Rémi Adam,
Histoire des soldats russes en France, 1915-1920. Les damnés de la guerre.

L'Harmattan, Paris, 1996, 383 pages, bibliographie de 37 titres.

Livre lu par Philippe Rygiel

Décembre 1998.

Ce volume, tiré d'un mémoire IEP soutenu par l'auteur en 1987, retrace l'histoire des soldats du corps expéditionnaire russe que le tsar Nicolas II avait fourni aux alliés en échange de leur aide matérielle. S'appuyant sur les archives du service historique de l'armée de terre, l'auteur évoque d'abord les négociations diplomatiques ayant conduit à l'envoi de ces troupes et les étapes de leur mise sur pied puis de leur acheminement. Exploitant les dossiers du contrôle postal, confrontés à des sources administratives plus classiques, il entreprend ensuite le récit de la vie et des combats de ces hommes. Ceux-ci après avoir été engagés en de très durs combats se mutinent en 17, les nouvelles venues de Russie suscitent la création de soviets qui, après les meurtrières offensives Nivelle, refusent de poursuivre le combat et exigent le rapatriement en Russie. Après bien des hésitions, les autorités françaises prêtent assistance au troupes russes restées hostiles aux bolcheviks qui répriment durement la révolte. Il faut plusieurs jours de combat pour réduire les 10000 hommes retranchés au camp de La Courtine dans la Creuse. Une partie des révoltés reprend ensuite le chemin des tranchées, alors que la plupart sont versés dans des compagnies de travail qui fournissent une main d'oeuvre à bon prix à l'agriculture ou aux entreprises françaises, cependant que l'on convoie les irréductibles vers l'Algérie, où les attendent des colons avides de main d'oeuvre, ou des cachots, où les "meneurs" termineront leur séjour en France. Ce n'est qu'en 1920 que le gouvernement bolchevik obtient que ses sujets soient effectivement rapatriés.
L'ouvrage s'adresse avant tout aux historiens de la Russie, puisque le propos de Rémi Adam est de montrer, à l'aide des courriers interceptés par le contrôle postal, comment ces troupes russes, malgré leur isolement et la difficulté qu'elles rencontrent à disposer d'informations fiables ont rejeté l'ancien régime russe, et les officiers qui le symbolisaient, avant de soutenir le gouvernement provisoire, puis de se rallier au gouvernement bolchevik, reproduisant, du moins sommes nous amenés à le supposer, l'évolution politique d'une bonne partie des masses russes. Il intéressera aussi l'historien de la première guerre mondiale, en particulier lorsqu'il évoque les négociations entre Nicolas II et les puissances alliées qui aboutissent à la formation de ces troupes, ou les relations que la France entretient avec les régimes russes qui se succèdent, voire la crainte, réelle, de la contagion révolutionnaire que partagent en 1917 nombre de responsables français.

Il éclaire l'historien de l'immigration sur l'origine de la main d'oeuvre russe que l'on rencontre au hasard des archives dans de nombreux départements à la fin de la première guerre mondiale -les quelques 11 000 soldats russes ainsi employés furent en effet divisés en petites unités que l'on dispersa afin de pouvoir mieux les contrôler- mais c'est là tout ce qui le concerne directement, ce corps expéditionnaire n'est pas à l'origine de la fixation en France de sujets russes puisque, selon l'auteur, seuls quelques dizaines d'entre eux choisiront de rester en France à la fin de la guerre. L'historien de l'immigration, même si cet ouvrage ne traite pas de problèmes au centre de ses préoccupations, pourra cependant être sensible à l'émotion et à l'élan que provoque ce récit bien écrit, illustré de nombreuses citations de lettres écrites par ces soldats et animé d'une évidente sympathie pour ces hommes luttant, dans des conditions extraordinairement difficiles, pour que justice leur soit rendue.

P. Rygiel
rygielp@imaginet.fr

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