BRUBAKER Roger
Citoyenneté et nationalité en France et en Allemagne

Paris, Belin, Collection « Socio-histoire », 1997, 320 p.

Livre lu par Nicole Fouché

Octobre 2002

Cet ouvrage d’abord publié en anglais (1996) est déjà ancien. Mais il n’est peut-être pas inutile d’en parler sur le site Clio qui n’existait pas alors.
Lors de sa publication en français (1997), la réception des chercheurs et surtout l’utilisation ultérieure qui a été faite des analyses de Brubaker ont confirmé leur pertinence et leur utilité dans le champ scientifique des études migratoires. Plus personne aujourd’hui, en Europe, ne peut évoquer la notion « d’étranger » sans référence à la question de la construction et de la genèse des États nations : construction différenciée selon les pays comme l’a excellemment prouvé cette étude. En ce qui concerne la France et l’Allemagne, le livre de Brubaker reste, une demi-douzaine d’années après sa sortie, une référence essentielle (il faut signaler la qualité de la traduction de Jean-Pierre Bardos, l’utilité de l’index thématique, et une fort intéressante bibliographie franco-américano-germanique). Pour le cas français, il est surpassé par le tout récent ouvrage de Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français. Histoire de la nationalité française depuis la Révolution (Paris, Grasset, 2002), qui reprend et approfondit la question.
Dans une première partie, Brubaker expliquait successivement, d’abord pour la France, ensuite pour l’Allemagne, comment s’est instituée la notion de nationalité, pourquoi elle s’est posée, quelle est son origine dans ces deux pays. Il mettait en avant l’importance clé de la Révolution française pour la France et celle du système des États pour l’Allemagne.
Dans la seconde partie, il cherchait à expliquer la persistance de différences fondamentales et d’oppositions durables entre les conceptions française et allemande au sujet de la définition de la nationalité. Il procédait chronologiquement en alternant chapitre sur la France et chapitre sur l’Allemagne : la cristallisation du jus soli en France à la fin du XIXe siècle ; la nationalisation de la citoyenneté dans l’Allemagne de Guillaume II ; l’immigration et la politique de la nationalité en France dans les années 1980 ; les continuités de la politique de la nationalité en Allemagne. La conception française de la nation est fondée sur l’État et elle est assimilationniste. La conception allemande est ethnoculturelle et différentialiste.
En fait, Brubaker ne se livrait pas à une véritable comparaison (on a beaucoup discuté depuis des difficultés méthodologiques de la méthode comparative), mais à une mise au jour des fils conducteurs historiques, ininterrompus et rémanents, qui laissent les deux pays sur des rives opposées. Ces différences essentielles, qui commencent à s’atténuer aujourd’hui, pouvaient rendre partiellement compte des relations souvent difficiles du couple franco-allemand au sein de l’Union européenne et expliquer les obstacles historico-structurels qui gênent encore le rapprochement et l’harmonisation des politiques française et allemande : particulièrement en matière de statut des immigrés et surtout de leurs enfants.
Une Europe post-nationale mettrait-elle fin à ces comportements enracinés dans la tradition ? Cette question, posée en 1996, n’a toujours pas (en 2002) de réponse.

Nicole FOUCHÉ, (CNRS) (CHS/EHESS)

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