Marie Claude Blanc-Chaléard (direction)
Les Italiens en France depuis 1945
Presses Universitaires de Rennes, 2003, 277 pages, 18 euros.
Livre lu par Philippe Rygiel
juin 2003 .
Les Presses Universitaires de Rennes publient les actes dun colloque tenu en mai 2001 et consacré aux Italiens en France après 1945. Ce volume, dirigé par Marie-Claude-Blanc-Chaléard, propose 18 communications précédées dune introduction qui définit les enjeux de ce colloque tout en esquissant un panorama des travaux consacrés à limmigration italienne.
La première
justification de ce recueuil est limportance de limmigration
italienne, la plus ancienne et la plus massive que la France ait conne,
la plus étudiée aussi. Cependant, la période postérieure
à la seconde guerre mondiale avait jusquici peu retenu lattention
et la première ambition de louvrage est de contribuer à
combler cette lacune. Là nest pas son seul intérêt,
puisquil doit permettre détudier à la fois une
phase migratoire - les trente glorieuses - relativement moins connue elle
aussi que lentre-deux-guerres ou la fin du dix-neuvième siècle,
et dexaminer les mécanismes dintégration tels
quils fonctionnent durant la période et ce sous un double aspect,
puisque sont concernés aussi bien les immigrés eux-mêmes,
présents depuis peu ou arrivés depuis longtemps, que les enfants
dItaliens ayant grandi en France. La représentation de limmigré
constitue un autre axe, les auteurs lempruntant prêtant une
particulière attention à la relative invisibilité de
limmigration italienne après 1945 qui contraste fortement avec
lhostilité que rencontrèrent ceux-ci durant les périodes
antérieures.
Le pari est sur plusieurs plans gagné. Nous disposons ici de points
de repére fermes. A. Bechelonni et A. Spirre nous offrent lun
pour le versant italien, lautre pour le versant français, deux
contributions concernant lencadrement politique et juridique des flux
migratoires italiens post 45 et montrent que ces flux sont souhaités
par les deux états qui entendent les maîtriser et les encadrer.
Cela aboutit, par le biais de conventions bilatérales, à conférer
aux Italiens un statut particulièrement avantageux au regard de celui
fait aux autres migrants. Si limmigration italienne est désirée,
et doit fournir tant de la main doeuvre que des familles, elle reste
cependant, par ses effectifs, en deça des espérances de ses
promoteurs. Y. Gastaut nous propose lui, à travers létude
dune mission de lONI un aperçu de lintérieur
des modalités de mise en pratique de ces politiques.
Plusieurs communications examinent la place sur le marché du travail
des travailleurs italiens. Le batîment, la sidérurgie emploient
beaucoup de travailleurs italiens, ce qui les distingue peu des autres migrants.
Loriginalité de limmigration italienne, particulièrement
après 45, est ne de pas fournir seulement des manoeuvres. Il existe
un patronnat italien dont les effectifs semblent sétoffer dans
le contexte des trente glorieuses, et sur les chantiers beaucoup de chefs
déquipe ou de chefs de chantiers italiens encadrent les représentants
de migrations plus récentes, cependant que dans la sidérurgie
ils échappent aux emplois les plus pénibles et les moins qualifiés
(P. Galloro). Larrêt des entrées et les mutations de
ces secteurs font de la fin de la période étudiée la
fin dun cycle italien du batîment et dela sidérurgie.
Dominique Saint-Jean, étudiant des familles dagriculteurs italiens
note une évolution comparable, tant en termes économiques
que sociaux. Beaucoup de familles, à la faveur du contexte économique,
améliorent leurs positions, avant que ne se produise une diversifaction
des parcours dont il montre quelle pose à lhistorien
voulant réfléchir aux transformations antrhopologiques ou
identitaires en immigration de redoutables problèmes, tant parce
quelles impliquent de difficultés à reconstituer les
parcours des individus que parce quelles rendent inopérants
certains indicateurs.
Le travail mené par M. Martini à partir des données
de la grande enquête INED du début des années cinquante
confirme ces conclusions tout en les affinant, montrant en particulier que
les « carrières » des chefs de chantiers sont surtout
le fait de migrants arrivés avant 1945, tant parce quils sont
arrivés plus tôt que parce quils diffèrent par
leurs origines sociales et géographiques des nouveaux migrants. Elle
prouve au passage la fécondité de la démarche et quil
est possible de revitaliser des enquêtes anciennes et de les faire
servir à dautres fins que celles pour lesquelles elles furent
conçues.
La prise en charge, ou labsence de prise en charge, de limmigration
italienne par les mouvements de gauche et les syndicats, représentants
proclamés de la classe ouvrière, fait lobjet de quatre
communications. Laure Blévis, étudiant la presse CGT et Stéphane
Mourlane le PCF redécouvrent lambiguité, qui pour le
coup nest pas propre à la période, des positions adoptées
par les organisations ouvrières. A la fois soucieuses dorganiser
les travailleurs et réticentes à accepter une immigration
sans entraves susceptible de menacer les positions de leurs adhérents,
elles oscillent au gré de la conjoncture entre appel à la
solidarité ouvrière, volonté dencadrement et
méfiance, alors même que limmigration italienne fournit
au Pc et à la Cgt un contingent appréciable de militants et
de responsables (Michel Dreyfus et Marie-Claude Blanc-Chaléard).
Ces deux auteurs mettent en garde contre les conclusions trop rapides que
lon pourrait tirer de ce constat. Il ne signifie pas quune majorité
dItaliens ou denfants dItaliens était communiste,
mais que le monde communiste offrait aux enfants dItaliens, parce
quils appartenaient au milieu social au sein duquel ses organisations
puisaient leurs cadres, la possibilité dune entrée en
politique que les partis bourgeois ne permettaient pas.
La dernière partie de louvrage est consacrée aux représentations
de limmigration italienne qui traversent la société
française de lépoque. Tant Ronald Hubscher que Laura
Teulières insistent sur le fait que celles-ci font lobjet de
vives luttes symboliques dont les protagonistes sont nombreux. Luttes dont
la résultante sera limposition dune image dominante et
parfois institutionalisée de limmigration italienne qui se
veut très positive, ce qui était loin dêtre prévisible
au lendemain de la guerre, lhostilité envers les travailleurs
italiens étant alors vive, beaucoup leur reprochant tant le coup
de poignard dans le dos de 40 que la collusion de certains avec loccupant.
Si ces images, puis une mémoire officielle de limmigration
italienne simposent dans lespace public, elles ne font cependant
pas disparaître des mémoires privées, tant italiennes
que françaises, souvent plus ambivalentes, qui ne parviennent cependant
pas à se coaguler en mémoires collectives, que Laura Teulières
explore en quelques riches pages.
Cette même interaction entre mémoire, histoire et identités
publiques et privées, traverse les trois derniers textes. Lucia Grilli,
reprenant certaines des intutitions de Sayad sattache à montrer,
à partir de lexemple des migrants napolitains présents
en région parisienne dans les années cinquante que limmigré
ne troque pas une ancienne peau contre une nouvelle mais sajuste,
saccomode, sans jamais totalement rompre avec les liens familiaux
et amicaux forgés avant son départ. Antonio Canovi à
partir de lévocation de la petite italie dArgenteuil,
exceptionelle à bien des égards, montre que lhomogénéité
sociale et politique dune population italienne au sein de laquelle
communistes et antifascistes étaient nombreux a permis, tant le long
succès du PC, que léclosion dune mémoire
locale de limmigration italienne inscrite dans la toponymie et lorganisation
urbaine.
Judith Rainhorn quand à elle, en quelques pages denses compare les
historiographies et les mémoires françaises et américaines
de limmigration italienne à partir de lexemple de hauts
lieux de celle-ci, la Vilette et Harlem. Reprenant le constat fait souvent
de la vigueur de la mémoire de limmigration aux États-Unis,
et de la longue invisibilité de celle-ci en France, elle insiste
sur limportance des facteurs institutionnels et politiques pour qui
veut comprendre ces différences.
Le volume se clôt par une note due à Bruno Groppo, que celui-ci
consacre à la section italienne du lycée international de
Saint-Germain en Laye, qui témoigne de ce quêtre Italien
en France aujourdhui ne veut souvent plus dire être un immigré.
La simple liste des thèmes abordés permet de montrer que nous
disposons avec ce volume dun ouvrage de référence qui
manquait. De plus, certaines contributions ouvrent des perspectives qui
dépassent largement le cadre de limmigration italienne la plus
récente.
Il est facile, bien sûr, de pointer les manques, les thèmes
peu ou pas abordés. Ainsi, si nous disposons de données précises
sur ces forces dintégration que sont les partis et les syndicats
ouvriers, aucune contribution nenvisage la fonction intégratirce
de léglise catholique que lon pressent pourtant importante.
De même, si il est ici question dintégration sociale
et politique, les sujets en sont plus les immigrants eux-mêmes que
leurs enfants dont les parcours scolaires, professionnels ou politiques
sont peu évoqués, sinon par le biais de la contribution de
Marie-Claude Blanc Chaléard. Il y a à cela des raisons qui
tiennent à la conception de lensemble, il sagit ici de
faire lhistoire politique, économique et sociale dune
migration, et plus encore pour certains thèmes, au faible nombre
de travaux abordant certaines problèmatiques. Si donc nous avons
là une histoire de lépilogue de limmigration italienne,
du travail reste à faire et ce bilan ne saurait constituer un point
final.
Quant aux apports de louvrage aux domaines plus vaste de lhistoire
des trente glorieuses et de limmigration, ils sont réels, quoique
lon ne puisse se départir dun petit regret né
de labsence dun texte tentant de déterminer finement
loriginalité de la période au regard des pratiques migratoires
et surtout des formes de lintégration, alors que le thème
est au centre des travaux récents menés par Marie Claude-Blanc-Chaléard.