FREEDMAN (Jane), TARR (Carrie) (ed.)
Women, Immigration and Identities in France

Oxford, Berg, 2000, 197 pages.

Livre lu par Philippe Rygiel

Avril 2003 .

Ce compte-rendu est paru dans le numéro 198 du Mouvement Social

Reprenant les communications délivrées lors d'une journée d'études organisée en novembre 1999 par l'institut d'études romanes de Londres, ce volume offre au lecteur dix textes courts, précédés d'une introduction rédigée par les éditeurs, qui s'efforcent de donner une cohérence à l'ensemble.


Contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre, ces contributions ne sont pas consacrées aux femmes migrantes résidant en France mais aux femmes non blanches qui y habitent, qu'elles soient ou non migrantes, et qu'elles possèdent ou non la citoyenneté française.
Jane Freedman examine le statut qui leur est assigné par la loi et la réglementation, montrant que le durcissement de la législation concernant l'immigration qui caractérise les deux dernières décennies a fragilisé la position des femmes migrantes, plus encore que celle des hommes.
Plusieurs auteurs explorant la presse (Sonja Dayan-Herzbrun, à propos de l'affaire du foulard) et les produits de la culture de masse (Mark Mc Kinney étudiant la bande dessinée) décrivent la façon dont la société française se représente tout ou partie de ces femmes.
D'autres, soucieux de rompre avec les représentations communes, faisant de ces femmes au mieux des victimes passives, s'attachent à montrer que certaines, refusant les identités qui leur sont assignées, tentent d'élaborer d'autres modes de représentation d'elles-mêmes au moyen de la littérature - trois contributions sont consacrées à la représentation données d'elles-mêmes par des auteurs ressortant de la catégorie définie par les éditeurs du volume - ou du film (Carrie Tarr étudie les films réalisés par deux jeunes réalisatrices "beurs"). Catherine Quiminal montre elle, au travers d'une très intéressante contribution consacrée aux associations de femmes africaines, que celles-ci parviennent à élaborer des modes d'action collective efficaces leur permettant de lutter contre certaines des formes d'exclusion et de discrimination qui enserrent leur existence.
Un riche article examinant le travail de Yasmina Benguigi, et montrant de quelle façon celle-ci tente d'élaborer une mémoire de l'immigration algérienne qui puisse s'accorder à la mémoire nationale, clôt ce recueil.
Celui-ci fournit plusieurs contributions intéressantes à une histoire et une sociologie des femmes et des filles de l'immigration encore peu connue, tout en montrant que tant le statut que l'expérience de la femme migrante diffère significativement de celle du migrant. Quelques reproches peuvent cependant lui être adressés. La bibliographie fournie surprend par certaines de ses omissions. Il est, pour ne donner qu'un exemple, curieux qu'un ouvrage dont une large part est consacrée aux représentations données par les médias de populations issues de l'immigration ignore les travaux de S. Bonnafous. De plus, quelques affirmations discutables, voire fausses (l'immigration d'après guerre amena essentiellement en France des hommes provenant des anciennes colonies françaises p.1, ce qui est faire bon marché des Portugais, longtemps les plus nombreux et de loin), laissent penser que certains des auteurs du volume connaissent peu l'histoire de l'immigration en France.
D'autre part, le parti pris militant des deux éditeurs, qui désirent ardemment constituer les femmes étudiées en sujet et placent en tête de liste de leur agenda politique la lutte contre les discriminations sexistes et racistes, conduit à quelques impasses. D'une part elles sont ainsi conduites à minimiser la puissance des mécanismes de domination à l'oeuvre, dont toutes ne parviennent pas à se dégager pour élaborer une identité positive et efficace. D'autre part elles en oublient parfois que ces femmes se trouvent à l'intersection d'un triple, et non d'un double, système de domination, la domination de classe redoublant et aggravant les effets des deux autres. L'article consacré par Camille Lacoste Dujardin aux familles "maghrébines" fournit alors un utile contrepoint, en rappelant d'une part la puissance des identités assignées, que toutes ne parviennent pas à contester, ainsi que leur potentiel aliénant et déstructurant, et d'autre part que celles qui ont le plus de chances d'en repousser les limites sont aussi les mieux socialement et culturellement dotées, soit les moins prolétaires d'entre elles.
Nous pouvons enfin nous interroger sur la pertinence de notions et de concepts élaborés hors du contexte décrit, lorsqu'ils sont importés sans beaucoup de précautions. L'appartenance des femmes étudiées à une "communauté" est ainsi pour plusieurs auteurs de l'ordre de l'évidence, alors que savoir ce qu'est une communauté ethnique dans le contexte français ne l'est guère. De même, la définition de l'objet de l'étude aurait mérité d'être discutée et justifiée. Instituer en groupe, après bien des hésitations introductives, l'ensemble des femmes (migrantes, filles et petites filles de migrants) non blanche, et plus particulièrement celles provenant des anciennes colonies françaises, pose problème. Si l'histoire et le droit britannique permettent sans doute de justifier une telle définition, il n'est pas certain que cela soit vrai en France, à moins de supposer que les filles de parents originaires du Vietnam ressemblent, de toute évidence, plus aux filles des Algériens qu'à celles des Portugais. De même, confondre en un même groupe femmes migrantes et filles de migrantes ne peut se justifier simplement en affirmant que les Français utilisent le terme immigré pour désigner tant les femmes migrantes que celles dont parents ou grands parents provenaient des anciennes colonies françaises d'Afrique et d'Asie. Le débat sur ces points, et plus généralement sur les nouveaux modes de représentation et de découpage du social, mérite d'être posé, mais il ne peut être présumé tranché.

 

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