FREY (Yves)
Polonais d'Alsace. Pratiques patronales et mineurs polonais dans le bassin potassique de haute Alsace, 1918-1948 Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 2003, 600 p., 28 Euros

Livre lu par Nicole Fouché CNRS

Décembre 2003

Tant que l'Alsace avait fait partie du Reich, l'Allemagne avait eu le monopole mondial de la potasse. La situation changea radicalement en 1919 avec le retour de l'Alsace à la France. La présence polonaise dans le bassin potassique est antérieure aux recrutements effectués dès 1923-1924 par les " Mines de potasse d'Alsace (MDPA) " - récemment rachetées par l'État. Ces embauches sont suivies, à partir de 1926 par celles de la société privée des " Mines de Kali - Sainte-Thérèse (KST) " ; Ces deux sociétés font travailler des Polonais recrutés par la Société générale d'immigration. De 1923 à 1929, 3 000 Polonais environ (les familles ne sont pas comptabilisées) sont engagés dans le bassin potassique ; ils forment presque 85 % des ouvriers étrangers et environ 30 % de la population ouvrière totale. Ces chiffres ne seront plus dépassés ensuite.

L'auteur me paraît poursuivre deux buts fondamentaux : il souhaite, d'une part, montrer - en prenant appui sur le groupe polonais - que les pratiques patronales (mines domaniales et mines privées) ne sont pas identiques. Pour appuyer sa démonstration, Yves Frey met au jour le rôle joué par Pierre de Retz. Né à Marseille, ingénieur des Mines et polytechnicien, Pierre de Retz vient de " l'intérieur ". Il est directeur de l'entreprise publique (MDPA) de 1919 à 1936 ; il y représente la République, il est le missus rei publicae dans une région récemment recouvrée ; il s'emploie à franciser et à intégrer le personnel polonais et alsacien (c'est une des originalités de la situation locale). Félix Cussac, son homologue à KST est, lui, dans une logique de profits propre à l'économie de marché ; les Polonais sont toujours les premiers à subir les frais des intérêts à court terme de KST et les conséquences des aléas sociaux et économiques dus à la situation internationale (crise économique et sociale des années 1930, Deuxième Guerre mondiale). D'un côté les MDPA offrent plus de stabilité et plus d'avantages aux immigrés polonais (logement, enseignement, encadrement religieux), mais, de l'autre, Pierre de Retz met la " polonité " sous tutelle, cherche à contrôler les âmes et les esprits, ainsi qu'à éviter (avec succès) diverses formes de politisation. De 1940 à la fin de la guerre, le traitement infligé par l'occupant hitlérien aux Polonais de Pologne pouvait faire craindre le pire à ceux de haute Alsace ; mais, là encore, il semble qu'une logique d'entreprise les ait protégés. L'administration des mines de potasse était dévolue aux elsässische Kaliwerke qui ne firent pas preuve de toute la brutalité rencontrée ailleurs. Au fur et à mesure que l'issue de la guerre devenait inéluctable, le projet put prendre forme, chez certains Polonais du bassin potassique, de rester sur place et de faire, une fois les combats terminés, le choix définitif de la France.
L'autre but visé par l'auteur est de montrer combien, pendant toute cette période et pour la région choisie, les nationalités et les appartenances sont nombreuses et changeantes, ce qui est un cas vraiment particulier et très original en matière de problématiques migratoires en France. L'Alsace, moins touchée que d'autres régions françaises par la crise xénophobe des années 1930 est cependant divisée entre la France et l'Allemagne, ou tentée par le régionalisme. L'auteur fait très justement remarquer que l'Alsace, annexée à l'Allemagne, et Reichsland comme l'était alors la partie occidentale de l'ancienne Pologne, s'était trouvée appartenir au même État que la Posnanie ou la Silésie : des Polonais avaient pu se trouver en Alsace, avant 1918, comme ressortissants allemands. Quant à être polonais ou alsacien en Alsace, ans les années vingt ou pendant la Deuxième Guerre mondiale, cela représentait une multiplicité de situations et de cas douloureux, souvent inextricables.

Cet ouvrage tente d'appréhender des problèmes complexes sans les simplifier. Il est très détaillé, très dense et très complet, presque trop.

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