Atlas de l'immigration en France
entre les deux guerres

I. Contexte

Depuis plusieurs années, un groupe de chercheurs de l'ENS, de l'EHESS, et d'autres institutions (incluant le lycée de Bourges) étudie l'histoire sociale de l'immigration entre les deux guerres. Diverses publications, sous forme d'ouvrages, d'articles ou de pages Web sont disponibles. Citons l'ouvrage collectif « Construction des nationalités et immigration dans la France contemporaine » (Dir. Éric Guichard et Gérard Noiriel ) paru en décembre 1997 aux Presses de l'ENS .
La présentation de ce livre, sa bibliographie , et les sources statistiques qui l'ont inspiré sont bien sûr disponibles sur ce serveur, tout comme nos travaux actuels, qui portent sur les expulsions et les refoulements d'étrangers entre les deux guerres .

Nous avons décidé de construire un atlas dynamique de l'immigration sur Internet , qui décrive la distribution territoriale des étrangers en France entre 1921 et 1936.

Cet atlas présente, pour chaque département de la métropole, le nombre de chaque groupe d'étrangers tels qu'il était alors défini (avec la possibilité de sélectionner un seul genre ou les deux), ainsi que d'autres variables (ratio femmes / (femmes + hommes), appelé ici «taux de féminité», proportion d'un groupe d'étrangers donné dans l'ensemble des étrangers etc.). Vous pouvez choisir l'année de recensement (1931 ou 1936) et le nombre de classes pour la variable qui exprime des proportions. Vous pouvez aussi comparer les recensements de 1931 et 1936 relatifs à un groupe donné.

La sélection des variables conduit à la fabrication automatique de la carte, disponible en format jpeg , et à la publication du tableau de données associées, issues des recensements généraux de la population à cette période.

II. Intérêt

Nous espérons qu'un tel atlas pourra grandement servir la recherche et l'enseignement de l'histoire de l'immigration en France, mais aussi intéresser toutes les personnes curieuses de cette histoire.

1 . Tout d'abord, parce que les données à l'origine des cartes sont quasiment introuvables. Elles ne sont disponibles que dans une poignée de bibliothèques. Chacun pourra donc les exploiter de la manière qu'il juge la plus propice.

2 . Ensuite, parce que la carte donne à lire et à voir des réalités sociales, fait émerger des configurations territoriales, toutes bien difficiles à appréhender à la lecture d'un simple tableau.

3 . En l'occurrence, la carte aide à découvrir des indicateurs particulièrement fiables quand il s'agit de catégoriser les profils de l'immigration: en général, le taux de naturalisés et le taux de féminité constitue deux bons indicateurs de l'intégration, donc du «confort» d'un groupe d'immigrés en France. On peut ainsi retrouver le fait que les personnes originaires d'Italie en 1931 ont des conditions de vie en moyenne plus favorables que celles originaires du Portugal: ces derniers seront effectivement plus menacés à l'occasion de la crise économique (ils étaient 48963 en 1931, et 28290 en 1936). Mais, si l'on veut faire la distinction entre «étrangers à haut statut social» et entre «immigrés» directement menacés par le chômage et la xénophobie, la localisation des lieux de résidence couplée au taux de féminité opère une distinction très claire entre une immigration aisée (ingénieurs, hommes d'affaires, étudiants ou voyageurs), qui vit souvent en France en famille et qui réside principalement à Paris et à Nice, comme c'est le cas pour les personnes originaires des États-Unis, du Brésil etc., et une immigration de «main d'oeuvre», souvent masculine, qui s'établit là où elle trouve du travail. Pour ce dernier groupe, on pourra remarquer l'effet «protecteur» du travail agricole lors de la crise: les immigrés présents dans l'industrie en 1931, dont une proportion non négligeable a dû quitter la France entre 1932 et 1935, sont beaucoup plus présents dans les départements ruraux en 1936 qu'en 1931.

4 . Enfin, la construction d'un tel atlas (3888 cartes disponibles à ce jour, bientôt près de 10000) répond à trois voeux:

III. Précautions d'usage

1 . Le programme

Ce programme, qui s'apparente à un logiciel de cartographie automatique, a plusieurs limites.
- Tout d'abord, nous nous excusons pour sa lenteur relative: si vous êtes la première personne à demander une carte donnée, l'ordinateur (un PC 90 Mhz sous NextStep) met environ 10 secondes à la fabriquer. En revanche, si un autre internaute a déjà sélectionné les mêmes variables que vous, la carte s'affiche dans la seconde.
- La comparaison entre deux cartes distinctes est encore difficile, suite aux choix de programmation pour le calcul des seuils. Par exemple, pour les données absolues (population), les cercles représentant les maxima ont tous le même rayon: 20 pixels. Et donc les 17126 Allemands en 1936 dans la Moselle et les 701 Chiliens en 1931 à Paris seront représentés par des cercles de même taille. Des méthodes facilitant la comparaison seront bientôt proposées.
Pour les plages de couleurs, associées aux pourcentages, les bornes sont aussi produites automatiquement et dépendantes des données représentées. Les classes associées sont toutes d'effectifs (quasi-) égaux: lorsqu'il existe des pourcentages négatifs et positifs, le programme impose que l'une des bornes soit nulle et il privilêgie légèrement les classes positives (si, à l'occasion d'un découpage en 6 classes, 57 départements ont un pourcentage négatif, et 33 un pourcentage positif, trois classes sont attribuées aux valeurs négatives, soit 19 départements par classe, trois sont attribuées aux valeurs positives, soit 11 départements par classe, la plus petite classe positive commençant à zéro; dans le cas 61-29, on a quatre classes négatives et deux positives) . Ce choix de bornes automatiquement créées induit lui-aussi une difficulté à comparer les cartes de deux groupes d'étrangers fortement distincts (exemple: présence féminine chez les Portugais et les Américains en 1931).

Cependant, pour un groupe donné d'étrangers, il vous est maintenant possible de comparer les statistiques de deux recensements divers, comme celui de 1936 et celui de 1931 (option évolution de l'effectif depuis l'année de référence ).

2 . Les données

La représentation «cercles pour des quantités absolues, plages de couleurs pour des pourcentages» correspond à une norme de sémiologie graphique qui se comprend bien: si nous décidions de représenter la population au sein des départements par des plages de couleur chaudes (du jaune au rouge), Paris serait représenté par une minuscule zone rouge foncé quand les Landes seraient repérées par une grande plage jaune, nettement plus visible que la capitale. Mais ce choix induit malgré tout des biais: il peut arriver que les départements au plus fort taux de féminité, colorés en rouge foncé, donnent l'illusion d'un territoire homogène, qui fixe l'attention, quand en fait ils comprennent de tous petits groupes d'étrangers. C'est le cas pour les Portugais en 1931, où le plus fort taux de féminité est atteint en Corse (33%), avec... une femme et deux hommes!

Ainsi, nous conseillons de limiter le nombre de classes pour des groupes dont on sait qu'ils sont peu nombreux . Ici, comme dans toute pratique cartographique, il faut multiplier le nombre de cartes avant d'en tirer une synthèse. Il est alors possible de choisir une ou deux des cartes produites pour illustrer cette synthèse.

3 . Les entités spatiales

Le choix des départements comme unités spatiales de base obéit à une contrainte: celle de l'agrégation des données par les services de la SGF (Statistique générale de la France) dans la période considérée. Il n'existe hélas pas de maille plus fine que le département dans les dans les tableaux de la SGF pour la totalité des groupes d'étrangers.Or, nous savons bien que la présence des immigrés est souvent directement liée, au moins jusqu'en 1931, à l'existence de centres industriels. Et bien des départements fortement industrialisés ont aussi des composantes profondément rurales, où le taux d'étrangers peut être quasiment nul. Ainsi le département du Nord montre-t-il de forts contrastes, entre les arrondissements de Douai ou de Valenciennes, qui comprennent respectivement 16% et 13% d'étangers en 1936, et l'arrondissement de Dunkerque, qui ne dépasse pas les 3%. Le cas est encore plus significatif avec la Meurthe-et-Moselle, où l'arrondissement de Briey, avec 33% d'étrangers, s'oppose à celui de Lunéville (2%). il en est de même avec Thionville-ouest (34% d'étangers) et Sarrebourg (1,5%) dans la Moselle. Cette caractéristique vaut aussi pour les départements essentiellement ruraux, qui ont un petit centre industriel (comme Alès dans le Gard), ou qui se sont lancés dans une politique de grands travaux (routes, chemin de fer etc.). De telles nuances ne peuvent apparaître dans nos cartes. Le département est donc une unité spatiale trop vaste pour être pleinement pertinente et l'analyse d'une situation géographique à ce niveau doit toujours être complétée par une étude géographique et historique fine avant d'éviter les généralisations hâtives.

4 . Les recensements

Enfin, n'oublions pas que ces recensements, s'ils étaient exhaustifs, étaient, de l'avis même des organisateurs, bien peu fiables: à cause des réflexes de défense de certains étrangers en situation précaire, qui n'avaient pas toujours envie d'être dénombrés; suite aux résistances des maires, qui n'appréciaient pas toujours l'excès de travail imposé par l'administration centrale; par le fait des agents recenseurs (trop facilement critiqués par les statisticiens de Paris), qui donnaient parfois à toute une famille la nationalité du père (même si la mère et les enfants étaient Français); enfin, du fait des services centraux, qui opéraient des rectifications au dernier moment, sans vérification sur le terrain.

Malgré l'énoncé de ces précautions méthodologiques, nous espérons que cet atlas sera apprécié des chercheurs, des enseignants, des étudiants, des lycéens et aussi, des amateurs d'histoire ou de cartes.

N'hésitez pas à nous faire part de votre intérêt comme de vos critiques, ce sera pour nous le meilleur stimulant pour prolonger ce travail.

Eric Guichard, ENS, juin 1999

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