Fabienne le Houérou 

Nomades et Pharaons

Les films du Nil, 2003, 46 minutes

Film vu par Philippe Rygiel

Octobre 2004

Fabienne Le Houérou a, au cours d’une enquête anthropologique consacré aux réfugiés de l’est de l’Afrique en Egypte et au Soudan, réalisé et monté un film documentaire qui restitue les parcours de plusieurs individus en ce cas. Ceux-ci, parce que la question qui l’anime est celle de la capacité de certains à " rebondir ", à surmonter une accumulation d’épreuves, sont choisis parmi ceux qui sont parvenus à reconstruire en exil une existence sociale, à assumer un projet. Nous les suivons dans les rues du Caire, les entendons et les voyons évoquer les étapes de leurs parcours et les difficultés qu’ils rencontrent. Une séquence évoque une visite à un camp de réfugiés érythréens ensablés au Soudan, abandonnés des organisations internationales et ensablés là. Une anthropologue américaine proposant quelques clés de lecture, lors d’extraits d’entretiens intercalés entre les séquences. Le propos, assez clairement explicité, est que les individus ont besoin d’une aide extérieure, ou plus efficace encore, de pouvoir s’appuyer sur des formes d’hospitalité, pour pouvoir prendre pied dans une réalité nouvelle et d’une perspective, d’un horizon que peut fournir tant la religion que l’art ou un projet.

L’éventuelle discussion du propos suppose une réflexion sur ce qui le soutient, en l’occurrence un film dont le statut est bien sûr ambigu, pour reprendre les propres termes de F. Le Houérou il appartient à la catégorie " Des films achevés - qui ne sont pas de purs objets scientifiques - tout en appartenant à l'univers de la recherche (ses à-côtés). ". Parce qu’il est montrable, c’est à dire visible par d’autres que des scientifiques, le film, ou ce film, le choix entre les deux termes est au delà de mes compétences, efface les traces de l’élaboration du matériau qu’exige le compte-rendu d’un travail scientifique. Nous ne savons pas ainsi à le voir qui est le locuteur, quelle est sa position vis à vis des personnages évoqués, comment ceux-ci ont été choisis, de même que nous ne disposons pas des " données de cadrage " chères au sociologues qui décriraient la population des réfugiés d’Afrique de l’est présents en Egypte et au Soudan. Nous ne disposons pas non plus des notes de bas de page et des références aux sources qui font au moins l’apparence de la scientificité. En somme nous est donné à voir un discours ou un récit, construit en utilisant les données d’une enquête scientifique, mais qui ne décrit pas le matériau accumulé et l’élaboration de celui-ci par le chercheur. En somme, mais je pars là d’une définition implicite de l’activité scientifique dans le domaine des sciences sociales, nous avons à faire à une source, élaborée par un chercheur, dont le propos a plus le statut d’une intuition informée que d’une conclusion. En ce sens il n’est pas discutable mais peut avoir valeur d’hypothèse.
Il demeure deux questions, parvenons à ces conclusions parce que nous sommes confrontés à des images animées ou parce que le film obéit à des codes qui sont ceux du documentaire, et que pouvons nous apprendre de ce type de source, ou de cette source. Je laisse de côté la première, qui outre qu’elle mériterait une longue discussion dépasse mes compétences. La seconde renvoie aux compétences ordinaires de l’historien. Le film est source possible, pour d’autres que celui qui a mené la recherche. Certains objecteront qu’il n’est pas une source très pure, parce qu’il incorpore un regard, celui de l’auteur, et parce que les personnes filmées ont tendance à se mettre en scène, à donner à voir un personnage en partie construit. Cette réserve n’a guère de sens, nous attendons encore la source qui reproduirait fidèlement la réalité telle qu’elle était et n’en propose par une image que structurent des points de vue et des intentions.

Source donc, riche, parce les données proposées sont à la fois particulièrement abondantes au regard de ce que pourrait proposer la plus minutieuse des descriptions anthropologiques, et qualitativement différentes des sources écrites que la plupart d’entre nous ont l’habitude de manier. Il y aurait ainsi beaucoup à apprendre des stratégies de présentation de soi déployées par les individus rencontrés par Fabienne le Houérou. La tâche serait cependant rude pour beaucoup d’entre nous, et pour l’auteur de ces lignes le premier, tant nous sommes souvent ignorant des règles de l’écriture cinématographique.

 

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