Green Nancy
L.
Repenser
les migrations
Paris, « Le Noeud gordien », PUF, 140 p., 15 Euros
Nicole Fouché
Novembre 2002 .
L'histoire des migrations a toujours été, de toutes parts,
traversée par des problématiques doubles, construites sur
des oppositions. Les résultats obtenus sont donc complexes, ce qui
ne simplifie ni leur lecture ni, surtout, leur synthèse. Selon que
l'observateur - l'historien - s'intéresse au pays de départ
ou au pays d'arrivée, à telle aire culturelle ou à
telle autre, à l'avant ou à l'après-migration, au travailleur
immigré ou à l'étranger à la nation, au pull
ou au push, au temporaire ou au permanent, à la double nature « ethnique
[identité culturelle] ou économique [classe sociale] »
de l'immigré, à la mémoire ou à l'histoire,
à l'historiographie ou à l'histoire, au long ou au court terme,
au groupe ou à l'individu (général ou particulier),
à l'universel ou au spécifique, à la synthèse
ou à la monographie, à la macro ou à la micro-histoire,
au passé ou à l'actualité, etc., il - l'historien
- produit des conclusions qui peuvent apparaître comme contradictoires
d'un auteur à l'autre, ce qui n'est pas du tout satisfaisant. Ajoutons
à ce trouble que les couples formés par les forces antithétiques
dont il vient d'être question, sont, le plus souvent incompatibles
entre eux parce que ces paires ne sont pas de même nature : les
unes appartiennent à l'ordre de la description, d'autres à
l'ordre de la causalité ou de l'explication, d'autres à celui
de la méthodologie de la recherche et d'autres enfin à celui
des choix personnels de l'historien-citoyen soumis à la tension,
bien identifiée aujourd'hui, qui lie recherche scientifique et politique.
Ce champ de recherches est, de toute évidence, miné par les
antagonismes des problématiques et par la confusion possible des
catégories, des niveaux d'analyse et d'observation. Dans ces conditions
il est normal de penser à Repenser les migrations.
Nancy Green, consciente de ces difficultés et désireuse d'y
remédier, propose de mettre un peu d'ordre dans cette diversité
et de « repenser les migrations » en les traitant
sous forme comparée : son but est d'exhumer, par la comparaison
qui décloisonne la pensée, « les [seuls] processus
d'identification et de diversification » qui ont valeur
heuristique. Le sujet s'y prête particulièrement bien :
depuis qu'il y a des études sur les migrations, les variables
pouvant servir à la comparaison ont été largement mises
au jour (spatiales, temporelles, politiques, culturelles, économiques,
etc.). Nancy Green penche pour un niveau d'analyse « moyen »
- ni complètement global ni complètement individualiste
- qui permette à la fois de « dégager des
structures pertinentes [et de rester] vigilant quant aux spécificités
des populations, nations ou régions ». Ses deux premiers
chapitres, « De la comparaison » et « Comparer
les migrations », sont une réflexion générale
sur l'utilité, d'une part de l'histoire comparée,
d'autre part de son application aux mouvements migratoires.
L'auteur illustre ensuite sa méthode en comparant l'immigration
en France et l'immigration aux États-Unis. Tout d'abord,
elle juxtapose les deux migrations, ensuite elle les différencie
(en France, elle voit l'étranger devenir immigré ;
aux États-Unis, elle constate, d'un côté, la permanence
de la problématique « anciens » et « nouveaux »
immigrants et, de l'autre, le passage du melting pot à l'ethnicité).
Enfin, après un détour par l'étude des concepts
élaborés par les sciences sociales (assimilation, etc.), elle
se livre de nouveau à une comparaison, mais cette fois ce sont les
historiographies des deux immigrations qui sont l'objet de la comparaison.
Dans cette étude, elle met au jour, en dépit des similitudes,
l'intérêt des différences, particulièrement
au niveau des représentations que chaque pays a de lui-même.
Le chapitre suivant porte sur les migrations et le travail. C'est
un bilan des interprétations des mouvements migratoires fondées
sur la place des migrants dans l'économie (secteurs primaire
et secondaire essentiellement). Là encore, elle plaide pour une approche
intermédiaire, dite « mezzo », pour un « structuralisme
post-structural » qui tienne « ensemble la perspective
des acteurs sociaux sans oublier les aspects internationaux et nationaux
qui entourent les choix individuels ou familiaux ». Son dernier
chapitre, « De l'immigré à l'immigrée »
est en quelque sorte programmatique : la découverte, dans l'historiographie
récente, des « femmes qui bougent » implique
une relecture du champ migratoire sous l'angle du « genre »,
relecture qui risque, à son tour, de reformuler la pensée
sur les migrations. Cette réflexion est actuellement à l'-uvre
et Nancy Green s'en réjouit.
On aura compris que, pour l'auteur de cet ouvrage, la comparaison
d'un côté, l'épistémologie de l'autre,
ainsi que le genre, sont aujourd'hui des points de vue particulièrement
privilégiés pour « Repenser les migrations ».