Le titre de l'ouvrage d'Eric Taïeb est un peu trompeur. Son livre n'est pas l'abrégé d'une thèse de sociologie consacrée au sort des enfants d'immigrés récents. Il s'apparente plutôt à un manuel qui pourrait servir de support à un cours consacré à l'histoire de l'immigration et de l'assimilation nationale en France. Il s'appuie en effet sur de solides lectures, celles en particulier des travaux de Gérard Noiriel, Patrick Weil et Pierre Milza et en présente clairement les principales conclusions. L'auteur ajoute à cela de larges extraits d'entretiens menés avec Michel Platini, qui fut le père de l'un de ses élèves, convoqué ici en tant que représentant de l'immigration italienne et symbole d'une intégration réussie, ainsi que quelques aperçus sur l'histoire et la situation américaine qui évitent l'opposition manichéenne et simpliste d'une Amérique culturaliste et communautaire et d'une France assimilatrice et universaliste. Le souci didactique qui anime l'auteur se traduit également par la présence d'un glossaire, l'introduction d'assez nombreux documents (essentiellement des données statistiques), de quelques encarts thématiques et d'une bibliographie respectable.

On pourra reprocher à l'ouvrage d'aboutir à quelques apories, d'user de quelques concepts un peu flous. Les enfants d'étrangers qui rentrent à l'école en ressortent Français nous dit il ainsi, sans vraiment nous renseigner sur ce qui se passe à l'intérieur de cette institution qui permettrait de le comprendre. Il mobilise de même fréquemment la notion d'intégration sans que l'on voit clairement quels sont les signes ou les indices attestant de celle-ci. Il y aurait cependant mauvaise grâce à lui reprocher de ne pas dépasser et traiter des questions qui demeurent, pour les spécialistes eux mêmes largement irrésolues, ou qui font l'objet de débats parfois vifs. On sera plus critique quant à la clarté et à la précision de certains des tableaux statistiques utilisés, ceux-ci sont souvent le produit de la synthèse de plusieurs sources, dont les conventions comptables ne sont pas toujours les mêmes, ce qui est source à la fois d'erreurs (page 119 par exemple) et peut prêter à confusion, voire réduire la portée de certaines analyses menées à partir de ceux-ci (le tableau de la page 306 mêle ainsi des chiffres concernant les immigrés distribués par pays et les étrangers distribués par nationalité, observés à des dates différentes, en fournissant selon les cas des données globales ou des données par sexe.

Sa volonté pédagogique n'empêche pas Eric Taïeb d'avoir des convictions et de les défendre avec vigueur. Il s'affirme convaincu que l'intégration des populations issues des vagues migratoires arrivées durant les trente glorieuses est à la fois nécessaire, en cours et presqu'inévitable. Si l'on peut comme lui juger que ce ne sont pas les différences dans la composition des populations migrantes qui pourraient empêcher l'intégration nationale de leurs enfants et que le problème actuellement posé est celui de l'intégration économique, sociale et politique des enfants des classes populaires et non celui des seuls enfants ou petits enfants de migrants [1] , il n'en reste pas moins que l'institutionnalisation de formes de discriminations selon l'origine, la diffusion, jusque dans la production savante, de schèmes de perception du social puisant largement dans le répertoire de l'ethnicité [2] , paraissent révélateurs de tensions et de phénomènes qui ont peu ou pas de précédents, et dont les effets, incertains, sont difficilement prévisibles [3] , ce qui conduit en la matière à une confiance un peu plus inquiète que celle dont cet ouvrage témoigne.