PIERO-D. GALLORO,
Ouvriers du fer - Princes du vent. Histoire des flux de
main-duvre dans la sidérurgie lorraine
Éditions Serpenoise, Metz, 2001, 261 pages, 27, 44 €.
Livre lu par Philippe Rygiel
Mars 2002
Louvrage de Piero Galloro est
labrégé dune thèse soutenue il
y a quelques années. Son objet premier, ce sont les flux
de main-douvre traversant les usines de la
sidérurgie lorraine durant le gros demi siècle
qui va de 1880 à 1939, lexpression
désignant tant les entrées et les sorties de
lespace usinier que la circulation au sein de ceux-ci. Il
sattache à en retracer les formes, la chronologie,
et à en étudier les déterminants,
rencontrant en chemin beaucoup dItaliens bien sûr,
mais aussi des Polonais, des travailleurs venus dAfrique
du Nord et bien dautres. Il mène
létude de ces flux au moyen des registres du
personnel de plusieurs usines lorraines, qui lui permettent de
reconstituer litinéraire de plusieurs milliers
douvriers. Il complète ce dispositif par le
dépouillement de la presse locale et par des sources
conservées dans les archives départementales,
principalement en série M.
Cela lui permet de proposer une chronologie fine de
lintroduction et de la distribution des populations
étrangères au sein de lespace usinier,
marquées par des soubresauts brutaux.
Les besoins en main-duvre des usines lorraines
sont assez modestes jusquaux années 1890, ce qui
permet un recrutement local quoique les bassins de
recrutement soient parfois transfrontaliers souvent
structuré par des réseaux familiaux, au sein
dune population du fer dont les membres possèdent
de longue date une familiarité avec
lactivité sidérurgique.
La forte croissance enclenchée dans les années
1895-1896 génère dénormes besoins en
main-duvre et provoque le recours aux immigrants
italiens, qui fournisent des manuvres auxquels sont
réservés les postes les plus exposés.
La période 1900-1905 voit une sensible diminution des
arrivées, qui reprennent durant limmédiat
avant-guerre. Durant cette première phase, cette
immigration est encore largement spontanée. Les premiers
essais dorganisation systématique du recrutement
(agents prospectant en Italie, création de services
spécialisés au sein des entreprises) sont de peu
antérieurs à la Première Guerre mondiale,
de même que les premières tentatives visant
à diversifier la provenance des ouvriers
étrangers, qui se traduisent par larrivée
de petits contingents de Bulgares, de Marocains ou de Polonais.
La période davant-guerre voit également les
Italiens pénétrer des secteurs de lusine
auxquels ils navaient pas accès jusque-là.
La guerre ouvre une longue période de
difficultés et les recrutements massifs ne reprennent
quà partir de 1924. Les provenances de la
main-douvre recrutée alors sont plus
diverses quavant-guerre. Les Italiens du Sud et du Centre
sont proportionnellement plus nombreux, les Polonais
constituent une part importante des nouveaux entrants. Ceux-ci
tendent alors à occuper les postes les plus
pénibles, dévolus avant-guerre aux Italiens, dont
la présence dans lusine prend désormais des
formes diverses.
La crise des années trente provoque une très
brutale réduction du nombre des entrées et de
nombreux départs, les ouvriers étrangers, et
parmi eux les célibataires, étant les premiers et
les plus touchés. Elle se traduit également par
une redistribution des populations présentes dans
lusine, accentuant la spécialisation des ouvriers
étrangers les Polonais sont ainsi de plus en plus
confinés à la mine cependant que la
proportion douvriers français augmente dans des
secteurs dont ils tendaient à disparaître durant
la période précédente. Le tableau,
cependant, nest pas valable pour lensemble des
années trente, puisque les entreprises
étudiées recrutent à nouveau de la fin
1936 à 1938, souvent des travailleurs nord-africains,
dont le passage, qui nest pas une
spécificité lorraine, passe souvent
inaperçu, puisque cet afflux, que nenregistre pas
le recensement de 1936, est en partie effacé par les
difficultés économiques de 1938 et la guerre.
Lintérêt du travail de Piero Galloro ne se
limite pas cependant à létablissement
dune chronologie fine. Il tente en effet de rendre compte
de la configuration et de lévolution des flux en
faisant appel à plusieurs éléments
dexplication, les politiques menées par les
employeurs qui ne sont pas limitées ici aux
processus de recrutement de la main-douvre, mais
englobent la définition du processus de production, ou
celle des formes de rémunération, voire la mise
en place de dispositifs de formation , mais aussi les
politiques publiques dont lauteur tente
dapprécier limpact, ainsi que les
stratégies des ouvriers et des immigrés
eux-mêmes. Ces déterminants forment système
dans la pensée de Piero Galloro puisque les mouvements
de la main-duvre le fort turn over
étant compris ici comme un refus de lorganisation
usinière proposée déterminent les
politiques menées autant quils sont
infléchis par elles.
Létude précise, et finement datée,
de la répartition de la main-duvre dans
lespace usinier est probablement lun des aspects
les plus neufs de louvrage, qui nintéressera
pas seulement les historiens de la Lorraine ou des Italiens
mais aussi les spécialistes des politiques patronales.
Le lecteur garde cependant quelques regrets. Quelques cartes
de localisation auraient été bien utiles au
lecteur peu familier de la région étudiée.
Plus gênant, les sources ou auteurs cités ne le
sont pas toujours avec assez de précision. Enfin, la
Première Guerre mondiale nest pas
étudiée en tant que telle, ce qui nuit au propos
tenu, car elle constitue en bien des cas une période de
ruptures majeures, provoquant la dispersion de populations
ouvrières, ou au contraire donnant lieu à
lintroduction de populations nouvelles.
Philippe Rygiel