DENECHERE Yves, MARAIS Jean-Luc (sous la direction de)
Les étrangers dans l'Ouest de la France (XVIIIe-XXe
siècle).
Actes du Colloque de Cholet, 25-26 juillet 2002, Annales de Bretagne
et des Pays de l'Ouest, 2002, tome 109, n° 4, Presses
universitaires de Rennes.
Livre lu par Laurent Dornel
Décembre 2003
Ce compte-rendu est destiné à paraître dans le numéro 3 de la revue Diasporas, publiée par le laboratoire Diasporas CNRS et l'université Toulouse Le Mirail, nous le reproduisons ici avec l'aimbable autorisation du directeur de publication de cette revue et de l'auteur
Cette livraison des ABPO rassemble les communications des participants à un colloque qui s'est tenu à Cholet en 2002, colloque consacré à l'étude des étrangers dans l'Ouest de la France entre le XVIIIe siècle et le XXe siècle. Comme le rappelle Janine Ponty dans son article introductif, l'Ouest de la France est une "terre atypique d'immigration". En effet, on n'y voit que peu de saisonniers, l'immigration de voisinage y est peu développée, les centres urbains y sont trop modestes pour susciter une immigration importante. Certes, il y a bien des isolats industriels susceptibles d'attirer la main-d'oeuvre étrangère, mais l'Ouest - essentiellement rural - apparaît donc plutôt comme une terre d'exil. Au XIXe siècle comme au cours de la première moitié du XXe siècle, les autorités françaises y regroupent les réfugiés politiques. C'est le thème des quatre premières communications.
Diego Téllez Alarcia évoque ces milliers d'Irlandais
qui, partisans de Jacques II chassé par Guillaume III, trouvèrent
refuge dans l'Ouest en 1691. Cet "exil jacobite irlandais" s'est inscrit dans
le cadre des rivalités diplomatiques et militaires entre Louis XIV
et le reste de l'Europe. En dépit d'un accueil plutôt assez chaleureux
semble-t-il, ces Irlandais font les frais des fluctuations de la diplomatie
française : la paix de Ryswick entraîne la démobilisation
des unités irlandaises alors au service du roi de France. Patrick Harismendy
s'interroge sur les problèmes posés par la présence des
réfugiés politiques en Bretagne entre 1830 et 1848. Il montre
notamment que la présence de ces réfugiés, affectés
à des dépôts en vertu de la loi d'avril 1832, fait naître
chez les autorités françaises un souci majeur, celui de la surveillance.
En effet, le "statut" du réfugié, étudié il y
a quelques années déjà par Cécile Mondonico dans
sa thèse, impose à celui-ci une stricte neutralité politique.
L'auteur souligne par ailleurs les difficultés de l'intégration
de ces réfugiés pour lesquels "la mort dans l'indigence reste
la norme". Jérôme Hervé, dans son étude des réfugiés
politiques italiens en Maine-et-Loire (1845-1900), paraît à ce
sujet plus nuancé. La cinquantaine de Romagnols acheminés à
Saumur en 1845 arrivent, il est vrai, dans un état de misère
et de dénuement. Mais diverses chaînes de solidarités
leur permettent de s'intégrer assez bien dans cette sous-préfecture.
Certes, "la mobilité sociale ascendante de la majorité des Italiens
est assez modeste ", et la réussite d'un Angelo Bolognesi (qui
devient conseiller municipal) est exceptionnelle ; pourtant, les Romagnols
qui choisissent de rester ne sombrent pas dans la misère. Cette dernière
est toutefois relative, comme le souligne Jean-François Tanguy dans
sa communication sur les réfugiés portugais dans l'Ouest de
1829 à 1834. L'Ille-et-Vilaine et la Mayenne accueillent en effet quelques
centaines de Portugais libéraux, débarqués à Brest
en janvier 1829 et fuyant le nouveau régime de Miguel. Ces réfugiés,
provenant globalement des couches sociales aisées, reçoivent
de la France des subsides qui leur paraissent insuffisants mais dont se seraient
tout à fait contentés des ouvriers. Ils s'entendent plutôt
bien avec les libéraux bretons opposés au gouvernement de Charles
X qui décide donc de hâter leur départ, en leur supprimant
notamment les subsides. Mais la révolution de Juillet suspend le projet
et, finalement, cette petite communauté de Portugais finit par retourner
chez elle à la faveur de l'abdication de Miguel en 1834.
Les trois contributions suivantes proposent des monographies
sur des cas de micro-immigrations économiques entre 1870 environ et
1939. La richesse des archives départementales du Morbihan permet à
Bertrand Frelaut de nous donner un aperçu complet et vivant de la "petite
immigration " des Italiens dans ce département entre 1879 et 1939.
Au terme d'une enquête assez complète, il conclut que cette immigration,
par certains aspects originale, a réussi une greffe, même
si elle est modeste. Geoffrey Ratouis retrace l'histoire ordinaire d'une micro-immigration,
celle des étrangers à Cholet du milieu du XIXe siècle
à 1914. Enfin, Pascal Houdemont s'intéresse aux ardoisières
de Trélazé qui, contrairement aux mines du Nord et de l'Est,
ne firent que peu appel à l'immigration étrangère. En
fait, les véritables étrangers, à Trélazé,
ce sont les Bretons, qui forment jusqu'à 50% de la population de la
commune en 1908. L'intérêt majeur de cette étude est de
montrer le caractère tout relatif de la notion d'étranger, y
compris au XXe siècle ; à Trélazé,
mais aussi en Ile-de-France où ils sont fort nombreux dans le bâtiment,
les Bretons sont tenus en marge de la ville et sont l'objet d'une stigmatisation
durable, à l'instar des quelques Espagnols installés.
La troisième section porte sur les étrangers dans l'Ouest
pendant les deux guerres mondiales. Ronan Richard montre que la perception
des étrangers par les populations locales a évolué
pendant la Première Guerre mondiale. En effet, au début, les
réfugiés, perçus comme étrangers au cadre local,
ont reçu un accueil plutôt favorable, au nom d'une solidarité
née de l'idéal national. Mais peu à peu, ces réfugiés
sont considérés comme des oisifs à la charge des communes
et tenus pour des "indésirables ". À l'inverse, les prisonniers
de guerre (civils et militaires), longtemps objets de suspicion, finissent
par être appréciés, surtout en milieu rural, en raison
de l'aide qu'ils apportent aux travaux agricoles. Jean-Noël Grandhomme
évoque le cas, longtemps méconnu, de ces Alsaciens-Lorrains
qui, considérés comme des "sujets austro-allemands ",
furent internés dans l'Ouest français, dans des camps de concentration
de type divers (forts comme celui de Crozon, bastions anciens, baraques
Adrian...). Il analyse les pratiques administratives, tout comme la méfiance
des autorités et des populations à l'encontre de ces internés
qui, même lorsqu'ils manifestent leurs sentiments français,
restent singularisés par un dialecte confondu avec l'allemand. Trente
plus tard, se pose à nouveau la question des prisonniers de guerre
et civils internés allemands. Loïc Rondeau s'intéresse,
en effet, au camp de la Chauvinerie (Vienne) où furent regroupés
près de 4000 personnes ; la grande majorité des internés
furent employés comme main-d'oeuvre agricole. En dépit de
quelques exactions ils sont relativement bien acceptés et, lorsqu'ils
sont autorisés à rentrer en Allemagne en 1948, 500 d'entre
eux décident de rester en France en tant que "travailleurs libres ".
Alain Jacobzone montre que, dans le Maine-et-Loire, les Juifs français
furent presque aussi touchés que les Juifs étrangers par les
persécutions pendant la Seconde Guerre mondiale ; le zèle
des bourreaux s'explique tant par un antisémitisme officiel que par
une xénophobie très largement partagée puisque, pour
les autorités comme pour la presse et pour l'opinion locale, tout
Juif est par essence un étranger. Enfin, deux contributions évoquent
les relations franco-américaines lors des deux guerres mondiales.
En 1917-1919, rappelle Yves-Henri Nouailhat, des milliers de soldats américains
(Sammies) débarqués en Basse-Loire sont d'abord accueillis
comme des sauveurs avant de susciter, dans certains cas, de fortes jalousies,
voire un ressentiment assez puissant, dès lors que la menace allemande
s'éloigne et qu'ils commencent à s'intéresser aux jeunes
Françaises... À partir de 1944, les Américains décident
d'implanter en Basse-Seine de gigantesques camps de transit, qui accueillent
jusqu'à 200 000 soldats, soit plus de 10% de la population de
la Seine-Inférieure. Marc Bergère analyse l'ambivalence des
sentiments de cette dernière envers des hommes considérés
d'abord comme des libérateurs puis bientôt comme des occupants.
La dernière section de l'ouvrage est consacrée
à des approches régionales contemporaines. Sont étudiés
trois types de migration, à Angers, en Poitou-Charentes et la Roche-sur-Yon.
L'intérêt de ces contributions est de montrer l'originalité
d'une immigration dans une région essentiellement rurale et restée
longtemps à l'écart des grands flux, ainsi que le soulignent
Yves Denéchère et Jean-Luc Marais dans leur conclusion.
Contrairement à bien des actes de colloque, ce recueil présente une certaine homogénéité dans ses questionnements comme dans l'approche méthodologique (priorité aux archives !). Malgré une mise en problématique parfois insuffisante, il est rassurant de constater que l'histoire de l'immigration continue de se développer.