Ariane LANTZ,
L'administration face aux étrangers. Les mailles du filet

Préface de Mouloud AOUNIT.
L'Harmattan, collection Forum, Paris, 1998, 175 pages, 104,50 francs.

Livre lu par P. Rygiel

Septembre 1998

Le livre d'Ariane Lantz n'est pas l'ouvrage d'un chercheur. C'est en témoin, mais en témoin informé et sachant manier un clavier, et en citoyenne, que cette militante du Mrap, par ailleurs professeur de philosophie, prend la parole. Ses activités militantes l'ont conduite à participer durant plusieurs années aux permanences d'accueil des immigrés tenues par le Mrap. Son livre s'appuie sur cette expérience.

Il est en effet constitué de courtes notices dont les titres (demandes d'asile, frontières, guichet) évoquent les étapes administratives de la trajectoire d'un immigré tentant d'obtenir le droit de séjourner en France. Le désir d'être au plus près de l'individu, du concret, guide le traitement de chacun des thèmes ainsi définis. Chaque notice rappelle brièvement la réglementation actuelle et évoque, de façon précise et détaillée, quelques itinéraires dont elle a eu à connaître.

Une telle construction ne permet pas de faire émerger un discours solidement structuré, même si quelques idées fortes, qui ne sont pas toujours originales, mais telle n'est ni la visée ni la fonction de ce volume, parcourent le livre et tentent de rendre intelligibles les situations évoquées. Ariane Lantz nous rappelle que la gestion des populations immigrées est par excellence le domaine de l'infra droit, d'une part parce que le souci d'efficacité, ou celui de satisfaire l'opinion, conduit à adopter des procédures que le droit ne saurait sanctionner, d'autre part parce que la question immigrée cristallise des conflits nombreux, entre justice et ministère de l'intérieur par exemple, dont l'effet est une réglementation imprécise, souvent remaniée et parfois contradictoire. Celle-ci produit mécaniquement des étrangers irréguliers tout en soumettant tous les étrangers à l'autorité discrétionnaire de l'administration, ou à l'arbitraire de décisions non motivées. Celles ci sont souvent contraires aux intérêts des étrangers, sur qui pese l'obligation de fournir à l'administration des preuves de leur bonne foi dont le format est strictement fixé par l'administration, qui ne se soucie pas toujours qu'il puisse être matériellement impossible de produire certaines d'entre elle et qui, victime de la manie du soupçon, a tendance à en exiger un nombre toujours croissant. Ajoutons que l'interprétation de la loi et de la réglementation par les échelons inférieurs de la bureaucratie est en règle générale particulièrement stricte, quand ne sont pas systématisées des procédures contraires à l'esprit ou à la lettre de la loi. Il n'y a rien là qui doive réjouir le citoyen de bonne foi. Le souci de contrôler une population particulièrement insaisissable conduit l'appareil d'État à inventer les instruments d'un contrôle plus efficace, qui pourraient être appliqués sous peu à d'autres qu'aux étrangers. On ne peut dans les trois cas que souscrire à ces affirmations, l'histoire de la carte d'identité (1), les études consacrées au droit des étrangers (2) ou à la construction du statut de réfugié (3) confirment le propos.

L'intérêt du livre va au delà de ce rappel. Il nous fait, au travers de la moisson d'exemples qu'il propose, pénétrer dans ce que l'on pourrait appeler l'intimité de l'appareil d'État, son fonctionnement quotidien, ce qui est rarement fait et particulièrement nécessaire en ce domaine, puisque l'appréciation d'une politique qui laisse une large part à l'arbitraire ne peut se passer d'une connaissance des formes de sa mise en oeuvre. L'historien y trouve son compte, qui peut ainsi pressentir les formes anciennes de la gestion des populations immigrées et construire des hypothèses que sa documentation habituelle, souvent lacunaire et fort discrète en ce domaine, ne saurait toujours lui permettre d'esquisser.

P. Rygiel
rygielp@imaginet.fr

Notes

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