Assouline (David), Lallaoui (Mehdi) (dir.),
Du chantier à la citoyenneté? Un siècle d'immigration en France. Tome 3, 1945 à nos jours.

Au nom de la mémoire, Bezons, 1997, 138 pages, environ 180 francs.

Lu par P. Rygiel

septembre 1999.

Cet ouvrage est le troisième volume d'une vaste fresque qui entendait retracer l'Histoire de l'immigration en France durant le dernier siècle (1). Il a, comme les autres volumes de la série, une double ambition, citoyenne d'une part, puisque l'un des buts de l'ouvrage, nous dit l'introduction, est de contribuer à la définition de nouvelles formes de citoyenneté, pédagogique de l'autre, puisque ces livres proposent, sous une forme agréable, de courtes synthèses, accessibles et généralement bien informées, de nos connaissances en la matière. Les deux ambitions d'ailleurs se rejoignent, les auteurs épousant implicitement l'idée exposée par Philippe Dewitte dans l'introduction d'un ouvrage récent, qui considère que les chercheurs ne peuvent espérer voir leurs travaux pris en compte dans les débats de société et les débats politiques que s'ils en proposent des synthèses accessibles au public (2). Ce cahier des charges est scrupuleusement respecté, puisque le volume, illustré de nombreux et parfois fort beaux clichés est fort agréable manier, même si l'on regrettera les très nombreuses coquilles qui émaillent les textes et le légendage un peu rapide des clichés, qui ne sont souvent ni daté ni situé avec précision, ce qui leur enlève toute valeur autre qu'illustrative. Les six textes que contient ce volume, outre la présentation d'un état des connaissances sur le sujet traité, évoquent tous la dimension politique des phénomènes étudiés.

Le texte de Benjamin Stora évoque l'immigration algérienne, la plus connue et la plus étudiée de toutes, il décrit les conditions de l'implantation de ces hommes qui fournissent à la France des trente glorieuses des bataillons serrés d'Os. Il revient également sur la participation aux luttes d'indépendance des Algériens en France, et évoque la répression qu'ils subirent

J. Barou présente l'immigration venue d'Afrique noire, plus tardive, elle suscite l'hostilité larvée des pouvoirs publics, comme celles des Algériens avant eux, ce qui explique selon lui en partie que l'installation de ces populations se déroule dans des conditions, en particulier des conditions matérielles, extrémement médiocres.

Les Turcs sont eux aussi des tards venus. Le schéma migratoire que décrit G. PETEK-SALOM est pourtant extrémement classique et rappelle celui des migrations de la fin du dix-neuvième siècle ou de l'entre-deux-guerres. Ruraux venus chercher les moyens de s'établir, ils sont victimes de l'évolution des structures économiques de leur pays, qui rend leur projet de retour caduque et conduit à une transformation de leurs comportements, l'installation en France semblant inéluctable, les familles rejoignent peu à peu les hommes qui étaient partis seuls. L'auteur souligne à bon escient la forte diversité interne de cette population, l'origine régionale, la religion, l'engagement politique, sont autant de facteurs de diversité, au principe de parcours migratoires différents, masqués, comme pour d'autres populations, par la seule référence à la nationalité. Les turcophones musulmans semblent particulièrement soucieux de transmettre leurs valeurs à la jeune génération, utilisant pour ce faire le levier associatif et de tentant de contrôler la nuptialité des jeunes. L'auteur s'interroge en conclusion sur les possibilités d'intégration d'un groupe "très éloigné de la culture occidentale" (page 64). L'interrogation n'est pas neuve, et bien des populations la suscitèrent. (ariès). Elle n'apparaît pas non plus très pertinente, d'abord parceque la distance culturelle, bien difficile à cerner et à mesurer, n'apparaît pas comme un concept très opératoire, ensuite parce que les groupes dont l'on peut supposer à bon droit qu'ils sont culturellement très proche de la société d'implantation sont souvent loin de connaitre une intégration sans problèmes. Les exemples sont en la matière nombreux.

M.C VOLOVITCH-TAVARES évoque elle l'immigration portugaise, modeste jusqu'au début des années cinquante, les mouvements migratoires vers la France prennent ensuite de l'ampleur, quoique les sorties soient la plupart du temps clandestines, le Portugal de Salazar étant hostile au départ de ses ressortissants. L'histoire de l'immigration portugaise est cell d'une installation dans des conditions particulièrement médiocres. Beaucoup d'immigrés connurent en effet les bidonvilles de la région parisienne, dont la résorption fut lente, et provoqua l'un des premiers débats nationaux consacrés à l'immigration. Ces immigrants, là encore majoritairement originaires des campagnes du pays, furent très soucieux de transmettre à leurs enfants élevés en France les valeurs et traditions du villages d'origine, au moyen d'un réseau associatif très dense mais longtemps éclaté, les premières associations regroupant essentiellement des originaires des mêmes communes, ainsi que la langue portugaise, dont l'enseignement fut une préoccupation constante de la communauté portugaise.

M. LALLOUI évoque l'évolution récente du sort des réfugiés, constatant que les années quatre-vingt voient l'Europe se fermer alors même que les conflits, en particulier dans le tiers monde, sont de plus en plus nombreux et provoquent des exodes massifs. Les accors de Schengen, que l'auteur présente ici, ainsi que quelques témoignages de réfugiés, sont l'élément essentiel de cette fermeture

S. MESSAOUDI et B. STORA évoquent enfin les combats des vingts dernières années qui eurent pour principal enjeu la politique de l'immigration menée par la France et la définition de la citoyenneté que doit proposer la République en cette fin de siècle. Les auteurs voient dans les luttes pour l'égalité des droits qui ont marqué les années quatre-vingt l'émergence d'une revendication visant à découpler citoyenneté et nationalité, thèse qui mériterait sans doute d'être plus solidement défendue et sérieusement nuancée. Ils font ensuite le récit des luttes suscitées par les lois de 1993, celles pour les sans papiers, et le manifeste des cinéastes, luttes dont les enjeux, écrivent les auteurs, dépassent la définition d'une politique de l'immigration mais sont la définition même de la citoyenneté, ce qu'on leur accordera volontiers, même si l'on peut ne pas être aussi certain qu'eux que les participants à ces luttes promeuvent un projet de citoyenneté nouvelle achevé et cohérent et si l'on peut regretter que cette dernière partie ne soit guère autre chose qu'une chronique de ces luttes. Il est cependant sans doute un peu tôt pour parvenir à mettre celles-ci en perspective.

P. Rygiel
rygielp@imaginet.fr

Notes

  1. Les deux premiers volumes, chez le même éditeur, avaient pour titre  :  De la mine au champ de bataille. 1851-1918. et De l'usine au maquis. 1920-1945 .
  2. DEWITTE P. "L'immigration, sujet de rhétorique et objet de polémiques", in DEWITTE P., Immigration et intégration, l'état des savoirs, La découverte, Paris, 1999.

Table de l'ouvrage

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