PRUM (Michel), direction
La peau de l'autre Syllepse, Paris, 2001

Livre lu par M.G Esch

Décembre 2003

L’ouvrage, le deuxième publié par le groupe de recherches sur l’eugénisme et le racisme de l’Université Paris 7, rassemble huit articles qui, d’après le directeur Michel Prum, posent que " le racisme est … à combattre immédiatement, quelle que soit l’analyse qu’on fait, voire avant même cette analyse. " (p. 7) Ainsi, l’ouvrage est à l’intersection de la science et de l’engagement raisonné – ce qui pose des problèmes que nous discuterons plus tard.

Les matériaux présentés ici semblent, à première vue, des plus divers : Annick Foucrier donne un abrégé de l’histoire de la discrimination des " Jaunes " – immigré(e)s asiatiques en Etats-Unis – et de la place qui leur fut accordée par le discours national. Ellen Gruber Garvey décrit la construction du consommateur blanc en analysant les illustrations publicitaires des années 1880, surtout l’utilisation de caricatures de noirs, ainsi que leur usage par les enfants blancs. Puis Neil Davie discute les raisons qui ont fait que l’Affaire Steven Lawrence – jeune homme issu d’une famille noire immigrée qui a été tué par la police anglaise provoquait un débat poursuivi durant des semaines dans les médias, mais aussi l’inauguration d’une commission chargée d’effectuer des recherches sur le racisme dans le corps policier. Simon Taylor explique les prescriptions du droit anglais en ce qui concerne l’admissibilité de projets de recherche et législation génétique et eugénique. Guillaume Marche discute l’émergence des mouvement gay et lesbien dans les Etats-Unis en comparant la situation de vie et les stratégies identitaires et politiques des homosexuel(le)s avec celles des mouvement des minorités ethniques qui se seraient développés presque en même temps. Susan Clayton décrit le cas d’un " époux féminin " au début du 19e siècle tout en se concentrant sur l’ambiguïté de ce " sans genre fixe ". Noëlle de Chambrun ajoute quelque considérations sur les raisons philosophiques et biographiques de la construction spécifique de l’Autre présentée dans les œuvres d’un écrivain americain. Enfin, Odile Boucher-Rivalain propose quelques remarques sur la réception des travaux de Charles Darwin en citant des critiques et abrégés de vulgarisation publiés dans le journal libéral Westminster Review.
Le titre du livre est donc au moins irritant : de fait, les huit articles dans leur intégralité ne présentent point, comme on le pourrait attendre, une discussion approfondie des rapports entre (couleur de) peau et construction et représentation de l’Autre. Il manque, pour justifier ce titre, des références aux discussions récentes concernant la corporalité dans les rapports sociaux et les constructions du Soi et de l’autre. De plus quoique l’auteur de ce compte rendu soit loin de postuler une position " neutre " de la science – l’engagement politique des auteurs diminue partiellement le portée de leurs conclusions et même de leurs arguments ce qu’illustrent les quelques exemples examinés ci-dessous.
Davie, qui base ses arguments sur une étude du rapport de la commission sur le racisme policier, malheureusement ne discute ni le rôle d’un multiculturalisme Tory comme essai de reformuler les bases d’une société restant quand même une société de classes, ni la situation sociologique, économique et internationale dans laquelle cet essai voyait le jour. Marche décrit l’incompatibilité des identités sexuelles et ethniques du mouvement gay et lesbien, qui pose des problèmes considérables pour la cohésion du mouvement, en proposant comme solution la formation d’un " mouvement " de l’individu identitaire – tout en omettant toute contextualisation des usages des modèles et stratégies identitaires et les implications d’une telle contextualisation sur la parallèle construite entre mouvements sexuels et ethniques. De même, Clayton se refuse à définir les aspects du sexe/genre de son sujet au nom d’un " politiquement correct " chic en ignorant qu’il existe une littérature ethnologique qui connaît des exemples très similaires par exemple. parmi les indiens de l’Amérique du Nord et que l’on peut très bien penser des cas pareils dans le cadre d’une dichotomie des catégories sexe (biologique) et genre (social). Enfin, Boucher-Rivalain se contente de démontrer la modernité de la pensée de Darwin et du Westminster Review sans se rendre compte ni de l’ambiguïté (ou dialectique) de cette fameuse modernité, ni du contexte politique et économique de cette discussion, c’est-à-dire l’impérialisme anglais, l’industrialisation, l’émergence de la question sociale, et les succès d’un libéralisme et utilitarisme extrêmement brutal et répressif, que personnifie l’éditeur de la Westminster Review, John Bentham : libéral et, comme auteur du " Panopticon ", inventeur de la fabrique répressive construite au modèle d’une prison perfectionnée.

La lecture de l’ouvrage laisse donc sur une impression mitigée. D’une part, les sujet traités sont intéressants, et certains textes proposent des argumentations intéressantes. D’autre part, il manque un vrai fil rouge liant d’une façon convaincante ces articles dont les auteurs ne font pas tous preuve d’une nécessaire rigueur.

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