Rainhorn (Judith)
Paris, New-York : des migrants italiens, années 1880-1930,
Paris, Cnrs Éditions, 2005
Livre lu par Philippe Rygiel
Janvier 2006
Ce livre est une version abrégée d’une thèse soutenue par Judith Rainhorn.
Ce bel ouvrage entreprend
de comparer systématiquement ce que l’on pourrait appeler le
devenir-Français et le devenir-Américain de lignées
italiennes implantées à East-Harlem dans un cas, à
La Villette dans l’autre, lieux, présentés en un premier
chapitre, où se lisent les effets des deux grandes mutations de la
période, la rapide industrialisation des villes et la métropolisation
de deux grandes cités qui se traduit par l’absorption de ces
anciens faubourgs devenus quartiers industriels et ouvriers. Les deux histoires
contées ont une même trame. Judith Rainhorn nous propose deux
récits de la sédentarisation d’une partie des Italiens
passés par ces lieux, de la construction puis de la dissolution des
groupes ou des populations qu’ils constituent, qui se traduit dans
les deux cas par une acculturation achevée, une dispersion spatiale
et une diversification socioprofessionelle croissantes, la levée
des barrières symboliques érigées entre elles et et
les groupes qu’elles côtoient et l’identification des
individus, manifeste durant la seconde guerre mondiale, au destin des nations
qu’ils ont rejointes. Il faut écrit-elle « affirmer que
l’ethnicité a existé dans les deux espaces » et
que « Ici et là (…), la fusion des migrants dans le vaste
chaudron de l’acculturation domine » (page 202). Ce processus
cependant, long, non linéaire, prend des forme différentes,
et le corps de l’ouvrage est consacré à l’exploration
de celles-ci qui successivement examine l’implantation dans la ville
et le quartier, le travail, les pratiques religieuses, la sociabilité,
les attitudes politiques et les parcours résidentiels. Il est difficile
de résumer cet inventaire, souvent riche et dense, des différences.
Si l’on s’y risque, on dira que prévaut l’impression
de l’existence à New-York d’un groupe italien –
qui est le produit d’une histoire et non donné dès les
premiers temps de la migration - plus visible, plus structuré, plus
fermé aussi -l’exogamie y est longtemps sensiblement plus faible
- que son homologue parisien, plus proche en somme de ce que l’on
nomme souvent une communauté, que cimentent des références
religieuses moins vivantes à Paris, voire durant l’entre-deux-guerres
la popularité, réelle outre-atlantique, du régime fasciste.
Tentant de rendre compte de ces écarts l’auteur examine la
provenance des migrants italiens présents des deux côtés
de l’atlantique, les caractéristiques écologiques des
deux milieux d’accueil (structures productives, marché immobilier
en particulier) et, plus discrètement, les traditions nationales
françaises et américaines (cadre juridique, fonctionnement
de la vie politique locale).
L’enquête, véritable tour de force dans le cadre d’une
thèse nouveau régime, est à la fois précise
et convaincante, apte à remettre en cause un certain nombre d’idées
reçues, dont celles de la radicale différence de nature des
expériences migratoires françaises et américaines,
autant qu’à convaincre des bienfaits en ce domaine des entreprises
comparatives. Elle comporte de plus des passages tout à fait neufs,
sur le destin comparé des filles de migrants par exemple, ou le fonctionnement,
à l’intérieur de la migration parisienne, de très
stables fronts de parenté polyfamiliaux à l’intérieur
desquels s’échangent ressources et époux.populaires.
Nous ne pouvons qu’en recommander la lecture, même si la vision qui nous est ici proposée a, comme toutes, ses angles morts. Écrit du point de vue des sociétés d’accueil, le livre éclaire le destin des migrants sédentarisés mais évoque peu la logique qui conduit une partie des migrants passant par ces villes (et pourquoi cette partie là) à s’y installer et à y faire souche. De même, si le choix de l’échelle meso, théorisé et défendu par Nancy Green, prouve ici encore sa fécondité, il n’en a pas moins ses limites, apparentes parfois lorsqu’il s’agit de rendre compte des différences recensées. Si les filles d’Italiens de New-York ainsi, sont moins nombreuses durant l’entre-deux-guerres à travailler à l’extérieur du logis familial que celles de Paris, faut-il y voir l’effet des structures productives de l’est parisien, des rôles assignés aux femmes par les société américaine française ou d’un tropisme parisien ? Il est en somme parfois difficile en ce cadre, et d’autant plus que nous manquons cruellement d’études de ce type, une fois les écarts constatés, de faire autre chose que proposer des hypothèses écologiques qui ne permettent pas toujours de distinguer les effets des contextes nationaux et urbains de ceux de l’environnement microlocal..