Atelier histoire sociale de l'immigration
Bilan de l'année 1997-1998
Eric Guichard, Philippe Rygiel
Séance du 11 juin 1998
La gestion par l'État des flux et des stocks d'étrangers en temps de crise, à travers l'exemple de la grande crise des années trente, était cette année au centre de nos préoccupations. Nous nous sommes plus particulièrement interrogés sur la façon dont l'État ordonnait, provoquait, ou encourageait les départs d'immigrés, puisque celui-ci, dès le début de la période, pose que le contrôle des populations immigrées fait partie de ses attributions (G. NOIRIEL). Il est rapidement apparu (J. PONTY) que cette intervention pouvait prendre des formes extrêmement diverses. Les services centraux de l'État et les administration locales ont à leur disposition une vaste panoplie de moyens permettant d'atteindre le but clairement fixé qu'est la réduction du nombre des étrangers résidant en France. Refus de carte d'identité, procédure de refoulement ou d'expulsion, pressions discrètes sur les employeurs (Y. FREY), concourent au même but. Il semble d'ailleurs que l'on recoure aléatoirement à l'une ou l'autre de ces procédures, des immigrés de même statut, en une même situation, pouvant faire l'objet selon le lieu ou le moment de mesures de nature différente. De plus, ces décisions peuvent avoir valeur d'exemple ou de menace et inciter au départ des étrangers qui n'en ont pas encore été victimes (C. PIERRE). L'efficacité cependant de ces pratiques administratives reste problématique (M. LEWIS). Il n'est pas rare que l'on retrouve en France, bien après que leur ait été signifié un ordre de départ, des étrangers expulsés ou refoulés (P. RYGIEL).
Ces premiers résultats amènent à remettre en cause le cadre d'enquête initialement proposé aux participants. L'idée d'une relative autonomie des procédures administratives destinées à permettre la gestion des populations immigrées, c'est à dire l'hypothèse implicitement faite au début de cette année selon laquelle chaque dispositif réglementaire est destiné à un type de population ou de situation, ce qui en permettrait l'étude autonome, ne tient pas. Il semble au contraire que lorsque la crise arrive, administration centrale et administration locale mettent au service d'une unique finalité (provoquer le départ d'une partie de la main d'oeuvre immigrée et contrôler plus étroitement positions et déplacements des ouvriers étrangers qui restent) toutes les procédures administratives et tous les moyens (pression sur les employeurs, les États d'origine) dont elles disposent. Les décisions semblent prises au cas par cas, en fonction de la situation locale, de l'efficacité présumée de tel ou tel dispositif, et non répondre à une logique bureaucratique autonome qui imposerait une action en fonction de critères prédéfinis et objectivés.
Il devient alors difficile de se proposer comme objet d'étude l'une de ces procédures à l'exclusion des autres, à moins de se priver des moyens de comprendre l'usage qui en est fait. Il semble donc qu'il faille, pour obtenir une définition pertinente de l'objet d'étude, se pencher sur les formes que prend la gestion par l'État des flux et des stocks immigrés, et plus particulièrement en notre cas, des sorties.
D'autre part, l'inventaire des sources disponibles conduit à écarter l'hypothèse d'une enquête nationale qui viserait à l'exhaustivité, ou tenterait de constituer un corpus représentatif des décisions et des actions des services locaux de l'État. Les sources possibles (dossiers de refoulement, de demandes de carte d'identité, voire d'expulsions) n'ont en effet pas toujours été conservées.
Il semble cependant que les deux axes de la problématique de départ - quel est en ce domaine l'impact de l'action de l'État, et y a-t-il un écart entre les principes définis et affichés et les décisions prises localement - conserve sa pertinence. Il parait même possible à partir de cette conviction et des remarques faites plus haut, de définir une liste de tâches dont l'accomplissement permettrait la production d'un discours cohérent.
- Les archives centrales de l'État peuvent permettre une pesée globale du nombre des départs enregistrés et des décisions administratives ordonnant une sortie du territoire, même imparfaite, si du moins l'état de conservation des archives l'autorise, ce dont doutent ceux des membres du groupe qui les connaissent le mieux.
- L'étude de la construction de la catégorie des étrangers indésirables est loin d'être achevée, et suppose pour être menée à bien un dépouillement supplémentaire des archives des ministères du Travail, de l'Agriculture et de l'Intérieur. L'expérience semble montrer que l'on a plus de chances de retrouver les circulaires relatives aux étrangers et aux conditions de leur séjour dans les dépôts des archives départementales qu'aux archives nationales.
- L'étude de l'application des directives nationales, même si tant l'exhaustivité que la représentativité du corpus choisi sont sujettes à caution, peut être enrichie par des études locales qui mettent en lumière la façon dont s'articulent l'intervention de l'État, des pouvoirs locaux et des entreprises. Il est possible aussi de choisir, de façon un peu arbitraire, un ou quelques départements et d'y étudier de façon systématique l'usage de l'une ou l'autre des procédures concourant à provoquer le départ des étrangers.