Congrès des internationales ouvrières, résolutions, motions, comptes rendus relatifs à la question immigrée.

Documents rassemblés et présentés par C. PIERRE, docteur en Histoire.

Sommaire

Résolutions de l'internationale ouvrière, Amsterdam, 1904.

Compte rendu des débats tenus au congrès de Stuttgart, 1907.

Résolutions adoptées au congrès de Stuttgart,1907.

Compte rendu des débats tenus lors de la conférence des secrétaires de centrales syndicales, Christiana, 1907.

Kautsky :  Le programme socialiste, 1909.

Résolution adoptée lors du troisième congrès de l'ISR, 1924.

Congrès mondial des migrations, Londres, 1926.

Congrès de la IIe Internationale, Amsterdam, 14-20 août 1904.

Une résolution est d’abord proposée par la Commission. Le rapporteur est Ugarte (Argentine).

Le Congrès déclare que l’ouvrier émigrant est la victime du régime capitaliste, qui le force souvent à l’expatriation pour s’assurer péniblement l’existence et la liberté; Que les ouvriers émigrés ont souvent en vue de supplanter les grévistes, ce qui a pour résultats des conflits quelquefois sanglants entre ouvriers de nations différentes. Le Congrès condamne toute mesure législative ayant pour objet d’empêcher l’émigration.

Il déclare qu’une propagande tendant à éclairer les émigrants attirés artificiellement par les entrepreneurs de la classe capitaliste, abusant de renseignements souvent faux, paraît d’une absolue nécessité.
Il est convaincu que, grâce à la propagande socialiste et par l’organisation ouvrière, les émigrants se rangeront après quelques temps du côté des ouvriers organisés des pays d’émigration et exigeront des salaires légaux.

Le Congrès déclare, en outre, qu’il est utile que les représentants socialistes dans les Parlements demandent que les gouvernements combattent par un contrôle sévère et efficace les nombreux abus auxquels l’émigration donne lieu, et qu’ils proposent des mesures tendant à réformer la législation, afin que les ouvriers émigrés acquièrent aussitôt que possible les droits politiques et civils dans les pays d’émigration et qu’ils reprennent leurs droits aussitôt qu’ils retourneront dans leur pays, ou bien que les différents pays assurent aux émigrés les mêmes droits par les traités de réciprocité.

Le Congrès engage le Parti Socialiste et les Fédérations syndicales à travailler plus énergiquement qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent à étendre parmi les ouvriers émigrés la propagande de l’organisation ouvrière et de solidarité internationale.?

Puis une seconde proposition est proposée par H. van Kol (Hollande), Morris Hillquit (USA), Claude Thompson (Australie), H. Schlüter (USA), A. Lee (USA), et P.H. Verdorst (Hollande). (Amsterdam, 1904).

Le Congrès, tout en tenant compte des dangers qui découlent de l’immigration d’ouvriers étrangers, vu que ceux-ci causent souvent une baisse des salaires, l’emploi des jaunes et quelquefois même des combats sanglants entre les ouvriers, déclare que par l’influence de l’agitation socialiste et syndicale, les ouvriers immigrés prendront après quelques temps le parti des ouvriers indigènes et réclameront le même salaire que ceux-ci.
Par conséquent le Congrès condamne toute loi qui défend ou empêche l’immigration d’ouvriers étrangers que la misère oblige à émigrer.

Le Congrès considérant ensuite que des ouvriers de nationalités arriérées, comme les Chinois, les Nègres, etc., sont souvent importés par des capitalistes pour nuire aux ouvriers indigènes en travaillant pour un minimum de salaires et que ceux-ci se laissant exploiter vivent dans une sorte d’esclavage, déclare que la social-démocratie doit combattre de toutes ses forces l’emploi de ce moyen qui sert à détruire l’organisation des ouvriers et par là à arrêter le progrès et la réalisation du socialisme.

(A l’issue de débats et de désaccords, le Président annonce que la commision et Hillquit retirent leurs résolutions, et que l’on remet la question au prochain congrès; mais il propose d’émettre le voeu que les syndicats rendraient l’acceptation d’étrangers le plus facile possible)

Congrès de la IIe Internationale, août 1907.

Henri de la Porte écrit Les Leçons de Stuttgart en octobre 1908.

L'émigration et l’immigration  : 
 J’ai déjà dit que cette question me paraissait être celle qui, avec la question coloniale, devait d’ici peu prendre la première place dans les préoccupations de l’Internationale.

Aucune, en effet, ne soulève plus complètement les graves problèmes qui doivent bouleverser le monde. A côté d’elle, comme à côté de la question coloniale, les conflits internationaux ou les conflits constitutionnels, passent au second plan. Ils ne sont que l’effet.

L’immigration (comme à l’heure présente pour les Japonais aux Etats-Unis d’Amérique) et l’expansion coloniale (comme l’affaire marocaine), dérivés directement du capitalisme, sont la cause, - on ne peut même pas dire le prétexte. Et c’est vraiment là qu’au fond gît toute la raison et toute la force de l’internationalisme socialiste. (...) C’est sur le terrain des rapports entre peuples, - colonisation ou immigration, - que se pose dans son ampleur tout le vaste problème humain, et que s’établit la valeur de l’Internationale travailleuse contre le Capitalisme cosmopolite sur l’immense champ de bataille de l’Humanité.

(...) L’unanimité du Congrès ne se produisit qu’après de substantiels débats (...). C’est dire l’importance de la résolution. (...)
Cependant de dangereuses déviations menaçaient.

 Sous le couvert de conditions particulières à certains pays (toujours!), des délégués, bien intentionnés sans doute, mais terriblement aveugles proposaient, contre l’immigration, des propositions de caractère nettement antiinternationaliste; inquiets sans doute d’un danger de concurrence, ils négligeaient le point de vue marxiste et se laissaient entraîner par l’opinion courante de leur pays à une révolte instinctive, antiscientifique et antisocialiste de protection? chauvine. (...) (...)

Chinois, Japonais, Italiens, Allemands, Français ou Belges, tous les immigrants arrivant dans un pays ne sont pas à priori des sarrazins;. Le devoir des socialistes en tous cas n’est pas de se prêter à la guerre interprolétarienne entre travailleurs de différentes races, - ce qui favorise, par la concurrence entre exploités, l’intérêt des capitalistes et des employeurs. Le devoir est de tout faire pour étendre entre indigènes et immigrés le lien syndical. Le devoir, loin d’être d’éloigner du syndicat et de l’organisation ouvrière les nouveaux venus, est au contraire de tout faire pour les y amener. Le devoir, comme allait le dire le rapporteur, est de protéger aussi bien l’ouvrier indigène que l’ouvrier immigrant.

Résolution du Congrès de la IIe Internationale approuvée à l’unanimité, Stuttgart, août 1907  : 

L'immigration et l’émigration des travailleurs sont des phénomènes aussi inséparables du capitalisme que le chômage, la surproduction, la sous consommation  :  elles sont souvent l’un des moyens dont le capitalisme dispose pour réduire la part des travailleurs dans les produits de leur travail et prennent parfois des proportions anormales par suite de persécutions politiques, religieuses ou nationalistes. Le Congrès ne peut considérer comme des moyens d’écarter le danger éventuel dont l’émigration et l’immigration menacent la classe ouvrière, ni les mesures exceptionnelles quelconques, économiques ou politiques, parce qu’elles sont inefficaces et essentiellement réactionnaires, ni spécialement une restriction de la libre circulation, ni une exclusion des individus appartenant à des nationalités ou à des races étrangères.

Par contre, le Congrès déclare qu’il est du devoir de la classe ouvrière organisée de s’opposer à la dépression fréquente de leur niveau de vie par suite de l’importation en masse de travailleurs inorganisés; il déclare de même qu’il est de leur devoir d’empêcher l’importation ou l’exportation des sarrazins.

Le Congrès reconnaît les difficultés créées dans beaucoup de cas pour le prolétariat par l’immigration en masse d’ouvriers inorganisés, habitués à un niveau de vie inférieur, et originaires principalement de pays agraires ou à économie familiale, ainsi que les dangers provoqués par certaines formes de l’émigration; Il considère, du reste, en se plaçant au point de vue de la solidarité prolétarienne, l’exclusion d’individus de nationalités ou de races déterminées comme une mesure inadmissible dans ce but ;

Par ces motifs, il préconise les mesures suivantes  : 

I. Dans les pays d’immigration  : 

II. Dans les pays d’émigration  : 

 III. Réglementation nouvelle de l’industrie des transports, spécialement par navires. Surveillance de l’exécution des règles admises par des inspecteurs avec pouvoirs discrétionnaires, à choisir parmi les ouvriers organisés des pays d’immigration et d’émigration;

Mesures préventives en faveur des émigrants à leur arrivée, afin qu’ils ne soient pas livrés à l’exploitation des parasites du capitalisme (corsaires du capitalisme). Comme le transport des émigrants ne peut être réglé légalement que sur une base internationale, le Congrès charge le Bureau socialiste international de préparer des propositions pour la réglementation nouvelle de cette matière, dans lesquelles on fixera la disposition et l’installation des navires, ainsi que le cube d’air minimum par passager, et on donnera une importance spéciale à ce que les émigrants traitent de leur passage directement avec les entreprises de transports sans intervention d’intermédiaires quelconques. Ces propositions seront communiqués aux diverses directions des Partis socialistes dans le but d’en amener l’application législative et de les faire servir à la propagande.

Conférence internationale des secrétaires de centrales syndicales, tenue à Christiana, les 15 et 16 septembre 1907

Le journal des correspondances, numéro 12, décembre 1907, pp. 154-155.

La conférence condamne les ouvriers ou les groupes d’ouvriers qui, en cas de conflit, se rendent aux pays où les ouvriers sont en lutte, y prennent la place des grévistes ou lock-outés. Les patrons capitalistes pratiquant maintenant cette méthode d’aller trouver des ouvriers traîtres dans les autres pays, la conférence recommande donc aux représentants des organisations syndicales d’y attirer l’attention des Centres nationaux des pays respectifs et d’y proposer de publier les noms des traîtres à l’étranger pour y trahir leurs frères de travail (...)

(...) La conférence recommande ensuite que les députés socialistes de tous les pays, où il y a des députés socialistes, soumettent au Parlement des lois empêchant l’exportation des sarrazins (...).

K. Kautsky, Le programme socialiste, 1909.

(Pierre Saly, Alice Gérard, Céline Gervais, Marie-Pierre Rey, Nations et nationalismes, Armand Colin, Paris, 1996, p. 243.)

Pour les ouvriers des pays qui jouissent d’une existence supérieure et de meilleures conditions de travail, où par la suite l’immigration dépasse l’émigration, cet internationalisme cause de nombreux inconvénients et provoque même des dangers. Il est incontestable, en effet, que ces ouvriers qui occupent une situation élevée sont gênés dans leur lutte par la concurrence d’immigrants besogneux et sans force de résistance.

Dans certaines circonstances, cette concurrence, comme la rivalité des capitalistes appartenant à des nations différentes, peut envenimer les antagonismes nationaux; éveiller la haine nationale des travailleurs contre les prolétaires étrangers. Mais la lutte des nationalités qui dans les sphères bourgeoises est un phénomène constant ne peut être que passagère parmi les prolétaires.

Tôt ou tard, ceux-ci sont obligés de reconnaître, sinon par une autre voie, du moins au prix de cruelles espérances, que l’immigration de forces de travail peu coûteuses, provenant de régions arriérées, dans des pays économiquement avancés, est aussi nécessairement liée au mode de production capitaliste que l’introduction des machines, du travail de la femme et de l’enfant dans l’industrie. Cette immigration ne peut pas plus être empêchée que ces deux derniers phénomènes.

Le mouvement ouvrier d’un pays avancé souffre encore à un autre point de vue de l’état arriéré des travailleurs dans les pays étrangers  :  le degré d’exploitation que tolèrent ces derniers fournit aux capitalistes de la première nation un excellent prétexte, et même une raison solide de résister aux efforts des prolétaires pour améliorer leurs conditions de travail au moyen de la législation ou de  ??bres?conventions. D’une façon ou de l’autre, les ouvriers qui demeurent dans le pays comprennent que les progrès de leur lutte dépendent beaucoup des progrès de la classe ouvrière dans les autres pays. Si au commencement ils ressentent quelque mauvaise humeur contre les travailleurs étrangers, ils finissent par se convaincre qu’il n’est qu’un moyen efficace de remédier aux effets néfastes du peu de développement de l’étranger  :  il faut mettre un terme à cette infériorité. Les ouvriers allemands ont les meilleures raisons de souhaiter que les travailleurs slaves et italiens obtiennent à l’étranger comme dans leur patrie des salaires plus élevés et des journées plus courtes, et, s’il est possible, ils doivent agir en ce sens. Les ouvriers anglais ont le même intérêt vis-à-vis des travailleurs allemands ou autres, les américains vis-à-vis des européens. L’étroite dépendance où se trouve la lutte de classe menée par le prolétariat d’un pays à l’égard des luttes de classe des autres pays conduit nécessairement à une union étroite des fractions prolétariennes des différentes nations.

Les vestiges d’isolement national, de haine nationale, empruntés à la bourgeoisie par le prolétariat, disparaissent de plus en plus. La classe ouvrière se libère de plus en plus des préjugés nationaux. L’ouvrier apprend de plus en plus à reconnaître et à apprécier dans son compagnon de travail, quelle que soit d’ailleurs la langue qu’il parle, le compagnon de lutte, le camarade.

Le IIIe Congrès de l’ISR, Résolution sur l’immigration

La Vie Syndicale, juin-juillet 1924, numéro 14.

(...) En conséquence, le IIIe Congrès estime qu’il est nécessaire de réaliser pratiquement les propositions ci-après  :  sur le terrain internationale  :  création d’un Service international d’émigration ayant comme attribution  : 

Le Congrès mondial des Migrations, Fédération Syndicale Internationale et Internationale Ouvrière Socialiste

Propositions adoptées par le Congrès La Voix du Peuple , juillet-août 1926, numéro 72. Préambule.

Le Congrès mondial des Migrations, convoqué par la F.S.I. et par l’I.O.S., tenu à Londres, du 22 au 25 juin 1926, définit comme suit son attitude vis-à-vis des problèmes de l’immigration  : 

L’évolution capitaliste tend à une intensification toujours croissante des forces productrices, laquelle a pour contre-coup une réduction de la main-d’oeuvre nécessaire pour fabriquer une quantité donnée d’articles. L’extension des marchés distributeurs n’a pas marché de front avec cette accélération de la production. Il en résulte un surcroît de main-d’oeuvre, un chômage de proportions effrayantes qui, surtout dans l’Europe, dûrement atteinte par les suites de la guerre, a frappé même ces Etats industriels dont l’évolution était déjà avancée.

Dans cette situation défavorable du marché du travail, le mouvement d’émigration de travailleurs vers des pays ayant des conditions économiques relativement supérieures, va toujours s’accroissant.

Un motif ultérieur d’émigration est constitué par le penchant toujours présent chez les travailleurs des pays où le niveau de la vie prolétarienne est plus bas de passer vers ceux où il est plus élevé, afin de s’y installer soit pour un séjour passager, soit en permanence. D’ailleurs, les pays qui, en dépit d’un faible développement économique, ont cependant un fort surcroît de population, fournissent un courant perpétuel d’émigrants; et enfin, les oppressions politiques de la classe ouvrière constituent un motif d’émigration toujours renouvelé.

Le déplacement d’un nombre excessif de travailleurs vers des pays d’un développement économique supérieur, encore capables de les recevoir, peut, en certains cas, créer un danger pour les travailleurs de ces Etats, puisqu’on y peut craindre, non sans raison, un abaissement du niveau de la vie et des autres conditions des travailleurs indigènes. Le Congrès ne reconnaît pas dans la tendance, actuellement si marquée, à émigrer des Etats d’une situation économique défavorable, un moyen efficace et durable de surmonter les crises économiques; l’émigration lui paraît plutôt un phénomène résultant inévitablement de l’évolution capitaliste.

L’incapacité du système capitaliste actuel d’amener une solution de la crise économique mondiale s’accuse clairement dans les propositions faites par ses représentants, lesquels, par leurs réactions, ne servent souvent qu’à accentuer la crise.

Le Congrès désire également affirmer sa conviction qu’il est du devoir de tous les gouvernements de pourvoir au règlement des problèmes de la migration de la manière conduisant le mieux à la paix internationale et à la promotion des intérêts conjugués des travailleurs émigrants, ainsi que des travailleurs des pays où les premiers se rendent.

C’est pourquoi le Congrès recommande à l’Internationale syndicale et à l’Internationale Ouvrière Socialiste de nommer une commission mixte qui étudierait les facteurs économiques, sociaux et techniques des migrations et d’en soumettre les résultats à un Congrès ultérieur. 

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