Jean Ayanian,
Le Kemp, une enfance intra muros

précédé de Vienne, ou des étrangers dans la ville,
par Anahide Ter Minassian
Éditions Parenthèses,2001, 157 pages, 125 francs.

Livre lu par Philippe Rygiel

Mars 2002.

Ce volume abrite en fait plusieurs textes. Les souvenirs de Jean Ayanian, fils d'Arménien de Vienne en constituent le cœur. Ils sont suivis de portraits des habitants d'un quartier arménien de la capitale autrichienne, recueillis auprès de leurs descendants, le tout précédé d'une présentation d'une cinquantaine de pages rédigée par Anahide Ter Minassian. Celle-ci ne se borne pas à planter le décor et à présenter l'auteur, mais offre une introduction de qualité à l'étude de la population arménienne de France et une étude riche, quoique concise, des Arméniens de Vienne. Anahide Ter Minassian relate leur arrivée à Vienne pour les besoins de l'industrie de la chaussure et évoque leur inscription dans la ville, qui prend des formes très inhabituelles dans le contexte français. En effet, une bonne partie des familles arméniennes de Vienne étaient logées dans des bâtiments industriels désaffectés et transformés en lieu d'habitation (le Kemp), qui n'abritaient que des ouvriers arméniens et leurs familles. Un véritable village arménien se recomposa aux marges de la ville, qui permit la naissance d'une sociabilité, d'une vie politique et d'une vie quotidienne relativement autonomes. L'étude de ces formes extrêmes « d'entre soi » permet à Anahide Ter Minassian une réflexion sur les fonctions de ces regroupements d'immigrés à l'écart de la ville, dont elle note qu'ils sont à la fois des enclos protecteurs permettant la survie matérielle et la transmission d'une mémoire, d'une culture, d'une identité, et des sas vers la société autrichienne, que rejoignent les plus jeunes par le biais de l'école ou du travail, d'autant que les transformations socio-économiques de l'après 1945 conduisent à l'abandon du Kemp - qui perd sa fonction d'habitation dès le début des années 1960 - et à la dislocation du groupe.
Jean Ayanian était l'un des habitants du Kemp et son texte fournit un contrepoint utile au discours de l'historien. Il y égrène ses souvenirs d'enfance et d'adolescence, plus qu'il ne propose un récit structuré, évoquant les lieux, les gens et les pratiques quotidiennes, offrant davantage un « Je me souviens » au parfum arménien qu'une autobiographie.
L'ouvrage, plaisant à manier et illustré d'abondance par des photographies et quelques cartes, rendra de précieux services à tous ceux qu'intéresse la population arménienne. La monographie particulièrement bien menée par Anahide Ter Minassian justifie sa lecture par tous ceux qui se préoccupent de l'histoire de l'immigration en France.

Philippe Rygiel
rygielp@imaginet.fr

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