MOULINIER Pierre
La Naissance de l’étudiant moderne (XIXe siècle), Paris, Belin, 2002, 336 p.

Livre lu par Nicole Fouché, CNRS

Janvier 2004

L’image de l’" étudiant moderne ", telle qu’on se le représente aujourd’hui, s’enracine dans la culture et dans la société françaises entre 1814 et la Première Guerre mondiale. Elle est en place à la veille de 1914. Tel est l’argument de ce livre.

On ne peut pas alors parler de démocratisation des études supérieures, mais on observe déjà quelques traits constitutifs du phénomène qui se développera plus tard (2 500 élèves environ dans les facultés parisiennes au début du siècle ; 42 000 en France en 1914 ; près de 2,5 millions en 2000) : augmentation des effectifs étudiants, diversification sociale du milieu, développement de l’enseignement supérieur provincial ainsi qu’entrée dans l’université française de deux nouvelles catégories d’étudiants : les étrangers et les femmes. Cette croissance est indissociable des changements économiques, culturels et sociaux de la période : amélioration de l’image sociale du médecin, développement du féminisme, accroissement des effectifs des barreaux, besoin d’enseignants dans l’éducation primaire, secondaire et supérieure, besoin de scientifiques et d’ingénieurs dans la société française, etc. Le sérieux dans les études devient la norme (cela change avec le dilettantisme du début de siècle). L’accroissement des effectifs étudiants a pour corollaires la naissance et le développement des associations corporatives. Les étudiants se dotent d’une capacité grandissante d’agir sur les réformes universitaires, voire sur la vie politique.
L’étudiant acquiert une visibilité sociale de plus en plus importante. De nouvelles formes sociales, culturelles et politiques se développent : vie de café, bals étudiants, œuvres d’entraide, associations religieuses, sociétés secrètes, débuts d’une presse écrite, organisation de syndicats, de groupements politiques. On y trouve tous les courants et donc toutes les expressions de la société : de l’antisémitisme violent et des excès des Camelots du roi aux revendications ultra-corporatistes des carabins. L’Université devient un creuset pour des engagements individuels qui se poursuivront ultérieurement.
Le siècle (1814-1914) n’accouche pas brutalement de ces nouvelles structures. Cinquante années de tâtonnements sont nécessaires et la Belle Époque a entériné ces évolutions. La Grande Guerre, loin de les mettre en cause, aura pour conséquence de les accélérer.

Tous ceux qui ont fréquenté ou fréquentent aujourd’hui l’Université doivent lire cet ouvrage. Outre la qualité de sa documentation et de son expression (46 pages de notes et de sources, 27 tableaux récapitulatifs concernant les informations susceptibles d’être quantifiées, un texte très clair et très fluide), il fait prendre conscience aux historiens qui travaillent sur le milieu étudiant (culture, migrations, histoire des idées, histoire politique et religieuse…) que l’" étudiant contemporain " n’est pas le fruit d’une rupture ni d’une crise. Il émerge, avec les traits qu’on lui connaît aujourd’hui, dans la seconde moitié du XIXe siècle. Contrairement à ce qu’on dit souvent, le monde étudiant n’est pas fermé, à part, confiné aux étroites limites des universités, c’est un monde très réactif qui se construit (en phase ou en opposition) en fonction des sollicitations économiques, sociales et culturelles environnantes, en prise avec son époque.

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