de chômeur cf. Christian Topalov, Naissance du
chômeur 1880-1910, Paris, Albin Michel, 1994 ; Malcom Mansfield,
Robert Salais, Noel Whiteside, (sous la dir.), Aux sources du chômage
1880-1914, Paris, Belin, 1994.
[51]
Intervention de Agueda de Oliveira, session n°3, n°144, 6 mars 1968,
date du journal, 7 mars 1968, page 2627.
[52] Pierre
Rosanvallon, La crise de l'Etat-providence, Paris, Seuil, 1981,
p.28.
[53] Cf.
Christian Topalov, Naissance du chômeur..., op. cit.,
p.22.
[54]
Adérito Sedas Nunes, Sociologia...,op.
cit.
[55]
Données extraites de Adérito Sedas Nunes, Sociologia...,
op. cit., p.241.
[56] Cf.
Henri Mendras, Sociétés paysannes. Elements pour une
théorie de la paysannerie, Paris, Gallimard, 1995.
[57] Marcello
Caetano, Depoiemento, Rio de Janeiro, Record, 1974,
p.96.
[58] Cf.
Henrique Medina Carreira, As políticas sociais em Portugal,
Lisboa, Gradiva, 1996, p.78 ; Mário Bacalhau, Thomas Bruneau,
“Political crises and unemployment : popular perceptions in
post-revolution Portugal”, South European Society and politics,
vol. 4, n°3, winter 1999, pp.135-149; Manuel Villaverde Cabral,
«Unemployment and the political economy of the portuguese labour
market », South European Society and politics, vol. 4,
n°3, winter 1999, pp.222-239.
[59] Soeiro de
Sousa, Aspectos da protecção social no desemprego
(seguro-desemprego), Lisboa, Fundo de desenvolvimento da mão de obra,
1966, p. 41.
[60] Fernando
Oliveira Baptista, A política agrária...op. cit.,
p.14.
[61] Cf.
Boaventura de Sousa Santos, «Etat, rapports salariaux..., op.
cit.
[62] David
Corkill, The development of the portuguese economy. A case of
europeanization, London/ New York, Routledge, 1999, pp.
7-8.
[63] Sur les
difficultés de quantification des émigrants portugais partant vers
l'Amérique (Brésil, Etats-Unis) entraînées par
les flux clandestins, cf. Maria Ioannis B. Baganha, “ Uma imagem
desfocada – a emigração portuguesa e as fontes sobre a
emigração”, Análise social, vol. 26,
n°112-113, 1991, pp. 723-739.
[64] Christian
Topalov, Naissance du chômeur..., op. cit. ,
p.270.
[65]
Géraldine Rieucau, Emigrants et salariés. Deux
catégories nouvelles en Italie et en Espagne (1861-1975), Paris, La
documentation française, 1997.
[66] Il
rédige dans les années 1960 plusieurs articles traitant des
problèmes de main d'œuvre et d'émigration. Proche
d'Adérito Sedas Nunes, ces articles scientifiques comportent de
fortes critiques contre l'Estado Novo. Cf., entre autres,
Mário Murteira, «O desenvolvimento industrial
português e a evolução do sistema
económico », Análise social, vol. 2, n°7-8,
1964, pp.483-497 ; Mário Murteira,
«Emigração e política de emprego em
Portugal », Análise social, vol. 3, n°11, 1965,
pp. 258-278. Après le 25 avril 1974, il devient ministre des affaires
sociales du Ier gouvernement provisoire dirigé par Palma Carlos et
ministre de la coordination et de la planification économique du IIIe
gouvernement provisoire de Vasco Gonçalves.
[67]
Mário Murteira, «Um olhar (dos anos 60) sobre
Portugal », Análise social, vol. 28, n°123-124,
1993, pp. 745-752, p. 747.
[68] Note de
l'ambassadeur de France au Portugal, le 23 mai 1966, AMAE, série
Europe 1961-1970, sous-série Portugal, vol. 96.
[69] Estudos dos
problemas da emigração portuguesa – regime legal e de facto
da emigração e protecção aos emigrantes, em especial
aos fixados na região de Paris ( 1964-1965), AOS/CO/PC-81 A, pasta 3.
Ismael da Silva Santos et Joaquim Mendes de Andrade, du même
ministère des Corporations et de la Prévoyance sociale contribuent
également aux débats lors de cette commission
d'étude.
[70]
Idem.
[71]
Idem.
[72] Cité
dans Francisco G. Cassola Ribeiro, Emigração portuguesa..., op.
cit. pp. 45-49.
[73] Baltazar
Rebello de Souza, Discurso proferido na posse so secretario nacional da
emigração em 8 de janeiro 1971, Lisboa, Secretariado nacional
de emigração, 1971 ; Américo Sarraga Leal, Discurso
proferido na data de posse de cargo de secretário nacional da
emigração, Lisboa, Secretariado nacional de
emigração, 1971.
[74] Roland
Faure, « Entretien avec Marcello Caetano »,
L'Aurore, 5 septembre 1969.
[75] Le
décret-loi 49 900 du 19 novembre 1969 abroge les articles 85 et 86 du
décret-loi 43 582 du 4 avril 1961 criminalisent l'émigration
clandestine et l'enrôlement.
[76] Les textes
des décrets de 1970 et de 1972 créant et transcrivant les
fonctions et les compétences du serviço nacional de
emigração se trouvent in Francisco G. Cassola Ribeiro,
Emigração portuguesa..., op. cit. pp.
51-86.
[77] Le
préambule du décret-loi n°402/70 réitère la
proclamation de principe déjà énoncé en 1965 en
lui donnant cette fois une assisse et légitimité institutionnelle
: «Convenue la nécessité d'envisager les
phénomènes de l'émigration dans la perspective des
problèmes sociaux et dans l'encadrement de la politique nationale
de l'emploi, le ministre des Corporations et de la Prévoyance
sociale a été désigné par le président du
Conseil comme coordonnateur des affaires de
l'émigration ». Cité in Francisco G.
Cassola Ribeiro, Emigração portuguesa..., op. cit.,
p.54.
[78] Le
gouvernement français a, en très grande partie,
régularisé la situation des clandestins portugais qui arrivaient
sur le territoire français. Ces pratiques incitèrent donc les
Portugais a ne pas recourir aux voies légales
d'émigration.
[79] Dans le
cadre de l'émission “conversas em
família”.
[80] Discours de
Vasco Leonidas, secrétaire d'Etat de l'agriculture,
proféré à Porto le 24 juillet 1969 devant la
federação dos grémios de Lavoura de Entre Douro e
Minho, AMAI, Gabinete do ministro 1969, caixa 0356.
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