Ce compte-rendu est paru dans le numéro 198
du Mouvement Social
Reprenant les communications délivrées lors d'une journée
d'études organisée en novembre 1999 par l'institut d'études
romanes de Londres, ce volume offre au lecteur dix textes courts, précédés
d'une introduction rédigée par les éditeurs, qui s'efforcent
de donner une cohérence à l'ensemble.
Contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre, ces contributions
ne sont pas consacrées aux femmes migrantes résidant en France
mais aux femmes non blanches qui y habitent, qu'elles soient ou non migrantes,
et qu'elles possèdent ou non la citoyenneté française.
Jane Freedman examine le statut qui leur est assigné par la loi et
la réglementation, montrant que le durcissement de la législation
concernant l'immigration qui caractérise les deux dernières
décennies a fragilisé la position des femmes migrantes, plus
encore que celle des hommes.
Plusieurs auteurs explorant la presse (Sonja Dayan-Herzbrun, à propos
de l'affaire du foulard) et les produits de la culture de masse (Mark Mc
Kinney étudiant la bande dessinée) décrivent la façon
dont la société française se représente tout
ou partie de ces femmes.
D'autres, soucieux de rompre avec les représentations communes, faisant
de ces femmes au mieux des victimes passives, s'attachent à montrer
que certaines, refusant les identités qui leur sont assignées,
tentent d'élaborer d'autres modes de représentation d'elles-mêmes
au moyen de la littérature - trois contributions sont consacrées
à la représentation données d'elles-mêmes par
des auteurs ressortant de la catégorie définie par les éditeurs
du volume - ou du film (Carrie Tarr étudie les films réalisés
par deux jeunes réalisatrices "beurs"). Catherine Quiminal
montre elle, au travers d'une très intéressante contribution
consacrée aux associations de femmes africaines, que celles-ci parviennent
à élaborer des modes d'action collective efficaces leur permettant
de lutter contre certaines des formes d'exclusion et de discrimination qui
enserrent leur existence.
Un riche article examinant le travail de Yasmina Benguigi, et montrant de
quelle façon celle-ci tente d'élaborer une mémoire
de l'immigration algérienne qui puisse s'accorder à la mémoire
nationale, clôt ce recueil.
Celui-ci fournit plusieurs contributions intéressantes à une
histoire et une sociologie des femmes et des filles de l'immigration encore
peu connue, tout en montrant que tant le statut que l'expérience
de la femme migrante diffère significativement de celle du migrant.
Quelques reproches peuvent cependant lui être adressés. La
bibliographie fournie surprend par certaines de ses omissions. Il est, pour
ne donner qu'un exemple, curieux qu'un ouvrage dont une large part est consacrée
aux représentations données par les médias de populations
issues de l'immigration ignore les travaux de S. Bonnafous. De plus, quelques
affirmations discutables, voire fausses (l'immigration d'après guerre
amena essentiellement en France des hommes provenant des anciennes colonies
françaises p.1, ce qui est faire bon marché des Portugais,
longtemps les plus nombreux et de loin), laissent penser que certains des
auteurs du volume connaissent peu l'histoire de l'immigration en France.
D'autre part, le parti pris militant des deux éditeurs, qui désirent
ardemment constituer les femmes étudiées en sujet et placent
en tête de liste de leur agenda politique la lutte contre les discriminations
sexistes et racistes, conduit à quelques impasses. D'une part elles
sont ainsi conduites à minimiser la puissance des mécanismes
de domination à l'oeuvre, dont toutes ne parviennent pas à
se dégager pour élaborer une identité positive et efficace.
D'autre part elles en oublient parfois que ces femmes se trouvent à
l'intersection d'un triple, et non d'un double, système de domination,
la domination de classe redoublant et aggravant les effets des deux autres.
L'article consacré par Camille Lacoste Dujardin aux familles "maghrébines"
fournit alors un utile contrepoint, en rappelant d'une part la puissance
des identités assignées, que toutes ne parviennent pas à
contester, ainsi que leur potentiel aliénant et déstructurant,
et d'autre part que celles qui ont le plus de chances d'en repousser les
limites sont aussi les mieux socialement et culturellement dotées,
soit les moins prolétaires d'entre elles.
Nous pouvons enfin nous interroger sur la pertinence de notions et de concepts
élaborés hors du contexte décrit, lorsqu'ils sont importés
sans beaucoup de précautions. L'appartenance des femmes étudiées
à une "communauté" est ainsi pour plusieurs auteurs
de l'ordre de l'évidence, alors que savoir ce qu'est une communauté
ethnique dans le contexte français ne l'est guère. De même,
la définition de l'objet de l'étude aurait mérité
d'être discutée et justifiée. Instituer en groupe, après
bien des hésitations introductives, l'ensemble des femmes (migrantes,
filles et petites filles de migrants) non blanche, et plus particulièrement
celles provenant des anciennes colonies françaises, pose problème.
Si l'histoire et le droit britannique permettent sans doute de justifier
une telle définition, il n'est pas certain que cela soit vrai en
France, à moins de supposer que les filles de parents originaires
du Vietnam ressemblent, de toute évidence, plus aux filles des Algériens
qu'à celles des Portugais. De même, confondre en un même
groupe femmes migrantes et filles de migrantes ne peut se justifier simplement
en affirmant que les Français utilisent le terme immigré pour
désigner tant les femmes migrantes que celles dont parents ou grands
parents provenaient des anciennes colonies françaises d'Afrique et
d'Asie. Le débat sur ces points, et plus généralement
sur les nouveaux modes de représentation et de découpage du
social, mérite d'être posé, mais il ne peut être
présumé tranché.