LEUENBERGER (Ueli), MAILLARD (Alain)
Les damnés du troisième cercle. Les Kossovars en Suisse, 1965-1999

Les Éditions Metropolis, Genève, 1999, 145 pages.

Livre lu par Philippe Rygiel

Novembre 2001

Ce livre, écrit par un militant syndical et associatif et un journaliste est tout à la fois un témoignage et un plaidoyer destiné en priorité à l'opinion suisse. Ses auteurs dénoncent la politique menée par l'état helvétique, qu'ils considèrent injuste et inefficace. Ils désirent d'autre part offrir à l'opinion tant un récit du conflit yougoslave, qu'un portrait de la population Kossovare, permettant de dissiper préjugés et jugements hâtifs relayés par les médias suisses.
La première partie de l'ouvrage brosse à grands traits l'historique de la présence kossovare en Suisse. Celle-ci est massive, puisque les Albanais du Kossovar constituent, par le nombre, la seconde minorité étrangère en Suisse; ils seraient, d'après les auteurs, environ 200 000. Elle est de plus ancienne. Les premiers Albanais du Kossovar entrent en Suisse au début des années soixante. Alors citoyens yougoslaves, ils sont d'abord saisonniers avant qu'un certain nombre d'entre eux n'obtiennent le droit de séjourner en Suisse de manière permanente. Leur histoire, jusqu'à la fin des années 80, reproduit celle de beaucoup de migrations européennes liant une région rurale et pauvre à un pays du nord-ouest de l'Europe. Venus en Suisse chercher les ressources permettant d'améliorer la situation de la famille demeurée au village, ces migrants sont dans les années soixante-soixante-dix souvent des hommes venus seuls, dont l'intégration à la société suisse est minimale. La vie associative est autocentrée, l'épargne importante, la connaissance de l'une des langues en usage en suisse rare.
Leur présence est alors largement ignorée du grand public. Les choses changent avec le début du regroupement familial -æque les auteurs ne dates pas avec précisionsæ- qui accroît la visibilité de cette population, et plus encore avec les débuts du conflit yougoslave. Celui-ci provoque l'arrivée massive des familles des travailleurs résidant en Suisse et un fort afflux de réfugiés et de demandeurs d'asile, souvent liés par des liens familiaux à des Albanais du Kossovo installés en Suisse. Le gouvernement helvétique tente tout à la fois d'endiguer cet afflux et d'éviter que réfugiés et demandeurs d'asile présents en terre suisse ne s'installent, position à laquelle conduisent, nous disent les auteurs, tant les difficultés économiques de la Suisse des années 90, que la pression des médias qui dénoncent le coût de l'accueil des réfugiés Kossovars et la nocivité d'une population qui apparaît liée à la recrudescence du trafic de drogue, auquel, de fait sont mêlés de jeunes Albanais du Kossovar. La politique visant ces fins comporte trois volets. - L'entrée en Suisse est rendue de plus en plus difficile aux Albanais du Kossovar. La Suisse limite le nombre de visas saisonniers accordés aux Kossovar en 1991. En 1996 les Suisses n'accordent plus de visas saisonniers aux ressortissants de l'ex Yougoslavie. - L'obtention du statut de réfugié devient plus difficile, et les refus plus nombreux. Les autorités suisses exigent en effet que les requérants fassent la preuve de ce qu'ils étaient personnellement menacés, preuve qu'il est bien sûr particulièrement difficile d'apporter. - Enfin, plusieurs trains de mesure visent à réduire l'"attractivité du pays". Le statut de réfugié et de requérant se dégrade. Ceux-ci ne peuvent entrer sur le marché du travail local, la durée de l'interdiction variant selon les cantons. L'administration helvétique n'autorise pas les requérants à rejoindre leurs parents déjà installés en Suisse, mais les disperse entre les cantons, qui les hébergent parfois dans des bâtiments aménagés à la hâte, isolés en milieu rural. Enfin le gouvernement helvétique tente, avec constance, d'organiser le renvoi des requérants déboutés. Les négociations avec la Yougoslavie sont difficiles du fait de la guerre, elles aboutissent cependant à un accord en septembre 1997 qui permet le renvoi de 1300 Albanais du Kossovar, politique que la reprise des combats conduit à interrompre de fait. Il faut la campagne de purification ethnique entreprise par les Serbes au Kossovo (1999) pour que la position suisse s'assouplisse. Une admission collective provisoire au titre de réfugié est accordée aux requérant présents, cependant que la Suisse annonce qu'elle acceptera 2500 réfugiés supplémentaires. La portée de ces décisions est cependant réduite. En mai 1999 une ordonnance fédérale réduit l'accès aux soins médicaux et à la scolarisation des réfugiés et dès la fin 1999 la Suisse encourage le retour des réfugiés issus des régions placées sous l'administration provisoire de l'ONU.
Le livre est utile par son récit, précis, d'une histoire et d'une immigration mal connue, particulièrement hors de Suisse. On n'y cherchera pas une réflexion élaborée qui permettrait de comprendre les déterminants de la position suisse, ou qui replacerait celle-ci dans une histoire plus vaste, celle de la "crise du droit d'asile " par exemple, non plus que l'ébauche d'une solution politique, l'appel des auteurs à la bonne volonté et à la compréhension, pour louable qu'il soit, semble un peu court. On y trouvera cependant, du fait de l'attention portée par Ueli Leuenberger aux conditions matérielles des réfugiés et aux pratiques de l'appareil d'état, un matériau riche pour qui s'intéresse aux formes concrètes du fonctionnement de l'appareil d'état et du droit d'asile.

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