Rémy Cazals
Lettres de réfugiées. Le réseau de Borieblanque. Des
étrangères dans la France de Vichy
préface de Michelle Perrot, Paris, Tallandier, 2003, 473 p., 24 euros
Livre lu par Nicole Fouché
Avril 2004
Lors de son travail sur Albert Vidal, Rémy Cazals avait pu consulter les archives personnelles de Jules Puech, conservées par la famille à Borieblanque (près de Castres) dans le Tarn. A cette occasion, il avait pu constater que l’épouse de Jules, Marie-Louise, avait également laissé sur place toutes ses correspondances. Il décide d’en faire un livre, comme l’avait d’ailleurs souhaité Mme Puech : " Nous pensons qu’un recueil de lettres écrites par ces amies de notre Fédération constituerait une précieuse contribution à l’histoire de la guerre de 1939-1945." .
La question des exilés
ou des réfugiés relève autant de l’histoire des
migrations et des mouvements de population que de l’histoire des guerres.
Elle se distingue de l’émigration volontaire au niveau des
causes et de la quantité, elle s’en rapproche dans la mesure
où il s’agit d’étrangers qui ont à s’adapter
et à survivre dans un pays dit " d’accueil ", le
plus souvent incertain, parfois hostile. Savoir comment des pays d’immigration
comme la France ou les Etats-Unis ont traité la question du refuge,
de l’asile, est une information significative qui permet de comprendre
les rapports que ces Etats entretiennent avec l’étranger et
surtout comment ils envisagent la question de la construction nationale.
Les politiques officielles, quand elles ne sont pas offensives ou restrictives,
peuvent quand même être éloignées des professions
de foi ou des discours affichés. Pendant la Seconde Guerre mondiale,
la situation française est particulièrement complexe car la
France se referme comme un piège mortel sur des gens qui avaient
d’abord crû y être les bienvenus. Heureusement, dans la
société civile, des initiatives privées, des chaînes
de sauvetage, des réseaux de solidarité, soucieux d’accueillir,
d’aider et d’organiser ceux qui sont devenus indésirables,
se mettent spontanément – voire clandestinement – en
place.
L’histoire rapportée dans cet ouvrage est celle de l’un
de ces réseaux. Le livre est original à deux titres. Il donne
à lire, de façon chronologique, liées par des commentaires
rapides, les correspondances échangées entre les personnes
secourues et la tête pensante du réseau : Marie-Louise Puech.
Il s’agit donc d’un recueil de lettres. Autre originalité,
les personnes protégées sont toutes des femmes universitaires,
enseignantes ou étudiantes étrangères : polonaises,
juives, tchèques, autrichiennes, allemandes, australiennes…
; nous avons affaire à un réseau féminin dont la place
dans l’histoire de la Résistance française est modeste
certes, mais néanmoins incontestable.
Marie-Louis Puech, ancien professeur à l’université
McGill de Montréal, est une Française exceptionnelle, parlant
couramment trois langues, diplômée, protestante, engagée
dans le pacifisme, le solidarisme, le féminisme, puis la Résistance.
Elle est encore aujourd’hui une figure méconnue du féminisme
français. Cet ouvrage, préfacé par Michelle Perrot,
va, souhaitons-le, contribuer à lui donner un peu de visibilité.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, sa retraite de Borieblanque fut une
permanence, une entreprise de conseil, une agence d'assistance morale et
psychologique ainsi que de soutien financier pour les universitaires étrangères
surprises en France par la guerre, menacées par Vichy, par l’exode,
par les camps français, ainsi que par la déportation et l’extermination.
Ces femmes sont les correspondantes de Marie-Louise Puech.
Cette dernière était membre de l’Association des Françaises
diplômées des universités, elle-même membre de
la Fédération internationale. Les " femmes diplômées
des universités " ou " University Women ", fortement
influencées par les Etats-Unis, regroupées en associations,
œuvrent, depuis la fin de la Première Guerre mondiale, à
la " reconstruction intellectuelle et morale d’un monde nouveau
grâce à l’entraide professionnelle et à la compréhension
mutuelle " entre femmes diplômées. C’est au nom
de celles-ci que Marie-Louise Puech s’engage et agit. Née en
1876, elle a connu la Grande Guerre. En 1939, elle est une femme d’expérience
– soixante-trois ans –, une âme noble, sûre, aguerrie
et déterminée. Elle fait appel à ses relations, à
ses amis, à sa notoriété ; elle sollicite ses collègues
universitaires français et étrangers, ses partenaires pacifistes,
ses alliés protestants, les associations féministes. Elle
est soutenue, financièrement et moralement, par la Fédération
internationale. Tous les réseaux de Marie-Louise Puech sont mis en
place entre 1920 et 1939. Ils sont sollicités avec succès
pendant les sept années ultérieures.
L’auteur de cet ouvrage se fait volontairement très discret derrière ces voix de femmes : son choix assumé est de leur donner la parole. Personnellement j’aurais préféré une présentation, chronologique certes, mais plus fortement problématisée, avec des conclusions plus précises. Il me semble que dans ce texte, les problématiques historiques sont restées off the record. Et c’est un peu dommage, car le contenu est d’une richesse et d’une variété qui demeurent à exploiter.