Le mouvement ouvrier français et les immigrés durant l'entre-deux-guerres. Quelques documents.

Documents rassemblés et présentés par C. Pierre docteur en Histoire.

Sommaire

Congrès CGT Lyon, 1919
M.Braibant, 1924
La vie syndicale, 1925
Rapport sur la main d'oeuvre étrangère, congrès CGTU 1925
Résolution sur la main d'oeuvre étrangère, CGTU, 1925
Main d'oeuvre étrangère, La voix du peuple, 1925
Rapport sur main d'oeuvre étrangère, CGT, 1925
CGTU au congrès mondial des migrations, 1926
Racamond (CGTU) sur main d'oeuvre étrangère, 1926
Ligue des droits de l'homme, 1926
Charles Boute, maire de Charleville et les ouvriers étrangers, 1926
La main d'oeuvre coloniale, CGTU, 1929
Le socialiste ardennais, 1931
Proposition du groupe socialiste, 1931
Les ouvriers polonais et le projet de loi sur la main d'oeuvre étrangère, 1931
Doriot, 1931
Les radicaux et les étrangers, 1932
Tract CGTU, 1932
La situation des étrangers, Moi, 1933
Revendications de la CGTU en faveur de la Moi,1933
Charles Boutet, 1934
La politique de l'immigration, La voix du peuple, 1935
L'activité de la Moe-CGT, 1938
La main d'oeuvre nordafricaine, Voix du peuple, 1938

" Programme minimum. Pour les ouvriers étrangers ", 14e congrès CGT Lyon 15-21 sept 1919.

 " La CGT proclame que tout travailleur quelle que soit sa nationalité a le droit de travailler là où il peut occuper son activité. Tout travailleur doit... jouir de toutes les garanties d'ordre syndical, notamment du droit de participer personnellement à l'administration de son syndicat. Aucun travailleur ne peut être expulsé pour fait d'ordre syndical. Aucun travailleur étranger ne doit recevoir de salaire ni subir de conditions inférieurs au salaire normal et courant et aux conditions de travail en usage dans la ville ou la région. "

" La main-d'oeuvre étrangère "

La Vie ouvrière , 3 février 1922.

 " C'est là une question qui nécessite une étude sérieuse de notre part - étude qu'il nous faut faire en nous dégageant d'une certaine confusion qui pourrait nous valoir d'être qualifiés de " superpatriotes ".

Bien souvent, en effet, il a fallu que les ouvriers français fassent entendre de vives protestations contre l'emploi immodéré de la main-d'oeuvre, sans qu'on puisse pour cela les suspecter de nationalisme. S'ils protestaient, c'est parce que le chômage existait déjà en France et qu'il augmentait encore la venue de nouveaux ouvriers étrangers.

 Si, actuellement, nous nous élevons encore contre cet emploi immodéré de la main-d'oeuvre étrangère, c'est que le gouvernement, derrière lequel se trouve le patronat, tout en ayant repoussé, pour la reconstruction des régions dévastées, la venue de quelques centaines d'ouvriers allemands, promet, par ailleurs, aux entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics, la venue de 300 000 ouvriers d'Italie, de Pologne, de Tchéco-Slovaquie, etc... Pourquoi repousser les uns et offrir les autres? Il y a une explication claire de ce petit jeu  :  les ouvriers allemands qui devaient venir étaient syndiqués; ils auraient travaillé directement pour le compte des sinistrés, sans que les Loucheur et autre Chouard puissent tirer un quelconque bénéfice de la reconstruction. (...)

 Car ces messieurs sont patriotes, au diable! Il veulent que les régions dévastées soient reconstruites au plus vite possible et ... avec le plus grand bénéfice pour leurs bourses.

 Aussi, ces messieurs de la bâtisse, dans leur congrès annuel (...) ont décidé d'avoir recours à une autre main-d'oeuvre étrangère, de la " bonne ", de la " vraie ", de celle que l'on peut pressurer autant qu'on veut et qu'on fait expulser lorsqu'elle réclame.

 Cette main-d'oeuvre, c'était de la bonne affaire et de plus elle allait permettre de tenir en respect ces " éternels rouspéteurs que sont les ouvriers français.

 On ne s'est pas préoccupé des conséquences  :  le chômage, ça n'intéresse sans doute pas le patronat. Mais, il faut que les organisations ouvrières, elles s'y intéressent. Un apport de main-d'oeuvre étrangère aussi formidable que celui qui est prévu pour les régions dévastées, ne peut qu'augmenter la crise actuelle dans de grandes proportions. Il est du devoir immédiat des syndicats français de s'élever énergiquement contre cette mesure. On ne peut pas en l'occasion nous taxer de chauvinisme. Nous estimons que " la terre est à tous ". Mais nous ne voulons pas qu'il soit permis de se servir ouvriers étrangers pour nous affamer, là où le hasard nous a fait naître. (...)

 Ce qu'il nous faut faire pour conclure, c'est empêcher qu'on fasse venir, dans les régions où le chômage sévit, de la main-d'oeuvre, parce que le premier résultat de sa venue serait d'affamer la main-d'oeuvre française. (...)

 A tous ceux qui sont en France nous devons adresser un appel pour qu'ils remplissent tout leur devoir de classe envers leurs camarades français, en venant, avec eux, dans l'organisation syndicale, lutter sans cesse contre l'exploitation patronale, contre le chômage organisé, contre le régime lui même, cause initiale de toutes nos mesures communes. "

Marcel Braibant, "les étrangers dans les Ardennes"

session du conseil général du 26 mai 1924 (AD Ardennes 1N1 59, 1924).

 "Je voudrais appeler la haute attention de monsieur le Préfet sur la situation difficile d'un certain nombre d'ouvriers de notre département qui ont peu à peu été évincés de nos chantiers de reconstitution au profit d'ouvriers étrangers. De nombreuses plaintes m'ont été récemment adressées à ce sujet. Elles émanent d'Ardennais tous sinistrés de guerre, tous ayant fait leur devoir pendant les hostilités; certains d'entre eux sont de plus mutilés ou réformés. Ils m'exposent qu'ils ont été ou qu'ils vont être privés de leur gagne-pain ; les entrepreneurs français ou étrangers embauchent de plus en plus d'ouvriers étrangers. Je rends hommage à l'aide très précieuse que nous apportent les ouvriers étrangers. Si nous n'avions eu que des ouvriers français, l'oeuvre de reconstitution ne serait pas aussi avancée, mais il me paraît que nous devons aujourd'hui protéger notre main-d'oeuvre ardennaise. Il semble que cela ne soit pas impossible si les pouvoirs publics interviennent auprès des groupements d'architectes, d'entrepreneurs et de sinistrés pour leur demander le respect des intérêts de nos compatriotes. "

" Emigration temporaire ou permanente? "

La Vie Syndicale , mars-mai 1925, n°17.

 " La masse restera en France, retenue par la nécessité de gagner son pain (...).L'émigration prolétarienne en France comme phénomène et comme masse, est permanente. Notre tactique doit donc être revue et corrigée. En même temps que nous nous intéressons aux problèmes et aux événements du pays d'origine, nous devons particulièrement nous intéresser à la vie et aux événements qui se déroulent et se préparent en France. (...) Où doivent se syndiquer les travailleurs immigrés? Il faut dire tout de suite que nous nous élevons par principe contrer tout groupement d'immigrés (syndical, politique, culturel, mutualiste, etc.) qui n'adhère pas ou qui ne soit pas l'émanation d'un organisme français prolétarien correspondant. (...) L'internationalisme réformiste est d'abord nationaliste. (...) Il n'y a pas pour nous de prolétariat ni de bourgeoisie français, italien, polonais, etc., il y a un prolétariat et une bourgeoisie de France, d'Espagne, de Pologne etc., la différence est grande. Il y a le prolétariat qui combat contre la bourgeoisie. La bataille est divisée en secteurs, mais on se bat sur un front international. (...) Il n'y a pas deux classes d'exploités.

 (...) Pour unifier la main-d'oeuvre étrangère et indigène, il faut les mettre sur un même plan, les intéresser aux mêmes questions, les pousser à se connaître davantage, les porter à défendre ensemble contre le même exploiteur, leurs intérêts communs. "

Rapport sur la Main-d'oeuvre étrangère

IIIe Congrès de la CGTU, Paris 26-31 août 1925, La Vie Syndicale, juin-juillet 1925, n°18. (extraits)

 " (...) L'exploitation renforcée de la main-d'oeuvre étrangère en la dressant en concurrente des ouvriers français, risque de provoquer chez ces derniers un regain de nationalisme, voire de xénophobie. A différentes reprises, des incidents se sont produits à l'endroit des ouvriers étrangers, irresponsables des mauvaises conditions de travail qu'ils subissent et dont, par réciprocité, sont victimes tous les travailleurs, sans distinction de nationalités.

 Le capitalisme se réjouit de cette situation. Il obtient ainsi de la main-d'oeuvre à bon marché, perpétue les haines nationalistes qui lui permettent de maintenir son hégémonie et peut combattre avec efficacité les velléités de résistance du prolétariat.

 Les organisations syndicales, et en particulier la CGTU, doivent lutter pour que les courants migratoires ne soient pas laisser sous la seule influence capitaliste et travailler pour resserrer les liens de solidarité entre les travailleurs de tous les pays employés en France.

 (...) Les courants migratoires constituent un phénomène naturel et nul ne peut nier le droit à l'émigration pour les hommes chassés du sol natal par le chômage, la misère ou les convulsions politiques.

 (...) la marché du travail mondial est à la disposition du patronat international qui provoque la surabondance de main-d'oeuvre sur tel ou tel point, où il prétend battre un prolétariat revendicatif. (...) La CGTU en demandant la réglementation de la MOE, c'est-à-dire l'entrée de la quantité d'ouvriers nécessaire et justifiée au moyen d'un contrôle des syndicats ouvriers intéressés, prétend s'opposer à la manoeuvre patronale. Elle ne fait pas là preuve de nationalisme, quoi qu'en disent les plumitifs à la solde du capitalisme, elle travaille au contraire dans le sens internationaliste le plus large. (..)

 Que les stipendiés du capital rengainent leur ironie, la CGTU n'a pas de leçon à recevoir des métèques de la finance internationale. Cette situation du marché du travail avait d'ailleurs attiré l'attention des politiciens du Bloc des Gauches, et, l'un d'eux, M. Herriot, alors candidat à la députation, signalait, en février 1924, l'angoisse des ouvriers lyonnais en présence de l'immigration continue, malgré l'abondance de main-d'oeuvre. (...)

 Les syndicats ouvriers doivent réclamer le contrôle effectif et permanent de l'immigration et conséquemment le contrôle des courants migratoires par les organisations syndicales internationales.(...) "

Résolution sur la main-d'oeuvre étrangère " IIIe Congrès de la CGTU, extraits

26-31 août 1925, in La Vie syndicale n°18 juin juillet 1925.

 " Pour nous, le mot étranger n'a pas de sens. " " La question de nationalité ne joue aucun rôle dans les rapports de classe ".

 " Les migrations constituent un phénomène naturel et nul ne peut nier le droit à l'émigration pour les hommes chassés du sol natal par le chômage, la misère ou les convulsions politiques " Il n'y a pas de patrie pour les travailleurs; il n'y a pas ouvriers étrangers en France; il y a les ouvriers d'un même pays  :  le prolétariat. Le capitalisme a crée des différences de langues et des différences d'exploitation. La CGTU luttera pour les faire disparaître. "

 " Si l'immigration des travailleurs étrangers est absolument logique lorsque le marché du travail est déficitaire, elle ne saurait se perpétuer si l'abondance de main-d'oeuvre ne la justifie plus; " Le marché du travail mondial est à la disposition du patronat international qui provoque la surabondance de main-d'oeuvre sur tel ou tel point où il prétend battre un prolétariat revendicatif. " d'où " un avilissement des conditions d'existence des ouvriers. "

" Les problèmes de la main-d'oeuvre française et étrangère et du Placement "

La voix du Peuple janvier-février 1925.

 " Devant cet afflux subit de travailleurs italiens, polonais, espagnols (...), notre population a commencé à éprouver un réflexe de méfiance instinctive. D'esprit très libéral, cette population n'avait jamais prêté une attention bien soutenue à l'égard des travailleurs étrangers qui sont venus de tout temps pour trouver un emploi en France. Les ouvriers étrangers trouvaient plutôt une atmosphère de bienveillance au milieu de leurs camarades français, et ce ne fut qu'à de rares occasions qu'ils éprouvèrent une hostilité souvent due à ce fait que le patronat réussissait à les employer à des salaires inférieurs, et donc au détriment de nos nationaux qui subissaient rapidement l'effet de cette désastreuse concurrence.

 (...) La méfiance instinctive du début de cette situation nouvelle a bientôt fait place à un véritable sentiment d'inquiétude, aggravé par des faits dont les travailleurs ne sont en général pas responsables, mais qui ont jeté une certaine émotion dans le public, en faisant apparaître la nécessité absolue d'un contrôle sévère de l'émigration... "

Congrès fédéral de la CGT

Paris, 26-29 septembre 1925, La Voix du Peuple, sept-oct 1925.

 " (...) Le Congrès tout en jugeant nécessaires les mesures de protection pour la main-d'oeuvre française, déclare qu'il ne saurait être question pour le mouvement syndical, de s'opposer à l'entrée en France d'une main-d'oeuvre qui, avant la guerre, était déjà indispensable pour faire face aux besoins de toutes les branches de l'activité industrielle du pays. Cette considération émise, il déclare de suite qu'en ce qui concerne les intérêts des travailleurs étrangers, il ne doit être apporté aucune entrave aux moyens de les défendre. Il considère donc que le droit syndical doit être accordé sans restriction aux travailleurs de toutes les nations occupées en France.

 Considérant que le problème de la main-d'oeuvre est à la fois un problème national et international dont la solution n'est pas sans répercussion sur les bonnes relations entre les peuples, Considérant, d'autre part, que toutes les difficultés résultant du recrutement de la main-d'oeuvre ne peuvent être résolues que par l'organisation du marché du travail, Le Congrès approuve la participation de la CGT au Conseil National de la main-d'oeuvre. Dans l'esprit du Congrès, cette participation implique l'octroi au Conseil de la main-d'oeuvre de pouvoirs suffisamment étendus pour lui permettre d'exercer un contrôle effectif sur l'organisme chargé de la répartition et du recrutement de la main-d'oeuvre. (...) "

Message de la CGTU au Congrès mondial des migrations

Londres de l'Internationale syndicale d'Amsterdam ((18-21 juin 1926, Vie Syndicale n°22 av-juin 1926), " une nouvelle parlote collaborationniste sans aucune conclusion positive ".

" Réglementation des migrations  : 

 (...) La CGTU propose, en vue d'arracher les courants migratoires à la seule influence capitaliste, la création sous l'égide et avec le concours des deux Internationales syndicales, d'offices d'émigration internationaux et nationaux, à caractère strictement prolétarien et chargés des tâches suivantes  : 

Racamond sur " la Main-d'Oeuvre Etrangère "

Compte rendu du Comité confédéral national de la CGTU, Intervention de Racamond, Vie Syndicale n°23 juillet-août-septembre 1926. (extraits)

 " Les chefs confédérés disent  :  " Le refoulement de la main-d'oeuvre empêchera le chômage. " Ce sont là des solutions paresseuses. Ce qui est indiscutable, c'est que la question de la MOE devient aussi importante très importante, elle est fonction de la stratégie des grèves. Il faut que les UR et les UL disent si elles vont appuyer l'action du centre et non, comme jusqu'ici, compter seulement sur le centre. (...) Jusqu'à présent, seul le Bâtiment a tenté quelque chose. Ailleurs presque partout, nos camarades n'ont pas trouvé l'appui nécessaire auprès des UR et des Fédérations. C'est une longue plainte que leurs rapports. Des Italiens, par exemple, viennent à nos réunions; si nous voulons constituer le syndicat auquel ils sont prêts à adhérer, nous ne trouvons pas de Français pour prendre les fonctions de secrétaire et de trésorier. Il faut qu'un étranger surveillé par la police, se sacrifie au risque de l'expulsion, et prenne la porte. Croyez-vous que cela les encourage. (...)

 C'est une situation intolérable (...), c'est la volonté qui manque à la base. (...)

 En outre, le capitalisme développant chez les ouvriers français les sentiments de xénophobie contre les immigrés renforcerait le nationalisme et le patriotisme au nom desquels il fait s'entre-tuer les travailleurs sur le champ de bataille.

 (...) En conséquence, le CCN demande à tous les syndicats et syndiqués, sans distinction de tendance, de ne pas tomber dans ce piège démagogique  :  la MOE, soupape de sûreté contre le chômage.

 Par contre, il affirme que les travailleurs étrangers, placés sur le pied d'égalité, en ce qui concerne les droits syndicaux ne seraient plus une concurrence pour la main-d'oeuvre française. (...) Le CCN demande donc à tous les syndiqués, à tous les syndicats unitaires ou confédérés

Roger PICARD Sur la main d'oeuvre étrangère

Ligue des droits de l'homme - Le congrès national de 1926 - Metz 25-27 décembre 1926, Paris 1927, p.266-308. Discours de M. Roger PICARD (comité central, rapporteur du rapport sur les étrangers).

 " Cette question des étrangers, nous avons été longtemps, en France, à ne pas en comprendre, ni même en éprouver toute la délicatesse et la difficulté. Mais il est venu un moment où l'afflux des étrangers a été tel que nous avons vu surgir et grandir autour de nous les problèmes que nous avons maintenant à examiner.

 Nous devons, nous, Ligue des Droits de l'Homme, bien préciser d'abord que lorsque nous examinons la question des rapports entre étrangers et Français, nous n'entendons y mettre aucune xénophobie. La France est un pays accueillant et nous entendons qu'elle le reste.

 Cependant, ainsi que vous l'allez voir, la question de l'immigration soulève un certain nombre de conflits, que l'on peut ramener à trois  :  il y a d'abord conflit entre les droits de l'individu et les droits de la nation; puis il y a les conflits d'individu à individu; enfin, des conflits de nation à nation.

 La première espèce de conflit, celle qui fait s'affronter les droits de l'individu et les droits de la nation, se pose ainsi  :  l'individu doit être libre de sa personne, il doit être libre de circuler comme bon lui semble, sur toute la terre, de se fixer partout où il lui plaît, d'exercer sa profession comme il lui convient. C'est là un principe que la Révolution, que la Déclaration des Droits de l'Homme a proclamé  :  chacun est libre d'exercer son métier et son activité, de fixer son domicile comme bon lui semble.

 D'autre part, une nation a le droit de n'accepter pour ressortissants, d'en accepter comme pouvant vivre sur son territoire, que des individus sains à tous égard, des individus qui ne soient pas susceptibles de contaminer, physiquement ou moralement, la population au milieu de laquelle ils demandent à vivre. Et par conséquent, de même qu'une nation a le droit d'exercer sur ses citoyens indigènes une certaine police, un certain droit de justice, de même il est de son droit , et même de son devoir, de n'accepter chez elle que des immigrés présentant des garanties de santé, de moralité, et même d'intellectualité suffisante. (...)

 Le second ordre de conflits (...), ce sont les conflits individuels (..) Mais le conflit individuel est beaucoup plus grave lorsqu'on étudie la situation de l'ouvrier étranger, qui forme la grande masse des immigrés, par rapport à l'ouvrier français. C'est un conflit que nous allons peut-être voir éclater dans quelques semaines ou dans quelques mois, si la crise industrielle qui s'annonce venait malheureusement à s'aggraver. (...) et nous serions sen présence de ce spectacle que des ouvriers français pourraient être licenciés et mis en chômage, alors que des ouvriers étrangers continueraient à être salariés. Il y là un conflit de droits individuels devant lequel il faut prendre parti.

 Nous devons donc, en ouvrant largement nos frontières aux étrangers, nous efforcer que la présence de ces étrangers ne vienne pas léser les droits et acquis de nos camarades ouvriers français. Non seulement nous devons nous efforcer que ces étrangers, lorsqu'ils viennent ici, n'exproprient pas les ouvriers français de leur profession, de leurs salaires; mais surtout - car c'est le cas le plus normal - nous devons nous efforcer d'éviter que les ouvriers étrangers ne viennent avec un niveau de vie inférieur, avec des prétentions moins fortes que les ouvriers français, offrir leur travail au rabais, donner aux patrons, aux employeurs, cette tentation continuelle d'employer une main-d'oeuvre mal payée et d'éliminer la main-d'oeuvre française qui, elle, a des habitudes de vie qu'elle a acquises par ses traditions , qu'elle a obtenu de satisfaire par de longues luttes sociales. "

Charles Boutet et les ouvriers étrangers"

Charles Boutet (directeur du Socialiste ardennais et maire de Charleville, élu député en 1928) et les ouvriers étrangers ". L'Exploité , 18 février 1928, n°164.

 "Il fut un temps où les socialistes étaient partisans d'un internationalisme intégral et où ils ne pensaient jamais à s'insurger contre la présence des ouvriers étrangers dans nos frontières. Maintenant il n'en est plus de même; Monsieur Charles Boutet dans un article vient de détruire cette bonne coutume; sous prétexte de crise économique, l'on en vient à demander aux services responsables de surveiller l'entrée des étrangers dans notre pays.

 L'on prétend que l'entrée des ouvriers en France est une sorte de concurrence préjudiciable aux ouvriers nationaux.

 M. Charles Boutet (...) ne s'est pas rendu compte que l'élément étranger qui a quitté la France dans cette période est justement l'élément le plus intéressant au point de vue ouvrier alors que les rentrées qui se sont produites pendant cette période furent des rentrées d'éléments importés par le patronat. Pendant cette période le gouvernement s'est employé à chasser de notre sol tous les ouvriers révolutionnaires; il est vrai que le parti socialiste et la CGT n'ont pas eu à souffrir de cette action et c'est peut-être une raison de la satisfaction de M. Boutet.

 Le citoyen Boutet ensuite recherche le remède et le trouve en faisant appel au bon coeur et au patriotisme des employeurs en leur demandant d'embaucher les ouvriers français.

 Quelle naïveté chez un tel homme et quel beau programme pour le parti socialiste de se contenter de faire appel au bon coeur du patronat. "

Appel aux travailleurs étrangers, CGTU

Le Réveil colonial, mai 1929. CGTU Colonial, organe périodique du bureau de la main-d'oeuvre coloniale de la XXe Région des Syndicats unitaires. (SCHOR (R.), Histoire de l'immigration en France, Armand Colin, 1996, p.254.)

 " PREMIER MAI 1929.

 Travailleurs coloniaux, manifestez le Premier mai avec vos camarades français! La bourgeoisie aidée par les chefs de la C.G.T. réformiste, fait peser sur les travailleurs français, étrangers et coloniaux le poids grandissant de sa dictature de classe. Des impôts formidables frappent les ouvriers. Le relèvement monétaire de la production n'est obtenu que par des méthodes esclavagistes de travail. Une répression féroce s'abat sur les travailleurs en lutte dans les entreprises et dans la rue. Chefs réformistes et gouvernants bourgeois jouent la comédie de la paix tandis que s'accélèrent partout les préparatifs de guerre. Le Premier Mai 1929, les coloniaux, désertant le travail, se joindront à leurs camarades français pour manifester en faveur de  : 

 Le Premier Mai 1929, les coloniaux, unis à tous les travailleurs manifesteront aussi pour leurs revendications particulières  :  Droit syndical complet, abolition du code de l'Indigénat; liberté de la presse et de l'immigration; droit complet aux lois sociales et aux libertés politiques; réduction aux coloniaux émigrant dans la métropole des frais de transport sur les bateaux et les trains.

 Les coloniaux, représentants des peuples opprimés par l'impérialisme, ont montré par leur ténacité et leur combativité dans toutes les luttes engagées contre le patronat, qu'ils sont à l'avant-garde du mouvement d'émancipation du prolétariat.

 Le Premier Mai , abandonnant le travail, ils doivent savoir et faire connaître à tous leurs camarades que c'est la journée de mobilisation de toutes les forces ouvrières pour protester, lutter et combattre le patronat et la bourgeoisie. Cette journée de lutte active du prolétariat doit être pour venger tous ceux qui comme notre camarade algérien Béradia, assassiné par les flics le Premier Mai 1923, sont victimes de leur action de classe, ainsi que pour arracher tous ceux qui souffrent dans les geôles comme le militant colonial de la Région parisienne, notre camarade Issad Ahssen, condamné à deux ans de haute surveillance pour son action syndicale. Les coloniaux assisteront en masse aux meetings et démonstrations du Premier Mai et prendront la carte rouge des Syndicats unitaires pour renforcer leur organisation de classe et battre le capitalisme. "

MAROUF

Les socialistes ardennais et l'immigration

Socialiste ardennais , 29 mars 1931 (de la section socialiste de Fumay -Ardennes).

 " Sans avoir le moins du monde la prétention d'atteindre la hauteur de vue de nos chers compatriotes et adversaires en matière économique, nous pouvons dire néanmoins que les travailleurs étrangers ont été appelés en France par les chefs réactionnaires, ces capitalistes de toute nature, qui préféraient au double point de vue obéissance passive et moindre salaire ces travailleurs aux ouvriers français (un peu frondeurs nous dit Nord-Est, merci pour eux! Ce n'est pas tout à fait la traite des blancs, mais presque, qu'ont organisée les comités des Forges et de Houillères... Ce n'est pas tout à fait le servage... mais il s'en faut de peu. "

" Proposition du groupe socialiste à la Chambre "

La Voix du Peuple , novembre 1931, n°135.

 Un renvoi qui ne respecterait pas cet ordre, serait considéré comme abusif dans le cas de l'article 1780 du Code civil. "

Les ouvriers polonais en France et le projet de loi sur l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère

Revue de l'immigration, décembre 1931, n°42, p.18.

La Société des ouvriers polonais en France, dont le siège est à Lille, nous a communiqué la lettre qu'elle a adressée, le 10 décembre, à M. Léon Blum, président du Groupe socialiste à la Chambre des Députés  : 

 La Société des ouvriers polonais, après avoir rappelé comment et dans quelles circonstances l'émigration polonaise a contribué à relever l'économie française aussitôt après la guerre, poursuit  : 

 " Les ouvriers polonais en France sont occupés principalement dans les mines de charbon, de fer et de potasse, dans l'agriculture, dans les usines d'accumulateurs, aux hauts fourneaux et partout où l'ouvrier français a déserté pour trouver mieux. Ainsi, la Compagnie des mines d'Ostricourt occupe environ 75% de Polonais et le pourcentage de nos compatriotes dans d'autres compagnies s'élève en moyenne à 40% de travailleurs du sous-sol. Nous ne croyons pas que les chômeurs français des grandes villes seraient disposés à descendre dans la fosse pour remplacer les Polonais. De plus, nous ne pensons pas que, dans les industries préférées des ouvriers français, la proportion des ouvriers polonais soit notable. Le contrôle des étrangers a déjà éliminé des usines françaises un grand nombre de Polonais, en vertu de la décision interdisant le passage aux étrangers d'un métier à un autre. Il est arrivé que les ouvriers qui ont travaillé dans une usine de fil de fer n'ont pu passer à l'usine de machines agricoles, ce changement ayant été considéré comme inadmissible et beaucoup d'ouvriers ont été congédiés en raison du surnombre d'étrangers en France, comme l'écrivent certaines entreprises dans le Nord de la France sur le certificat de congédiement. Y a-t-il vraiment encore besoin de voter une nouvelle loi limitant la participation d'étrangers dans les entreprises à 10% et de mener une campagne de presse pour propager l'antagonisme à l'endroit des étrangers loyaux envers l'Etat et la classe ouvrière française.

 Nous sommes plutôt d'avis que la solidarité ouvrière doit être maintenue à tout prix et il y a d'autres remèdes efficaces pour protéger l'ouvrier français, à savoir  :  la cessation immédiate de l'émigration, sans toucher aux droits d'égalité des ouvriers étrangers. Dans cet esprit est rédigé le projet de loi émanant des socialistes belges en vue de la diminution du chômage en Belgique.

 Il est indéniable que divers Etats cherchent à limiter l'émigration pour protéger leurs ressortissants; nous ne connaissons cependant pas d'exemple dans l'histoire qu'un projet élaboré par les socialistes qui professent cependant la solidarité internationale crée deux catégories d'ouvriers habitant légalement dans le pays.

 Au point de vue égoïsme national, la démarcation entre l'ouvrier du pays et l'étranger est justifiée, mais si nous rappelons que la France était toujours la patrie de l'idéal démocratique de la liberté de l'homme, que la France donnait toujours l'asile à l'émigration politique, et que c'était enfin la France qui a lancé le projet de la création des Etats-Unis d'Europe, projet irréalisable si chaque pays est décidé à creuser autour de lui une barrière contre l'émigration. Pour ces raisons, le projet des socialistes français visant la dégradation des ouvriers étrangers est sans fondement. Nous vous prions d'étudier nos observations découlant du grave souci du sort de nos compatriotes en France et nous vous assurons, Monsieur le Député, de tout notrre respect pour la France et de toute notre sympathie fraternelle pour la classe ouvrière française. Nous vous présentons, Monsieur le Député, l'expression de notre haute considération.

 Le Président de la Société des Ouvriers Polonais en France, REJER St.

 Secrétaire général de la Société des Ouvriers Polonais en France, KALINOWSKI P. "

Jacques Doriot, " les communistes et le chômage "

discours (extraits) prononcé à la Chambre le 20 novembre 1931. p. 25 et suivantes  :  " les chômeurs étrangers ".

 " On a beaucoup parlé aussi, au cours de ces interpellations, d'un problème extrêmement délicat  :  celui des travailleurs étrangers.

 Il existe une tendance certaine à leur imputer la responsabilité du chômage, alors qu'en réalité elle réside ailleurs. (...) Le Parti socialiste, lui-même, vient de déposer une proposition de loi tendant à limiter l'emploi de la main-d'oeuvre étrangère à 10%. Cette loi propose aussi le refoulement des ouvriers étrangers sans travail ou qui n'ont pas de papier en règle. Ces mesures xénophobes, préconisées par le parti socialiste, sont approuvées par toute la presse bourgeoise. Elles ont provoqué l'indignation même parmi les socialistes des autres pays. Cette attitude du parti socialiste montre sa politique nationaliste qui a pour but de diviser les ouvriers en face du capital.

 Il est déjà clair pour tout le monde, qu'indépendamment de l'impossibilité d'appliquer la proposition des socialistes français, le départ de tous les travailleurs ne liquiderait pas complètement le chômage.

 (...) Tous ceux qui veulent chasser les travailleurs étrangers sont parfaitement éclairés sur le fond du problème. (...)

 Ce qu'ils veulent, c'est détourner l'attention des travailleurs français sur les responsabilités de la crise en développant leur hostilité contre leurs frères de misère des autres pays. On pense que, pendant ce temps ils ne lutteront pas contre le capitalisme.

 C'est là le but que l'on veut atteindre.

 Il me faut reprendre à ce propos le mot de Jaurès  :  " Pour nous le mot " étranger " n'a pas de sens ". Il en a encore moins lorsqu'il s'agit des exploités de notre propre capitalisme. Les chômeurs français, comme les chômeurs étrangers, sont tous des chômeurs du capitalisme français et du capitalisme international. Ils sont victimes, au même titre, de la crise du capitalisme qui meurtrit la classe ouvrière internationale.

 C'est en vertu de ce principe que nous demandons pour les travailleurs étrangers les mêmes droits que pour les travailleurs français. Mêmes droits en ce qui concerne les inscriptions; mêmes droits en ce qui concerne les allocations et suppression de tout règlement particulier en ce qui concerne leur inscription.

 (...) Il est exact que, dans certaines entreprises, le travailleur étranger est souvent moins payé que le travailleur français. J'irai même plus loin  :  il est exact qu'il accepte quelque fois de travailler à un salaire moindre que celui qu'accepterait le travailleur français. Mais cela tient à cette cause particulière que le travailleur étranger est ici soumis à des conditions extrêmement dures. Il n'a pas sa liberté d'action; il est menacé à tout instant d'être renvoyé dans n'importe quelle région de France, loin de sa famille, par le service des étrangers. Il est menacé d'expulsion s'il bouge. Comment veut-on que, dans ces conditions, il ne soit pas tenté d'accepter n'importe quel salaire?

 C'est pourquoi nous réclamons pour les travailleurs étrangers - et c'est la seule garantie pour la classe ouvrière - les mêmes droits syndicaux, les mêmes droits politiques que pour les travailleurs français. C'est l'intérêt véritable du prolétariat français de réclamer l'égalité absolue des droits entre lui et la main-d'oeuvre étrangère et coloniale. C'est la seule façon d'éviter une concurrence qu'un patronat à l'affût de tout pour diviser les ouvriers fait naître et entretient savamment. "

Les radicaux et l'immigration

29e congrès radical de 1932, Toulouse 3-6 novembre 1932; Activité du groupe parlementaire, p. 124.

 " CHAMBRE DES DEPUTES

 7 juillet 1932, clôture de la discussion sur le chômage. " M.Grisoni et tous les membres du groupe déposèrent l'ordre du jour suivant  : 

la Chambre,

 Devant la cruauté du chômage prolongé dans des professions et des régions où la main-d'oeuvre étrangère occupe abondamment des emplois réclamés par des familles françaises,

Demande au gouvernement de hâter la mise à l'ordre du jour la plus prochaine, par le Sénat, du projet de loi qu'elle a voté le 23 décembre 1931, en vue de protéger le travail national, et passe à l'ordre du jour. "

 cet ordre du jour a été voté par 485 voix contre 13 sur 498 votants. "

En tête du tract bilingue du syndicat unitaire des mineurs

(janvier 1932), (source A.D. Nord, 4 Z 88, Ponty (Janine), Polonais méconnus. Histoire des travailleurs immigrés en France dans l'entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 1988, p.298.)

 I.S.R. F.N.U.S.S. C.G.T.U.

 SYNDICAT UNITAIRE DES MINEURS & SIMILAIRES du Nord (1re Région)

 AUX MINEURS UNITAIRES,

 

Confédérés,

non Syndiqués,

à leurs Compagnes,

aux Jeunes!

(Suit un texte en Polonais, dont le sens est le suivant)

 A TOUS LES MINEURS,

 

Unitaires

réformistes, Z.R.P.

non organisés...

MAURIN " La main-d'oeuvre immigrée sur le marché du travail en France."

 (extraits), Secrétariat central de la MOI, ISR, 8 novembre 1933. (Maurin (secrétaire du Bureau central de la MOI à la CGTU, novembre 1933) rédige une brochure de 47 pages sous forme d'un dialogue entre un membre de la CGT (Charles) et Pierre militant de la CGTU.) p.18-19

 
(...) Charles  :  Mais pourquoi alors a-t-elle (la loi du 10 août 1932) été votée?

 Pierre  :  J'y viens. La crise s'approfondit, le chômage augmente. Devant une telle situation, le mécontentement des travailleurs grandit, il se traduit et se traduira par des luttes de plus en plus larges contre le patronat et la bourgeoisie. De telles luttes sont susceptibles de nuire aux intérêts du capitalisme, lequel pour sortir de sa crise entend diminuer les salaires et renforcer son exploitation sur la classe ouvrière. Par tous les moyens, il lui faut empêcher de telles luttes. Pour cela il lui est nécessaire d'accentuer la division entre prolétaires pour tenter de maintenir ses privilèges. (...) La loi du 10 août 1932, la campagne menée par ton organisation, ainsi que par celles à caractère fasciste, nationaliste et autres, ne visent qu'un seul et unique but. Ce but peut être ainsi défini. Masquer les responsabilités du capitalisme dans l'existence de la crise, du chômage et de leurs conséquences parmi la classe ouvrière, en créant parmi les travailleurs français l'illusion d'une issue à la crise et de la suppression du chômage par la réglementation et le renvoi de la MOI.

 Détruire l'unité de lutte entre travailleurs français et immigrés agissante contre les vrais responsables de la crise et du chômage  :  patronat, bourgeoisie, pouvoirs publics;

 Favoriser la soumission des travailleurs immigrés aux pires conditions d'esclavage que leur imposent le patronat, les offices et bureaux de placement des ministères du travail et de l'Agriculture.

 Obliger la MOI à jouer le rôle de concurrente de la main-d'oeuvre française, ce qui a comme résultat de les faire entrer en lutte commune contre leurs exploiteurs.

 Créer les bases idéologiques d'un mouvement raciste-fasciste français identique à celui d'Allemagne à propos des travailleurs juifs.

 Préparer idéologiquement par des campagnes chauvines et xénophobes la classe ouvrière à la guerre impérialiste. Pendant que tes chefs et la bourgeoisie essaient de faire croire aux travailleurs français qu'il y a possibilité de résoudre le chômage en chassant les immigrés, ils orientent ainsi leur mécontentement dans une lutte contre les travailleurs immigrés, au lieu de s'unir avec ces derniers pour faire supporter le poids de la crise au patronat et à la bourgeoisie, seuls responsables. "

MAURIN " La main-d'oeuvre immigrée sur le marché du travail en France. "

8 novembre 1933. Les revendications de la CGTU en faveur de la MOI. p. 42 (lors du 7e congrès de la CGTU).

 Droits aux allocations familiales aux pères de famille même si leurs enfants résident à l'étranger.

Charles Boutet, l'introduction de main d'oeuvre étrangére

 Conseil Général des Ardennes (ADA 1N1 69, 17 octobre 1934, p. 1726.)

 " La CGT est tout à fait hostile à l'introduction en France de nouveaux effectifs de travailleurs étrangers.

 Elle y est hostile, pour des raisons d'ordre général :  parce que l'intérêt public l'exige. Elle y est hostile aussi pour des intérêts particuliers. Tout le monde sait que lorsque sur le marché la main-d'oeuvre abonde, le prix de cette main-d'oeuvre diminue. Il en est de la main-d'oeuvre comme de toute autre marchandise et si on laisse introduire une multitude de travailleurs étrangers - un grand nombre d'employeurs n'y sont point hostiles - l'intérêt particulier consiste à voir réunie sur le marché du travail, de la main-d'oeuvre en surnombre de façon à obtenir des travailleurs au plus bas salaire possible.

 L'intérêt national exige au contraire que chacun en France gagne sa vie, devienne un consommateur normal (...)

 C'est dire que la CGT est hostile à l'introduction de nouveaux éléments étrangers et elle se trouverait certainement d'accord avec vous pour souhaiter qu'avec toutes les précautions possibles on put orienter vers leurs pays des travailleurs étrangers dont la présence n'est pas absolument indispensable en France. "

" La France doit avoir une politique de l'immigration "

La Voix du Peuple , mars 1935, n°173.

 " Une lettre de la C.G.T. au Président du Conseil.

 Au cours d'une récente délégation, nous vous avons entretenu de la nécessité de donner au problème de la main-d'oeuvre étrangère, une solution à la fois efficace et humaine.

 Nous vous avons indiqué que de telles mesures devaient répondre à un triple objet  :  défendre effectivement les intérêts des travailleurs français; répartir au mieux des intérêts de notre économie nationale la main-d'oeuvre étrangère; faire que le droit d'asile ne soit pas, pour de trop nombreux proscrits politiques, un vain mot.

 Chaque jour qui passe ajoute à l'urgence d'une politique cohérente et efficiente en la matière. Sans vouloir critiquer ce qui s'est fait jusqu'ici, nous sommes obligés de rappeler le peu de résultats obtenus. On ne saurait continuer, sans de graves dangers, les errements poursuivis.

 A un pays comme la France, il faut une politique de la main-d'oeuvre immigrée, non seulement pour le présent, qui commande d'agir avec célérité, mais aussi pour qu'à l'avenir les opérations de recrutement, d'importation, de répartition de cette main-d'oeuvre ne soient plus le monopole de groupements d'intérêts particuliers, étrangers à l'intérêt général du pays.

 Déjà, il y a quelques années, alors que l'immigration était massive, le Conseil National de la main-d'oeuvre, organisme rattaché à la présidence du Conseil, avait examiné les possibilités de fusion des services de main-d'oeuvre du Ministère du Travail et du Ministère de l'Agriculture, dont le manque de coordination s'avérait fâcheux, laissant au Ministère de l'Intérieur ses prérogatives. Le gouvernement s'est récemment prononcé dans ce sens. Mais cette mesure, ne visant que des organes d'exécution, n'est pas suffisante.

 Aujourd'hui, c'est toute une politique de la main-d'oeuvre immigrée qu'il faut définir, en liaison avec une politique générale du marché du travail et du placement. N'est-il pas inconcevable qu'à l'heure même où l'on opère des refoulements, on fasse encore entrer de nouveaux travailleurs étrangers.

 Cependant, notre main-d'oeuvre étrangère devrait suffire à tous nos besoins; elle est par définition mobile et peut plus facilement que toute autre être ventilée partout où il est utile, sous la seule réserve que les conditions de salaire et de travail offertes soient les mêmes que celles en application dans l'industrie et la région considérées.

Pour cela, que faut-il? Un organe de centralisation des différents services de main-d'oeuvre, établissant la liaison entre eux, leur donnant l'impulsion pour une action cohérente. A l'exemple des pays d'émigration, notre pays pourrait être doté d'un " Commissariat général de l'immigration ". Par cet organisme, il serait relativement facile de décongestionner dans une certaine mesure les centres où sévit le chômage, au profit de régions manquant de main-d'oeuvre pour certains travaux. Les places devenues vacantes dans les industries citadines reviendraient alors aux ouvriers français en chômage, ayant résidence et famille dans ces villes. Devant la gravité de la situation, connaissant le désarroi qui règne dans les esprits et dans les faits, nous nous permettons, Monsieur le Président du Conseil, d'insister d'une façon toute particulière pour qu'on donne à notre politique de la main-d'oeuvre des bases positives et logiques, qui lui permettront d'atteindre son triple objet  :  sauvegarder les ouvriers français; satisfaire aux nécessités de l'économie nationale; assurer humainement le droit d'asile aux proscrits politiques. Veuillez agréer, Monsieur le Président du Conseil, l'expression de notre considération distinguée.

Pour la C.G.T.  : 

Le Secrétaire général,

L. Jouhaux. "

" L'activité des bureaux de la M.O.E. de la C.G.T."

La Voix du Peuple , septembre 1938, n°215. (extraits). " L'origine des services de la M.-O.E."

 L'arrivée massive des travailleurs étrangers de divers pays, dans les années d'après-guerre, a placé la C.G.T. dans l'obligation de faire un sérieux effort pour que ces travailleurs ne restent pas en dehors du mouvement syndical et ne deviennent pas une proie facile pour l'exploitation patronale, en même temps qu'une arme dangereuse dans la lutte du patronat contre les revendications de la classe ouvrière. (...) Les services de la Main-d'oeuvre étrangère sont donc à l'heure actuelle, concentrés dans trois bureaux  :  italien, polonais et russe.

 Le fonctionnement.
Le bureau italien, secrétaire Caporalli(...)
Le bureau polonais, secrétaire Jesionowski (...)
Le bureau russe, secrétaire Rossel (...)
Le problème de la main-d'oeuvre étrangère avant 1936. Il faut reconnaître que le nombre de syndiqués parmi les travailleurs étrangers était relativement peu élevé avant 1936. Cela se conçoit  :  la répression patronale et policière ne permettait pas le développement rapide d'une large action syndicale parmi ces travailleurs (...)

 Les années qui précédèrent les événements de 1936, de 1933 à 1935 surtout, furent particulièrement pénibles pour les travailleurs étrangers; application rigide et sévère de la loi du 10 août 1932; pourcentage et limitation de séjour par département; refus du droit au travail pour de nombreux travailleurs et les membres de leur famille; refoulement en masse; expulsion par voie administrative. (...)

 Le problème de la main-d'oeuvre au Congrès de Toulouse. Les doléances des travailleurs étrangers ont été résumées dans un document présenté, au nom des militants de tous les groupements des travailleurs étrangers de la C.G.T. et de la C.G.T.U., au Congrès de Toulouse (...)

 Le Congrès de Toulouse a tenu compte des doléances des travailleurs étrangers. Il a voté à l'unanimité une motion qui proclame notamment  : 

 " Le Congrès demande au Gouvernement d'ordonner une application plus intelligente et plus souple des dispositions visant le pourcentage d'emploi des ouvriers immigrés...

 (...) ... réclame de toutes ses forces, pour les réfugiés politiques, l'assimilation, au point de vue du travail, aux citoyens français. (...) ... Le Congrès demande enfin qu'un statut juridique soit accordé aux travailleurs immigrés... "

 D'autre part, le document présenté par les travailleurs immigrés au Congrès de Toulouse affirmait  :  " On a souvent reproché aux travailleurs étrangers en France de n'être pas assez nombreux dans les organisations syndicales, mais nous considérons qu'il faut tenir compte du fait que ces travailleurs n'étaient jamais sûrs du lendemain et ne de rendaient pas à l'évidence que, seules, les organisations syndicales pouvaient leur donner l'appui qu'ils désiraient. (...)

 Depuis 1936. (...) Les semaines qui suivirent le Congrès de Toulouse ont connu une affluence de travailleurs étrangers aux syndicats unifiés. Peu après, aux jours du grand mouvement de mai-juin 1936, la masse des travailleurs immigrés de toutes nationalités a pris une part active à ce mouvement et, dans certains cas, les militants immigrés se sont trouvés à la pointe du combat.

 L'adhésion des travailleurs étrangers aux syndicats confédérés a pris dès lors un caractère massif. D'à peine 50 000 avant 1936, le nombre des syndiqués a rapidement atteint et dépassé le chiffre de 350 000 à 400 000. Les services de la main-d'oeuvre étrangère de la C.G.T. se sont donc trouvés depuis 1936 en présence d'une masse importante de syndiqués de langues différentes qu'il a fallu instruire, éduquer au point de vue syndical, encadrer et défendre. (...) L'activité des bureaux de la main-d'oeuvre étrangère de la C.G.T.

 (...) Une des tâches les plus importantes des bureaux (...) est la lutte permanente et méthodique contre les groupements réactionnaires et fascistes qui déploient leurs efforts, sous la protection du patronat, parmi les travailleurs immigrés.

 Quelques résultats. (...) On peut donc affirmer que les revendications immédiates des travailleurs immigrés formulées au Congrès de Toulouse ont obtenu une certaine satisfaction.

 Le problème de la main-d'oeuvre étrangère reste entier. Mais il n'en va pas de même dans le domaine des réformes plus profondes. (...) Nous savons que ce problème, intimement lié au problème général de la main-d'oeuvre dans le pays n'est pas facile à régler. Mais nous avions toutefois un moment l'espoir d'une solution proche et équitable de ce problème. Un Sous-Secrétariat d'Etat à la Présidence du Conseil a été créé sous le gouvernement Chautemps Philippe Serre a été chargé de ce Sous-Secrétariat (...). Le projet de Philippe Serre (...) répondait dans une grande part à nos revendications générales (...).

 Hélas! Après le départ du gouvernement Chautemps, le Sous-Secrétariat d'Etat pour les immigrés n'a pas été rétabli et les beaux projets de Philippe Serre ont été oubliés.

 Les derniers décrets sur les étrangers.
Un certain nombre de décrets-lois, publiés au mois de mai 1938, sont venus remplacer ces projets. Malgré un exposé des motifs faisant preuve d'un large esprit d'humanité et de compréhension de la situation des immigrés politiques et économiques, les décrets eux-mêmes semblent ignore l'esprit de l'exposé.

 (...) Nous devons constater que le décret du 2 mai, accompagné d'une pression de plus en plus accentuée de la part du patronat sur les travailleurs immigrés, a provoqué ces temps derniers un certain désarroi parmi ces travailleurs. (...)

 Il est donc indispensable que le Congrès confédéral de Nantes se penche à nouveau sur le problème complexe et délicat de la main-d'oeuvre étrangère en France et qu'il envisage des solutions efficaces et équitables à ce problème. "

" La main-d'oeuvre nord-africaine "

La Voix du Peuple , juillet 1938, n°213.

 " La question de la main-d'oeuvre nord-africaine s'impose avec une grande acuité à l'heure actuelle. Il n'existe pas de statut légal nord-africain en France. La C.G.T. en liaison avec le Comité nord-africain de l'Union des Syndicats de la région parisienne, qui a déployé la plus grande activité sur cette question, s'est préoccupée d'établir un programme de revendications  : 

Les employeurs des travailleurs nord-africains sont également, d'après ces décrets-lois dans l'obligation de faire connaître au service de la main-d'oeuvre les embauchages et les débauchages des travailleurs qu'ils effectuent.
Ce sont là des mesures bien trop fragmentaires pour nous donner satisfaction, comme le reconnaît le décret-loi, dans l'analyse des articles qui se trouve à son début  : 
"La solution des problèmes posés par l'immigration des indigènes algériens, marocains et tunisiens vers la France, ne saurait cependant être indéfiniment retardée."

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