Bénat-Tachot Louise et Gruzinski Serge
Passeurs culturels. Mécanismes de métissage

Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme / Presses universitaires de Marne-la-Vallée, 2001, 320 p., 26,67 _.

Livre lu par Nicole Fouché

Novembre 2002 .


Pourquoi cet ouvrage peut-il être utile aux historiens de l'immigration ? Parce que la question des conséquences culturelles des migrations ainsi que les lancinantes interrogations de l'évolution des identités sont de plus en plus à l'ordre du jour dans les problématiques de ce champ. Du melting-pot au pluriculturalisme, de l'assimilation à la revendication de l'identité nationale, du rapport de forces culturel à la réciprocité, les migrants et leurs descendants posent, dans chacune de leurs activités, les problèmes de passage, de circulation, de métissage, de brassage, de mélange, de recomposition, qui sont abordés dans ce livre. Les émigrants/immigrants sont souvent les agents moteurs, voir les simples vecteurs, les passeurs culturels naturels, toujours renouvelés bien que toujours différents, d'un monde vers un autre. Ils ne sont pas forcément ceux dont l'impact est le plus important : ceci est une vraie question, qui n'a jamais été posée, et qui ne l'est pas non plus dans cet ouvrage qui ne traite pas du thème des migrations internationales mais qui s'intéresse à d'autres situations de rencontres ou de mélanges : missions, voyages, traductions, productions artistiques.
Pour mieux comprendre les impacts sociaux et culturels de la vie en société nous pouvons désormais essayer de comprendre les mécanismes, les processus qui se mettent en action lors des contacts culturels ou tout simplement lors des contacts humains (macro ou micro-historiques, sur le long, moyen ou court terme). C'est l'effort qu'ont fait les auteurs de cet ouvrage collectif. Ils mesurent les écarts, expliquent les métamorphoses, dessinent les ponts, suivent les liens entre univers différents. Les études proposées par ce livre sont extrêmement variées : « Les passeurs dans le monde colonial ibérique » (contributions de Carmen Salazar Soler, Jacques Poloni-Simard, Frédérique Langue), « De la nécessité des écrivains passeurs » (contributions de Jeanyves Guérin, Madeleine Fondo-Valette, Pierre-François Gorse, Pierre Géal), « Passeurs et transmission des savoirs » (contributions de Inès de Diego, Pascale Girard, Sonia V. Rose, Louise Bénat-Tachot) ; « Langage et médiation culturelle » (contributions de Michael Soubbotnik, Jean-Paul Honoré, Joanna Nowicki, Fabienne Bock). La diversité des méthodes présentées et des sujets abordés, le cadre interdisciplinaire de la discussion, loin d'être des freins à l'efficacité des idées, sont au contraire la preuve du rapprochement possible, autour de cette question centrale des mécanismes de métissage, des thèmes, des espaces, des temps, des méthodes et des disciplines.
Les mécanismes étudiés n'appartiennent pas du tout à l'histoire de l'immigration mais celaest sans importance car c'est la démarche qui importe : on cherchera à mettre en lumière la façon dont les contacts fonctionnent entre un ensemble complexe et un autre ensemble complexe. A la question : comment ça marche ?, il ne s'agit pas de répondre par oui ou par non, de dire si c'est bien ou mal, de prédire l'avenir ni de réifier le passé, il s'agit d'analyser un mouvement, une procédure, d'en observer les différentes étapes, les retards, les avancées, les incertitudes, de dégager les logiques floues qui déterminent continuités et ruptures, alliances et combinaisons. Il s'agit enfin de savoir penser « l'entre-deux », « l'intermédiaire », « l'état instable », en cours de formation. On va demander à l'analyste, au lieu de procéder par simple soustraction ou addition, de créer une physique de l'histoire sociale et de tenter d'expliquer le mouvement et le changement.

[ Retour à l'index de la rubrique ]