LILLO
(Natacha)
La petite Espagne de la plaine Saint-Denis, 1900-1980
, Paris, Autrement, 2004, 163 page
Livre lu par Philippe Rygiel
Juin 2004
Natacha Lillo a terminé en 2001 une thèse consacrée à l’étude des " Espagnols en banlieue rouge ". Elle en tire la matière de ce volume de la collection " Français d’ailleurs, Peuple d’ici ".
Organisé chronologiquement celui-ci fait revivre les pionniers venus
de Vieille Castille ou d’Estramadure qui, dès l’aube
du XXème siècle sont engagées par les industries chimiques
et métallurgiques de la plaine Saint-Denis, à Saint-Denis
même ou à Aubervilliers. Loin d’être anecdotique,
cette première migration, qui concerne encore des effectifs modestes,
donne naissance à des chaînes migratoires qui organiseront
l’immigration espagnole en région parisienne durant plusieurs
décennies. La forte demande de main d’œuvre née
de la première guerre mondiale stimule ces flux, et l’on assiste
alors à la naissance du quartier de la petite Espagne – le
terme lui-même date de cette époque -, où se logent,
à proximité des usines qui les emploient les travailleurs
espagnols. Les conditions d’hygiène et de logement, ce n’est
pas là une spécificité, y sont exécrables. Mal
ou pas raccordées aux réseaux collectifs, souvent édifiées
à la hâte sur des parcelles louées à des maraîchers,
la plupart de ces demeures sont des taudis. La croissance des années
20 contribue à la croissance du quartier qui abrite en 1930 environ
4000 Espagnols, soit la moitié des Espagnols résidant dans
le département de la Seine. Natacha Lillo étudie de près
la sociabilité et la vie quotidienne de ces migrants, dont les temps
forts sont les fêtes religieuses, Noël en particulier. Elle évoque
aussi à la vie politique de cette population. Anarchistes et communistes,
fort du soutien sans faille du PCF, y sont bien représentés,
même si l’influence du clergé espagnols, représentés
par les pères clarétains, qui mêlent habilement propagande
religieuse et œuvres sociales, n’est durant les années
vingt, pas négligeable.
La crise économique est une période de rupture. Elle provoque
un chômage massif et durable, des retours, des départs. La
vie politique de la période est bien sûr dominée par
le conflit espagnol, qui provoque ici une large mobilisation, et a pour
corollaire tant le déclin de l’influence catholique que la
méfiance envers la municipalité Doriot, dont les positions
antirépublicaines sont affichées. L’engagement républicain
se prolonge pour certains par un engagement résistant qui conduira
plusieurs Espagnols de Saint—Denis dans les camps nazis.
C’est paradoxalement durant cette période que se forgent les
conditions de l’intégration des Espagnols de Saint-Denis à
l’espace politique local. Le PCF qui domine ici après guerre
organise un culte des martyrs de la résistance qui n’oublie
pas les républicains espagnols et propose à ceux-ci une triple
identification – à l’Espagne républicaine, à
la France résistante et au camp de la révolution mondiale
– qui rencontre un écho profond chez une partie de la population
espagnole, d’autant que celle-ci est en partie renouvelée par
l’arrivée de réfugiés espagnols qu’attirent
des liens familiaux ou les formes diverses de la solidarité militante.
Les années cinquante sont marquées par un nouvel afflux, qui
fait parfois rejouer les réseaux anciens. La population espagnole
de Saint Denis double entre 1954 et 1968, d’autant que le développement
des transports permet désormais de résider à Saint-Denis
tout en s’embauchant dans à Poissy chez Talbot ou à
Boulogne chez Renault. La plaine Saint-Denis apparaît alors comme
la forteresse d’un PCE, pourtant interdit en 1950, mais qui peut continuer
à fonctionner sous l’aile du PCF.
Cette configuration historique se disloque durant les années 70.
Y contribue le déclin des partis communistes espagnol et français,
mais aussi la politique de résorption des taudis de la petite Espagne
qui s’accompagne de relogements, le départ des enfants des
immigrés de l’entre-deux-guerres dont la mobilité sociale
aura d’autres cadres, voire celui d’ouvriers qualifiés
soucieux d’un meilleur cadre de vie. Algériens et Portugais
se mêlent aux Espagnols puis les supplantent avant l’arrivée
des capverdiens et des Africains.
Il ne reste aujourd’hui de la présence espagnole que quelques
souvenirs, inscrits parfois dans la toponymie et quelques vestiges, tels
ces bars où se réunissent les week-ends quelques vieux Espagnols
communiant dans le souvenir.
Illustré d’abondance, selon la règle de la collection, clairement écrit, le récit de Natacha Lillo a le grand mérite de ne pas réduire l’histoire de l’immigration espagnole à celle de l’exil républicain, seul épisode jusque là véritablement exploré par l’historiographie. Il l’offre de plus l’intérêt de saisir en un lieu la totalité d’un cycle migratoire, dont la chronologie et les logiques se retrouveraient en d’autres lieux, et pour d’autres populations, de l’arrivée des pionniers à la dissolution de ce que l’on appelait durant l’entre-deux-guerres une colonie étrangère. Cette solide monographie intéressera donc au delà du cercle des spécialistes ou des curieux de l’histoire des Espagnols de France.