Etudiants sans frontières
Étudiants sans frontières : migrations universitaires en Europe
avant 1945
Genève, 20-21 juin 2003
par Nicole Fouché
Février 2004
L'étude des migrations universitaires est un des chantiers importants de l'histoire des relations sociales et culturelles en Europe. Cette recherche, inaugurée il y a près de vingt ans, connaît de nouveaux développements, dans lesquels s'insère l'organisation, les 20 et 21 juin 2003, par Hartmut Rüdiger Peter (Halle) et Natalia Tikhonov (Genève), d'un colloque international autour de ce thème. Ce colloque a eu lieu au Château de Coppet, au bord du Léman. C'est dans ce magnifique lieu de la mémoire européenne, marqué par l'esprit de Germaine de Staël et de Benjamin Constant, que l'Institut européen de l'Université de Genève, dirigé par Philippe Braillard, a récemment installé son Centre européen destiné à accueillir des rencontres et à animer des réseaux de portée internationale.
Cette rencontre est la quatrième étape d'une série
de manifestations scientifiques: deux consacrées aux étudiants
russes en Allemagne (Halle, 2000 et 2001) et une portant sur la confrontation
du cas français avec les autres pôles d'accueil occidentaux
(Paris, 2002). Selon la formule éprouvée, une trentaine de
chercheurs et d'auditeurs représentant différents pays
des États-Unis à la Russie, en passant par la Suisse,
la France, l'Allemagne, l'Italie, le Canada, la Bulgarie, la Roumanie
et la Hongrie se sont de nouveau penchés sur la question des
étudiants migrants [1]. Associant historiens,
juristes et statisticiens, le colloque de Coppet a permis d'affiner
et d'élargir la réflexion de toux ceux qui s'intéressent
aujourd'hui à l'histoire des populations étudiantes.
Cette manifestation s'est déroulée en français,
allemand et russe avec des traductions simultanées autogérées,
en particulier grâce aux talents linguistiques exceptionnels de l'historienne
Irina Gouzévitch.
Chaque communication a abordé un cas particulier des migrations universitaires
en Europe (deuxième moitié du XIXe siècle première
moitié du XXe). Sachant, d'une part, que les pays de départ
sont essentiellement l'Europe du Centre et de l'Est et, d'autre
part, que les pays d'arrivée sont la France, la Suisse, l'Allemagne,
la Belgique, l'Autriche et l'Italie, il est facile d'imaginer
la complexité des croisements auxquels les chercheurs se sont livrés
: une seule nationalité d'origine dans plusieurs pays d'accueil
; plusieurs nationalités d'origine dans un seul pays d'accueil
; une seule nationalité d'origine dans un seul pays d'accueil
; approche aussi par école ou par université d'accueil,
etc. (Andreev, Ghervas, Ivanov, Kostov, Nastasa, Szögi, Vuilleumier,
Irina et Dimitri Gouzévitch, Moulinier, Karady, Signori, Peter et
sa dynamique équipe de jeunes chercheurs de l'université
de Halle qui mènent, depuis 1999, une recherche approfondie sur la
présence des étudiants russes dans les universités
du Reich [2]). Puzzle de toute évidence compliqué par les épineuses
questions de chronologie et de géopolitique européennes propres
à la période étudiée et bien connues des historiens
des migrations intra-européennes : frontières géographiques,
nationales, culturelles et politiques.
Des lignes de forces sont cependant à signaler : tout en soulignant
les limites de l'histoire quantitative, de nombreux participants ont
insisté sur les possibilités réelles de mesurer les
flux et de construire des données statistiques et sociologiques comparatives,
à partir des nationalités, confessions, âge, genre,
choix d'études des migrants, etc (de Boor, Rygiel, Szögi).
Par ailleurs, sur le plan qualitatif, il est clair que pour beaucoup d'intervenants,
la guerre de 1914-1918 marque une césure. Deux modèles simplifiés
de migrations universitaires peuvent alors être dégagés.
Jusqu'en 1914, il s'agit souvent de migrations de substitution
ou de perfectionnement, quand les systèmes universitaires nationaux
étaient inexistants, défaillants ou discriminatoires vis-à-vis
de certaines minorités ethniques et confessionnelles : les élites
de certains pays des Balkans par exemple, sont totalement formées
à l'étranger, ce qui influence considérablement
le développement culturel et social des pays en question (transferts
culturels, scientifiques et techniques
) et les relations internationales
ultérieures (Nastasa, Kostov). Après la Première Guerre
mondiale, on assiste plutôt à une émigration déguisée
qui fuit, d'une part, devant la discrimination et le numerus clausus
des universités nationales toujours plus élevés, et,
d'autre part, devant les conséquences de la révolution
soviétique.
D'autres grands traits ont également émergé :
derrière l'apparente hospitalité et le libéralisme
affiché des pays et des universités d'accueil, on constate
la récurrence de stratégies protectionnistes plus ou moins
contrebalancées par l'émergence de la notion de marché
universitaire, d'où une surveillance particulière des
étudiants étrangers et des restrictions attachées à
leur statut juridique (Slama ; Cammelli et Sgarzi). Parmi d'autres
question soulevées, on relève celles de l'identité,
de l'image, de la perception de soi et de l'autre (Ghervas, Klotzsche,
Manitz). De nombreuses comparaisons ont été engagées,
y compris avec des migrations universitaires au départ des Etats-Unis
(Tikhonov). A bien des égards, cet ensemble de déplacements
d'étudiants porte en germe le nouvel Espace européen
de l'enseignement supérieur (Fouché).
Comme l'avait rappelé dans son propos introductif Wladimir Berelowitch (Paris et Genève), l'histoire des migrations estudiantines " reste plus que jamais d'actualité à l'heure où institutions européennes, États et fondations ont fait de la mobilité universitaire et de l'ouverture des frontières un de leurs chevaux de bataille, retrouvant ainsi, par une politique volontariste, des pratiques qui coulaient de source dans l'Europe médiévale ". Ce constat de longue durée justifie la dernière partie du colloque qui a pris la forme d'une table ronde permettant aux participants de se constituer en réseau, de présenter leurs réflexions sur la méthodologie des recherches envisagées et sur les thèmes prioritaires à retenir. Lors d'une dernière réunion de travail ont été discutées les modalités concrètes et pratiques de la mise en uvre et de la gestion du projet : les principes retenus à court terme, dont la mise en uvre reste à faire, sont l'élargissement de l'espace chronologique et géographique, la possibilité de construire une banque de données pour l'ensemble de l'espace universitaire européen, la préparation d'un ouvrage collectif qui ferait le point sur les sources et l'historiographie des étudiants migrants et la programmation de nouvelles rencontres à Coppet selon un rythme bisannuel. Il s'agit bien d'un projet prometteur et durable.
Notes
[1] Les actes de la première
rencontre de Halle sont réunis par Hartmut R. Peter, Schnorrer, Verschwörer,
Bombenwerfer ? Studenten aus dem Russischen Reich an deutschen Hochschulen
vor dem 1. Weltkrieg. Frankfurt am Main, Peter Lang, 2001. Les résultats
des deux rencontres suivantes viennent de paraître en édition
bilingue sous la direction de Hartmut R. Peter et Natalia Tikhonov, Universitäten
als Brücken in Europa. Studien zur Geschichte der studentische Migration
/ Les universités : des ponts à travers l'Europe. Etudes
sur l'histoire des migrations étudiantes. Frankfurt am Main,
Peter Lang, 2003, 339 p.
[2] Dans l'attente de la
publication des actes du colloque, les résumés des communications
annonçant le colloque peuvent être consultés sur le
site des universités de
Genève ou de Halle